L’Eugène

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PERSONNAGES


Eugène, Abbé.

MESSIRE JEAN, Chapelain. GUILLAUME.

ALIX.

FLORIMOND, Gentilhomme.

ARNAULT, Laquais.

PIERRE, Homme de Florimond.

HELENE, Soeur de l'Abbé.

MATTHIEU, Créancier.

La scène est à Alexandrie.




PROLOGUE





Assez assez le Poète a pu voir

L'humble argument, le comique devoir,

Les vers demis, les personnages bas,

Les moeurs repris, à tous ne plaire pas :

Pour ce qu'aucuns de face sourcilleuse [5]

Ne cherchent point que chose sérieuse :

Aucuns aussi de fureur plus amis,

Aiment mieux voir Polydore à mort mis,

Hercule au feu, Iphigène à l'autel,

Et Troie à sac, que non pas un jeu tel [10]

Que celui-là qu'ores on vous apporte.

Ceux-là sont bons, et la mémoire morte

De la fureur tant bien représentée



Ne sera point : mais tant ne soit vantée

Des vieilles mains l'écriture tant brave, [15]

Que ce Poète en un poème grave,

S'il eût voulu, n'ait pu représenter

Ce qui pourrait telles gens contenter.

Or pour autant qu'il veut à chacun plaire,

Ne dédaignant le plus bas populaire, [20]

Et pour ce aussi que moindre on ne voit être

Le vieil honneur de l'écrivain adextre,

Qui brusquement traçait les Comédies,

Que celui-là qu'ont eu les Tragédies.

Voyant aussi que ce genre d'écrire [25]

Des yeux Français si longtemps se retire,

Sans que quelqu'un ait encore éprouvé

Ce que tant bon jadis on a trouvé,

A bien voulu dépendre cette peine,

Pour vous donner sa Comédie Eugène ; [30]

À qui ce nom pour cette cause il donne,

Eugène en est principale personne.

L'invention n'est point d'un vieil Ménandre,

Rien d'étranger on ne vous fait entendre,

Le style est nôtre, et chacun personnage [35]

Se dit aussi être de ce langage :

Sans que brouillant avecque nos farceurs

Le saint ruisseau de nos plus saintes Soeurs,

On moralise un conseil, un erscit,

Un temps, un tout, une chair, un esprit, [40]

Et tels fatras, dont maint et maint folâtre

Fait bien souvent l'honneur de son théâtre.

Mais retraçant la voie des plus vieux,

Vainqueurs encor' du port oblivieux,

Celui-ci donne à la France courage [45]

De plus en plus oser bien davantage :

Bien que souvent en cette Comédie

Chaque personne ait la voix plus hardie,

Plus grave aussi qu'on ne permettrait pas,

Si l'on suivait le Latin pas à pas. [50]

Juger ne doit quelque sévère en soi,

Qu'on ait franchi du Comique la loi,

La langue encore faiblette de soi-même

Ne peut porter une faiblesse extrême :

Et puis ceux-ci dont on verra l'audace, [55]


Sont un peu plus qu'un rude populace :

Au reste tels qu'on les voit entre nous.

Mais dires-moi, que recueilleriez-vous,

Quels vers, quels ris, quel honneur, et quels mots,

S'on ne voyait ici que des sabots ? [60]

Outre, pensez que les Comiques vieux

Plus haut encor on fait bruire des Dieux.

Quant au théâtre, encore qu'il ne soit

En demi rond, comme on le compassait,

Et qu'on ne l'ait ordonné de la sorte [65]

Que l'on faisait, il faut qu'on le supporte :

Vu que l'exquis de ce vieil ornement

Ore se voue aux Princes seulement :

Même le son qui les actes sépare,

Comme je crois, vous eût semblé barbare, [70]

Si l'on eût eu la curiosité

De remouler du tout l'antiquité.

Mais qu'est-ce ci ? Dont vient l'étonnement

Que vous montrez ? Est-ce que l'argument

De cette fable encore n'avez su ? [75]

Tôt il sera de vous aperçu,

Quand vous orrez cette première Scène.

Je m'en tairai, l'Abbé me tient la rêne,

Qui là-dedans devise avec son prêtre

De son état qui meilleur ne peut être. [80]

Jà jà marchant, enrage de sortir,

Pour de son heur un chacun avertir :

Et se vantant, si sa voix il débouche :

De vous brider désire par la bouche :

Et qui plus est sous la gaye merveille [85]

De dérober votre esprit par l'oreille.




ACTE I



Scène I



Eugène, Abbé. Messire Jean, Chapelain.


Eugène


La vie aux humains ordonnée

Pour être si tôt terminée,

Ainsi que même tu as dit,

Doit-elle, pour croire à crédit, [90]

Se charger de tant de travaux ?

Messire Jean


Le seul souvenir de nos maux,

Qui jà vers nous ont fait leur tour,

Ou de ceux qui viendront un jour,

L'appréhension incertaine [95]

Empoisonne la vie humaine :

Et d'autant qu'ils la font plus griève,

Ils la font aussi plus briève.

Mais qui sait mieux en ce bas-ci

Que vous, Monsieur, qu'il est ainsi ? [100]

Eugène


Il ne faut donc que du passé

Il soit après jamais pensé,

Il faut se contenté du bien

Qui nous est présent, et en rien

N'être du futur soucieux. [105]

Messire Jean


Ô grand Dieu, qui dit onques mieux !

Eugène


Comment donc ne consent-on point

De s'aimer soi-même en ce point,

De se flatter en son bonheur,

De s'aveugler en son malheur, [110]

Sans donner entrée au souci ?

Messire Jean


C'est abus, il faut faire ainsi.

Eugène


En tout ce beau rond spacieux,

Qui est environné des Cieux,



Nul ne garde si bien en soi [115]

Ce bonheur comme moi en moi :

Tant que soit que le vent s'émeuve,

Ou bien qu'il grêle, ou bien qu'il pleuve,

Ou que le Ciel de son tonnerre

Fasse peur à la pauvre Terre, [120]

Toujours Monsieur moi je serai,

Et tous mes ennuis chasserai.

Car serais-je point malheureux

D'être à mon souhait plantureux,

Et me tourmenter en mon bien ? [125]

Je ne vouerai jamais à rien,

Sinon au plaisir, mon étude.

Messire Jean


Ce serait une ingratitude

Envers la fortune autrement,

Qui vous pourvoit tant richement : [130]

Car qui est mal content de soi

Il faut qu'il soit, comme je crois,

Mal content de fortune ensemble.

Eugène


Fortune assez d'heur me rassemble

Pour me plaire en ce monde ici, [135]

Esclavant en tout mon souci :

Sans travail les biens à foison

Sont apportés en ma maison,

Biens, je dis, que jamais n'acquirent

Les parents qui naître me firent, [140]

Et qui ainsi donnés me sont

Qu'à mes héritiers ne revont,

Ains pour rendre ma seule vie

En ses délices assouvie,

Ce que nous pratiquons assez, [145]

Tant qu'il semble que ramassés

Tous les plaisirs se soient pour moi.

Les Rois sont sujets à l'émoi

Pour le gouvernement des terres :

Les Nobles sont sujets aux guerres : [150]

Quant à Justice en son endroit,

Chacun est serf de faire droit.

Le marchant est serf du danger

Qu'on trouve au pays étranger :

Le laboureur avecque peine [155]

Presse ses boeufs parmi la plaine :

L'artisan sans fin molesté,


À peine fuit la pauvreté.

Mais la gorge des gens d'Église

N'est point à autre joug soumise, [160]

Sinon qu'à mignarder soi-mêmes,

N'avoir horreur de ces extrêmes,

Entre lesquels sont les vertus :

Être bien nourris et vêtus,

Être curés, prieurs, chanoines, [165]

Abbés, sans avoir tant de moines

Comme on a de chiens et d'oiseaux,

Avoir les bois, avoir les eaux

De fleuves ou bien de fontaines,

Avoir les prés, avoir les plaines, [170]

Ne reconnaître aucuns seigneurs,

Fussent-ils de tout gouverneurs :

Bref, rendre tout homme jaloux

Des plaisirs nourriciers de nous.

Mais que servirait t'expliquer [175]

Ce que tu vois tant pratiquer,

N'était que je me plais ainsi

En la mémoire de ceci,

Voulant les plaisirs faire dire.

Où d'heure en heure je me mire ? [180]

Au matin, quoi ?

Messire Jean


Le feu léger,

De peur que le froid outrager

Ne vienne la peau tendrelette,

Le linge blanc, la chausse nette,

Le mignard peignoir d'Italie, [185]

La vêture à l'envi jolie,

Les parfums, les eaux de senteurs,

La cour de tous vos serviteurs,

Le perdreau en sa saison,

Le meilleur vin de la maison, [190]

Afin de mettre à val vos flumes :

Les livres, le papier, les plumes,

Et les bréviaires cependant

Seraient mille ans en attendant

Avant qu'on y touchât jamais, [195]

De peur de se morfondre : mais

Au lieu de ces sots exercices,



De la musique les délices

Avant que monter à cheval,

Et puis et par mont et par val [200]

Voler l'oiseau, se mettre en quête

Bien souvent de la rousse bête :

Ou bien par les plaines errant

Suivre le lièvre bien courant,

Pendant que moi Messire Jean [205]

Je sue auprès le feu d'ahan,

De tâter les molles viandes,

Pour vous les rendre plus friandes :

Vous arrivez tous affamés,

Les chaudeaux sont soudain humés, [210]

De peur de vicier nature :

On fait aux tables couverture,

On rit, on boit, chacun fait rage

De babiller du tricotage.

On est saoul, on se met en jeu, [215]

Et puis s'on sent venir le feu

De la chatouillarde amourette,

Soudain en la quête on se jette,

Tant qu'on revienne tous taris

Par ces pisseuses de Paris. [220]

Eugène


Tout beau Messire Jean, tout beau,

Demeure là, d'un cas nouveau,

Puisqu'à l'amour tu es venu,

M'est à cette heure souvenu,

Pour lequel appelé t'avais. [225]

Messire Jean


Quoi ? Comment ? D'où vient telle voix ?

Avez-vous reçu quelque offense ?

Eugène


Non non, tout beau, seulement pense

De me prêter ici tes sens.

