L’Invalide

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Chansons de Gustave NadaudHenri Plon (p. 9-10).



L’INVALIDE.


Noble soldat mutilé par la gloire,
Dernier débris d’un temple dévasté,
Tes ennemis, surpris de leur victoire,
Restent tremblants devant ta pauvreté.
Cent coups gagnés sur vingt champs de bataille
T’ont fait pourtant un assez beau trésor ;
Comme un drapeau criblé par la mitraille,
Pauvre invalide, ils te craignent encor !

Ils t’ont connu dans leurs cités parjures,
Et chacun d’eux contemple avec effroi
Ce vieil habit, et ces larges blessures
Qu’ils t’envoyaient, en fuyant devant toi.
Des rois honteux et des palais serviles
Ton pied vainqueur brisait les trônes d’or…
Un bâton seul soutient tes pas débiles…
Pauvre invalide, ils te craignent encor.

Es-tu de ceux qu’une avalanche immense
Sur l’Italie a jetés triomphants ?
De l’Allemagne abaissant la distance,
As-tu du Nord réveillé les enfants ?
Es-tu de ceux que virent apparaître,
En leurs déserts, l’Oural et le Thabor ?
Soldat, tu fus de tous ceux-là peut-être…
Pauvre invalide, ils te craignent encor.

Ravis enfin à leur lente agonie,
Tu soulevais les peuples aux combats ;

Tu leur portais la gloire et le génie,
Et tu semais la France sous tes pas.
Partout, alors, de leur sainte cohorte
Ton bras guidait le généreux essor ;
Ton bras s’étend… mais un boulet l’emporte…
Pauvre invalide, ils te craignent encor.

L’heure a sonné, sens tressaillir la terre !
La liberté parle à ses nourrissons !
Ton sang, versé sur la rive étrangère,
A fécondé d’immortelles moissons.
Entends, entends l’hymne de délivrance :
Un nom s’élève en un sublime accord,
Un nom sacré : c’est celui de la France !
Pauvre invalide, ils t’appellent encor !