Mémoire sur la Corée

La bibliothèque libre.


MÉMOIRE SUR LA CORÉE[1].


Origine des Coréens issus de race mongole. — Division par castes. — Agriculture. — Industrie. — Ginseng. — Cornes de cerf. — Fourrures. — Commerce avec la Chine et avec le Japon. — Despotisme et faiblesse du gouvernement. — Costume des Coréens. — Leurs maisons. — Leur nourriture. — Forêts. — Animaux. — Médecine. — Mœurs. — Langue. — Écriture. — Imprimerie. — Religion.




Si les nombreux voyages de circumnavigation entrepris depuis près d’un siècle par les grandes puissances maritimes nous permettent de poser en fait qu’il ne reste plus de terres à découvrir dans les climats habitables, il n’est pas moins vrai de dire que des pays inscrits sur nos cartes depuis quatre siècles nous sont tout aussi inconnus maintenant, qu’ils l’étaient avant leur découverte, sauf le tracé de quelques côtes explorées à la hâte par un petit nombre de navigateurs.

Sans parler des îles immenses, mieux appelées continents, que l’on pourrait citer à l’appui de cette assertion, nous en trouvons une preuve bien frappante dans la presqu’île de Corée, vaste royaume situé, comme on le sait, entre la Chine et le Japon.

Découverte par les Hollandais dans les premières années du xvie siècle, la Corée n’attira jamais l’attention des Européens, soit parce qu’elle ne leur offrait pas des marchés aussi lucratifs que les contrées voisines, soit parce que le gouvernement coréen a toujours été plus exclusif à l’égard des étrangers que ne le sont les Chinois et les Japonais eux-mêmes.

Sous l’illustre empereur de Chine Kang-Hi, un des géographes européens employés à la construction de la carte générale de l’empire chinois s’avança jusqu’en Corée, afin d’y déterminer la position de quelques points principaux ; mais ayant été forcé de se retirer promptement, son voyage n’ajouta presque rien aux connaissances que l’on avait déjà sur la nature de ce pays et du peuple qui l’habite.

Quelques mémoires ont été publiés en hollandais par des voyageurs qui, jetés par la tempête sur les côtes de Corée, y avaient été retenus en esclavage pendant un temps assez considérable. Mais ces données, restreintes au cercle étroit dans lequel leurs auteurs s’étaient trouvés placés, nous apprennent peu de chose sur l’état général de ces contrées lointaines.

Ce n’est réellement que depuis une dizaine d’années qu’il a été possible à un petit nombre d’Européens engagés dans la carrière des missions catholiques de pénétrer en Corée, et d’y séjourner assez longtemps pour lever un coin du voile qui dérobait ce pays à nos investigations.

À en juger par la proximité et la dépendance où la Corée se trouve de l’empire chinois, on serait porté à croire que les mêmes coutumes, les mêmes mœurs, les mêmes lois devraient y prévaloir, et que ce royaume tributaire devrait être à l’orient de la Chine ce que le Tong-King et la Cochinchine sont à l’occident. Nous voyons, en effet, que, sauf la corruption du langage et une légère différence dans le caractère de ses habitants, le royaume d’Annam, formé par les deux pays que nous venons de mentionner, diffère si peu de la Chine, proprement dite, qu’on pourrait, sous le point de vue ethnographique, le mettre au nombre des provinces chinoises.

La Corée, au contraire, se présente sous un aspect entièrement différent ; et, chose remarquable, elle offre avec le Japon une telle analogie, qu’on est naturellement porté à attribuer aux deux royaumes une seule et même origine.

On ne saurait révoquer en doute que les Coréens n’appartiennent à la race mongole aussi bien que les Chinois, les Annamites et les Japonais. Le front étroit, bombé et fuyant, les paupières épaisses, les yeux obliques, les pommettes saillantes, le nez un peu déprimé, les cheveux roides et noirs, la barbe clair-semée, le teint olivâtre, les extrémités des membres généralement grêles, voilà les caractères distinctifs de la nombreuse race mongole ; voilà aussi ceux du Coréen.

Cependant, de même que, chez nous, un œil exercé aperçoit facilement une différence dans le facies des habitants des différentes contrées européennes, de même on voit, chez les peuples dont je viens de parler, quelques traits particuliers qui les font facilement distinguer les uns des autres. Chez les Coréens, c’est la rondeur et surtout l’aplatissement du visage que l’on peut regarder comme le trait de famille : et en ceci encore ils se rapprochent beaucoup plus des Japonais que des Chinois.

Le phénomène social le plus remarquable dont la nation coréenne nous fournisse l’exemple est la distinction des castes.

Chez les autres peuples de la race tartare-mongole l’égalité de naissance est généralement admise : les dignités seules confèrent à ceux qui les ont mérités certains degrés de noblesse qui ne passent point à leurs descendants. De là, ce passage continuel de l’obscurité à la grandeur, et de l’opulence à la misère.

Les Coréens sont les seuls qui fassent exception à cette loi d’égalité naturelle, et qui, par leur organisation sociale, se rapprochent des peuples qui habitent l’Indoustan. Ces castes, nettement tranchées, établies dans l’Inde depuis la plus haute antiquité : ces Brames, ces Soudras, ces Chatrias dont les rivalités font le malheur du plus beau pays du monde, se retrouvent en Corée sous d’autres dénominations, il est vrai, mais avec les mêmes prérogatives et le même esprit d’hostilité mutuelle.

Les castes dont se compose la société coréenne sont au nombre de trois :

La première est formée de ce qu’on est convenu d’appeler la noblesse. Elle a le monopole de toutes les dignités civiles et militaires du royaume, et compte, par conséquent, parmi ses membres, tous les grands de la cour, les mandarins supérieurs, les chefs de l’armée, etc. etc. Elle jouit, à l’égard des castes inférieures, du droit d’impunité, sans cependant s’étayer, comme la caste des brames indiens, d’aucun caractère sacré qui puisse lui concilier le respect, dans le cas où la force viendrait à lui échapper. Cette caste, ayant tout à perdre et rien à gagner dans les commotions politiques, se tient fortement attachée au gouvernement, et réservant pour elle le développement de l’intelligence, elle tient les deux autres castes dans une ignorance salutaire à ses propres intérêts.

La marque distinctive à laquelle on reconnaît un noble est une espèce de bonnet carré en crin noir assez semblable à celui que portent chez nous les membres du barreau, et identique avec celui dont les mandarins chinois faisaient usage anciennement.

Dans les rues et les endroits publics, les nobles se cachent le visage avec un mouchoir ou avec un petit écran toutes les fois qu’ils rencontrent des individus appartenant aux castes inférieures. Si on leur barre le chemin, ils font immédiatement signe qu’on leur fasse place et, au besoin, ils frappent impitoyablement sur ceux qui leur opposent quelque résistance : malheur à la main plébéienne qui se lèverait contre un noble !

Les femmes de la première caste ne se montrent jamais en public le visage découvert : elles sortent ordinairement en chaise fermée, ou, si elles sortent à pied, elles se couvrent le visage avec le grand voile dont elles s’enveloppent le corps. Cette coutume paraît remonter aux temps les plus reculés de l’empire chinois ; car l’histoire nous apprend que, même devant leurs maris, les femmes ne se présentaient pas sans se couvrir le visage avec la manche de leur robe. Aujourd’hui cet usage est en grande partie tombé en désuétude : les femmes chinoises se contentent, quand elles sortent, d’enfoncer leur tête dans le parasol qu’elles tiennent à demi fermé dans ce but.