Tu sais bien que depuis le temps [230]

Qu'Henry magnanime Roi,

A mené ses gens avec soi

Jusques aux bornes d'Allemagne,



Amour qui se met en campagne

Pour faire quête de mon coeur, [235]

S'est rendu dessus moi vainqueur,

Me venant d'un trait enflammer,

Pour me faire ardemment aimer

Cette Alix, mignarde et jolie,

Bague fort bonne et bien polie, [240]

Pour qui, ô serviteur fidèle,

Tu me vaux une maquerelle.

Messire Jean


Ô que je me tiens en repos,

Pour voir où cherra ce propos.

Eugène


Jusqu'ici tant bien m'a servi, [245]

Que du tout en elle je vis :

Et pour être bon guerdonneur

Lui voulant couvrir son honneur,

Comme tu es bien averti,

Lui ai trouvé le bon parti [250]

De Guillaume le bon lourdaud,

Qui est tout tel qui nous le faut,

Et les ai mariés ensemble.

Messire Jean


Ô fort bien fait.

Eugène


Mais que te semble ?

J'ai feint que c'était ma cousine. [255]

Messire Jean


La parenté est bien voisine,

Il n'y fallait épargner rien,

Ce sont trois cents écus : et bien

Qu'est-ce pour votre dignité,

Sinon qu'oeuvre de charité ? [260]

Eugène


Mais maintenant j'ai si grand' peur,

Que Guillaume sente mon coeur

Avec les cornes de sa tête.

Messire Jean


Ha ventrebieu il est trop bête,

Son front n'a point de sentiment, [265]

Ni son coeur de bon mouvement :

Ho ho, quoi ? Craignez-vous en rien



En cela un Parisien ?

Le bon Guillaume sans malice

Vous est couverture propice, [270]

Pour sûrement brider l'amour.

Si fussiez allé chaque jour

Cependant qu'Alix était fille,

Planter en son jardin la quille,

À l'envi chacun eût crié : [275]

Mais depuis qu'on est marié,

Si cent fois le jour on s'y rend,

Le mari est toujours garant :

On n'en murmure point ainsi.

Et puis en cette ville-ci [280]

On voit ce commun badinage,

De souffrir mieux un cocuage,

Que quelque amitié vertueuse.

Eugène


Après, mon amour est douteuse :

Et je crains que cette mignarde [285]

D'aller autre part se hasarde.

Car ses femmes ainsi friandes,

Suivent les nouvelles viandes.

Et puis qui ne serait jaloux

D'un entretien qui m'est tant doux ? [290]

Dès lors que fais chez elle entrée,

Je la trouve exprès apprêtée,

Ce semble, pour me recueillir :

Elle me vient au col saillir,

Elle me lace doucement, [295]

Et puis m'étreint plus fortement,

J'entends si Guillaume est dehors,

Bonjour mon Tout, dit-elle alors :

Mais si quand elle entend ma voix,

Elle sent le cocu au bois, [300]

Ou bien en quelque lieu voisin,

Bonjour (dit-elle) mon Cousin.

Messire Jean


Et quoi plus ?

Eugène


Nous entrons dedans,

Et jà d'un désir tous ardents

Nous mirons nos affections [305]

Au miroir de nos passions,

Qui sont les faces de nous deux :

Souvent mollement je me deulx



Du temps, elle se complaint

Que l'amour assez ne m'atteint. [310]

Messire Jean


Ô dueil heureux !

Eugène


Elle s'apaise,

Elle accourt, et plus fort me baise :

Puis s'arrêtant elle se mire

Dedans mes yeux.

Messire Jean


Ô doux martyre !

Eugène


Et folâtrant elle rempoigne [315]

Mes lèvres, qui font une trogne,

Afin que d'elle elles soient morses :

Et quant est des autres amorces,

Pense que peut en cela faire

Celle qui se plaît en l'affaire. [320]

Messire Jean


Qui pourrait être homme tant froid,

Qui ne s'émeut en cet endroit ?

Eugène


Mais où me suis-je promené ?

Où l'amour m'a-t-il jà trainé ?

Ore donc sache en cette affaire [325]

Comment il te faut me complaire

Au long discours de cette chose.

Deux points tous seuls je te propose :

La peur que j'ai que ce sottard

Découvre la braise qui m'ard : [330]

Et la peur que j'ai qu'en ma Dame

Ne s'allume quelque autre flamme.

Au premier tu remédieras,

Quand ce lourdaud gouverneras,

L'assurant que j'ai bonne envie [335]

De lui aider toute sa vie :

Quand tu le mèneras au jeu,

Quand l'amadouant peu à peu,

Tu le rendras ami de toi,

Autant que sa femme est de moi, [340]

Afin qu'ayez l'entrée sûre.

Quant est du second, je t'assure

Qu'il te faudra prendre cent yeux,



Afin de me la garder mieux !

Qu'on épie, que l'on regarde, [345]

Qu'on s'enquière, qu'on prenne garde

De n'être en embûche trouvé,

Après avoir bien éprouvé.

Pour le loyer de ton office

Je te voue un bon bénéfice. [350]

Messire Jean


Grand merci Monsieur, c'est de grâce :

Ne vous souciez que je fasse,

N'ayez de ces deux points émoi,

Dès ores je prends tout sur moi.



Scène II



Messire Jean


Ainsi, Dieu m'aime, on voit ici [355]

Maints aveuglés, qui sont ainsi

Que les flots enflés de la mer,

Qu'on voit lever, puis s'abîmer

Jusques au plus profond de l'eau.

Ceux-ci se fichant au cerveau [360]

Un contentement qu'ils se donnent,

Dessus lequel ils se façonnent

Le portrait d'une heureuse vie,

Voyent soudain suivre l'envie

Du sort bien souvent irrité, [365]

Rabaissant leur félicité.

Songez à celui qu'avez vu,

Ce brave Abbé tant bien pourvu

Moins en l'Église qu'en folie :

Songez dis-je, au mal qui le lie, [370]

Ains l'étrangle tant doucement

D'un folâtre contentement :

Il se fait seul heureux, en tout

Il n'imagine point de bout,

Il ne prévoit, et ne prévient [375]

Au malheur, qui souvent advient :

Et qui pis est, voir il n'a su

Qu'il est journellement déçu.

L'aveuglement est le moyen

De tourner un beaucoup en rien. [380]

Il est si fol, comme je vois,



De penser, Alix est à moi,

Et me tient seul ami certain :

Alix dis-je plus grand putain

Qu'on puisse voir en aucun lieu, [385]

Et qui veut sans crainte de Dieu

Se bâtir aux cieux une porte,

Par l'amour qu'à tous elle porte

Exerçant sans fin charité.

Assez longtemps elle a été [390]

À un Florimond, homme d'armes,

Qui par avant sous les alarmes,

Pae qui son amour l'asservit,

Longtemps à Hélène servit,

Soeur de ce bel Abbé mon maître, [395]

Sans par son pourchas jamais être

Reçu au dernier point de grâce.

Tant qu'étant vaincu de l'audace

De sa maîtresse impitoyable ;

Pour passer l'amour indomptable, [400]

Et amortir sa fantaisie,

Fût par lui cette Alix choisie,

Laquelle il entretint toujours,

Non pas seul maître des amours,

Jusques à ce camp d'Allemagne, [405]

Pour lequel se mît en campagne :

Mêmes on m'a dit qu'un grand zèle

Florimond avait envers elle.

Mais qui veut bien aimer, ne fasse

Aux Parisiennes la chasse : [410]

Et puis notre Abbé, notre brave

Fol masqué d'un visage grave,

Ce sot, ce messer coyon pense

Avoir eu seul la jouissance,

Et l'a mise en son mariage [415]

Afin qu'il fît un cocuage

De mari et d'ami ensemble.

Mais, je vous prie, que vous semble

Des morgues, que je tiens vers lui ?

S'il dit oui, je dis oui : [420]

S'il dit non, je dis aussi non :

S'il veut exalter son renom,

Je le pousserai par ma voix

Plus haut que tous les cieux trois fois.



Ainsi je fais un hameçon [425]

Pour attraper quelque poisson

En la grand' mer des bénéfices,

Sont mes états, sont mes offices,

Et qui n'en sait bien sa pratique,

Voise ailleurs ouvrir sa boutique. [430]



Scène III



Guillaume, Alix. Messire Jean.


Guillaume


Hé Dieu quelle heureuse fortune

M'eût été plus heureuse qu'une,

Ou quelle plus douce rencontre

En toute la terre se montre,

Que celle-là qu'ores j'ai faite [435]

De cette femme tant parfaite,

À qui Dieu m'a joint pour ma vie ?

Hé mon Dieu que j'ai bonne envie

De t'en rendre grâce à jamais !

Ah ! Je t'en irai désormais [440]

Souvent présenter des chandelles,

Et à la Reine des pucelles,

Qui m'a donné si chaste femme,

Sa beauté tout le monde enflamme :

Car je vois bien souvent passer [445]

Maints amourets que trépasser

Elle fait en les regardant :

Mais aucun n'y va prétendant,

Accablé dessous sa vertu :

Moi-même je suis abattu [450]

Bien souvent de sa chasteté.

Car alors que suis excité

De faire le droit du ménage,

Elle me dit d'un saint courage,

Écoute mon mignon, contemple [455]

Du bon Joseph la sainte exemple,

Qui ne toucha sa sainte Dame.

Notre chair est vile et infâme :

Ces actes sont vilains et ords :

Et qui nous damne, que le corps ? [460]

Alors je me mets en prière,



Et lui tourne le cul arrière :

Car hélas (bon dieu) tu ne veux

Que l'on blesse les chastes voeux.

Alix


Qui est celui j'oy compter, [465]

Er tellement se contenter ?

Ha mananda, c'est mon badault,

Écouter ici me le faut,

Pour savoir qu'il dira de moi.

Guillaume


Bon Dieu, je suis tenu à toi ! [470]

Outre cela elle est tant douce,

Jamais ses amis ne repousse :

Elle est à chacun charitable,

Et envers moi tant amiable

Que le monde en est étonné. [475]

Quantes fois m'a-t-elle donné

De l'argent pour m'aller jouer ?

Cil qui veut à Dieu se vouer

Ne sera jamais indigent :

Alix a toujours de l'argent, [480]

Elle est sainte dès ce bas lieu :

Car c'est de la grâce de Dieu,

Que cet argent lui vient ainsi.

