Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 9

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Cy parle de la bourgoyse qui mourut sans oser confesser son pechié
Chappitre IXe


Une bourgeoise etoit qui avoit bonne renommée d’estre preude femme et charitable, car elle jeunoit trois jours de la sepmaine, dont les ii estoient en pain et en eaue ; après elle donnoit moult de grans aumosnes, et visitoit les malades, et nourrissoit les orphelins, et estoit aux messes jusques au midi, et disoit merveilles de heures, et faisoit toute la saincte vie que bonne femme peust faire. Si advint que elle trespassa.

Si luy voult Nostre Seigneur monstrer pour exemple comment elle estoit perdue par un seul pechié mortel ; car la fosse où elle fut mise se prist à fumer et la terre à ardoir, et avoit-on veu de nuit trop de tourment sur la fosse. Si s’en esmerveillirent moult les gens du païs que c’estoit à dire : car ilz pensoient qu’elle feust sauvée sur toutes. Si eut un saint homme en la cité, qui print la croix, l’estolle et l’eaue benoiste, et vint là ; si la conjura de par Dieu et en fit requeste à Dieu qu’il lui pleust leur demonstrer pourquoy celle pueur et ce tourment estoit ; lors s’escria une voix qui disoit : « Oyez tous, je suis telle, la povre pecheresse dampnée ou feu pardurablement, car Dieu demonstre que mon chetif corps rend fumée et tourment pour exemple. Si diray comment. Il m’avint que par la gayeté de ma char je me couchay avec un moyne. Si ne l’osay oncques regehir ne confesser, pour doubte d’estre accusée et pour la honte du monde et craignoie plus le bobant du monde que la vengeance espirituelle, et pour cuidier effacier mon pechié je jeunoie et donnoye le mien pour Dieu, je ouoye les messes, et disoye moult de heures, et me sembloit que les grans biens et abstinances que je faisoye estaindroient bien le peschié que je n’osoie regehir ne confesser au prestre, et pour ce j’en suis deceue et perdue. Car je vous dis à tous que qui meurt en pechié mortel et ne le vuelt regehir, il est dampné perpétuellement, ainçois doit dire son pechié aussi villainnement comme il fut fait et par la manière. » Et quant elle eut tout ce dit, tous ceulx qui là estoient furent moult esbahis ; car il n’y avoit nul qui ne pensast qu’elle feust sauvée.

Et ainsi dist li preudons cest exemple à celle femme qu’elle confessast et qu’elle deist tous ses pechiés ainsi comme elle les avoit fait, et elle osteroit les taiches du vaissel d’argent, ce sont les taiches de son ame, et sy confessa celle femme, et fut depuis de sainte vie, et ainsi son comancement de sauvement ne fut que par les jeunes comme le vendredy pour la sainte passion, et le samedi pour la virginité de Nostre-Dame, dont elle fut sauvée du péril du puis, car il n’est nul bien qui ne soit mercy.

Sy est une moult sainte chose ; et, de tant comme le jeuner fait plus de mal à la teste et au corps, de tant est la jeune de plus grant merite et de plus grant valeur ; car, se la jeune ne faisoit mal à jeuner, l’on n’y auroit point de merites. Et encore, pour monstrer exemple comment jeune est de grant merite, li rois de Ninyve et luy et sa cité en fut sauvez, si comme il est contenu ou grant livre de la Bible. Car Dieu avoit fait fondre plusieurs villes pour les grans pechiés en quoy ilz se delictoient. Sy manda Dieu par le prophète à icelluy roy et à celle cité qu’ils seroyent aussi perilz se ils ne s’amendoient. Lors le roy et le peuple de la cité eurent moult grant paour, et, pour appaisier l’ire de Dieu, tous ceulx qui avoient aage de jeuner jeunèrent xl jours et xl nuis, et se mistrent à genoulz, sacs sur leurs testes, et sur leurs sacs mirent cendre en humilicté, et, quant Dieu vit leur abaissement et leur humilité, il eut mercy d’eulx ; sy furent sauvés et rappellez de celle pestilence. Et ainsi par leur humilité et par leurs jeunes ils furent garentiz.

Et pour ce, mes belles filles, jeune est une abstinence et vertu moult convenable et qui adoulcist et reffranist la char des mauvaises voulentéz, et humilie le cuer et empètre grace vers Dieu, dont toutes jeunes femmes, et especiaulment les pucelles et les veuves, doivent jeuner, comme dit vous ay cy dessus par plusieurs exemples, lesquels, se Dieu plaist, vous retendrez bien.