Mémoire sur la décomposition des sulfates par la chaleur

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MÉMOIRE

Sur la décomposition des sulfates par la chaleur.

Par M. Gay-Lussac.
Lu à la Société, le 11 avril 1807.


L’action du calorique sur les sulfates, dont je vais faire l’objet de ce mémoire, avoit paru jusqu’à présent parfaitement déterminée. On pensoit qu’en distillant un sulfate métallique on obtenoit de l’acide sulfurique, si l’oxide n’étoit pas susceptible d’un degré ultérieur d’oxidation, ou de l’acide sulfureux et de l’acide sulfurique s’il pouvoit s’oxider davantage. On pensoit aussi que tous les sulfates alcalins et terreux, avec excès d’acide, étoient ramenés à l’état neutre par l’action du calorique, ou entièrement décomposés, en ne donnant pour résultat que de l’acide sulfurique. Cette théorie n’est point l’expression de faits exactement observés ; mais elle avoit trop l’apparence de la simplicité pour laisser les chimistes dans le doute, et les engager, avant de l’admettre, à la vérifier par l’expérience. Je ne m’en serois sûrement pas occupé moi-même, si, pour expliquer ce qui a lieu dans la calcination de la mine d’alun de la Tolfa, je n’eusse distillé de l’alun, et reconnu qu’une grande partie de son acide se dégageoit en gaz oxigène et en gaz acide, sulfureux[1]. En réfléchissant depuis sur ce fait, j’ai pensé que les sulfates métalliques, qui ont beaucoup de rapports avec l’alun par leur acidité, éprouveroient peut-être une décomposition semblable. Guidé par cette analogie, je me suis livré à quelques expériences qui m’ont bientôt appris qu’on n’avoit pas eu des idées précise de l’action de la chaleur sur les sulfates. Les recherches que j’ai faites, et dans lesquelles j’ai été secondé avec beaucoup de zèle par M. Tordeux, sont loin cependant d’être complettes. Je n’ai pu leur consacrer que quelques momens, et ne pouvant à présent continuer à m’en occuper, je m’empresse, tout imparfaites qu’elles sont, de les présenter aux chimistes.

L’appareil dont on s’est servi pour la décomposition des sulfates consiste en une cornue de grès ou de verre lutée, communiquant, au moyen d’une allonge, à un récipient tubulé, duquel partoit un tube de Welter pour recueillir les gaz. Quand il n’a dû se dégager que très-peu d’acide sulfurique, ou quand on s’est servi de la cuve au mercure, on s’est contenté d’adapter directement à la cornue le tube de Welter.

Le premier sulfate qui a été ainsi soumis à l’action de la chaleur est le sulfate de cuivre. Il a d’abord passé de l’eau ; mais aussitôt que la cornue a commencé à rougir, il s’est élevé des vapeurs blanches d’acide sulfurique, qui étoient accompagnées d’un gaz nébuleux, sentant vivement l’açide sulfureux, et dans lequel une allumette s’enflammoit plusieurs fois de suite quand il avoit été lavé. Ce gaz étoit donc un mélange de gaz acide sulfureux et de gaz oxigène. À mesure que la distillation faisoit des progrès, il m’a paru que la quantité d’acide sulfurique diminuoit relativement à celle de gaz oxigène et de l’acide sulfureux, et que par conséquent, il échappoit moins d’acide à la décomposition qu’au commencement de l’opération. Quand il ne s’est plus rien dégagé, j’ai retiré la cornue. L’oxide n’avoit pas éprouvé de fusion, et il retenoit de l’acide ; ce qui prouve qu’à une température plus élevée le sulfate de cuivre eût été décomposé plus complettement. L’acide sulfureux et le gaz oxigène provenoient nécessairement de la décomposition immédiate de l’acide sulfurique. L’oxide de cuivre s’est dissous en effet dans l’acide nitrique sans effervescence, et on sait que dans la distillation de son sulfate il ne prend pas un degré plus élevé d’oxidation. Ces deux gaz étoient à-peu-près entre eux, en volume, comme 2 est à 1 : mais je reviendrai plus bas sur la détermination exacte de ce rapport et sur le mode de décomposition qu’éprouve l’acide sulfurique[2].