Alix


Je suis en paradis aussi,

D'avoir un mari tel que j'ai : [485]

Par ainsi sainte je serai.

Guillaume


Même quand je me vais ébattre,

Si j'y étais trois jours ou quatre,

Elle n'en dit rien au retour

Non plus que d'un seul demi jour : [490]

Et quand je me veux excuser,

Et de tels mots vers elle user,

Pardon je vous suppli, ma femme,

Vraiment ce m'est un grand diffame

D'avoir demeuré jusqu'à ores : [495]

Je voudrais qu'y fussiez encores,

Mon ami, c'est votre santé.

Alix


Hé benêt, que c'est bien chanté.

Guillaume


Et quand je me trouve en malaise,

Je sens que sa prière apaise [500]


La maladie que je sens,

Elle s'en court par ces couvents

De saint François, saint Augustin,

De l'abbaye saint Martin,

De saint Victor, de saint Magloire, [505]

Pour faire prier.

Alix


Voire voire,

On y prie à deux beaux genoux.

Guillaume


Elle m'apporte à tous les coups

De ces saints couvents quelques choses :

Ou bien de quelque pain de roses, [510]

Ou bien des eaux, ou bien du flan,

 

Aucunesfois de leur pain blanc,

Et me dit que par les mérites

Du bon saint, ces choses petites

Ont pouvoir de guérir la fièvre. [515]

Alix


Serait perte s'il était lièvre,

Les cornes lui seyent fort bien.

Guillaume


Elle ne me moleste en rien,

Même quand malade je suis

Elle ferme soudain mon huis, [520]

Et de crainte de me fâcher

En autre lieu s'en va coucher :

Mais bien souvent je sens de peur

Dedans moi débattre mon coeur,

Quand ma partie me deffaut, [525]

Car j'entendis un jour d'en haut

Un esprit qui fort rabâtait,

Lorsqu'en mon lit elle n'était.

Alix


Je retiens d'un sermon ces mots,

Qu'un esprit n'a ni chair ni os. [530]

Guillaume


Puis quand elle est malade aussi,

Vraiment je lui fais tout ainsi

Et me couche en quelque chambrette :

Mais hélas ! Elle est tant fluette,



Qu'elle est bien souvent en malaise, [535]

Ou elle feint, ne lui déplaise,

Pour accomplir en sainteté,

Quelque beau voeu de chasteté :

Non fait non, elle souffre peine :

Car la nuit bien fort se démène. [540]

Alix


Ô que je sens un doux martyre !

Je crève ici quasi de rire,

Je ne saurais m'y arrêter :

Mais je vais ore l'accoster.

Guillaume


Mon Dieu que je serais marri. [545]

Alix


De quoi parlez-vous, mon mari ?

Guillaume


Ha notre femme, Dieu vous gard.

Je meure si votre regard

Ne m'a servi d'allègement

Contre mon fâcheux pensement. [550]

Alix


Quel pensement ?

Guillaume


Le créancier

M'a fait ore signifier

Qu'il veut que je paye aujourd'hui.

Alix


Aujourd'hui : c'est un grand ennui,

C'est donner bien peu de répit, [555]

Il n'en faut point être dépit,

Il faut prendre patiemment

Ce que notre Dieu justement

Pour nos commises nous envoie.

Guillaume


Il est vrai, c'est la droite voie [560]

Patience est d'Honneur la porte.

Alix


Patience est toujours plus forte.

Guillaume


Ses dons sont à tous bien séants.

Mais comment ? Qui entre céans ?

Avez-vous laissé l'huis ouvert ? [565]

Alix


Tout beau tout beau, j'ai découvert

Un des plus grands de nos amis,

C'est le Chapelain, le commis,

Le factotum de mon cousin.

Messire Jean


Et puis quoi ? Comment ? Votre vin [570]

Est-il jà là-bas mis en broche ?

Alix


Il est trouble, car on le hoche

Trois ou quatre fois tous les jours.

Guillaume


Monsieur faites deux ou trois tours

Par le jardin en attendant : [575]

M'amie envoie cependant

Au meilleur sans craindre les frais.

Messire Jean


Je vais donc là prendre le frais.


ACTE II




Scène I



Florimond, Gentilhomme. Pierre, Laquais.


Florimond


Ores que je suis de retour,

J'ai consumé quasi ce jour [580]

À contempler en cette ville

De plusieurs la pompe inutile :

Ceux qui naguères en la guerre

Faisaient leur chevet d'une pierre,

Et qui du long chemin grevés [585]

Avaient leurs harnois engravés

À longues traces sur le dos,


À qui presque on voyait les os,

Ayant une face dépite,

Du Soleil quasi demi cuite, [590]

Mêler en sueur et poudrière,

Oubliant leur face guerrière

Se sont parés si mollement,

Qu'ils semblent venir proprement

Des noces, et non de la guerre : [595]

Mêmes aucuns vendent leur terre,

Les autres engagent leur bien,

Les autres trouvent le moyen

De recouvrer quelques deniers

Pour enrichir les usuriers : [600]

Les autres vendent l'équipage,

Harnois, chevaux, et attelage,

Et tout pour dépendre en délices :

Et au lieu des bons exercices

Pour toujours assurer leur main, [605]

Le palais muguet en est plein,

Où leurs parfums, et leurs civettes,

Chose propre à leurs amourettes,

Tirent les dames aux devis,

Qui presque y courent aux envis, [610]

Au velours, au satin, à l'or,

Et aux broderies encor,

Nonobstant tout édit donné,

Il est autant peu pardonné

Qu'il serait même entre les Princes ; [615]

En pleine paix de leurs provinces.

Mais quoi ? Comment ? Où est l'enseigne,

Où est la bataille qui saigne

De tous côtés en sa fureur.

Où sont les coups, où est l'horreur, [620]

Où sont les gros canons qui tonnent,

Où sont les ennemis qui donnent

Jusques aux tentes de nos gens ?

Ha nous deviendrons négligents,

Et chasseront hors de mémoire [625]

Le désir qu'avons de la gloire.

Je confère cette cité,

À ce que l'on m'a récité

Jadis de l'antique Capoue :

Car sa friandise nous tue, [630]


Comme les soldats d'Hannibal.

Quittons l'amour, laissons le bal,

Oublions ces folles rencontres,

Faisons tournois, faisons des monstres,

Et pendons encores les prix [635]

Pour guerdonner les mieux appris.

Estimez-vous l'ennemi mort ?

Sachez que pour un temps il dort,

Pour veiller plus longtemps après :

Mêmes de jour en jour plus près [640]

Tâche s'approcher de nos forces :

Et après les douces amorces,

Penseriez-vous les maux souffrir

Qui se viendront à nous offrir.

Endureriez-vous seulement [645]

Les maux qu'eûmes dernièrement,

Par trois jours le défaut de pain,

Maint fâcheux mont, âpre et hautain,

Ces gros brouillards, cette gelée,

Et puis cette pluie écoulée [650]

Qui souvent servait de breuvage :

Ce flux de sang qui fît outrage

Sans épargner soldat ni Prince.

Je trépigne, et les dents je grince,

Quand je vois l'excessif et brave [655]

D'avoir un bel habit et grave,

Bien découpé : ne passons pas

Des Gentilshommes les états.

Pour voir quelque dame connue

Qu'on a devant la guerre vue : [660]

C'est raison de se rafraîchir

Mais depuis qu'on vient à franchir,

Fi fi de superfluité

Mais jà trop me suis excité :

Puis je vois mon homme venir, [665]

À lui voir ses gestes tenir

Il querelle en soi quelque chose,

Au fond de sa cervelle enclose.

Ici le vais guetter de loin,

Attendant que j'aie besoin [670]

D'aller avec ma bonne Alix

Éprouver le branle des lits.

Laquais, vois-tu pas bien les mines ?

Pierre


Oui Monsieur, sont des plus fines.



Scène II



Arnault, homme de Florimond. Florimond.


Arnault


Combien que mille fois et mille, [675]

J'aye vu et revu la ville

De Paris, où suis à cette heure :

Si est-ce qu'après la demeure

Que j'ai faite au camp d'Allemagne,

Après mainte et mainte montagne, [680]

Dont le souvenir maintes fois

Me fait souffler dedans mes doigts.

Après la soif, après la faim

Qui vint par le défaut du pain :

Et après m'être vu moi-même [685]

Bien dessiré, bien maigre, et blême,

Paris ville mignarde et belle

Me semble une chose nouvelle :

Aussi l'on dit qui veut choisir

Le plus doux du plus doux plaisir, [690]

Il faut avoir premier été

Au mal avant qu'il soit goûté.

Puis-je bien laisser la maison,

Sans que je voie grand foison

De choses braves et pompeuses : [695]

Et mêmement tant de pisseuses,

Qui se font rembourrer leur bas,

Promettent que je n'aurai pas

Le défaut que j'avais au camp :

Mais au fort, en si grand ahan [700]

Je n'en avais pas grand envie.

Mais que fais-je, malgré ma vie ?

En babillant trop je demeure,

Monsieur m'a chargé qu'à cette heure

Je ne faillisse à le trouver, [705]

Il s'en veut aller relever

Contre son Alix les discords,

Pour voir si lutter corps à corps

Vaut mieux que de combattre aux armes

Ô les doux pleurs, hélas ! Les larmes, [710]


Desquelles Alix parlera

Quand son amant elle verra.

Mais, ô fort heureuse rencontre !

Je le vois, je vais à l'encontre,

Peine n'aurai de le chercher. [715]

Florimond


J'avais beau ma face cacher,

Mon Arnault me connaît trop bien

Et bien Arnault, de nouveau ?

Arnault


Rien

Que ne sachiez comme je crois.

Florimond


As-tu entendu que le Roi [720]

Nous rappellera bien soudain ?

Arnault


Le bruit est tel.

Florimond


Mais quel dédain :

Les plaisirs qu'Alix ma mignonne,

Quand je suis à Paris me donne,

À cette fois me seront courts. [725]

Et bien après fais-moi discours

De ce que tu as ouï dire ?

