L’Autruche

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L’AUTRUCHE


Vous connaissez tous le Jardin d’Acclimatation du bois de Boulogne, ce bel établissement, qui joint à tous les agréments d’un parc l’avantage de renfermer une des plus intéressantes collections d’animaux réunies jusqu’à ce jour.

Vous vous rappelez sans doute ces deux charmants petits éléphants, qui, ayant la guerre, vous emportaient docilement sur leur dos et vous faisaient faire le tour de la grande pièce d’eau. Les pauvres bêtes ont été victimes du siège ; elles ont du être sacrifiées et leur chair succulente est venue figurer sur la table de nos gourmets. Mais on les a remplacées depuis, et aux éléphants on a ajouté les chameaux, les petits chevaux d’Islande et de Siam, les bœufs de l’Inde, les hémiones et les autruches.

Oui, les autruches ! Ces élégants oiseaux, attelés à une légère voiture, promènent aujourd’hui dans les belles allées tout le gai petit monde qui fréquente le jardin.


Voiture trainée par une autruche au Jardin d'Acclimatation. (P. 396, col. 1.)

Si vous ne vous êtes pas encore fait transporter dans ce char féerique, je suis sûr que vous n’y manquerez pas un de ces jours. Aussi ne serez-vous pas fâchés de connaître un peu plus intimement ces beaux oiseaux.

L’autruche est le plus grand des oiseaux qui habitent notre globe ; elle mesure ordinairement deux mètres de hauteur et dépasse quelquefois même trois mètres. Elle habile presque tous les pays de l’Afrique, de l’Algérie au cap de Bonne-Espérance et du Sénégal jusqu’en Abyssinie. En dehors de l’Afrique, on ne la trouve que dans le midi de l’Arabie.

Il existe bien dans d’autres pays de grands oiseaux appartenant à la même famille que l’autruche, mais ils lui sont bien inférieurs en taille. Ce sont : le casoar ou autruche de l’Archipel indien, l’emeu ou autruche d’Australie, et le nandou ou autruche d’Amérique. Tous ces oiseaux, y compris l’autruche, sont les derniers représentants de ces espèces gigantesques qui peuplaient aux premiers âges du monde certaines parties de notre globe et qui ont disparu devant la marche progressive de l’homme. Nous vous entretiendrons, du reste, prochainement de ces espèces éteintes.

Les Romains, qui connaissaient l’autruche dès une antiquité reculée, l’importaient à Rome pour faire figurer sa chair dans leurs banquets. L’histoire nous apprend que l’empereur Héliogabale fit servir dans un festin un plat de six cents cervelles d’autruches, qui coutait plusieurs centaines de mille francs de notre monnaie.

Le nom latin de l’autruche était Struthio camelus, c’est-à-dire autruche-chameau. Quelque bizarre qu’il paraisse de faire entrer en parallèle un oiseau avec un quadrupède aussi étrange que le chameau, la comparaison est cependant très-juste.

Si nous analysons attentivement les deux animaux, nous trouverons entre eux de nombreux points d’analogie. D’abord les jambes et les pieds de l’autruche offrent avec ceux du chameau une similitude que vous pourrez constater par vous-même au Jardin d’Acclimatation. La tête aplatie, garnie de deux grands yeux entourés de cils épais, et posée sur un cou long, flexible, recourbé, n’est-elle pas la copie de celle du chameau, en réservant, bien entendu, tous les caractères ordinaires des oiseaux ? Maintenant regardez les deux animaux côte à côte ; vous observerez chez tous les deux le même dandinement accompagné d’un balancement ou plutôt d’une ondulation du cou, la même position de la tête en marche, enfin la même manière de se coucher, en pliant le genou. Cette ressemblance n’a pas frappé que les Romains. Les Arabes appellent aussi l’autruche l’oiseau-chameau et la considèrent comme un mélange de ces deux espèces.


L'autruche de l'Adrar. (P. 398, col. 2.)

L’instinct craintif de l’autruche lui fait rechercher les vastes plaines sablonneuses ou couvertes de maigres broussailles, qui lui permettent de découvrir à de grandes distances l’approche de ses ennemis. Elle se nourrit d’herbes, d’insectes, de reptiles et devient presque omnivore à l’état de domesticité. Le goût et l’odorat paraissent peu développés chez elle et elle se jette avec voracité sur les objets les moins propres à l’alimentation. Tout ce qui brille lui paraît une proie enviable et elle avale sans sourciller des cailloux, des métaux, du bois, du verre. Je me rappelle avoir vu un jour enlever devant moi par une autruche du Jardin des plantes un bouton de la tunique d’un collégien, qui s’était approché avec trop de confiance ; en une seconde, le bouton avait été avalé à la satisfaction évidente de l’oiseau. Ainsi méfiez-vous de ses impudents larcins.