Quoique ce soit en distillant le sulfate de fer qu’on a préparé pendant longtems l’acide sulfurique, et qu’il ait été un objet continuel de recherches, on n’avoit pas fait attention à plusieurs circonstances que présente sa décomposition. On savoit, il est vrai, que l’acide sulfurique étoit toujours accompagné d’acide sulfureux ; mais comme le fer prend dans cette opération un plus haut degré d’oxidation, on supposoit que c’étoit lui qui, en décomposant l’acide sulfurique, donnoit naissance à tout l’acide sulfureux. M. Chaptal est, je crois, le premier qui ait remarqué qu’on obtenoit aussi un peu d’oxigène[3]. Le sulfate de fer éprouve en effet, par la chaleur, la même décomposition que le sulfate de cuivre. Les résultats n’en sont modifiés que par cette circonstance, que le métal pouvant prendre un plus haut degré d’oxidation, il se dégage, relativement, plus d’acide sulfureux que de gaz oxigène.

Les sulfates de manganèse et de zinc m’ont présenté exactement les mêmes phénomènes que le sulfate de cuivre. Je ne m’arrêterai donc pas à les décrire. J’observerai seulement qu’on peut préparer facilement le premier de ces sels en calcinant au rouge l’oxide noir de manganèse, car après cette calcination il se dissout très-bien dans l’acide sulfurique.

Quand on fait agir l’acide sulfurique concentré sur l’étain, l’antimoine et le bismuth, il se fait deux combinaisons. L’une qui est très-soluble, retient beaucoup d’acide et très-peu d’oxide ; l’autre, au contraire, est formée de beaucoup plus d’oxide que d’acide et a peu de solubilité.

Si on distille la première de ces combinaisons, l’acide sulfurique se volatilise comme s’il était seul ; mais si on distille la seconde, dans laquelle l’acide sulfurique est retenu avec plus de force, on obtient du gaz oxigène et du gaz sulfureux.

Les sels qui ont été examinés jusqu’à présent ont donné des produits différens suivant la force avec laquelle l’acide sulfurique s’y trouve combiné. Quand il est retenu foiblement, et qu’il n’a éprouvé aucune condensation, il se volatilise par la chaleur comme s’il étoit seul, sans se décomposer. S’il est retenu avec plus de force, une partie seulement échappe à la décomposition, et l’autre se change en gaz oxigène et en gaz acide sulfureux. Les sulfates insolubles, dans lesquels il n’y a aucun signe d’acidité, paroissant retenir l’acide avec beaucoup de force, il est essentiel de savoir quelle est l’action du calorique sur eux.

J’ai mis du sulfate d’argent dans une cornue de verre non lutée, et portant un tube pour recueillir les gaz. Quand elle a commencé à devenir rouge, le sel s’est fondu, mais il ne s’est pas décomposé. L’ayant retiré, je l’ai exposé dans une cornue de grès à un feu plus violent, et il s’est alors dégagé beaucoup de gaz oxigène mêlé d’acide sulfureux, comme M. Fourcroy l’a annoncé. Je n’ai point apperçu de vapeurs épaisses et blanches, comme dans les expériences précédentes, parce qu’il s’est dégagé très-peu d’acide sulfurique. L’opération terminée, j’ai trouvé dans la cornue de l’argent en culot parfaitement réduit. Ainsi, de même que les autres sulfates, celui d’argent se décompose par l’action du calorique ; mais il donne plus d’oxigène qu’eux ; d’une part, à cause de la réduction du métal, et de l’autre, parce qu’il ne laisse dégager que très-peu d’acide sulfurique.

J’ai ensuite préparé du sulfate de mercure en précipitant du nitrate de mercure peu oxidé avec du sulfate de soude. Le précipité lavé et séché a été exposé à la chaleur dans une cornue de verre non lutée. À peine celle-ci a-t-elle commencé à rougir que le sel est entré en fusion, et que bientôt il s’est décomposé. Il a passé très-peu d’acide sulfurique et il s’est sublimé du mercure avec un peu de sulfate. Les autres produits ont été de l’acide sulfureux et du gaz oxigène mélangés dans le rapport de 51,5 à 48,5. Quoique l’oxide de mercure demande pour se réduire une température plus élevée que l’oxide d’argent, le sulfate de mercure se décompose cependant plus facilement que celui d’argent. Cette différence peut dépendre sans doute en partie de l’affinité des métaux pour l’acide sulfurique, mais elle doit aussi tenir à la grande volatilité du mercure. En général il me paroît que l’affinité, la réduction plus ou moins facile des métaux et leur volatilité, doivent être regardées comme autant de causes qui peuvent modifier l’action du calorique sur leurs sulfates.