Arnault


L'Empereur remâche son ire,

Et grinçant les dents s'encourage,

Tant qu'on dirait voyant sa rage, [730]

Et son appétit de vengeance,

Qu'il est toujours en celle danse

Qu'il fait à l'envers sur un lit.

Florimond


Où est-il ore ?

Arnault


À ce qu'on dit

Il a déjà le Rhin passé. [735]

Florimond


Serait-il bien tant insensé

De venir mettre siège à Metz ?

Arnault


On lui servirait de bons mets,

Et si n'y ferait pas grand

tort.

Car outre le nouveau renfort, [740]

Les braves gens qui sont dedans,

Le feront mieux grincer les dents

Que jamais il ne fît encor.

Florimond


Pour le moins il ne tient à l'or,

Qui est le nerf de toute guerre, [745]

Qu'il ne prenne toute la terre

Que cette année avons fait nôtre.

Arnault


Il attendra fort bien à l'autre,

Et à l'autre an encor après :

Je pense qu'il vient tout exprès [750]

Pour Thionville envitailler.

Mais vous ne faites que railler,

Vous savez le tout mieux que moi.

Florimond


Je m'enquiers seulement à toi,

Pour voir si ce qu'on dit de lui [755]

Accorde à cela qu'aujourd'hui

On m'a par missives mandé :

Et tu l'as fort bien accordé.

Puis donc que de peu de loisir

Se donne ainsi à mon plaisir, [760]

Je veux récompenser le peu

Par l'accroissement de mon feu,

Qui jà me rend mort en vivant.

Mais Arnault compte moi devant

Que vers ma mignonne je voise, [765]

Qu'elle était cette forte noise

Que tu mouvais tantôt en toi

Je te voyais mouvoir le doigt,

Et marmonner en tes deux lèvres,

Comme un qui frissonne des fièvres. [770]

Songeais-tu ainsi seul à part

À l'outrageuse amour qui m'ard ?

Arnault


Rien moins, Monsieur.

Florimond


Et à quoi donc,

Dis-moi.

Arnault


Je me plaisais adonc

Aux gentilles délicatesses, [775]

À l'heur, aux ébats, aux caresses

Que l'on reçoit ici, au prix

Des maux où nous étions appris.

Florimond


Je meure, c'est chose terrible

Qu'il est presque au monde impossible [780]

De trouver un, qui ne peut être

Contraire au penser de son maître :

En cela je me déplaisais

Où te plaire tu t'amusais.

Arnault


Pourquoi Monsieur?

Florimond


Car cette pompe [785]

Et bravade mollement trompe

Les plus enflammés de courage :

Et nos Gentilshommes font rage

D'excéder même l'excessif,

C'est ce qui me rendait pensif, [790]

Et en moi-même me plaignant,

Quand tu t'en venais trépignant

Pour me trouver.

Arnault


Pourtant Monsieur,

Sauf toujours votre avis meilleur,

Il me semble que c'est à ceux [795]

Qui n'ont point été paresseux

De maintenir le droit de France,

Opposant leur vie à l'outrance

De ces aiglons Impériaux,

Après tant et tant de travaux, [800]

D'avoir pour rafraîchissement

En volupté contentement :

Non pas à ces pourceaux nourris

Dedans ce grand tect de Paris,

Qui n'oseraient d'un jet de pierre [805]

Éloigner les yeux de leur terre :

Non à plusieurs larrons honnêtes,

Qui n'étant faits que pour des bêtes

D'un visage humain emmasquées,



Par pratiques mal pratiquées [810]

Despendent encor aujourd'hui

Et le leur et celui d'autrui,

En banquets, pompes, et délices,

Pour souvent être appui des vices.

Cependant même que le Roi [815]

Ayant ses Princes avec soi,

Souffre maintes et maintes choses

Pour garder ces bêtes encloses.

Non à ces petits mugueteaux,

Ces babouins advocasseaux, [820]

Qui pour deux ou trois lois rouillées

De je ne sais quoi embrouillées,

Chevauchent les ânes leurs frères,

Avec leurs contenances fières,

Mêlant la morgue Italienne, [825]

Afin qu'un gros sourcil s'en vienne

Les demander en mariage.

Ha ventrebieu quel badinage.

Non pas, dis-je, à ces mercadins,

Ces petits muguets citadins, [830]

Ces petits brouilleurs de finances,

Qui en banquets, et ris, danses,

En toutes superfluités

Surmontent les principautés.

Mais quant est de nos Gentilshommes, [835]

Qui est le propos où nous sommes,

Bien qu'on croye toutes bravades

Rendre les courages plus fades,

Si celui-là qui est plus brave

Entendait le battement grave [840]

D'un tambourin quasi tonnant,

Ou bien d'un clairon étonnant,

Il serait mieux encouragé,

Et plus tôt en ordre rangé.

Florimond


Ainsi le Ciel me soit ami, [845]

Si tu ne m'a mis à demi

Par ta parole hors de moi .

Quoi ? Comment ? Qu'est-ce que de toi

Quand tu vas ainsi contestant ?

Un docteur n'en dirait pas tant : [850]

As-tu tant l'école suivie ?

Arnault


La meilleure part de ma vie,

Et si étais des mieux appris :

Mais ores les meilleurs esprits

Aiment mieux soldats devenir [855]

Qu'au rang des badauds se tenir.

Mais comment est-ce que la chose

Qu'en venant je tenais enclose,

Dont vous m'avez interrogué,

Nous a si fort poussés au gué ? [860]

Où sommes-nous venus ainsi ?

Florimond


Nous nous sommes tous deux ici

Oubliés de notre entreprise

Toutefois cet oubli je prise :

Car l'une est bien plus recouvrable, [865]

Que l'autre toujours n'est comptable :

Mais tournant bride à tous les dits

Reviendrons-nous à notre Alix,

Que mon coeur follement adore ?

Faut-il que j'y voise desore, [870]

Ou bien s'il vaut mieux que par toi

Soit faite l'entrée avant moi,

Pour voir si tu surprendras point

Quelque muguet, qui se soit joint

À mon Alix par mon absence ? [875]

Arnault


Elle est fidèle, que je pense.

Florimond


Et quand aucun n'y trouveras ;

Au ménage regarderas

Pour voir s'elle n'a rien acquis,

Si ses habits sont plus exquis [880]

Que n'étaient quand je départis.

Arnault


Sont témoins du nouveau parti.

Florimond


Tu noteras bien le visage,

Le froid, ou le chaud du courage,

Le parler, la joie, ou le dueil, [885]

Les caresses, et le recueil

Qu'elle montrera.

Arnault


Laissez faire,

Reposez-vous de cette affaire,



J'espère encor de faire mieux.

Florimond


Et ore que suis ocieux [890]

À notre Dame m'en irai,

Où pendant me promènerai

Faisant la cour à mes pensées.

Arnault


Qu'elles soient bien caressées :

Car c'est le lieu où se retire [895]

L'amant, qui serf de son martyre

Fait maint regret, comme maint tour.

Florimond


Va va.

Arnault


Je suis jà de retour.



Scène III



Hélène, soeur de l'Abbé..


Hélène


Si l'oeil trompé ne me déçoit,

Par la rue au matin passait [900]

Florimond, ainsi qu'il me semble :

Dont ainsi Dieu m'aime, je tremble,

Ayant peur que quelque fortune

Soit à quelques-uns importune :

Car je connais bien son courage, [905]

Impatient de quelque outrage.

Il m'avait par longtemps servie,

Et me vouait quasi sa vie

Mais vaincu par mon chaste coeur

De son amour s'est fait vainqueur. [910]

Combien qu'outre le dernier point

Florimond ne me déplût point ;

Et me laissant, comme j'ai su,

D'une Alix a été déçu,

Fille qu'il pensait avoir seul, [915]

Qui faisait de plusieurs recueil :

Mêmes avant qu'il eût été

Deux jours hors de cette cité,

Piquant à la guerre d'Allemagne,

Cette maraude, cette cagne, [920]

Énamoura l'Abbé mon frère,

Si bien qu'elle trouva manière



D'arracher de lui mariage.

Ô quel horreur, quel cocuage,

Un seul mot jamais n'en parlai [925]

À mon frère, et toujours celai

Qu'il me semblait de l'entreprise.

Car je n'étais tant mal apprise

Qu'il ne me dût bien faire part

De ce qu'il brouillait à l'écart, [930]

Pour lui compter la fable toute :

Mais ores je suis en grand doute

Que de cette badinerie

Se naisse aucune fâcherie,

Et je vous jure en bonne foi, [935]

J'aime mon frère mieux que moi.

Or ne lui faut celer rien.

Ho ho anda, je le vois bien :

La rencontre est tout à propos.



Scène IV



Eugène, Hélène.


Eugène


J'ai toujours cherché le repos : [940]

Mais puisque l'amour est passible,

De l'avoir il m'est impossible,

Car de mon amour m'absenter

Ce me serait la vie ôter.

Hélène


Mon frère, Dieu vous doint bon jour, [945]

Vous êtes toujours sur l'amour :

Amour vous court par les boyaux,

Amour occupe maints cerveaux,

Que bien aveuglément démène.

Eugène


Ho ho, Ma soeur, qui vous amène ? [950]

Hélène


Puisque sur l'amour étions ores,

L'amour que j'ai vers vous, encores

Que n'ayez en ce mérité,

Que mon coeur soit sollicité

De survenir à vos dangers : [955]

Car si nous étions étrangers,



Vous ne m'eussiez celé vos choses,

Tant que vous les avez tenu closes.

Eugène


Qu'y a-t-il donc ?

Hélène


N'aimes-vous pas ?

Eugène


Et que vous allez pas à pas [960]

Me voulez-vous prendre au filet.

Hélène


Vous me l'aviez toujours celé,

Mais je l'ai bien su nonobstant :

N'aimez-vous pas Alix pourtant ?

Sauvez-vous du prochain danger. [965]

Eugène


Qu'est-ce donc ? Faut-il tant songer ?

Hélène


Florimond que bien connaissez,

Qui mes amours a pourchassés,

L'avait aimée devant vous,

Mais elle se change à tous coups : [970]

Car dès lors qu'il fut départi

Elle choisit votre parti.

Maintenant il est retourné,

Il lui avait beaucoup donné

Pour à lui seul la maintenir : [975]

Regardez qu'il pourra venir

Des amours qu'avez assoupis

Pour les vôtres, et qui est pis

Du mariage qu'avez fait.