On a prétendu que l’autruche ne buvait jamais ; elle a la faculté, il est vrai, de rester très-longtemps sans boire, mais lorsqu’elle trouve de l’eau, elle se désaltère avec un plaisir évident.

La nature paraît l’avoir dépourvue de toute arme défensive, cependant certains auteurs assurent que par la force de son pied elle défie tous les animaux du désert. Elle lance des ruades d’une telle violence, qu’on l’a vue tuer ainsi des hommes sur le coup. Ce moyen de défense me paraît cependant un peu douteux vis-à-vis du lion et de la panthère ; aussi l’autruche n’y a-t-elle recours que lorsqu’elle est exténuée de fatigue. Dans toute autre circonstance, elle se contente de fuir, et sa vitesse est telle qu’aucun animal ne peut l’atteindre. En effet, on a calculé qu’elle peut faire jusqu’à dix lieues à l’heure, ce qui équivaut à la rapidité d’un train de chemin de fer de moyenne vitesse.

Cependant l’homme parvient à s’en rendre maître à la course. Les chasseurs, montés sur de solides chevaux, se divisent en groupes qui s’échelonnent dans le désert à quelques kilomètres l’un de l’autre. Le premier groupe détourne le troupeau d’autruches, et le poursuit jusqu’au point où attend le second groupe, qui continue la poursuite avec des chevaux frais. Les chevaux se relaient ainsi de distance en distance jusqu’à ce que les autruches, exténuées, se laissent approcher. Les auteurs anciens ont prétendu que l’autruche se voyant perdue se contentait de cacher sa tête dans les broussailles et, n’apercevant plus son ennemi, se croyait ainsi cachée à sa vue. Bien des ouvrages modernes ont répété cette assertion, qui est absolument fausse. L’autruche, loin de montrer une telle stupidité, se défend avec courage et tient tête à ses assaillants. On la tue à coups de bâton pour éviter l’effusion du sang, qui déprécierait le plumage de l’oiseau.

Ce sont en effet les plumes de la queue et des ailes qui constituent la principale valeur de l’autruche. Ces plumes fines et ondoyantes ont été de tout temps employées comme parures. Jadis les guerriers en ornaient les cimiers de leur casque, aujourd’hui elles décorent les coiffures de nos dames.

Leur prix est très-élevé : aussi a-t-on déjà essayé plusieurs fois de trouver un moyen qui permît de se les procurer d’une manière plus régulière que par la chasse. On a tenté en Égypte et en Algérie avec peu de succès d’élever des autruches domestiques. Tout dernièrement, de nouveaux essais ont été faits dans la colonie anglaise du Cap, et il paraît que cette fois les résultats sont plus satisfaisants. Les colons sont arrivés à avoir de véritables troupeaux d’autruches qu’ils enferment dans des parcs, mènent à la pâture et auxquelles ils enlèvent les plumes de la queue et des ailes deux fois par an.

Les œufs fournissent une coquille très-dure, semblable à l’ivoire, que l’industrie utilise de diverses façons. On nous dit aussi que la chair de l’autruche se montre maintenant sur les marchés du Cap et qu’elle y est très estimée.

Vous voyez que l’autruche est en voie de devenir un animal d’une grande utilité ; mais, en outre de ces divers produits, elle possède une grande force musculaire que l’on arrivera sans doute à mettre à profit. Non-seulement elle peut traîner avec facilité une voiture assez lourde, mais elle est aussi capable de porter aisément un cavalier. Certaines tribus nègres de l’Adrar s’en servent depuis longtemps comme de chevaux.

Il ne me reste plus, pour terminer cette rapide esquisse de l’autruche, qu’à vous parler de son nid et de ses petits.

Je ne sais quel voyageur a prétendu que l’autruche se contentait d’enfouir ses œufs dans le sable, où la chaleur du soleil suffisait à les faire éclore. Les âmes charitables se sont représentées avec douleur les pauvres petites autruches se trouvant au sortir de l’œuf abandonnées à leurs propres ressources, et l’autruche a été durement qualifiée de mauvaise mère.

Cette imputation est une pure calomnie. Son nid n’est, à vrai dire, qu’un simple trou rond croulé dans le sable, mais, après y avoir pondu ses œufs, elle les couve avec assiduité, aidée dans ce soin par le mâle, qui la remplace de temps à autre. Lorsque les petits éclosent, elle les soigne tendrement, les nourrit, les défend contre toute attaque et ne les abandonne que lorsqu’ils sont devenus assez grands pour subvenir par eux-mêmes à leurs besoins.

Voilà, j’espère, l’autruche tout à fait réhabilitée dans votre estime, et à votre première excursion au Jardin d’Acclimatation ou au Jardin des plantes, vous ne manquerez pas, j’en suis sûr, d’aller lui rendre visite.

Th. Lally.
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