D’après une première expérience dans laquelle je n’avois pas employé une température suffisamment élevée, j’avois conclu que le sulfate de plomb ne se décomposoit pas par la chaleur. Mais en me servant d’un fourneau à réverbère, surmonté d’une cheminée, j’ai obtenu une décomposition, et j’ai recueilli beaucoup de gaz oxigène et d’acide sulfureux. Je n’ai pas apperçu de plomb réduit ni une quantité très-sensible d’acide sulfurique. Il seroit bien possible que la séparation de l’acide eût été déterminée par l’action de la cornue de grès ; car elle étoit recouverte intérieurement d’un vernis vitreux. Quoi qu’il en soit cependant, il est évident que le sulfate de plomb, qui est insoluble et sans excès d’acide, et dont la décomposition ne peut être favorisée ni par la facile réduction de l’oxide, ni par la volatilité du métal, est beaucoup plus difficilement décomposable par le feu que les sulfates acides et solubles. On pourroit donc conclure que les sulfates insolubles résistent plus à l’action du calorique que ceux qui sont solubles, et qu’ils laissent dégager beaucoup moins d’acide sulfurique. Mais pour que cette conclusion ait plus de généralité, il faut faire entrer en considération, la réduction plus ou moins facile des métaux et leur volatilité.

On a pu remarquer que les sulfates solubles ont donné plus d’acide sulfurique que ceux qui sont insolubles. Quand les premiers ont perdu une partie de leur acide, leur solubilité en est diminuée, l’acide restant est retenu avec plus de force, et ils doivent alors se rapprocher des seconds. On peut donc concevoir dans les sulfates métalliques deux portions d’acide ; l’une, qui est retenue foiblement, s’échappe sans éprouver la décomposition ; l’autre, qui est retenue plus fortement, supporte une température plus élevée, et se décompose en acide sulfureux et en gaz oxigène. Ces deux portions d’acide qu’on peut concevoir dans les sulfates varient pour chacun d’eux, et il paroît, toutes les autres circonstances étant d’ailleurs égales, que plus un sel est soluble et avec excès acide, plus on obtient d’acide sulfurique dans sa distillation. C’est à cause de cette propriété qu’on peut préparer de l’acide sulfurique, comme on le fuit en Allemagne, en distillant du sulfate de fer ou du sulfate de zinc. Les sulfates insolubles ne seroient nullement propres à cet objet.

La décomposition des sulfates par la chaleur peut nous conduire la connoissance de plusieurs phénomènes que présente le grillage des sulfures métalliques. Je savois que dans plusieurs fabriques on fait le sulfate de cuivre en grillant le sulfure dans des fourneaux à réverbère. À Goslard on prépare aussi du sulfate de zinc par un procédé semblable. J’ai essayé d’imiter cette opération en petit et j’ai parfaitement réussi. Répétée sur du sulfure de fer, et un mélange de soufre et d’oxide noir de manganèse, elle m’a encore donné des sulfates. La température à laquelle ces sulfures ont été grillés, est la chaleur rouge à peine visible. Si elle eût été beaucoup plus élevée, les sulfates auroient été détruits, ou ils n’auroient pu se former. Il est à remarquer cependant que, puisque la distillation des sulfates à une chaleur rouge ne les détruit pas complettement, le grillage fait à la même température doit produire cette partie qui ne seroit pas décomposée.

Puisque d’une part il se produit du sulfate dans le grillage d’un sulfure, et que de l’autre ce même sulfate peut se décomposer à une température plus élevée, il est évident que plus il résiste à l’action de la chaleur, plus il doit être facile de changer le sulfure en sulfate ; car l’échelle de température dans laquelle ce changement peut avoir lieu, est beaucoup plus étendue que s’il se décomposoit facilement. C’est aussi ce qui est conforme à l’expérience. M. Gueniveau[4] rapporte que dans le grillage du sulfure de plomb, il se produit beaucoup de sulfate très-difficile à décomposer. Il n’a pu lui-même y parvenir qu’en le calcinant avec de nouveau sulfure. Dans cette opération, le sulfure ajouté partage l’oxigène de l’acide sulfurique, et le soufre se dégage sous la forme de gaz acide sulfureux. Dans le grillage d’une mine en grand au fourneau de réverbère, pendant lequel les mêmes circonstances doivent se rencontrer, M. Gueniveau pense que la désulfuration se fait d’une manière semblable.