La seconde caste forme ce que nous pourrions appeler la bourgeoisie. Elle se compose généralement de propriétaires, de marchands, d’officiers subalternes et d’autres personnes étrangères aux travaux serviles, quelle que soit d’ailleurs leur richesse ou leur pauvreté. Tenant le milieu entre les deux extrémités du corps social, entre le pouvoir despotique et l’avilissement, les honneurs et le mépris, cette caste jouit peut-être de plus d’estime et de tranquillité que les deux autres. Ses privilèges, restreints dans des bornes raisonnables, se rapportent plutôt au cérémonial qu’à un intérêt matériel. Ainsi, un homme de la deuxième caste n’est pas obligé de se lever quand un noble passe, il peut entrer dans la maison de celui-ci lorsqu’une affaire quelconque l’y appelle ; il peut enfin être élevé à la première caste, s’il se distingue par un grand mérite personnel ou s’il rend quelque service important à l’État. C’est à cette classe qu’appartiennent la plupart des envoyés qui vont tous les ans à Pékin porter le tribut du roi de Corée à son suzerain l’empereur de Chine.

La troisième et dernière caste comprend les ouvriers, les marchands de comestibles, les domestiques, les satellites des tribunaux, et, en général, toutes les personnes livrées à des occupations basses et serviles. Le travail, le mépris, et ordinairement la misère, sont le partage de ceux qu’une malheureuse destinée a fait naître dans cette caste. Leur position sociale est tout à fait analogue à celle des Parias dans l’Inde, si ce n’est qu’il ne se rattache pas à leur personne cette idée de souillure légale, basée sur des superstitions religieuses, qui appelle l’anathème sur tout ce qui a éprouvé leur contact. Il n’est même pas rare de voir des personnes de cette caste contracter mariage dans la caste supérieure. Dans ce cas, et, en général, toutes les fois que les époux sont nés dans des castes différentes, les enfants suivent la condition du père. Cette sage disposition de la loi tend à amener insensiblement la fusion des trois castes ; car, comme on peut bien le supposer, l’infériorité de caste dans les mariages mixtes se trouve presque toujours du côté de la femme ; ou si, par hasard, elle se rencontre du côté de l’homme, les parents de l’épouse font tous leurs efforts pour l’élever à la hauteur de leur position, et y réussissent presque toujours.

La population coréenne est, en général, fort pauvre, quelle que soit la caste dans laquelle on la considère : et, sous ce rapport, elle est infiniment au-dessous des Japonais, des Annamites, et surtout des Chinois, chez lesquels on voit souvent des fortunes colossales. Le défaut de richesse en Corée provient de ce que le pays n’est presque point cultivé, de ce que l’industrie y est inactive, le commerce nul, et enfin de ce que le système du gouvernement étouffe toutes les entreprises dans leur germe.

Les principaux produits agricoles qui fournissent à la subsistance des Coréens sont le riz, le maïs, le millet et le froment. Pour la culture du riz, on suit à peu près la même méthode qu’en Chine : on fait d’abord un semis très-serré dans de la terre délayée jusqu’à l’état de bouillie, et, lorsque les jeunes pousses ont atteint 8 à 10 centimètres de hauteur, on les transplante, par petits paquets, dans des champs soumis à d’abondantes irrigations : on les sarcle souvent et on les chausse jusqu’à ce que le temps de la moisson soit arrivé.

La culture du froment se fait d’une manière différente et assez singulière, analogue à celle que j’ai vu employer aux îles Philippines : on abat sur les montagnes peu boisées toutes les plantes ligneuses qui peuvent servir de bois de chauffage, ensuite on met le feu aux broussailles et aux herbes qui recouvrent le sol. Deux ou trois jours après que le feu est éteint, on sème à la volée et on se contente de recouvrir la semence en ratissant la surface du terrain. Ce genre de culture est pratiqué de préférence dans les provinces septentrionales, par la raison qu’elles sont beaucoup plus montagneuses que cette autre partie du royaume qui s’étend depuis la capitale Kin-Ki-Tao jusqu’à la côte qui avoisine le Japon, et dans laquelle on s’adonne presque exclusivement à la culture du riz, du maïs et du millet. Dans ces principaux produits de l’agriculture, les Coréens trouvent de quoi satisfaire aux besoins de la consommation, mais il ne sauraient y trouver une source de richesse, parce que, d’un côté, l’exportation leur en est interdite, et que, d’un autre côté, le décroissement graduel de la population diminue chaque jour la consommation intérieure.

L’industrie en Corée est encore moins bien partagée que l’agriculture. Point de ces riches tissus, de ces belles porcelaines, de ces brillants vernis que nous admirons chez les Chinois et les Japonais ; point de ces ouvrages de marqueterie et d’orfèvrerie dans lesquels les Chinois rivalisent avec les Européens. L’industrie coréenne se borne à la fabrication de grossiers tissus de coton, de lin ou de soie pour l’usage du pays. Il y a cependant des articles dans la fabrication desquels les Coréens ont la réputation, à mon avis, peu méritée, de surpasser leurs voisins ; ce sont le papier et les nattes.

Le papier est épais, souple et soyeux ; sa consistance, ou, pour mieux dire, l’adhésion des fibres végétales dont il est formé est telle, qu’on l’emploie, non-seulement à garnir des châssis de porte, mais même à faire des habits ! Il se prête assez bien à l’écriture au pinceau et à l’encre de Chine en usage dans le pays ; mais il n’offre pas une surface assez lisse pour qu’on écrive facilement avec une plume et de l’encre européennes. Aussi croirai-je toujours le papier chinois supérieur au papier étoffe des Coréens.

Quant aux nattes, elles sont en effet fort jolies, mais elles ne valent pas celles qu’on fait à Poulo-Pinang, et d’ailleurs elles ne forment pas un article assez important pour que nous nous arrêtions à en parler.

Ainsi réduite à ses ressources industrielles, la Corée n’aurait presque rien à fournir au commerce extérieur ; fort heureusement la nature est venue à son secours par la production spontanée de plusieurs articles fort recherchés à l’étranger, savoir : le ginseng, les jeunes cornes de cerf et les peaux de plusieurs espèces remarquables de mammifères.

Le fameux ginseng n’est autre chose, comme on sait, que la racine d’une plante appartenant à la famille naturelle des araliacées, et appelée par les botanistes panax ginseng. Les Chinois attribuent à cette racine des vertus médicinales extrêmement puissantes qui la font employer dans presque toutes les maladies. Que les poumons soient à moitié consumés par la phtisie, disent les médecins chinois, que la chaleur naturelle soit presque éteinte par la vieillesse, que les viscères aient été profondément lésés par l’action délétère de quelque poison, administrez du ginseng, et le malade sera bientôt rendu à la vie et à la santé. Ce prétendu antidote des souffrances humaines est fortement recherché dans tous les pays où ces théories médicales ont cours, et s’y vend au poids de l’or. Depuis qu’une espèce de panax, très-voisine du panax ginseng, a été découverte dans l’Amérique du Nord, la pharmacie chinoise reçoit de ce pays les deux tiers de ce qu’elle en consomme. Cependant, comme la racine américaine est très-inférieure en qualité, le vrai ginseng de Corée n’a pas baissé de prix, et forme toujours la branche la plus lucrative du commerce coréen avec la Chine.

La plante qui fournit ce précieux remède croît spontanément sur les montagnes découvertes de la Corée septentrionale : sa racine est de l’espèce de celles que les botanistes appellent pivotantes, et présente à sa base, ainsi qu’au sommet, deux renflements ou bifurcations latérales qui donnent au tout l’apparence d’une poupée : de là le nom chinois ginseng, qui signifie homme vivant, et non pas la vie de l’homme, comme l’ont prétendu quelques écrivains. Sur la foi des médecins chinois, le ginseng a été employé en Europe dans le courant du siècle dernier, mais on n’a pas tardé à se convaincre que les prodiges attribués à ce médicament ne s’opéraient que dans l’imagination des Orientaux, et que (voyez Richard, Botanique médicale), pour les propriétés réelles qu’il possède, on pouvait lui substituer cent autres plantes indigènes infiniment moins chères.

