Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 56

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Chappitre LVIe
De la fille Jacob


Je vous diray un autre exemple de la fille Jacob, qui, par sa joliveté de cuer, laissa l’ostel de son père et de ses frères pour veoir l’atour des femmes et l’arroy d’un autre pays. Dont il avint que Sichem, le filz de Amon, qui estoit grans sires, la regarda et vist qu’elle estoit belle, et si la pria de folle amour, tant qu’il la despu-cella. Et, quant les xij. frères d’elle le sceurent, si vin-drent là et le occistrent, luy et le plus de son lignaige et de ses gens du pays, pour la honte que ilz eurent de leur suer, qui ainsi avoit esté despucellée. Or resgardez comment par fole femme vient le grant mal et le dommaige, car par sa juennesce et par son legier couraige advint celle grant occision, tout aussy comme il fut de la fille au roy de Grèce, qui, par sa fole amour et par folz semblans, elle accointa le filz d’un conte, qui l’engroissa, dont le roy son père en fist guerre au conte, et en morut plus de mil personnes, et eust la guerre encores plus duré quant le frère du roy, qui saiges estoit, vint au roy son frère et lui dist : « Sire, je me merveille moult que pour l’esbat et le delit de vostre fille a esté perdu maint bon chevalier et maint bon preudomme par sa joliveté. Il vous vaulsist trop mieulx que elle n’eust oncques esté née. » Et lors dist le roy qu’il disoit voir. Adonc il fist prendre sa fille par qui le mal avoit esté, si la fist despecier d’espées par menues pièces, et depuis dist devant tous qu’il estoit bien raison qu’elle feust ainsi despeciée, par qui tant de bonnes gens avoient esté mors et occis.