La formation de l’acide sulfurique dans le grillage des sulfures métalliques ne leur est point particulière ; elle a aussi lieu, et d’une manière bien plus marquée, dans le grillage des sulfures alcalins. J’ai fait du sulfure de potasse qui est resté liquide à une légère chaleur rouge pendant tout le tems qu’il n’a pas eu le contact de l’air ; mais aussitôt qu’il en a eu le libre accès il a commencé à s’épaissir. Peu de tems après il s’est pris en masse, parce qu’il s’étoit déja formé beaucoup de sulfate. Je l’ai retiré du feu pour le pulvériser, et je l’ai exposé de nouveau à l’action de la chaleur. En moins d’une heure il avoit perdu sa saveur sulfureuse, et ne précipitait l’acétate de plomb qu’en blanc. Les acides sulfurique et muriatique n’en ont rien dégagé. Le sulfure de barite, traité de même, m’a aussi donné du sulfate ; mais après trois heures de grillage à une chaleur rouge, il étoit encore sulfuré. J’ai essayé ces deux sulfures alcalins, et plusieurs sulfures métalliques à différentes époques du grillage, sans pouvoir en dégager jamais de l’acide sulfureux. Il faut par conséquent qu’ils passent immédiatement à l’état de sulfates.

On conçoit très-bien pourquoi les sulfures alcalins passent immédiatement dans le grillage à l’état de sulfates ; car M. Berthollet a fait voir (Mém. de l’Acad.) que le sulfite de potasse se change en sulfate à une chaleur rouge en présentant alors un excès de soufre et d’alcali. En traitant de même du sulfite de plomb, j’ai obtenu beaucoup d’acide sulfureux ; ce qui prouve que l’oxide de plomb a une action bien plus foible sur l’acide sulfurique que la potasse. Il est probable cependant qu’il se forme aussi du sulfate avec cet oxide, et si je ne puis l’affirmer, c’est parce que celui que j’ai trouvé dans le résidu pouvoit provenir de l’acide sulfurique que contenoit mon acide sulfureux.

Tous les sulfures métalliques ne sont pas cependant également propres à donner des sulfates par le grillage. Une condition nécessaire pour la formation de l’acide sulfurique, est qu’il puisse se combiner avec une base qui lui fasse éprouver une condensation suffisante. J’ai pris du sulfure d’étain dont le métal ne se combine que très-difficilement avec l’acide sulfurique, et je l’ai grillé pendant une heure à une chaleur rouge sans qu’il se soit produit autre chose que de l’acide sulfureux. De même, les sulfures d’antimoine et de bismuth après avoir été grillés ne m’ont présenté que des traces d’acide sulfurique. On se rappelle aussi que si on distille des sulfates de ces divers métaux, presque tout l’acide sulfurique se dégage à-peu-près comme s’il étoit seul. L’affinité du métal pour l’oxigène a aussi une influence. Quand on distille du sulfure d’argent dans une cornue de grès, à un grand feu, il ne se décompose pas ; mais si on le grille il se décompose avec la plus grande facilité ; il ne se dégage que de l’acide sulfureux, et l’argent ne s’oxide pas.

Voilà donc une circonstance importante, la condensation de l’acide, qui modifie les phénomènes que présentent les sulfures métalliques dans leur grillage. Quand les métaux ont la propriété de se combiner avec l’acide sulfurique, et de lui faire éprouver une certaine condensation, il se forme toujours des sulfates. Quand au contraire, ils ne peuvent se combiner que très-difficilement avec lui, il ne se forme que de l’acide sulfureux qui s’échappe, sa grande élasticité ne pouvant être vaincue par l’affinité des oxides métalliques.

On a vu que les sulfates métalliques, et particulièrement ceux qui sont acides et solubles dans l’eau, sont tous décomposés par la chaleur. Concluons donc de là que lorsque le grillage se fera à une température égale, et à plus fort raison supérieure à celle à laquelle les sulfates sont décomposés, il ne se produira pas d’acide sulfurique ; tout le soufre se dégagera en gaz acide sulfureux.

Outre cette manière de décomposer les sulfates métalliques par la chaleur, il en existe une autre plus commode en ce qu’elle exige une température moins élevée. C’est celle qu’a employée M. Gueniveau pour décomposer le sulfate de plomb en le distillant avec le sulfure du même métal. Je me suis assuré qu’en traitant de même des sulfates de fer et de cuivre, avec les sulfures respectifs de ces métaux, on n’obtenoit que de l’acide sulfureux ; ce qui prouve, 1°. que par ce moyen on peut séparer le soufre des sulfures et des sulfates métalliques ; 2°. que pour que cette séparation ait lieu, il n’est pas nécessaire d’employer une température aussi élevée que pour décomposer les sulfates.

Enfin en distillant un oxide métallique avec du soufre ou avec son sulfure, on obtient beaucoup d’acide sulfureux, et un peu de sulfate. Mais si la température est suffisamment élevée, il ne reste que du sulfure ou seulement de l’oxide, suivant les proportions qu’on a employées.