Les jeunes cornes de cerf forment un second article d’exportation presque aussi avantageux que le ginseng. Vers le commencement de l’été, peu de jours après que le cerf mâle a perdu le bois de l’année précédente, il se forme sur chaque cicatrice un renflement ou protubérance arrondie, qui n’est que le germe du bois à venir. Pendant plusieurs semaines, ces jeunes pousses sont recouvertes d’une peau veloutée, et leur substance est assez tendre pour qu’on puisse facilement les entamer avec un couteau ou même avec les dents. C’est dans cet état qu’elles sont très-recherchées par les Chinois et surtout par les Japonais, qui en font un grand usage dans leur médecine. Le prix élevé auquel on vend ce médicament met tous les montagnards en mouvement à l’époque du rut et fait livrer au cerf une chasse très-active. Nul doute que, si la population coréenne était plus dense, elle ferait bientôt disparaître des forêts ces timides et élégants animaux.

Les fourrures enfin fournissent aux Coréens une branche de commerce d’autant plus importante, qu’elles sont rares dans les provinces froides de la Chine, où le luxe les fait rechercher à des prix souvent incroyables. C’est aussi de Corée que les Chinois tirent la plus grande partie du poil de renard dont ils font leurs excellents pinceaux pour écrire.

Tout restreint qu’il est à un petit nombre d’articles, le commerce coréen serait susceptible de prendre beaucoup d’extension, si le gouvernement ne le paralysait avec tout le despotisme de son pouvoir. Ainsi, il n’est permis de commercer avec la Chine que deux fois dans l’année, et une fois seulement avec le Japon.

À la cinquième et à la onzième lune, c’est-à-dire vers la fin des mois de juin et de décembre, les marchands coréens se réunissent en caravane, et traversent le vaste désert qui sépare leur pays de la Chine, ils se rendent à Fong-Pien-Menn, petit village situé à la frontière du Leaotong : là, les autorités des deux pays limitrophes passent en revue et inscrivent avec soin tous les arrivants, afin de pouvoir s’assurer, à la fin de la foire, que chacun est rentré dans son pays respectif. Dix jours sont accordés pour les transactions commerciales du semestre, après quoi, la frontière est de nouveau fermée, et toutes relations entre les deux peuples sont sévèrement interdites.

Les échanges avec le Japon ont lieu à la septième lune, c’est-à-dire vers la fin du mois d’août, et se distinguent des précédentes en ce que ce sont les Japonais qui viennent apporter en Corée leurs marchandises, et y acheter les jeunes pousses de corne de cerf dont nous avons parlé plus haut.

C’est donc en suivant une politique entièrement opposée à la politique européenne, que le gouvernement de Corée cherche à tenir le peuple dans la soumission. Chez nous, c’est la richesse, l’instruction et la liberté de la nation qui font la force du gouvernement : en Corée, au contraire, c’est sur la pauvreté, l’ignorance et l’asservissement du peuple que le pouvoir s’appuie. Il est vrai de dire, cependant, que, malgré ses tyranniques efforts, malgré même le puissant soutien qu’il trouve dans le corps aristocratique, le gouvernement coréen ne jouit d’aucune force réelle, et qu’il faudrait très-peu de chose pour le renverser. Obligée, pour sa propre conservation, de s’entourer du petit nombre de troupes qu’elle a à sa solde, l’autorité n’a ni le pouvoir, ni la volonté d’exercer une police salutaire et de fournir aux habitants des campagnes la sécurité si nécessaire aux travaux agricoles. Il résulte de là que le pays est infesté de brigands organisés en bandes nombreuses, bien supérieures en force aux villages sans garnison, et qui sont même capables de lutter avantageusement avec la milice, si elle osait les affronter en rase campagne. Ces bandes de voleurs parcoururent le pays à l’époque où le laboureur recueille le fruit de ses travaux : elles pillent tout ce qui leur convient, ravagent ce qu’elles ne peuvent pas emporter, et mettent souvent le feu aux hameaux qu’elles ont dévastés. Le paysan sait qu’il est pour le moins inutile d’opposer une résistance quelconque, aussi n’est-ce pas en se défendant qu’il cherche à se soustraire à cette calamité ; c’est en se retirant le plus tôt possible avec sa famille et son bien dans les villes fortifiées où se tiennent les mandarins et les soldats. Les fortifications de ces villes consistent en un mur continu, haut de 8 à 10 mètres, et garni de nombreux créneaux. Du côté intérieur, un talus de terre en pente douce sert non-seulement de soutien au mur d’enceinte, mais aussi de montée facile aux soldats et aux habitants chargés de défendre la place. En cas d’attaque, les sentinelles donnent le signal d’alarme par un certain nombre de coups de gong ou tam-tam, et aussitôt tout le monde accourt sur les remparts, les uns armés de mousquetons, les autres d’arcs et de flèches, de pierres ou d’autres projectiles plus redoutés que redoutables. On conçoit facilement combien l’agriculture doit souffrir de l’état de crainte continuelle où se trouve le laboureur pendant qu’il habite les champs, et plus encore de l’absence qu’il est obligé de faire à l’époque des brigandages. Ce que l’on aura de la peine à concevoir, c’est que les Coréens n’ouvrent pas les yeux sur leurs propres intérêts, et ne secouent pas le joug d’un gouvernement en décadence qui sait bien les opprimer, mais nullement les défendre contre leurs ennemis.

Si nous en croyons les histoires publiées dans le pays, la Corée était, au xviie siècle, un des royaumes les plus florissants de l’Asie orientale ; et il faut, en effet, qu’elle ait eu dans ce temps-là une administration bien plus sage et une force militaire bien plus redoutable, pour avoir battu tour à tour les Chinois et les Japonais qui ont cherché à l’envahir. Ces derniers ont été contraints, en évacuant la Corée, à signer un traité en vertu duquel ils doivent fournir à perpétuité 300 hommes en otage. Le traité a été mis à exécution, et, à présent encore, le gouvernement coréen fait scrupuleusement remplacer ceux des otages qui viennent à mourir.

La guerre que les Coréens eurent à soutenir contre la Chine a été causée par le refus qu’ils firent de se raser la tête et d’adopter le costume introduit dans ce vaste empire par la dynastie tartare qui règne aujourd’hui. Leur ancien costume, le même qu’ils portent encore à présent, se ressent beaucoup de la simplicité de leurs mœurs, ou, pour mieux dire, de l’état d’enfance dans lequel sont presque tous les arts en Corée, ceux même qui ont le plus de rapport avec les premiers besoins de l’homme. Imitateurs des Chinois dans quelques points de leur toilette, les Coréens ne portent aussi pendant les chaleurs qu’un seul habit, servant tout à la fois d’habit de dessus et de dessous. La forme de cet habit est à peu près celle de nos chemises d’homme, si ce n’est que, sur le devant, il est ouvert du haut en bas, et d’une ampleur suffisante pour qu’on puisse le croiser en guise de fichu, et l’attacher au moyen d’un cordon sous le bras gauche. Pour nous, qui voyons chaque jour notre costume se modifier sous l’empire de la mode, cet inexorable tyran de la société civilisée, il paraîtra insignifiant de remarquer de quel côté on croise l’habit ; mais pour les peuples de l’Asie orientale, c’est un trait caractéristique par lequel ils se distinguent, et qu’il est d’autant plus important de signaler en ethnographie, qu’on peut s’en servir comme d’un jalon fort sûr dans les recherches sur l’origine et les affinités des différentes branches de la race mongole.

Nous voyons, en effet, que, sous la dynastie Tsi, les Chinois désignaient les barbares qui erraient au nord-ouest de l’empire par la singulière périphrase de peuples qui boutonnent leur habit sous le bras gauche, par opposition à la coutume où étaient dès lors tous les habitants de la Chine proprement dite de se boutonner à droite. Cette circonstance, jointe à plusieurs autres dont il sera question plus tard, me paraît de nature à prouver que la Corée, et probablement aussi le Japon, ont été peuplés par des colonies mongoles, venues des steppes de l’Asie centrale, je veux dire du grand plateau compris entre les deux immenses chaînes de l’Altaï et de l’Hymalaya.