Eugène


Ô grand ciel, que t'ai-je forfait ? [980]

Veux-tu faire si brave coeur

Esclave de quelque malheur ?

Hélène


Ce que je vous dis est certain.

Eugène


Ha maugrébieu de la putain.

Hélène


Ne crions point tant en ce lieu, [985]

Il faut supplier au grand Dieu

Que par lui soit remédié.

Eugène


Ah ah vertubieu c'est bien chié.

Hélène


Comment ? Qu'est-ce ci ? Quelle guise ?

Voilà un brave homme d'Église. [990]

Eugène


L'amour et la douleur extrême

Me font absenter de moi-même.

Hélène


Voyez comme il sert les dents :

Tout beau, tout beau, entrons dedans,

On y pourra remédier : [995]

Que gagnez-vous d'ainsi crier,

Sinon faire un simple mal double ?

Ceci n'est pas un si grand trouble :

Florimond s'apaisera bien,

Quand il verra qu'il n'y a rien [1000]

De constance en cette femelle :

Il mettra son amour hors d'elle,

Ou il en prendra comme une autre

Pour l'argent : quant à l'amour vôtre

Voudriez-vous aimer désormais [1005]

Celle-là qui n'aima jamais,

Prenez qu'ayez au jeu perdu

Ce que vous avez dépendu,

Nr soyez pour si peu marri :

Quant à Guillaume son mari [1010]

Il est si très homme de bien,

Qu'il ne se souciera de rien.

Eugène


Quelque peu soulagé me sens.

Hélène


Entrons.

Eugène


Entrons, entrons, le temps

Nous offrira quelque remède. [1015]

Hélène


Celui vainq' qui au mal ne cède.

Eugène


Si est-ce que le coeur en moi

Me prédit quelque grand émoi.



ACTE III




Scène I



Arnault, Florimond.


{{Personnage|A

rnault|c}}

A a Dieux, qui de notre entreprise,

Par celle que notre maître prise, [1020]

Sommes ores bien détournés !

Nous pourrait-on plus étonnés

Rendre jamais tous deux ensemble ?

Ô Ciel, ô terre, que te semble

De chose tant mal ordonnée ? [1025]

Toi-même maudit Hyménée

Conducteur de trois cocuages

Au lieu de tes saints mariages,

N'as-tu rougi d'autoriser

Ces noces tant à mépriser ? [1030]

Ô vous, quelconques soyez-vous,

Dieux célestes, qui entre tous

L'ardeur des pauvres embrasés,

De votre ciel favorisez,

Voulez-vous ores vous garder [1035]

De votre foudre en bas darder,

Vu que meurtrir il conviendrait

Ces transgresseurs de votre droit,

Ces moqueurs de votre maîtrise,

Laissant la femme mal apprise, [1040]

Laissant cette infidèle dame ?

Dame, mortbieu, vu tel diffame

Le nom de dame n'y convient,

Laissant la pute qui ne tient

Compte de l'amant tant aimable, [1045]

Lequel d'un vouloir immuable

Lui avait dédié sa vie :

Mais, peut-être, avez cette envie,

Faisant tort au premier lien,

Faire tort à l'aise et au bien [1050]

De ce mien maître gracieux.



Mais j'en renie tous les cieux,

Si je ne fais tomber en bas

Tant de jambes et tant de bras,

Que Paris en sera pavé. [1055]

En despecte, je suis crevé

De dépit qui ne le serait

Quand son maître on offenserait ?

Ladre Abbé, meurtrier de vertu,

Si je m'y mets. Mais quoi ? Veux-tu [1060]

Pauvre Arnault, sans ton maître faire

Ce qui lui pourrait bien déplaire ?

En te fâchant tu es venu

Jusqu'au lieu où il s'est tenu.

Pendant ce malheureux voyage [1065]

Je gage que nulle autre image,

Étant même en ce dévot temple,

Que celle d'Alix, ne contemple :

Mais quand il saura la nouvelle,

Ha charbieu qu'il la fera belle, [1070]

Il m'épouvantera des yeux.

Florimond


Je vois entrer tout furieux

Mon Arnault. Oy oy, que serait-ce ?

On lui a fait peu de caresses,

Il en hennit comme un cheval. [1075]

Et bien Arnault ?

Arnault


Et bien, mais mal.

Florimond


Comment mal ?

Arnault


Le plus mal du monde.

Florimond


Si faut-il que ce mal je sonde,

Pour voir s'il est ainsi profond.

Arnault


Assez pour vous noyer au fond, [1080]

Si vous ne prenez patience :

Mais faites au mal résistance,

Et me laisser venger du tout.

Florimond


Mortbieu qu'est-ce ?

Arnault


De bout en bout

Je vous compterai le malheur, [1085]


Moyennant que votre douleur

Prenne le frein de la raison.

Je suis allé à la maison

De votre Alix, où je l'ai trouvée

Dès l'heure assez bien abreuvée : [1090]

Car j'ai bien connu au répondre

Que de crainte de se morfondre

Elle avait coiffé son heaume,

Elle était avec un Guillaume,

Ainsi là-dedans on l'appelle, [1095]

Et autrement le mari d'elle.

Florimond


Mari sangbieu.

Arnault


Laissez-moi dire:

Si de tout ne bridez votre ire,

Contenez un peu pour le moins :

Ils étaient assis aux deux coins [1100]

De la table, et au bout d'en haut

Un gros maroufle, un gros brifaut,

Dont Messire Jean est le nom.

Florimond


Dieu m'y perde j'y vois.

Arnault


Non non,

Laissez-moi de tout souvenir : [1105]

À ce que j'ai pu retenir,

C'est cet Abbé, ce brave Eugène.

Florimond


Qui? Le frère de mon Hélène,

Que j'ai si longtemps promenée.

Arnault


C'est lui-même, il l'a donnée [1110]

À ce Guillaume en mariage.

Florimond


Ha Dieu, ha grand Dieu, quel outrage !

Qui me pourra faire enrager,

Afin que je puisse venger

Cette injure de sorte telle, [1115]

Qu'il en soit mémoire immortelle ?

Ah ah faux amour trop incertain,


Ah ah fausse et trop fausse putain,

Ah ah traître Abbé, Abbé méchant,

Moine punais, ladre, marchant [1120]

De tes refrippés bénéfices,

A a puant sac tout plein de vices,

M'as-tu osé faire ce tort ?

T'avais-je fait aucun effort ?

Ne m'avait pas sa soeur Hélène [1125]

Assez tourmenté, sans qu'Eugène

Son frère, ains son paillard, je crois,

Me vint redoubler ce desroi,

Séduisant un pauvre cocu,

Pour avoir toujours part au cul [1130]

Sous une honnête couverture ?

Hou que la fin en sera dure.

Auquel dois-je premier aller,

Il faut aller désétaler

De la maison ce qui est mien, [1135]

Par le grand ciel j'aurai mon bien,

Et si serez bien frottés ores,

Si bien pis vous n'avez encores,

Si je devais fendre la porte

J'irai, j'irai de telle sorte [1140]

Que le mur tremblera d'horreur.

Arnault


A a que je conçois de fureur,

Je suis gros de donner des coups,

Si je ne les échine tous

Je veux être frotté pour eux. [1145]

Allez Monsieur.

Florimond


Allons tous deux.



Scène II



Messire Jean, Eugène, Hélène.


Messire Jean


Tu Dieu je l'ai réchappé belle !

Sentit-on jamais frayeur telle



Que ce brave nous la donnait ?

Par ses paroles il tonnait, [1150]

Et mêlant son Gascon parmi

Nous faisait pâmer à demi.

Encore tant ému j'en suis,

Que presque parler je ne puis,

Tant qu'il me faudrait emprunter [1155]

Une autre voix pour raconter

À notre Abbé telle vaillance.

Mais encor en moi je balance

Si je dois faire ce message :

Florimond fera beau ménage, [1160]

Si vers l'Abbé vient une fois.

J'aimerais mieux tenir ma voix

À tout jamais en moi renclose,

Que de dérober quelque chose :

Je suis aux coups trop mal appris. [1165]

Et ceux-ci seront tous épris,

Qu'ils ne pourront être qu'à peine

Désenvenimés de leur haine,

Que par l'épée vengeresse.

Ô espérance tromperesse ! [1170]

Pourquoi m'avais-tu jusque ici

Allaité de ton lait ainsi,

Pour tout soudain t'évanouir ?

Pourquoi me faisais-tu jouir

De tes promesses si longtemps ; [1175]

Pour me mettre après hots du sens,

Et me faire au désespoir proie,

M'étranglant d'un cordon de soie ?

A a pauvre et deux fois pauvre prêtre,

N'eusses-tu pas trouvé bon maître, [1180]

Qui t'eût nourri, qui t'eût vêtu,

Qui t'eût fait ami de vertu,

Sans le patelin contrefaire,

Et en plaisant à Dieu déplaire,

Pour tourner enfin en ma chance [1185]

Si pauvre et maigre récompense.

Adieu les complots et finesses,

Adieu adieu larges promesses,

Adieu adieu gras bénéfices,

Adieu douces mères nourrices, [1190]

En l'Abbé je n'ai plus d'espoir,

Mais que tardai-je à l'aller voir ?

«Qui se fait compagnon de l'heur,



Se le fasse aussi du malheur.»

Mais quoi ? Comment ? D'où vient cela ? [1195]

Qui a-t-il de nouveau ? Voilà

Notre malheureux maître Eugène

Qui sort avec sa soeur Hélène.

Je pense que si les hauts cieux

S'apaisaient des larmes des yeux, [1200]

Qu'Hélène plus en jettera

Qu'il n'en faut quand ell' le saura.

Eugène


Mon coeur s'est pris à tressaillir,

Je sens quasi ma voix faillir,

Ma face est jà toute blêmie, [1205]

Hélène, soeur et bonne amie,

Quand j'ai regardé contreval,

Voici l'ambassadeur du mal,

Voici mon Chapelain qui vient :

À voir la face qu'il nous tient [1210]

Le malheur jure contre nous.

Hélène


Las mon frère que ferez-vous.

Mais las que ferai-je ô fluette ?

Que deviendrai-je moi pauvrette ?

Resterai-je en ce monde ici, [1215]

Voyant mon frère en tel souci ?