Maintenant que nous connoissons les diverses circonstances qui peuvent se présenter dans le grillage d’un sulfure, il est facile d’en présenter la théorie. Griller un sulfure, c’est en dernier résultat en séparer le soufre par l’action simultanée de l’air et de la chaleur. Les produits que l’on obtient varient en général suivant la température et le sulfure qu’on grille.

À une température rouge ordinaire, les sulfures dont les métaux ne se combinent que très-difficilement avec l’acide sulfurique, ne donnent presque que de l’acide sulfureux. Ceux au contraire, qui le condensent fortement, donnent encore à la vérité, de l’acide sulfureux, mais il se produit en même tems de l’acide sulfurique qui reste combiné avec les oxides. À une température très-élevée et supérieure à celle qui seroit nécessaire pour décomposer les sulfates, tous les sulfures ne donnent que de l’acide sulfureux. Une fois qu’il s’est formé du sulfate, il peut être décomposé ou par une action plus énergique du calorique, ou mieux encore par celles des parties du sulfure qui n’ont encore éprouvé aucun changement. Enfin quand d’autres portions ont perdu leur soufre et se sont oxidées, elles peuvent enlever du soufre à celles qui le conservent encore, et le changer en acide sulfureux.

Il est aussi très-facile de se rendre raison de ce qui se passe dans le grillage des phosphures métalliques, en faisant attention à la nature des produits qu’on peut obtenir. En chauffant ensemble, dans une cornue de verre, de l’étain et du phosphore, on obtient un phosphure qui, quand il est porté à une température un plus élevée, se fond en laissant dégager du phosphore qui vient brûler à sa surface, mais en en retenant une grande quantité. Ce dernier phosphure grillé à une température rouge, laisse dégager de tems en tems des jets de lumière : le métal s’oxide et le phosphore se change en acide phosphorique qui étant peu volatil se combine avec l’onde, et forme un verre transparent qui n’attire pas l’humidité de l’air. Ce verre étant plus léger que le phosphure reste à sa surface et le soustrait à l’action de l’air. Dans le grillage d’un arseniure, il se produit, comme on sait, beaucoup d’oxide blanc d’arsenic qui se sépare à cause de sa volatilité ; mais il est très-probable que dans plusieurs circonstances il se forme de l’acide arsenique qui reste en combinaison avec l’oxide, et que par conséquent la théorie du grillage des arseniures est analogue à celle des sulfures. Au reste, c’est un objet qui demande des recherches particulières.

L’analogie entre les sulfates acides à base d’alcali et les sulfates métalliques me paroissoit trop forte pour ne pas essayer s’ils éprouveroient une décomposition semblable par le feu. La plupart des sulfates neutres à base d’alcali, sont indécomposables au feu. Ainsi dans ce que je vais dire, il faudra toujours entendre que c’est l’acide excédant à la neutralisation qui seul est susceptible de décomposition.

Le premier sel de ce genre sur lequel j’ai opéré est le sulfate acide de potasse obtenu en ajoutant de l’acide sulfurique concentré à du sulfate très-pur. Après l’avoirmis dans une cornue de grès, à laquelle étoit adapté un récipient, j’ai procédé à la distillation. Il a d’abord passé de l’acide sulfurique seul, parce que j’en avois ajouté une trop grande quantité ; mais bientôt les vapeurs blanches et épaisses de l’acide sulfurique ont été accompagnées de gaz oxigène et d’acide sulfureux. Le résidu étoit du sulfate neutre. On conçoit pourquoi ici, comme avec les sulfates acides métalliques, il se dégage de l’acide sulfurique en même tems que de l’acide sulfureux et du gaz oxigène. C’est parce que toutes les parties de l’acide sulfurique ne sont pas retenues avec assez de force pour être décomposées par la chaleur.

Parmi les sulfates à base d’alcali, celui de potasse peut le mieux recevoir un excès d’acide, puisqu’il est encore susceptible de cristalliser. Le sulfate de soude est ensuite celui qui jouit le mieux de cette propriété. Aussi en distillant du sulfate acide de soude, j’ai encore recueilli de l’acide sulfureux et du gaz oxigène, mais la quantité en étoit beaucoup plus petite que celle qu’avoit donnée le sulfate acide de potasse.

Les sulfates de barite, de chaux et de magnésie que j’ai distillés après les avoir rendus acides, ne m’ont donné ni acide sulfureux, ni gaz oxigène, et il n’est passé à la distillation que l’acide excédant à leur neutralisation. J’ai analysé l’air du récipient avec l’eudiomètre de Volta ; mais je ne l’ai pas trouvé sensiblement plus pur que l’air atmosphérique. Ainsi donc tous ces sulfates qui n’ont qu’une très-foible action sur l’acide sulfurique excédant à leur neutralisation, ne peuvent le retenir avec assez de force pour qu’il puisse résister à la chaleur qui seroit nécessaire pour le décomposer.