Pour en revenir au costume coréen, l’espèce de chemise dont nous avons parlé, dans les circonstances ordinaires de la vie, ne descend que jusqu’aux genoux ; elle a des manches étroites, et ne dépassant pas la longueur du bras ; mais dans les visites et aux cérémonies civiles ou religieuses, on la porte beaucoup plus longue et plus simple. C’est alors une vraie toge dont les pans descendent jusqu’aux pieds, et dont les manches excessivement larges ont une fois et demie la longueur du bras. L’habit de cérémonie que les Chinois portent pendant l’été ressemblerait assez à la toge coréenne, s’il était muni, comme celle-ci, d’un collet droit qui protège le cou. Des pantalons fort larges, n’offrant sur le devant ni pont, ni ouverture quelconque, forment la seconde partie du costume coréen. On les maintient autour des reins au moyen d’une ceinture aisée à défaire, et, à mi-jambe, on les fait entrer dans les bas, afin qu’ils ne gênent pas la marche. Les bas sont en toile et assez semblables aux bas chinois ; mais, ils ont cela de particulier, que la couture se trouve juste au-dessous de la plante des pieds, de manière à écorcher les pieds des personnes non habituées à ce genre de chaussure. Dans les premiers temps qu’il était en Corée, un missionnaire catholique a été incommodé par cette singulière sorte de bas, au point de ne pouvoir pas marcher pendant plusieurs jours. La forme que nous donnons fort mal à propos aux souliers chinois dans nos gravures est exactement celle des souliers coréens. La partie antérieure est terminée par une pointe relevée, fortifiée en dedans par un morceau de bois, de manière à ce que, dans l’occasion, ces souliers poissent servir d’armes défensives. Les gens de la classe noble, qui ne daignent pas descendre à ce genre de combat, ont la pointe de leurs souliers moins élevée et moins aiguë. Quelle que soit cependant la forme qu’on est convenu de leur donner, les souliers coréens ne sont pas en étoffe comme les souliers chinois, mais bien en cuir comme les nôtres, ou, pour mieux dire, comme les souliers indiens, avec lesquels ils ont plus de rapport. Le cuir dont on les fait est mal tanné, blanchâtre, mou et comme spongieux ; aussi s’imbibe-t-il d’eau très-facilement et ne garantirait aucunement de l’humidité, si, dans les temps pluvieux, les Coréens n’avaient le soin de porter des sabots échasses qui les élèvent d’un pied au-dessus du sol. Les femmes et les enfants portent des souliers en couleur, ou chamarrés de quelque ornement en couleurs vives. Tous les hommes portent les souliers ainsi que les habits entièrement blancs. Et en vérité, j’ignore s’il y a une autre nation au monde où l’on voie une aussi grande uniformité dans la couleur du costume. Les enfants et les femmes peuvent bien porter des habits rouges, bleus, verts, etc. ; mais les hommes sont tous habillés de blanc, quelle que soit la caste à laquelle ils appartiennent.

Pour se garantir du froid excessif de leurs hivers, les Coréens mettent habits sur habits sans songer à adopter une matière et une forme plus propres à concentrer la chaleur. Ils ne se servent pas de fourrures, soit parce qu’ils ne savent pas les préparer, soit parce qu’ils préfèrent les vendre aux Chinois, qui les leur achètent à de très-bons prix. Les tissus généralement en usage dans le pays sont en lin et en chanvre de différentes espèces : il y a peu de personnes qui portent du coton, encore moins de la soie.

Ainsi que nous l’avons dit plus haut, les Coréens ont mieux aimé courir les chances d’une guerre désastreuse que de se raser les cheveux à la manière tartaro-chinoise. À leurs yeux, une longue et épaisse chevelure est un des plus beaux ornements de l’homme aussi bien que de la femme ; et, sous ce rapport, la nature les a favorisés, car ils ont les cheveux plus fournis peut-être et plus noirs qu’aucun autre peuple d’Asie. Malheureusement le défaut de propreté en fait un foyer de vermine abondante, qui des cheveux passe aux habits et s’y multiplie dans une progression effrayante. Pauvre ou riche, le Coréen n’est jamais exempt de cette dégoûtante compagnie, dont, du reste, il ne cherche presque pas à se débarrasser : il se contente de passer ses habits sur le feu tous les deux ou trois jours pour faire périr l’excédant de leur population, sans s’occuper de la graine qui doit renouveler bientôt la génération détruite. Quelques physiologistes ont pensé que, si la vermine est si générale chez les peuples asiatiques, cela tient à la nature de leur peau et des excrétions cutanées qui, chez eux, semblent offrir des caractères particuliers. Pour moi, je crois que la malpropreté en est la seule cause, car les Européens qui, allant dans l’intérieur de l’empire, sont obligés d’adopter le costume et les habitudes chinoises, ne tardent pas à être envahis aussi par ces horribles parasites. Et sans aller si loin, ne verrait-on pas la même chose en Europe, si on y portait la même chemise plusieurs semaines ou plusieurs mois, comme cela se voit fréquemment en Chine et en Corée.

Parmi les traits qui caractérisent les peuples de l’Asie orientale, je veux dire les peuples appartenant à la race sino-mongole, il n’en est peut-être pas de plus saillant et de moins remarqué jusqu’à ce jour que l’absence du génie architectural, ainsi que du penchant à élever des édifices durables et grandioses. Ce besoin, si puissant chez toutes les autres nations, tant anciennes que modernes, d’élever à grands frais des monuments impérissables et des maisons solides, élégantes et commodes, est tout à fait inconnu aux Chinois, aux Annamites, aux Japonais et aux Coréens particulièrement.

En entrant pour la première fois dans une ville coréenne, on est tenté de demander où sont les maisons ; en effet, les rues sont formées par des murs en pisé ou en bambou assez élevés, qui dérobent entièrement la vue des habitations particulières auxquelles ils servent d’enceinte. Chaque famille a son enclos particulier qui, la séparant entièrement de ses voisins, lui permet de goûter les douceurs de la solitude au centre même de la ville. En pénétrant dans ces enclos, on trouve invariablement une cour ou aire plus ou moins vaste, dont le milieu est occupé par la maison du propriétaire, et les côtés sont encombrés de bois à brûler, de meules de grains, d’instruments aratoires, de cabanes pour les animaux domestiques, etc.

La maison est toujours construite avec la plus grande simplicité : quatre murs de 8 à 10 pieds de hauteur, sur lesquels s’élève un toit en chaume à 45° d’inclinaison ; voilà l’extérieur. L’intérieur se compose d’une seule pièce sans plafond, dans laquelle les pauvres établissent un compartiment avec des nattes lorsqu’ils ont quelque malade à isoler. Les riches multiplient les pièces en construisant plusieurs maisons adossées de manière que l’on puisse aller de l’une dans l’autre sans quitter l’abri du toit.

Entre le plancher et le sol on laisse, dans toute la largeur de la maison, et sur une hauteur d’environ 2 pieds, un espace vide formant une espèce de four destiné à chauffer l’appartement pendant les rigueurs de l’hiver. Sur un des côtés de la maison, une ouverture semi-circulaire aboutit dans cette cavité : c’est par là que pénètre la chaleur pendant qu’on y fait la cuisine. Du côté opposé, un petit soupirail, ménagé près de terre, donne issue à la fumée. Sur le devant de la maison, un prolongement du toit, soutenu par quelques piliers, forme une espèce de porche ou d’abri, sous lequel on peut prendre l’air dans les temps pluvieux. Comme il n’y a pas de marches intermédiaires et que la porte d’entrée est de niveau avec le plancher, c’est-à-dire à 2 pieds au-dessus du sol, on est obligé de lever le pied assez haut pour entrer dans la maison. C’est sans doute à cause du raccourcissement du corps produit par ce mouvement que l’ouverture de la porte n’a pas la hauteur d’un homme.