Mon esprit fuira comme vent :

Mais je vais courir au-devant,

Je veux l'infortune savoir.

Messire Jean je puis bien voir [1220]

Que quelque chose est survenue.

Messire Jean


Les Dieux ont promesse tenue :

Après l'heur on sent le malheur,

Après la joie la douleur,

Et la pluie après le beau temps. [1225]

Hélène


Ô Dieu retiens en moi mes sens,

Ou je chérrai en pâmoison.

Eugène


Que la douleur est grand' prison,

Je me sens presque aussi faillir.

Messire Jean


Et vous souliez si bien saillir [1230]

En votre aise contre les cieux,

Et disiez qu'être soucieux

En rien ne convenait à vous.

Eugène


Ô Jupiter que sommes-nous !

Pouvons-nous rien de nous promettre ? [1235]

Messire Jean


Et vous souliez sous le pied mettre

Toute inconstance et changement,

Vous vantant qu'éternellement

Non autre que vous, vous seriez,

Et tous les ennuis chasseriez ? [1240]

Mais il vaut mieux un repentir,

Bien qu'il soit tard, que d'amortir

La connaissance que Dieu donne

Par le malheur de la personne.

Eugène


Mais encores laissons nos pleurs, [1245]

Retenons un peu nos douleurs,

Ne donnons point tant à la bouche

Que les oreilles on ne touche.

Qui a-t-il, dis ?

Messire Jean


Tantôt j'étais

Chez Alix où je banquetais [1250]

Avec Guillaume pour vous plaire,

Comme me commandiez de faire,

Quand à un instant est entré

Un soldat fort bien accoutré

D'équipage requis en guerre, [1255]

Qui voulait mettre tout par terre,

Blasphémant tous les cieux, marri

D'ouïr nommer ce mot mari.

Hélène


Elle qu'a-t-elle répondu ?

Messire Jean


Toute tremblante elle a rendu [1260]

Ces réponses, et bien Arnault

La plus sainte plus souvent fault :

Mais on apaise de Dieu l'ire

Quand du deffaut on se retire :

L'Abbé mon cousin me voyant [1265]

En paillardise fourvoyant

M'a mise avec cet homme-ci,

Avec lequel je vis ainsi

Que doit faire femme de bien.

Pute (dit-il) je n'en crois rien, [1270]

Il n'y a point de cousinage,



Il t'a mis en ce mariage

Pour sûrement couvrir son vice :

Mais nous donnerons tel supplice

À toi, à ton Abbé Eugène, [1275]

Et à sa pute soeur Hélène,

Qui se venge ainsi de mon maître

Que la mémoire pourra être

Jusqu'à la bouche des neveux ?

Il faisait dresser les cheveux [1280]

À moi et à Guillaume aussi.

Hélène


Et Guillaume quoi ?

Messire Jean


Tout transi,

Étonné de ce cas nouveau

Ne sonnait mot non plus qu'un veau :

Et l'autre branlant sa main dextre, [1285]

Enragé va quérir son maître.

Et puis votre Alix de crier,

Et Guillaume de supplier,

Alix détranche ses cheveux,

Et Guillaume fait de beaux voeux [1290]

À tous les saints de paradis.

Je suis sûr que les étourdis

Vous donneront après l'assaut.

Hélène


Las mon frère le coeur me faut !

Eugène


Las je ne puis rien dire aussi ! [1295]

Pensons un peu tous à ceci.

Hélène


Mais quel penser ?

Messire Jean


Il ne faut pas

Même prochain de son trépas,

Abandonner du tout l'espoir.

Hélène


Mais quel espoir ?

Messire Jean


On peut bien voir [1300]

Que votre coeur n'est point viril.

Hélène


Quel coeur aurais-je ?

Messire Jean


Quel ? Faut-il

Tant obéir à la douleur,

Qu'on se laisse vaincre au malheur ?

Pensons : peut-être que les Dieux [1305]

Nous conseilleront.

Eugène


Il vaut mieux,

Puisqu'ainsi le mal nous affole,

Qui blesse et l'âme et la parole,

Dedans la maison nous retraire

Pour mieux éplucher cette affaire. [1310]



Scène III



Alix, Florimond, Guillaume, Arnaud, Pierre.


Alix


À l'aide.

Florimond


Je suis au secours.

Guillaume


Tout beau, bellement je m'encours,

J'en arracherais bien autant.

Florimond


Je périsse, tu seras tant

Et tant et tant de moi battue. [1315]

Qui me tient que je ne te tue,

Pute, m'as-tu fait tel outrage ?

Me fais-tu forcener de rage ?

Alix


Hélas Monsieur pour Dieu merci !

Florimond


Tu n'es pas quitte pour ceci, [1320]

Toujours se renouvellera

La plaie, et en moi saignera :

Mais laissons ici la vilaine,

Arnault cette maison est pleine

De mes biens, qu'il faut emporter. [1325]

Alix


Monsieur voulez-vous tout ôter ?

Arnault


Il aurait même bonne envie

De t'ôter ta méchante vie,



S'il y pouvait avoir honneur.

Florimond


Sus en haut.

Arnault


Sus donc Monseigneur. [1330]

Florimond


Laquais trouve des crocheteurs.

Pierre


J'y vais Monsieur, et quant à eux

Ils voleront bientôt ici,

N'ont-ils pas des ailes aussi ?

Alix


Ô que je suis au monde née [1335]

Pour être au malheur destinée !

Quel malheur aurait bien envie

Sur le grand malheur de ma vie ?

A a fausse marâtre nature,

Pourquoi m'ouvrais-tu ta clôture [1340]

Pourquoi un cercueil éternel

Ne fis-je au ventre maternel ?

Mais, las ! Il faut que chacun pense

Que toujours telle récompense

Suit chacun des forfaits, qui traîne [1345]

Pour s'acquerre sa propre peine.

Sus donc Esprit, sois soucieux :

Sus donc, sus donc pleurez les yeux,

Ôtez le pouvoir à la bouche

De dire le mal qui me touche. [1350]


ACTE IV




Scène I



Guillaume


S'il y a eu personne aucune

Plus envié de la fortune



Et du bonheur, que je suis ores,

Je veux être plus mal encores.

Hélas, qui eût ceci pensé ! [1355]

Je ne le crois pas : offensé

M'ont en cela des gens de guerre,

Et pendant de çà de là j'erre,

Que l'on bat ma pauvre Innocente.

Suis-je tant sot que je ne sente [1360]

Quand je suis toujours avec elle

Si elle m'est tant infidèle ?

Mais quoi ? Elle a jà confessé

Que Dieu elle avait offensé

Avec Monsieur le gentilhomme : [1365]

C'était de grand' peur, ainsi comme

Ceux-là que l'on gêne au palais,

Confessent des forfaits non faits.

Je ne sais, je n'en sais que dire,

Sinon que rendre mon mal pire, [1370]

D'autant plus que j'y penserai :

Par devant l'Abbé passerai,

Qui sera, peut-être, à sa porte,

À telle fin qu'il me conforte,

Encore qu'il soit aujourd'hui [1375]

La cause de tout mon ennui.



Scène II



Matthieu, Créancier, Eugène, Guillaume, Hélène, Messire Jean.


Matthieu


On m'a maintenant rapporté

Qu'on avait à Guillaume ôté

Tous les meubles de sa maison :

Depuis que l'on prend la toison [1380]

Il convient au mouton se prendre.

Mais où est-il ? Il lui faut rendre

Aujourd'hui ce que j'ai prêté,

S'il ne voulait être arrêté

Dedans l'enfer du Châtelet. [1385]


Est-il rien au monde si laid

Que de frauder ses créditeurs ?

Je suis troublé, ces transporteurs

Ore m'ont rendu étonné.

Aurait-il bien tout façonné [1390]

Craignant une exécution :

Aurait-il fait vendition ?

Où le trouverai-je à cette heure,

Puisqu'il n'est pas où il demeure ?

Chez son Abbé, comme je crois. [1395]

J'y vais, j'y vais.

Eugène


Mais répons-moi,

Ont-ils dit qu'ils viendront chez nous

Incontinent ?

Guillaume


Défendez-vous :

Car je suis sûr qu'ils le feront,

Et s'ils peuvent outrageront. [1400]

Eugène


Las que dirai-je ?

Hélène


Et que ferai-je !

Messire Jean


Le malheur prend bientôt son siège

Dedans ceux qui n'y pense point.

Guillaume


Ils me mettront en piteux point,

Si lors m'y rencontrent aussi. [1405]

Eugène


Les Sergents sont-ils près d'ici ?

Hélène


Quoi Sergents ? Laissons ce moyen.

Matthieu


À la bonne heure je vois bien

Mon Guillaume devant la porte

De son Abbé, qui le conforte, [1410]

Peut-être, des biens emportés.

Je m'approche.

Guillaume


De tous côtés

Le malheur est mon devancier :

Hélas ! Voici mon créancier.

Hélène


Hé qu'il vient à heure oppo

rtune [1415]

Pour soulager votre fortune.

Matthieu


Et bien Guillaume de l'argent ?

Hélène


Poursuivez-vous un indigent,

Êtes-vous forclus d'amitié ?

Matthieu


La raison chasse la pitié, [1420]

Il faut payer.

Hélène


Et s'il n'a rien

De quoi payer ?

Guillaume


Il paiera bien :

Le corps est de l'argent le pleige.

Hélène


Mais s'il n'a rien ?

Matthieu


Comme aussi n'ai-je.

Hélène


Son cercueil est-ce la prison ? [1425]

Eugène


Bien bien, entrons en la maison,

On pourra faire quelque chose :

Ou bien si rien ne se compose

Soyons tous en tout malheureux.

Matthieu


Je ne suis pas tant rigoureux : [1430]

Que je n'entre bien avec lui,

Pour l'attendre tout aujourd'hui.



Scène III



Florimond, Arnault.


Florimond


Ô Ciel gouverneur, quel édit

Dresses-tu au pauvre interdit

De sa liesse coutumière ! [1435]

Ou quelle ordonnance meurtrière,

Quelle bourrelle destinée


A ce jour pour moi ramenée !

Le haut Soleil, qui pour couronne,

Son chef de mille feux couronne, [1440]

M'apportait-il jà cet édit,

Lorsque laissant le jaune lit

A par la grand' lice ordonnée

Commencé sa sèche traînée ?