La décomposition des sulfates acides de potasse et de soude est très-propre à faire voir que l’acide excédant à la neutralisation, conserve encore de l’action sur la base ; car sans cette action il se volatiliseroit comme s’il étoit seul, et sans éprouver de décomposition.

Le sulfate d’ammoniaque, en raison de sa nature, offre une circonstance particulière. Quand on distille ce sel, il se dégage d’abord de l’alcali, puis il est décomposé d’une manière analogue aux sulfates métalliques. Il y a cette différence cependant, que l’oxigène et l’acide sulfureux, au lieu de se dégager, forment, l’un de l’eau avec l’hydrogène d’une partie de l’ammoniaque, et l’autre un sulfite qui, étant très-volatil, se soustrait par là à l’action de la chaleur, en emportant avec lui une portion de sulfate. Les produits gazeux qu’on recueille ne sont que de l’azote.

Parmi les sulfates terreux, on sait que l’alun se décompose en entier par la chaleur en donnant de l’acide sulfurique, du gaz oxigène et de l’acide sulfureux. Je me suis assuré que le sulfate de glucine donnoit les mêmes produits que l’alun ; et comme les autres sulfates terreux ont une constitution analogue, je ne doute pas qu’ils n’éprouvent une décomposition semblable par la chaleur, à moins qu’ils ne laissent dégager leur acide à une température peu élevée.

On sait que l’acide sulfurique décompose en partie, par la voie humide, les phosphates et les borates ; et que, lorsqu’on emploie la voie sèche, l’acide phosphorique et l’acide boracique décomposent à leur tour les sulfates. Cette décomposition, dans des circonstances opposées, est une très-grande anomalie dans la théorie des affinités de Bergman ; mais elle s’explique de la manière la plus heureuse dans celle de M. Berthollet. On supposoit donc que lorsqu’on décomposoit les sulfates par l’acide phosphorique, ou l’acide boracique, il ne se dégageoit que de l’acide sulfurique. Mais comme pour séparer l’acide il falloit employer une chaleur élevée, à cause de l’action qu’il conserve sur la base, il étoit naturel de penser que l’acide sulfurique seroit aussi décomposé. J’ai trouvé, en effet, que les sulfates de barite et de potasse qui, quand ils sont seuls, ne se décomposent pas par la chaleur, donnent beaucoup d’acide sulfureux et de gaz oxigène quand on les distille avec l’acide phosphorique ou avec l’acide boracique.

J’ai profité de cette décomposition des sulfates pour déterminer la quantité d’oxigène qu’il faut ajouter à l’acide sulfureux pour le convertir en acide sulfurique. Pour cet objet, j’ai distillé sur du mercure de l’alun calciné, dont la base ne peut ni fournir, ni absorber aucun principe gazeux. J’ai recueilli du gaz à diverses époques de la distillation ; et après en avoir pris des volumes bien déterminés, je l’ai lavé avec de la potasse caustique, et j’ai mesuré les résidus. C’est ainsi que j’ai trouvé que 100 parties

De la 1re. portion contenoit 32.33 d’oxigène.
2e. 33.23
3e. 32.53
4e. 32.64
———
dont la moyenne est de 32.68
———

Puisque la proportion des deux gaz a été la même pendant tout le tems de l’opération, il faut en conclure que la décomposition de l’acide sulfurique s’est toujours faite de la même manière, et que l’acide sulfureux absorbe par conséquent à-peu-près 0.5 d’oxigène pour passer à l’état d’acide sulfurique. La décomposition de l’alun ayant été faite dans une cornue de verre lutée, ne s’est point trouvée complette ; mais je me suis assuré que le résidu ne contenoit pas sensiblement d’acide sulfureux.

Comme un sulfate métallique, dont la base ne peut point s’oxider davantage, devoit être également propre à déterminer le rapport de l’acide sulfureux et de l’oxigène qui composent l’acide sulfurique, j’ai repris la distillation du sulfate de cuivre ; mais pour éviter l’eau qui auroit pu condenser un peu d’acide sulfureux, j’ai eu soin de le calciner fortement avant de le mettre dans la cornue. Le gaz s’est dégagé en torrent pendant plus d’une heure, quoique je n’eusse employé qu’environ 400 gr. de sel, et j’ai eu soin d’en recueillir à diverses époques de l’opération. Quand le dégagement a cessé, j’ai adapté au fourneau à réverbère dans lequel se faisoit la distillation, un tuyau de poële pour obtenir un plus grand degré de feu. En effet le dégagement du gaz a repris instantanément ; j’en ai recueilli, et je l’ai analysé séparément.