L’ameublement des maisons coréennes est de la plus grande modestie : une ou plusieurs malles pour serrer les habits, un rayon pour mettre des livres, une petite table sur laquelle on mange, voilà à peu près tout le mobilier : il n’y a ni lit ni chaise : le Coréen s’assied par terre, en croisant les jambes à la mode des tailleurs ; il couche également par terre, en été, pour être plus au frais, et en hiver, afin de mieux concentrer sous ses couvertures la chaleur communiquée au plancher par le four dont nous avons parlé plus haut. Malgré leur simplicité, disons mieux, leur pauvreté, les maisons coréennes respirent à l’intérieur un certain air de propreté dont manquent bien souvent les maisons chinoises. Les murs sont tapissés de papier blanc que l’on renouvelle aussitôt qu’il est terni. Le plancher est couvert de nattes, dans toute la largeur de l’appartement, et on se souvient que les nattes coréennes sont d’une beauté remarquable. Dans la crainte de salir l’intérieur de la maison, on a soin de quitter ses souliers avant d’entrer, et de venir à la porte toutes les fois qu’on a besoin de cracher ou de se moucher.

À la grandeur des dimensions, et à la solidité près, toutes les maisons en Corée sont construites sur le plan que nous venons de décrire, sans en excepter les palais des grands du royaume et celui du roi lui-même. Comme en Chine, on y a l’habitude de ne pas construire d’étages au dessus du rez-de-chaussée, dans la persuasion qu’à une certaine élévation du sol l’air est très-malsain. Je ne sache pas qu’en Europe on ait remarqué une différence de salubrité en faveur des étages inférieurs. Il se pourrait cependant que la pesanteur spécifique de certaines émanations propres au sol de la Chine et de la Corée justifiât l’opinion admise de temps immémorial par les trois ou quatre cent millions d’individus qui habitent ces vastes pays.

Comme dans toutes les autres contrées de l’Asie, le riz fait en Corée la base de la nourriture : mais, avec cette différence, qu’au lieu de le faire cuire à la vapeur et de le manger presque sec, comme cela se fait en Chine et dans l’Inde, les Coréens le font bouillir dans une grande quantité d’eau que l’on garde pour boire pendant le repas. Les mets qui accompagnent ce pain asiatique se composent, suivant les fortunes, de viande de porc, de chien, de bœuf, de poules, de pigeons, de canards, d’oies, de poissons, de rats et de légumes : parmi ces derniers on compte la moutarde blanche ou pe-tsaï des Chinois, les choux-fleurs, de gros navets que l’on fait macérer dans de la saumure, des piments et plusieurs espèces de légumineuses.

Quant au mode de préparation de ces différentes substances, les Chinois et les Coréens sont tout à fait en opposition de principes avec nous. Il est généralement admis en Europe que la viande bouillie, ayant abandonné à l’eau la plus grande partie de son osmazôme, est bien moins substantielle et moins facile à digérer que la viande convenablement rôtie, qui a conservé tous ses principes nutritifs. En Chine, au contraire, ainsi qu’en Corée, on croit, d’après l’autorité fort respectable, sans doute, mais peu hygiénique, de Confucius, que la viande rôtie est très-malsaine. Cette opinion, envisagée sous certains rapports, et surtout chez des peuples d’un tempérament différent, peut cependant être vraie et admissible.

Quoi qu’il en soit, la cuisine coréenne fait tout bouillir, sauf ensuite à rehausser le goût, naturellement insipide, de semblables préparations, au moyen de sauces particulières au pays, parmi lesquelles nous citerons la plus usitée et la seule connue en Europe, le soya. Ce condiment, dont l’usage a de la peine à se répandre dans nos pays par la persuasion où sont les gens crédules qu’il est préparé avec des blattes, se fabrique en grandes quantités avec de la fécule de dolichos, cuite à un certain degré, et soumise à la fermentation. On lui reconnaît des propriétés stimulantes dont les estomacs indolents se trouvent bien. Les Coréens ne sont pas seuls à en faire usage : le soya figure sur la table de tous les peuples d’Asie, depuis le détroit de Bab-el-Mandeb jusqu’au pays qui nous occupe.

Ce n’est pas la coutume en Corée que plusieurs personnes mangent à la même table : chacun s’assied par terre, les jambes croisées, devant une petite table d’un pied de haut, dressée exclusivement pour lui, sur laquelle sont placés les mets, une tasse pour boire, une cuiller et une paire de bâtonnets. Les bâtonnets servent à saisir la viande et les légumes qui ont été probablement coupés en petits morceaux ; on se sert de la cuiller pour manger le riz, ce qui est beaucoup plus propre que de porter l’écuelle à la bouche et d’en humer le riz à la mode chinoise. J’aime bien mieux aussi assister au repas solitaire du Coréen qu’aux repas animés des Chinois, où vingt personnes puisent dans le plat commun avec des bâtonnets qu’ils ont mis cent fois dans leur bouche.

Nous avons déjà dit que pendant le repas les Coréens boivent abondamment de l’eau, dans laquelle on a fait bouillir le riz. Une fois le repas terminé, ils se mettent à boire du vin du pays, c’est-à-dire de l’eau-de-vie de riz ; car le vin de raisin est une boisson fort chère dont les personnes opulentes peuvent seules se permettre l’usage journalier. Ce n’est aussi que chez les riches que l’on voit servir du thé. Les hivers de Corée étant trop rigoureux pour la culture du précieux arbrisseau qui fait la richesse du commerce chinois, on tire de Chine la petite quantité nécessaire à la consommation du pays.

Le menu peuple est très-friand de pâtisseries, si toutefois on peut donner ce nom à certains gâteaux compactes faits avec du miel, du maïs, ou du millet que l’on vend dans les rues, et dont le moindre défaut est d’être extrêmement indigestes.

Sous le climat de Corée presque tous les fruits d’Europe réussissent à merveille, et semblent être originaires du pays. Les pommes, les poires, les pêches, les abricots, les prunes, les cerises, les fraises, le raisin et les autres fruits des pays tempérés y sont excellents, malgré le peu de soin que prennent les indigènes pour l’amélioration des espèces : les multiplications se font par semis, rarement par boutures ou par marcottes : la greffe est tout à fait inconnue.

Les sombres et épaisses forêts qui recouvrent les trois quarts du sol coréen se composent en grande partie de conifères, dont le bois tendre et léger est employé de préférence dans la menuiserie. On y trouve aussi le chêne, l’orme, le micocoulier, le châtaignier sauvage, et d’autres arbres fort remarquables dont la connaissance intéresserait vivement la botanique. Malheureusement ces forêts sont très-dangereuses à parcourir à cause des animaux féroces sans nombre qui les habitent.

En première ligne se présente le tigre avec toute la férocité qu’on lui connaît. Roi des jungles touffus dont aucun ennemi ne lui dispute la suprématie, il y décime à son gré les troupeaux de cerfs et de gazelles ; quand ceux-ci viennent à lui manquer, il approche des habitations pendant la nuit, et enlève le malheureux attardé qu’il trouve hors de sa maison.

Les ours et les loups sont aussi très-nombreux, mais ils ne sont pas aussi redoutés que le tigre, ni aussi poursuivis que le sanglier. Cet animal, qu’on a tort d’appeler féroce, puisqu’il ne se montre tel que lorsqu’il est attaqué, cause de très-grands dégâts aux moissons, et s’attire ainsi une chasse très-active de la part des Coréens. Dès qu’ils ont découvert la piste d’un sanglier, les Coréens se réunissent au nombre de cinquante ou de soixante, et armés de longues lances, ils environnent le fourré du bois où l’animal s’est réfugié. Au signal convenu, tous les chasseurs s’avancent, le cercle se resserre, et bientôt des cris de joie ou de douleur apprennent aux plus éloignés que le redoutable pachiderme a succombé sous les coups, ou bien qu’il a éventré quelque chasseur inhabile placé sur son passage. Je suis porté à croire que le sanglier coréen forme une espèce différente du nôtre, caractérisée par des dimensions beaucoup plus volumineuses et des défenses plus longues et légèrement arquées. Sa chair est excellente et partant très-recherchée par les riches.

