Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 80

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Cy parle de pacience
Chappitre LXXXXe


Je vous diray un autre exemple, comment Anna, la femme Thobie, parla folement à son seigneur, qui estoit preudhomme et saint homme, et ensevelissoit les mors que un roy Sarrazin faisoit occire en despit de Dieu et de sa loy, et avoit nom Sennacherip. Si advint que les arrondelles chièrent sur les yeulx du preudhomme Thobie, et en fut long-temps aveugle, dont sa femme lui dist par grant despit que le Dieu pour qui il ensevelissoit les mors ne lui rendroit mie la veue. Le prudhomme en eut en luy pacience, et lui respondit que tout seroit à son plaisir, dont il advint que elle en fust bien pugnye de maladies, et, quant il pleust à Dieu, il rendit au bon homme sa veue, et veoit tout cler. Et, par cest exemple, toute bonne femme ne doit point laidengier son seigneur, ne mespriser de chose ne de maladie que Dieu luy envoye. Car le baston est aussi bien levé sur le saing comme sur le malade, comme vous avez ouy de Thobie qui fut guéry, et sa femme qui parla mal fut malade. Dont je veul que vous saichez l’exemple de la clavière Sarra, femme au petit Thobie. Ceste Sarra fut moult preude femme et fust fille Raguel ; elle ot vij. seigneurs, que l’ennemy occist tous, pour ce qu’ilz vouloient user d’un trop villain fait, que jà ne fait à nommer. Celle bonne dame reprist une fois sa claviere d’un meffait que elle avoit fait ; mais celle, qui fust fière et orgueilleuse, lui reproucha ses seigneurs, en elle avilant. Mais la bonne dame ne respondist riens, ains ot pacience et ploura à Dieu, en disant qu’elle n’en povoit mais et que Dieux fist du tout à son plaisir. Et, quant Dieux vit son humilité, il luy donna cellui Thobie à seigneur, et eurent de beaux enffans et moult de biens et d’onneur ensemble. Et celle qui tença à elle et lui reproucha ainsi, si fina mauvaisement et eut depuis assez moult de hontes, et la bonne dame beaucoup d’onneur. Et pour ce est bon exemple comment nul ne doit reprouchier le mal ne le meshaing d’autruy. Car nul ne se doit point esmerveillier des vengences ne des jugemens de Dieu ; car tel reprouche le mehaing d’autruy qui l’a après pire et plus honteux, si comme il plaist au createur à faire ses vengences et ses punitions.

Si vous diray encore un autre exemple sur le fait de pacience. Vous avez bien ouy, selon ce que raconte la Bible, comment Dieux voult et souffry que Job, qui fut saint homme, feust tempté et trebuschié de ses grans honneurs en bas, si comme cellui qui estoit saint homme et riche et puissant comme un roy, premièrement quant il perdit ses sept filz et troix filles, et puis toutes ses bestes vivans et toutes ses richesses et tous ses habergemens, qu’il vist tous ardoir, et tant que riens ne lui demoura fors les corps de luy et de sa femme, et fut si pauvre qu’il luy convint gesir en un fumier, où les vers lui avoient tout rungié la teste et estoient par ses cheveulx. Et sa femme lui apportoit du relief et luy soustenoit la vie. Dont il avint que une fois elle se courrouça, si comme elle fust temptée, et lui dist : « Sire, mourrez-vous en ce fumier, puis que autrement ne vous povez avoir. » Et toutefois, combien qu’elle le deist par yre, elle ne le vouloit pas, comme bonne preude femme qu’elle estoit. Mais le preudhomme ne luy respondist riens, fors que tout feust au plaisir de Dieu, et qu’il fust mercié de tout. Ne oncques, pour mal ne douleur qu’il lui avenist, il n’en dist autrement fors que mercier Dieu de tout. Et quand Dieu l’eut bien essayé et bien esprouvé, si le redressa et lui donna autant de bien et d’onneur comme il eut oncques. Et aussi comme ce fait advint au viel testament est-il avenu au nouvel, dont vous en trouverez l’exemple en la legende saint Eustace, qui perdist terres et biens et femme et enffans, bien par l’espace de xiij ans, et puis Dieux le releva et lui rendy sa femme et ses enffans et plus la moitié de terres, richesses et honneurs terriennes que ilz n’avoient oncques maiz euz. Pour ce avons-nous cy bon exemple comment nul ne doit despire le mehaing ne le mal d’autruy, car nul ne scet qui à l’ueil lui pent, ne nul ne se doit esmerveillier ne esmaier des fortunes ne des tribulacions à soy ne à ses voysins, et doit l’en du tout mercier Dieu, comme firent Job et saint Eustace, et avoir bonne esperance en Dieu et soy humilier, et penser que Dieu est aussy puissant de rendre le bien au double comme il le toult, et avoir en soy pacience et humilité, et de tout mercier Dieu, et avoir en luy bonne esperance.