Mais quoi ? La fureur me transporte, [1445]

Mes ennuis m'ouvrent une porte

Inconnue à tous mes esprits :

Tant que je suis du dueil épris.

Je suis mort, je péris, c'est fait,

Ma vie avec tout son effet [1450]

Dépendait de cette amour mienne :

Et faut-il ore que je vienne

Perdre ce qui me faisait vivre ?

Puis après si je veux poursuivre

Et venger telle cruauté, [1455]

La justice est d'autre côté,

Qui jà, ce me semble, me chasse,

Et mes biens et mon chef menace.

Si j'assoupis cette vengeance,

Je viendrai sentir telle outrance [1460]

Que dépit me fera crever.

Arnault


Ne vous veuillez ainsi grever,

Tous ces mots auront guérison.

Premier quant est de la poison,

Qui tellement vous a déçu, [1465]

Que, comme vous dites, n'avez su

En ce monde vivre sans elle,

La contrepoison infidèle

A cette poison hors poussée :

Quant à la justice offensée, [1470]

Qui contre vous se lèverait,

Quand le faux tour on vengerait :

De cela n'ayez peur aucune,

Je me hasarde à la fortune.

Tout seul demain je m'en irai, [1475]

Et notre Abbé je meurtrirai.

Si je fuis ignorez le cas ;

Si je suis pris, dites que pas

N'étiez de ce fait consentant.

J'aime mieux seul mourir que tant [1480]

En vous voyant souffrir, souffrir.

Florimond


Vraiment c'est bravement s'offrir.

Arnault


Ainsi l'ire n'assoupirez,

Et de dépit ne crèverez.

Florimond


Baste baste, laissons ceci, [1485]

Le mal toujours croît du souci,

Fasse la justice du pire,

Il me faut dégorger mon ire,

Il faut que ce brave mâtin

J'occie demain au matin, [1490]

Me faisant au mal qui me mine

Par son sang une médecine.



Scène IV



Eugène, Messire Jean.


Eugène


Est-il possible que ma bouche

Pour me complaindre se débouche ?

Est-il possible que ma langue [1495]

Tire du coeur une harangue,

Pour devant le ciel mettre en vue

Le mal de l'âme dépourvue ?

Non non, la douleur qui m'atteint

Toutes mes puissances éteint, [1500]

Et l'air ne veut point s'entonner,

De crainte de s'empoisonner

Du dueil en ma poitrine enclos.

Messire Jean


Ô vrai Dieu quels horribles mots !

Eugène


Pour ce qu'il semble que malheur [1505]

Ait remis toute la douleur

De chacun des autres sur moi :

Je porte de ma soeur l'émoi,

Tant pour sa petite portée,

Que pour ce que déconfortée [1510]

Elle est à tort : car ce monsieur

La nomme cause du malheur.

De Guillaume non seulement



Il me faut porter le tourment,

Mais à ce que je vois sa dette. [1515]

Et combien qu'Alix soit sujette

À tromper ainsi ses amis,

Mon coeur n'est pas hors d'elle mis ;

Je soutiens encor ces travaux,

Et puis je porte tous mes maux, [1520]

Dont l'un est tel que le guérir

N'en sera que le seul mourir :

Je connais trop bien Florimond.

Messire Jean


Premièrement étonné m'ont

Avec leurs mots, comme estocades, [1525]

Caps de dious, ou estafilades,

Ou autres bravades de guerre.

Sont de ceux, dont l'un vend sa terre,

L'autre son moulin à vent chevauche,

Et l'autre tous ses bois ébauche [1530]

Pour faire une lance guerrière :

L'autre porte en sa gibecière

Tous ces prés, de peur qu'au besoin

Son cheval n'ait faute de foin :

L'autre ses blés en vert emporte [1535]

Craignant la faim, ô quelle sorte

Pour braver le reste de l'an !

Vous fâchez-vous des mots de camp :

Il faudra pourtant éprouver

Tous les moyens pour paix trouver. [1540]

Eugène


Il le faudra, c'est chose sûre,

Ou bien de la mort je m'assure,

Je le sais bien.

Messire Jean


Pourvoyez-y.

Eugène


Mais laisse-moi tout seul ici

Pour quelque peu, j'y rêverai, [1545]

Retourne après.

Messire Jean


Je le ferai.


ACTE V




Scène I



Messire Jean, Eugène.


Messire Jean


Déjà trop ici je séjourne,

Vers Monsieur ores je retourne,

Qu'à son vueil j'ai tantôt laissé

À demi, ce semble, insensé, [1550]

En si triste et malheureux soin :

Il ne le faut laisser de loin,

De peur que dueil se tourne en rage.

Eugène


Ô fortune à double visage,

Prospère à ce que j'ai pensé ! [1555]

Messire Jean


Avez-vous en vous compassé

Moyen de ces maux amortir ?

Eugène


Fort bien fort bien, si consentir

À son presque mourant Eugène

Ne refuse ma soeur Hélène. [1560]

Messire Jean


D'elle je m'assure si fort

Que jusqu'à l'autel de sa mort

S'étend l'amitié fraternelle.

Eugène


Tout cet accord ne gît qu'en elle,

S'ell' le fait, tant qu'elle vivra [1565]

Sa vie à elle se devra,

Et si je lui devrai ma vie.

Messire Jean


Déjà je brûle tout d'envie

De savoir ce que voulez dire/

Eugène


Il faut secrètement conduire [1570]

Cette chose, afin que l'honneur

Offensé, n'offense mon heur :



Et n'était que bien je m'assure

Que ton oreille sera sûre,

Je ne décèlerais la chose [1575]

Que d'exécuter je propose.

Messire Jean


Une chose à moi récitée,

C'est comme une pierre jetée

Au plus creux de la mer plus creuse.

Eugène


Ô que ma pensée est heureuse, [1580]

Si ma soeur ébranler je puis !

Messire Jean


En cela son pleige je suis.

Eugène


C'est que comme tu sais assez,

Deux ans se sont déjà passés,

Depuis que Florimond quitta [1585]

L'amour qui tant le tourmenta,

À l'objet de ma soeur Hélène,

Et le quitta à si grand' peine,

Qu'il eût voulu que sa santé

Eût en la seul mort été. [1590]

Mais il avait été confus

D'un et d'un renfort de refus :

Puis l'amour qui tant le pressa,

À l'égarade se passa,

Las, comme en mon dam j'ai bien su, [1595]

Avec Alix qui l'a déçu.

Mais ore si on lui parlait

De ma soeur, dont tant il brûlait,

Je suis sûr que non seulement

Ensevelirait ce tourment, [1600]

Mais qu'il rendrait toute sa vie

À mon commander asservie .

Par quoi je veux prier ma soeur,

Que sans offense de l'honneur,

Elle le reçoive en sa grâce, [1605]

Et jouissant elle le fasse.

Son honneur ne sera foulé.

Quand l'affaire sera celé

Entre quatre ou cinq seulement,

Et quand son honneur mêmement [1610]

Pourrait recevoir quelque tache,

Ne faut-il pas qu'elle m'arrache

De ce naufrage auquel je suis,



Et qu'elle-même ses ennuis

Elle tourne en double plaisir ? [1615]

Messire Jean


Saurait-elle mieux choisir ?

Ô que chacun eût ce bonheur,

De faire toujours son honneur

Un bouclier pour sauver sa vie.

Eugène


Elle sera bien ébahie, [1620]

Quand de ce la viendrai prier.

Messire Jean


Point, laissez la moi manier.

Mais quant au créancier comment ?

Eugène


Ce m'était tourment sur tourment :

Mais cestui est bien plus facile. [1625]

Si n'ai-je pourtant croix ni pile.

Messire Jean


Quoi donc ? Il ne faut délayer,

C'est cas raclé il faut payer,

Ou que Guillaume entre en prison.

Eugène


Une Cure en fera raison, [1630]

On trouvera bien achetant.

Messire Jean


Que trop que trop, il en est tant

Par ci par là dans cette ville,

Qu'il faudrait mille fouets et mille

Pour chasser les marchands du temple. [1635]

Eugène


Le marché de Rome est bien ample.

Messire Jean


Mêmes il pourrait être ainsi,

Que si ce bon créancier-ci

Avait enfants, il la vaudrait,

Mieux qu'une terre elle vaudrait, [1640]

Et ne lui coûterait si cher.

Eugène


Or sus donc, il faut dépêcher

Le premier point : je vais devant.

Messire Jean


Allez donc, je vous vais suivant.



Scène II

.


Guillaume, Matthieu, Hélène, Eugène, Messire Jean.


Guillaume


Encores que les maux soufferts, [1645]

Et ceux qui sont encore offerts

Me soient griefs, Sire, mon ami,

Si est-ce que presque à demi

Je suis en ce lieu soulagé.

A a que je suis bien allégé [1650]

D'être sous la tutelle et garde

D'un homme tant saint qui me garde.

Sire vous ne pourriez pas croire

De quel amour il m'aime, voire

Jusques à prendre tant d'émoi [1655]

De venir même au soir chez moi

Pour voit si je me porte bien,

Il ne souffrirait pas en rien

Qu'on nous fît ou tort, ou diffame :

Il aime si très tant ma femme, [1660]

Que plus en plus la prend sous soi.

Matthieu


Sus donc, courage éveille-toi

Mon bon ami, et ne te fâche,

Je te ferais quelque relâche,

S'il était en moi volontiers : [1665]

Mais j'ai affaire de deniers.

Guillaume


Payer faut, ou tenir prison.

Matthieu


C'est bien entendu la raison :

J'aime ces gens qui quand ils doivent,

Volontiers le quitte reçoivent. [1670]

Hélène


Vos raisons ont tant de pouvoir

Sur ce mien débile savoir,

Que répondre je ne saurais :

Et quand encore je pourrais,

Que gagne-t-on de contester [1675]

Quand on s'y voit nécessiter ?

L'amour, Frère, que je vous porte,


À ma honte ferme la porte,

Voulant contregarder ce jour

Nos deux vies par fol amour : [1680]

Et quand malheur m'en adviendra,

Et que tout le monde entendra

Que par deux hommes, voire deux,

Que chacun estime de ceux

Qui sont déjà saints en la terre, [1685]

Contre ma renommée j'erre,

On me tiendra pour excusée,

Comme ayant été abusée,

Ainsi que femme y est sujette :

Et puis l'on dira, la pauvrette [1690]

N'osait pas son frère éconduire.