On trouve aussi en Corée des lièvres, différentes espèces de faisans, des cailles, des tourterelles, des canards sauvages et quelques autres espèces de gibier. Plusieurs de ces oiseaux sont attrapés au piège, mais la plupart sont chassés au faucon. Les Coréens sont peut-être plus avancés dans ce dernier genre de chasse que ne l’étaient nos seigneurs du moyen âge, car ils dressent le faucon, non-seulement à saisir et à rapporter le menu gibier, mais aussi à attaquer les grands animaux féroces et à rendre leur capture aussi facile qu’exempte de danger. Pour parvenir à ce but, ils le nourrissent pendant quelque temps d’yeux de quadrupèdes, puis ils l’habituent peu à peu à aller prendre lui-même sa nourriture sur la tête des animaux qu’on destine à la boucherie. Le faucon devient tellement friand de ce genre de curée, qu’une fois à la chasse, il se précipite comme la foudre sur les animaux féroces qu’il peut apercevoir, sur le tigre de préférence, il se cramponne sur leur tête, et ne les quitte pas avant de leur avoir arraché les yeux.

La classe des reptiles compte en Corée un très-grand nombre de représentants assez dangereux, ce qui est une conséquence naturelle de l’état de friche dans lequel le trouve le pays. On remarque une espèce de serpent gigantesque qui a souvent 20 ou 25 pieds de long, et qui ne peut appartenir qu’au genre boa. Elle était, dit-on, très-commune autrefois, mais elle disparaît insensiblement par suite de la guerre acharné que lui livre la pharmacie coréenne. Suivant les théories médicales reçues dans le pays, la substance cérébrale de ce grand reptile a le pouvoir de rappeler les malades à la vie et à la santé, quelque désespéré que soit leur état. On conçoit, d’après cette croyance, à quel prix une semblable panacée doit se vendre, et avec quelle ardeur on doit la rechercher. Cependant, autant le Coréen est avide de rencontrer quelqu’un de ces boas si appréciés en médecine, autant craint-il la rencontre du trigonocéphale ou celle d’un petit serpent fort commun dans les moissons, et dont la morsure cause la mort en moins d’une demi-heure.

Lorsqu’un de ces terribles accidents a lieu, on scarifie immédiatement la plaie et on y applique une substance dure et rouge, dont la composition m’est inconnue, ou bien encore une fève de Saint-Ignace dont on fait boire en même temps une très-légère infusion. Il paraît que ces deux substances ont le pouvoir d’absorber ou de neutraliser le venin ; car il est de fait que, sous leur influence, les personnes mordues par les serpents les plus venimeux ne tardent pas à se rétablir.

Tout ce que les Coréens savent en médecine, ils l’ont appris des Chinois, leurs voisins et leurs maîtres. C’est dans les innombrables ouvrages de médecine publiés en Chine que les Coréens à l’orient, et les Annamites à l’occident, puisent les notions qu’ils ont sur l’art de guérir. La science médicale est, par conséquent, aussi arriérée dans ces deux royaumes que dans l’empire soi-disant céleste. Idées complètement fausses sur l’anatomie et sur les fonctions physiologiques des organes ; opiniâtreté à faire le diagnostic des maladies uniquement par le pouls sans interroger le malade ; ignorance profonde sur la nature intrinsèque et l’action des médicaments ; traitement complexe et simultané de vingt affections diverses, dont chaque maladie est supposée être le résultat, voilà la faculté avec tous ses attributs ; ses prérogatives consistent en Corée, comme partout ailleurs, à pouvoir tuer impunément.

Les Chinois, comme on le sait, ne pratiquent point la chirurgie ; ils se contentent, dans des cas urgents, de faire des frictions ou des scarifications, d’appliquer des ventouses, des moxas, quelquefois même des sangsues. En cela, ils ne sont pas imités par les Coréens, chez lesquels on voit faire des opérations chirurgicales d’une grande hardiesse, telles, par exemple, que la ponction du thorax ou de l’abdomen dans les cas d’épanchements pleurétiques ou hydropisiques. Ces opérations, repoussées, je crois, par la plupart des docteurs européens, sont souvent couronnées de succès. J’ai connu un jeune homme, jouissant alors d’une parfaite santé, qui avait été poncturé quelques années auparavant, un peu au-dessous et à côté du sternum.

Outre la science médicale, qui est principalement reléguée dans la deuxième caste, on cultive chez les grands les différentes connaissances requises en Chine pour le grade de docteur, telles que l’histoire, la statistique, la philosophie, la législation, etc. Si on s’en tenait aux dispositions de la loi, personne ne devrait être promu à la magistrature avant d’avoir fait preuve de son savoir sur ces matières. Mais, hélas ! quel est le pays où la loi est inexorablement appliquée sans acception de personnes ? À peine la France, après tant de siècles d’abus et tant de luttes, peut-elle répondre : « C’est moi ! » Comment la Corée, cette contrée placée si loin du foyer civilisateur, pourrait-elle conserver la force et la pureté de ses institutions ? Et, en vérité, il est très-fâcheux que la science n’y reçoive pas plus d’encouragements de la part de l’autorité, car le Coréen est, de sa nature, intelligent, avide de savoir, et persévérant au travail : pour peu qu’on excitât son émulation, on verrait bientôt la sphère de ses idées s’agrandir, sa pusillanimité disparaître et faire place à des sentiments élevés, dont jusqu’à présent il n’a pas même connu le nom.

La nature humaine est vicieuse partout, elle l’est en Corée ; on croirait cependant que les mêmes causes qui empêchent le développement de l’intelligence empêchent aussi l’accroissement du vice, car on y voit peu de ces grands désordres et de ces crimes affreux dont les pays les plus civilisés nous offrent de si fréquents exemples. L’ivrognerie est presque le seul vice inhérent au pays, mais il y est généralement répandu, et d’autant plus enraciné, que le gouvernement ne cherche en aucune manière à y apporter remède. Il est rare qu’on sorte dans la rue sans rencontrer quelques individus pris de vin. La Chinois ont au moins cet avantage sur les habitants de la Corée, que, si quelquefois ils se souviennent de finire tristitiam vitœque labores molli mero[2], ils ont soin de le faire dans l’intérieur de leurs maisons, et de ne sortir qu’après avoir bien cuvé le san-chou avec lequel ils se sont enivrés.

Le vol, le mensonge, la dissolution des mœurs sont des vices caractéristiques propres à toute la race mongole, et, par conséquent, aussi aux Coréens, quoique cependant ils ne s’en montrent pas aussi esclaves que les nations environnantes.

Arrivons à un fait extrêmement important, dont la découverte pourra peut-être faire époque dans la science ethnographique : disons quelques mots du langage coréen. La nature de cet idiome doit exciter d’autant plus la curiosité et les investigations des savants qu’il forme à mon avis, le chaînon si longtemps et si inutilement recherché, par lequel la race chinoise se rattache aux races indiennes. À défaut de monuments historiques qui pussent nous éclairer sur l’origine des peuples formant à eux seuls le tiers du genre humain, et le plus vaste comme le plus ancien empire du monde, on a été naturellement porté à analyser la langue la plus répandue parmi ces peuples, je veux dire la langue chinoise, considérée à juste titre comme la langue mère de l’Asie orientale. On a d’abord analysé les mots, puis la grammaire, puis les caractères, et comme il n’a pas été possible d’y découvrir des éléments puisés à l’étranger, on a conclu que la grande famille sino-mongole formait dans le genre humain une branche à part, qui, suivant l’expression d’un naturaliste plus spirituel que savant, devait avoir eu son Adam particulier distinct de celui des autres nations.