Voici le résultat de l’analyse des diverses portions qui ont été recueillies :

100 part. de la 1re. portion contiennent 32.54 d’oxigène.
2e. 33.43
3e. 32.37
4e. 31.76
5e. 32.44
———
Moyenne 31.51

100 parties de l’air qui s’est dégagé par une plus grande élévation de température contiennent 92.39 d’oxigène.

Il est bien évident, d’après l’analyse des cinq premières portions qui avoient été recueillies à des époques très-éloignées, que la décomposition de l’acide sulfurique s’est faite pendant le premier dégagement d’une manière uniforme, et que le cuivre n’a rien pris, ni rien absorbé. Dans le second dégagement, au contraire, il y a eu une décomposition étrangère à celle de l’acide sulfurique, et qui l’a même entièrement remplacée. Ayant en effet cassé la cornue, j’ai trouvé l’oxide de cuivre parfaitement fondu. Pulvérisé et mis avec de l’acide nitrique, il a produit une vive effervescence de gaz nitreux, et la dissolution n’a précipité que très-légèrement le muriate de barite. Il paroît donc que pendant tout le tems du premier dégagement, la chaleur n’étant pas assez forte, l’oxide n’avoit pu se réduire ; mais que pendant le second dégagement qui a eu lieu à une chaleur plus vive, l’oxide s’est réduit en partie. Il est même probable que les 8 centièmes d’acide sulfureux qui se trouvoient avec le gaz oxigène, étoient un reste de la décomposition de l’acide sulfurique. Ainsi, en rejettant la dernière proportion d’oxigène et d’acide sulfureux, les autres sont parfaitement d’accord entre elles, et avec celles qu’a données l’alun, et elles se confirment mutuellement.

Comme on ne sauroit trop multiplier les expériences quand il s’agit de déterminer un rapport, j’ai recueilli et analysé les gaz qui se sont dégagés pendant la distillation de l’acide phosphorique avec le sulfate de barite.

La 1re. portion contenoit 30.39 d’oxigène.
2e. 32.94
3e. 29.97
4e. 33.13
5e. 32.75
———
Moyenne 31.83

Nous remarquerons d’abord, pour donner plus de confiance au rapport que nous voulons déterminer, que puisque les trois expériences que nous avons faites donnent sensiblement les mêmes résultats, au commencement comme à la fin, il faut que la décomposition de l’acide sulfurique se fasse toujours d’une manière uniforme, et que celui qui échappe à la décomposition n’absorbe pas d’acide sulfureux, ou au moins qu’une très-petite quantité. Si, en effet, il en étoit autrement, la quantité d’acide sulfurique qui se dégage pendant la distillation, étant variable et différente pour chaque sel, il en seroit arrivé que les résultats n’auroient conservé aucun rapport.

En prenant la moyenne des trois proportions que nous avons obtenues, nous trouvons que 100 parties d’un mélange gazeux, provenant de la décomposition de l’acide sulfurique, contiennent 32,34 de gaz oxigène ; ou que 100 parties en volume de gaz acide sulfureux demandent 47,79 d’oxigène pour se convertir en acide sulfurique.

Connoissant ce rapport, il est facile de calculer la quantité d’oxigène que contient l’acide sulfureux, en adoptant les pesanteurs spécifiques du gaz acide sulfureux et du gaz oxigène, données l’une par M. Kirwan, et l’autre par Lavoisier[5] ; et en adoptant aussi le rapport des élémens de l’acide sulfurique qui a été déterminé avec beaucoup de soin par M. Berthollet[6], on trouve que 100 parties de soufre demandent en poids 50,61 d’oxigène pour se convertir en acide sulfureux ; tandis que pour se convertir en acide sulfurique elles en demandent 85,70. Mais si on adoptoit les proportions de M. Klaproth pour l’acide sulfurique : savoir, 42,3 de soufre et 57,7 d’oxigène, on trouveroit que l’acide sulfureux est composé de 100 de soufre, et de 91,68 d’oxigène.

Pour terminer ce Mémoire, il nous reste encore à expliquer les expériences qui en ont fait l’objet, ou, pour mieux dire, à les faire dépendre d’un fait unique qui les embrasse toutes.