Eugène


Votre honneur n'en sera point pire.

Ceci révélé ne sera :

Et au pis quand on le saura,

Laissez le vulgaire estimer. [1695]

Est-ce déshonneur que d'aimer ?

Hélène


Non, comme j'estime en tel lieu :

Mêmement ainsi m'aide Dieu,

Si Florimond ne m'eût laissée,

Et qu'il n'eût Alix pourchassée, [1700]

La course du temps eût gagné

Sur ce mien courage indigné,

Et tout ce trouble eût été hors.

Messire Jean


Il vaut mieux maintenant qu'alors :

Car après une longue attente [1705]

Une amour en est plus contente :

Et, peut-être, il aura courage

De faire après le mariage :

Ce vous est un parti heureux.

Eugène


Puisqu'il en est tant amoureux, [1710]

Quand nous serons amis ensemble,

J'en serai moyen, ce me semble.

Hélène


Mais de quoi servent tant de coups

Pour gagner ce qui est à vous ?

Faut-il que gaiement je die, [1715]

Je suis en même maladie :

Il n'y a rien qui plus me plaise,



Ore je me sens à mon aise.

Eugène


Ô Amour que tu m'as aidé,

Aveugle tu m'as bien guidé, [1720]

D'aise extrême mon coeur tressaut.

Messire Jean


Parbieu j'en vais faire ce saut.

Que reste plus ?

Eugène


Rien qu'à cette heure

Te transporter en la demeure

De Florimond, et l'avertir [1725]

De cet amour se divertir,

Qu'il laisse envers nous toute haine,

Qu'il laisse Alix, et qu'on ramène

Chez elle ce qu'on lui a pris,

Et que s'il a gagné le pris [1730]

Sus une amante damoiselle,

Qu'au moins son aventure il cèle.

Après chez Alix t'en iras,

Et la faiblette avertiras,

Que sommes ensemble rejoints, [1735]

Sans lui déclarer par quels points.

Car quand femme a l'oreille pleine,

Sa langue le retient à peine

Hélène


Vois vois.

Eugène


Tu n'oublieras aussi

Qu'elle vienne souper ici, [1740]

J'y ferai pourvoir à cette heure.

Messire Jean


Je ferai bien courte demeure.

Je vous pri' notez la manière.

Mais ne voilà pas un bon frère.

Ô Dieu qu'on se frottera bien, [1745]

Si est-ce que je me retiens

Quelque lopin à cette fête.

Il faudra que je mette en tête

À mon Abbé, de me ranger

À quelque osselet pour ronger. [1750]



Scène III



Eugène, Matthieu, Guillaume.


Eugène


Si les prisonniers des enfers

Avaient tous débrisé leurs fers,

Si Sisyphe était déchargé,

Ou si Tantale avait mangé

Ce qu'en vain poursuit son désir, [1755]

Ils n'auraient point tant de plaisir

Qu'a maintenant Monsieur Eugène.

Ha voilà voilà bonne Hélène,

La fraternité se ressemble.

Si faut-il que j'assemble ensemble [1760]

Guillaume et son anglais Matthieu,

Pour les accorder en ce lieu.

Guillaume, et vous Sire venez,

Vous êtes-vous point démenés

D'avoir été tous seuls autant ? [1765]

Matthieu


Nenni.

Eugène


Vous voulez du content,

Je l'entends bien.

Matthieu


C'est la raison.

Eugène


Avez-vous en votre maison

Grand nombre de fils ?

Matthieu


Trois.

Eugène


Je prise

Ce nombre qui est saint : l'Église [1770]

En aura-t-elle quelqu'un d'eux.

Matthieu


J'en ferai de l'Église deux :

Car je veux tendre aux bénéfices.

{{Personnage|Eu

gène|c}}

Toutes choses me sont propices.

Or ça si j'avais d'aventure [1775]

Quelque petite cure

Valant six vingt livres de rente.

Matthieu


Dites-le moi, mettez en vente,

Je mettrai dessus mon denier.

Guillaume


Comment, Monsieur, il est banquier, [1780]

Il en fait tous les jours trafique.

Eugène


Il en entend mieux la pratique.

Que me voulez-vous donner or' ?

Matthieu


Deux beaux petits cent écus d'or,

Sur lesquels je me payerai. [1785]

Eugène


Allez les quérir, je ferai

Tandis au souper donner ordre.

Mon ami Guillaume il faut mordre,

Et mon argent était failli.

Or ça tu étais assailli [1790]

Ce jour de tous côtés sans moi,

Je t'ai mis hors de tout émoi :

Tes meubles rendus te seront,

Tes créditeurs se payeront,

Ta femme fera paix aussi [1795]

Guillaume


Hé grand merci

Monsieur, je suis du tout à vous.

Eugène


Il faut maintenant qu'entre nous

Tout mon penser je te décèle :

J'aime ta femme, et avec elle [1800]

Je me couche le plus souvent.

Or je veux que dorénavant

J'y puisse sans souci coucher.

Guillaume


Je ne vous y veux empêcher,

Monsieur je ne suis point jaloux, [1805]

Et principalement de vous :

Je meure si j'y nuis en rien

Eugène


Va va tu es homme de bien.



Scène IV



Florimond, Arnault.


Florimond


Ô Dieux, quel astre en ma naissance

Me reçut dessous sa puissance ! [1810]

Mais astre le plus gracieux

Qu'il soit (ô Dieux) en tous vos cieux

De quel lieu prendrai-je la voix

Pour louer mon heur cette fois ?

N'ai-je peur que mon coeur se noie [1815]

En l'abondance de ma joie ?

Rien plus au monde ne me fault :

Mais las, voici mon bon Arnault :

Ô Dieux quelle chère il fera,

Ô Dieux comment il vous louera. [1820]

Arnault, ho Arnault.

Arnault


Qui est l'homme ?

Florimond


Arnault viens cà, viens voir la somme

De tous mes malheurs mise au bas.

Arnault


Monsieur je ne vous voyais pas.

Qui a-t-il de nouveau ?

Florimond


Tout bien. [1825]

Tu pétilleras de l'heur mien

Quand tu le sauras une fois.

Arnault


Je pétille jà.

Florimond


De ma voix

Il ne pourrait être exprimé.

Arnault


Mais tâchez-y.

Florimond


Je suis aimé. [1830]

Arnault


De qui ?

Florimond


D'Hélène ma maîtresse.

Arnault


Ô Idalienne Déesse,

Saintement je t'adorerai.

Florimond


Avec elle je souperai

Nous coucherons tous deux ensemble. [1835]

Arnault


De crainte et de joie je tremble :

De joie pour ce bonheur-ci :

De crainte, qu'il ne soit ainsi.

Florimond


Si est : l'Abbé m'a fait ce tour

Arnault


Jamais n'ait un seul mauvais jour. [1840]

Le discord s'est bien tôt tourné

À l'amour d'en haut destiné.

Florimond


A a que ne suis-je mort ! Disais.

Hé que n'ai-je servi de proie

À d'Anvilliers ou à Ivoye ; [1845]

Comme deux serviteurs du Roi,

D'Estauge et son frère d'Angluse !

Plus en tels mots je ne m'abuse :

Ains sans fin vivre je voudrais

(Ô Amour) dessous tes saints droits. [1850]

Mais quoi ? Déjà la nuit s'approche,

Le souper se met hors de broche :

Allons, ne faisons point attendre.



Scène V



Alix, Messire Jean, Florimond, Arnault, Eugène, Hélène, Guillaume, Matthieu.


Alix


Tout ce que me faites entendre

Messire Jean, est-il certain ? [1855]

Messire Jean


Rien n'est plus sûr.

Alix


Ô Dieu hautain,



Tu m'as bien tôt mieux fortunée,

Que je ne me disais mal née !

Mais puisque chose tant heureuse

Survient à moi peu vertueuse, [1860]

À jamais ma foi je tiendrai,

À nul autre ne me rendrai,

Sinon qu'à l'Abbé votre maître.

Messire Jean


Vous ferez bien, et foi de prêtre

Vers vous quasi serf il se rend, [1865]

Son propre vouloir enserrant

Prisonnier pour le vôtre suivre :

Mais marchez d'un pied plus délivre.

Florimond


Voilà l'Abbé et mon Hélène

Devant la porte, mais à peine [1870]

Ai-je pu mon Hélène voir.

Sans m'absenter de mon pouvoir.

Saluons-les, bonsoir Monsieur.

Arnault


Bonsoir à tous.

Florimond


Et vous mon heur,

Si fort je me sens embraser, [1875]

Que je voudrais que ce baiser

Me dût durer jusqu'à demain.

Eugène


Çà ma soeur baillez-moi la main,

Et vous Monsieur avecques elle,

Jurant une amour éternelle [1880]

À qui le temps ne fera rien.

Florimond


A a Monsieur je le veux trop bien.

Hélène


Le voilà donc tout arrêté.

Eugène


Je vois venir de ce côté

Notre Alix.

Guillaume


Ô qu'elle est joyeuse. [1885]

Hélène


Elle rit de sa paix heureuse

Avec Messire Jean.

Eugène


Voici

Matthieu qui vient de cestui-ci.

Hélène


Hâtez-les.

Eugène


Venez ho venez,

Que lâchement vous promenez. [1890]

Alix


Dieu vous donne le bon soir à tous.

Messire Jean


Bon soit Messieurs.

Matthieu


Bon soir.

Eugène


À vous.

Voici une gentille bande.

Alix


Monsieur quelle faveur trop grande

Vous m'avez fait en ce pardon. [1895]

Florimond


Merciez Monsieur de ce don,

Et lui vouez pour désormais

Un fidèle amour à jamais.

Guillaume


Monsieur pour elle grand merci,

M'amie faites bien ainsi. [1900]

Eugène


Sus entrons, on couvre la table,

Suivons ce plaisir souhaitable

De n'être jamais soucieux ;

Tellement même que les Dieux

À l'envi de ce bien volage, [1905]

Doublent au Ciel leur saint breuvage.

Adieu, et applaudissez.