Or, les points de contact que l’on a raisonnablement, mais inutilement, cherchés dans la langue chinoise, se trouvent, à n’en pas douter, dans la langue coréenne. Je n’entreprendrai pas, dans cette courte notice, de développer les arguments inébranlables qui, pour moi, placent une aussi importante proposition au rang des théorèmes : ce sera le sujet d’un travail spécial que je publierai sous peu, avec une grammaire et un dictionnaire coréen. Je me bornerai, pour le moment, à quelques notions générales propres à donner une idée suffisante de ce curieux idiome, et à mettre les savants sur la voie des recherches.

1o La langue coréenne est polysyllabique, c’est-à-dire que les mots dont elle se compose sont souvent formés de plusieurs syllabes, et quelquefois d’un bon nombre.

2o Presque tous les mots de la langue coréenne ont une racine dérivée du chinois ; mais, comme les mots chinois sont toujours monosyllabiques, les syllabes additionnelles des mots coréens sont empruntées d’autres langues, offrant les mêmes caractères de polysyllabisme.

3o Les expressions coréennes contiennent donc deux éléments également importants, que nous pourrions, en quelque sorte, appeler la matière et la forme.

Le premier, l’élément radical, consistant en une syllabe d’origine chinoise, exempte d’inflexion, fournit l’idée première attachée au mot.

Le second, l’élément modifiant, consistant en une ou plusieurs syllabes, ajoutées à la syllabe radicale et sujettes à variation, est destiné à donner à l’idée générale les différentes modifications dont elle est susceptible.

Cet élément, analogue aux affixes de certaines langues orientales, ou, mieux encore, aux finales variables des mots latins, est indubitablement emprunté à une langue aussi différente du chinois par son génie que par sa richesse.

4o Au moyen des syllabes modifiantes, placées avant ou après la syllabe radicale, le Coréen possède des déclinaisons, des conjugaisons, et en général toutes les catégories grammaticales qui donnent de la perfection à une langue en multipliant les idées.

5o Le mot chinois qui forme la racine du mot coréen n’appartient souvent plus à l’époque actuelle, c’est-à-dire qu’il est passé du style vulgaire au style sublime des Chinois modernes, ou bien qu’il est tombé en désuétude, et ne figure plus que dans les livres anciens. Ce fait est, à mon avis, de la plus haute importance en ethnographie, d’abord parce qu’il vient à l’appui de ce que j’ai avancé dans mon Systema phoneticum, t. i, p. 75, relativement aux fluctuations de la langue chinoise. En second lieu, parce qu’il peut servir à fixer avec certitude l’origine de la nation coréenne. Il suffirait pour cela d’établir, d’après les anciens ouvrages chinois, à quelle époque la langue chinoise se présentait sous les formes mêlées dans l’idiome coréen. Cette tâche doit offrir, je l’avoue, bien des difficultés, mais je la crois d’autant moins impossible à remplir, que je me la suis proposée dans le cours des recherches relatives à mon Dictionnaire encyclopédique de la langue chinoise.

6o Suivant la caste de celui à qui on parle, le langage coréen revêt des formes différentes, soit dans le style, soit dans les mots. Un étranger qui n’aurait appris, par exemple, que le langage propre à la troisième caste ne comprendrait presque rien au langage de la première. Le chinois offre quelque chose d’analogue mais sur une échelle beaucoup moins étendue : je ne sache pas non plus qu’on trouve rien de semblable dans aucune autre langue vivante.

Maintenant, quels que soient les caractères d’après lesquels on jugera de l’affinité des idiomes en général, le coréen se présentera toujours comme tenant le milieu entre celui des Indes et celui de la Chine ; car, si on admet pour base d’affinité la ressemblance des formes grammaticales, l’élément radical est là, dans chaque mot, pour prouver que le coréen a aussi une immense affinité avec une langue entièrement différente de celle dont il a emprunté les formes grammaticales. Si, au contraire, nous admettons comme règle de parenté la ressemblance dans les mots, nous serons contraints d’avouer que la reconstruction des monosyllabes radicaux en mots polysyllabiques, le génie de la langue coréenne et la complication de sa grammaire sont des caractères importants qu’on ne saurait négliger et qui établissent des rapports intimes entre la langue coréenne et une autre langue totalement différente de celle dont elle a emprunté les éléments radicaux.

On doit conclure de tout ce qui précède, que la famille coréenne, quoique reléguée aux extrémités orientales de l’Asie, vient se placer, sous le rapport ethnographique, entre les deux plus anciennes races du monde, auxquelles elle semble donner la main, je veux dire entre la race indienne et la race chinoise.

Deux sortes d’écritures sont en usage en Corée : les caractères chinois et une espèce d’écriture particulière au pays, l’écriture coréenne proprement dite. En parlant des divers faits qui établissent une liaison complète entre la Corée, l’Inde et la Chine ; nous aurions pu citer aussi le système graphique usité de temps immémorial dans le pays qui nous occupe ; car il n’offre aucun rapport avec le système chinois, quoiqu’il soit destiné à représenter des mots d’origine évidemment chinoise. Dans l’esprit des Coréens, leur écriture est syllabique, c’est-à-dire que chaque signe exprime une syllabe entière : le nombre des signes graphiques, égal par conséquent à celui des syllabes qui peuvent se rencontrer dans le langage coréen, est d’environ deux cent cinquante. Ces éléments primitifs forment un syllabaire divisé en autant de classes qu’il y a d’initiales différentes, c’est-à-dire en quatorze classes ; et dans chacune de ces classes il y a autant de signes syllabiques qu’il peut y avoir de finales ajoutées au son initial. Prenons pour exemple la première division venue du syllabaire coréen :

Pa, pia, pe, pie, po, pio, pou, piou, pê, pî, pâ.

La raison de cette classe syllabique se trouve dans la lettre p, à laquelle on ajoute, suivant l’ordre adopté, les différentes voyelles qui se combinent avec cette consonne.

La première idée qui se présente à l’esprit, en jetant un coup d’œil sur ce système d’écriture, c’est qu’au lieu d’être syllabique, ainsi que les Coréens le supposent, il est purement et simplement alphabétique. En effet, chaque signe est formé de deux éléments, dont l’un, l’initial, se trouve dans tous les composés de sa classe, et l’autre, le final, se reproduit dans toutes les classes en combinaison avec chaque initiale. En séparant ces deux espèces d’éléments qui, après tout, ne sont autre chose que les consonnes et les voyelles, on obtient un alphabet fort simple composé de trente-deux lettres très-facile à apprendre.

Ce qui prouve clairement que les Coréens considèrent leur écriture comme syllabique, c’est qu’au lieu d’écrire l’un après l’autre les éléments vraiment alphabétiques dont elle se compose, ils accouplent ces mêmes éléments sur une ligne horizontale pour en former des syllabes complètes, qu’ils écrivent ensuite l’une sous l’autre, suivant une ligne verticale. Les lignes et les pages se suivent de droite à gauche comme dans les livres chinois. L’aspect général de l’écriture coréenne rappelle quelques écritures indiennes, notamment le devanagari ; il faut avouer cependant qu’elle n’offre de l’affinité réelle qu’avec l’écriture japonaise, à laquelle probablement elle a donné naissance. On pourrait y reconnaître aussi quelques éléments empruntés au chinois, si la différence essentielle des deux écritures n’ôtait à ces ressemblances graphiques toute l’importance qu’au premier abord elles sembleraient avoir.

On publie avec ce genre d’écriture un grand nombre d’ouvrages d’histoire et de médecine, des poésies, des romans, des livres de religion et de sorcellerie, dont le peuple seul est censé faire usage. Ceux qui aspirent au titre de savant vont puiser leurs connaissances dans les livres chinois, et regardent avec mépris ceux qui ne savent pas lire couramment l’écriture compliquée du céleste empire. On sait qu’il en est à peu près de même au Japon, en Cochinchine, au Camboge et jusque dans le royaume de Siam.

Malgré les grandes facilités que la nature alphabétique de l’écriture coréenne pourrait offrir pour l’impression des livres, au moyen de types mobiles, les Coréens se sont contentés, jusqu’à ce jour, du procédé stéréotypique, qu’ils ont emprunté des Chinois leurs voisins. Chaque page est gravée en entier sur une planchette en bois de cerisier ; on la soumet ensuite au tirage aussi longtemps qu’elle continue d’être lisible ; et enfin une fois usée, on la passe au rabot afin d’utiliser le bois pour la gravure de quelque autre ouvrage. Le procédé du tirage est de la dernière simplicité : l’ouvrier passe sur la planche, posé horizontalement devant lui, une brosse imprégnée d’encre, il applique immédiatement après une feuille de papier sans colle, et pressant légèrement sur le revers avec un tampon de linge, il obtient, sans aucun autre embarras, une épreuve claire et nette. Cette simplicité du matériel typographique permet de livrer toutes sortes de publications à des prix extrêmement modérés, et compense, jusqu’à un certain point, les avantages des caractères mobiles.

La religion bizarre qui, semblable à l’arbre des Banians, s’est enracinée partout où s’est étendu son ombrage, le bouddhisme est en Corée, comme en Chine, la religion de la majorité. Elle y a ses pagodes, ses bois sacrés, ses bonzes et ses cérémonies ; mais elle y est aussi beaucoup moins raisonnée que dans l’Inde, et entourée, plus que partout ailleurs, des superstitions les plus grossières. Combien de Coréens, pleins de sens pour toute autre chose, viennent vous affirmer, de conviction, que tel magicien leur a fait voir le diable ; que tel autre les a conduits promener dans l’enfer ; qu’il est de ces magiciens dont le pouvoir est assez étendu pour transporter soudain leurs clients jusqu’aux extrémités du monde ; que d’autres peuvent faire apparaître à volonté tous les rois de l’univers, ou telles personnes habitant les pays les plus lointains, etc., etc.

De croyances aussi ridicules résultent des pratiques superstitieuses sans nombre, que mettent à profit ceux dont le métier est d’engraisser aux dépens de la crédulité publique. Les bonzes, les sorciers, les astrologues, les tireurs d’horoscopes, les diseurs de bonne aventure, tous ceux enfin qui savent donner à leurs simagrées un air mystérieux ou surnaturel réussissent parfaitement auprès des Coréens. Il n’y a pas encore longtemps qu’ils réussissaient également auprès de peuples moins barbares !

Dès le xvie siècle, le christianisme a tenté de pénétrer en Corée par la voie du Japon, sans avoir obtenu des résultats dignes de fixer l’attention. Ces tentatives ont été renouvelées sous l’empereur Kang-Hi sans de plus grands succès.

Au commencement de ce siècle, un jeune Coréen ayant embrassé la religion chrétienne pendant son séjour à Pékin, où il était venu en ambassade, devint, pour ainsi dire, l’apôtre de son pays. À peine de retour en Corée, il commença à prêcher les dogmes qu’on lui avait appris en Chine, et en peu de jours il parvint à convertir un grand nombre de ses compatriotes. Chez un peuple ennemi de tout ce qui est étranger, une religion aussi nouvelle et aussi contraire aux passions devait rencontrer de grands obstacles et succomber dans la lutte. C’est ce qui eut lieu : l’autorité s’empara du néophyte prédicateur et de ses disciples ; elle les soumit aux tortures les plus cruelles pour leur arracher le désaveu de leur croyance, et les trouvant décidés à y persévérer, elle noya dans leur sang le germe de la religion naissante.

On suppose bien que l’Église catholique ne se donna pas pour battue. Convaincue, au contraire, que le sang des martyrs est une graine féconde de nouveaux chrétiens, elle songea à employer des moyens plus efficaces pour la culture de cette vigne presque détruite par la tempête, et rien ne parut mieux répondre à l’objet qu’on avait en vue que l’ardeur et la persévérance des missionnaires français. En conséquence, la Société des missions étrangères de la rue du Bac fut investie, en 1834, de l’administration spirituelle de la Corée, à la charge d’y entretenir un évêque et des prêtres en nombre suffisant. Quelque difficile et dangereuse que dût être cette entreprise, un évêque se présenta pour la commencer, et deux missionnaires s’offrirent pour compagnons de ses succès ou de ses revers. Ils partirent : mais au moment même de pénétrer dans sa nouvelle mission, et après avoir traversé la Chine et la Tartarie, au milieu de mille dangers, Mgr  Bruguières fut arrêté par une mort subite, dont la véritable cause est restée un secret jusqu’à ce jour. Les missionnaires continuèrent leur route, et ils parvinrent successivement à s’introduire en Corée, auprès de leurs néophytes.

Dès que la mort de l’évêque de Capse fut connue à Rome, on se hâta de lui donner pour successeur M. Imbert, qui se mit en route immédiatement, et fut assez heureux pour porter en Corée la première mitre épiscopale qu’on y eût vue. Mais, hélas ! le lugubre cyprès croît souvent à côté du laurier triomphal : les cris de pleurs sont trop fréquemment l’écho des ovations humaines ! À peine le gouvernement coréen eut-il connaissance de l’arrivée de plusieurs Européens dans le pays, qu’il en conçut, pour sa propre existence, des soupçons et des craintes d’autant plus fondées, que la guerre entre les Anglais et les Chinois était alors dans sa plus grande activité. On mit la police à la poursuite des nouveaux venus, ainsi que de ceux qui avaient embrassé leur doctrine, et au jour fixé, le fer du bourreau les mit tous au nombre des martyrs de la religion chrétienne. Cet événement, dont la nouvelle vient de nous parvenir (juillet 1843), a détruit toute espérance de voir le christianisme prendre racine en Corée dans les circonstances politiques présentes.

Plus tard, peut-être, un changement salutaire dans la forme du gouvernement permettra aux missionnaires de recommencer leurs efforts, et on peut donner comme certain qu’ils seront alors couronnés de succès.

Ainsi que je l’ai laissé entrevoir plus haut, le roi de Corée est tributaire de l’empereur de Chine, auquel il envoie des présents chaque année. Les ambassadeurs chargés de porter à Pékin cette reconnaissance de suzeraineté se mettent en route au commencement de la onzième lune, c’est-à-dire vers la fin de notre année, avec une suite de vingt-cinq à trente personnes. Bien que ce soient des gens d’une naissance et d’un rang élevé. Ils profitent néanmoins de leur voyage à la capitale de la Chine pour y commercer sur les articles d’exportation, qui offrent de grands bénéfices ; ce qui est, au reste, d’autant moins étonnant qu’un gouvernement européen même, le gouvernement hollandais, exploite régulièrement le commerce des îles de la Sonde !

L’empereur de Chine permet aux ambassadeurs coréens de se reposer à Pékin pendant un mois ; ce terme expiré, il les renvoie dans leur pays chargés, pour leur souverain, de présents plus riches que ceux qu’il en a reçus ! Il arrive parfois que Sa Majesté Impériale ajoute quelques remarques ou même des reproches sur l’administration du royaume tributaire, mais ce ne sont en général que des actes de pure forme, renouvelés de temps à autre, pour maintenir, au moins en apparence, le droit de suzeraineté.

En principe, la Corée, le Tonkin et la Cochinchine, le Camboge et Siam se reconnaissent comme tributaires de l’empereur de Chine ; mais toutes les fois que celui-ci a voulu faire peser matériellement sur eux quelques-unes des conséquences de cette sujétion, ils ont prouvé, les armes à la main, qu’ils voulaient être les maîtres chez eux. D’ailleurs, la constitution physique de la Chine s’oppose à ce qu’elle étende son pouvoir coercitif au delà des limites dans lesquelles se trouvent renfermées ses seize provinces. Elle ne peut avoir sur les royaumes voisins qu’une influence morale basée sur la grandeur de son territoire et l’antiquité de ses institutions.

Macao, 1er septembre 1843.

J.-M. Callery,
Interprète du consulat de France en Chine.

  1. Ce mémoire a été adressé par son auteur à M. le ministre de l’instruction publique.
  2. Horat., ad Munatium Plancum.