La température qui, a été nécessaire pour décomposer les sulfates a varié pour chacun d’eux ; mais en général la chaleur rouge ordinaire a suffi. Le gaz oxigène et l’acide sulfureux, qui ont été les résultats constans de cette décomposition, n’ont pu avoir d’autre origine que l’acide sulfurique, et il faut par conséquent que cet acide se décompose par la chaleur quand il est combiné avec une base. D’après les idées qu’on s’étoit formées de sa constitution, il paroîtra difficile de concilier ce fait avec son inaltérabilité à un feu violent, et sur-tout avec les circonstances de sa formation, pendant la combustion du soufre dans les chambres de plomb. Mais nous allons faire voir que l’acide sulfurique se décompose quand on le fait passer seul à travers un tube de porcelaine rouge ; et par là s’expliquera très-simplement l’action de la chaleur sur les sulfates. Voici l’appareil qui a été employé pour faire cette décomposition.

Un tube de porcelaine traverse un fourneau à réverbère. À l’une de ses extrémités est adaptée une petite cornue de verre remplie au tiers de sa capacité d’acide sulfurique concentré ; l’autre porte un tube de Welter, plongeant dans l’eau ou dans le mercure. La distillation de l’acide est très-difficile, et le succès dépend de quelques circonstances qu’il est bon d’indiquer. Les tubes de porcelaine d’un diamètre intérieur très-petit m’ont paru les meilleurs. Pour empêcher la condensation des vapeurs d’acide sulfurique avant qu’elles parviennent dans le tube, il faut placer quelques charbons sous le col de la cornue et la partie du tube qui communique avec lui. On fait ensuite passer l’acide très-lentement, car autrement l’opération deviendroit tumultueuse, et il n’y auroit pas d’acide décomposé. Enfin, il est nécessaire de le prendre très-concentré.

Dans une expérience dans laquelle je m’étois servi d’un récipient placé à l’extrémité du tube de porcelaine, j’avois trouvé, après l’opération, que l’air qu’il renfermoit étoit plus pur de 0,06 d’oxigène que l’air atmosphérique, et qu’il étoit mêlé d’acide sulfureux ; mais dans une autre, les résultats n’avoient pas été aussi satisfaisans. Comme il me restoit trop de doutes pour ne pas chercher à les lever, j’ai fait une nouvelle expérience à Arcueil avec mon ami Amédée Berthollet, en réunissant toutes les circonstances qui paroissoient le plus favorables, et cette fois la décomposition de l’acide sulfurique en gaz oxigène et en gaz sulfureux n’a plus été équivoque. Pendant le premier quart d’heure il n’a passé que de la vapeur d’acide sulfurique ; mis au bout de ce tems elle a été constamment accompagnée de gaz oxigène et d’acide sulfureux. M. Berthollet lui-même a été témoin des résultats que nous avons obtenus.

Il n’est donc plus permis de conserver le moindre doute sur la décomposition de l’acide sulfurique par la chaleur. Bien loin de regarder ses élémens comme ayant éprouvé, en se combinant, une grande condensation, leur facile séparation doit les faire regarder, au contraire, comme ayant une mobilité assez grande, et donner de sa constitution une idée toute différente de celle qu’on s’en étoit formée.

L’explication de la décomposition des sulfates par la chaleur se présente maintenant naturellement. Tous les sulfates neutres ou acides, qui perdent leur acide à une température inférieure à celle qui est nécessaire pour décomposer l’acide sulfurique, se décomposeront en ne donnant ni oxigène, ni acide sulfureux. Tous ceux, au contraire, qui retiennent assez fortement tout leur acide pour qu’il puisse résister à une chaleur égale, et à plus forte raison, supérieure à celle qui décompose l’acide sulfurique, ne donneront que du gaz oxigène et de l’acide sulfureux. Enfin, comme dans une combinaison toutes les portions des élémens ne sont pas également retenues, il y a des sulfates dont la décomposition participera des deux précédentes, et qui donneront de l’acide sulfurique, du gaz oxigène et de l’acide sulfureux.

On petit observer cependant que la base doit avoir une influence sur cette décomposition.

Quand, en effet, l’acide nitrique est combiné avec la potasse, il se décompose par la chaleur en gaz oxigène et en gaze azote. Mais quand on le fait passer seul en vapeur à travers un tube de porcelaine rouge, il ne donne plus les mêmes résultats. M. Berthollet s’est assuré, contre l’opinion reçue, qu’il éprouvoit une décomposition analogue à celle de l’acide sulfurique, et qu’il se change en gaz oxigène et en gaz nitreux. Ces deux gaz forment ensuite de la vapeur nitreuse qui est absorbée par l’eau, et il reste du gaz oxigène. Je suis loin de rejetter cette influence qu’a la base dans quelques cas sur la décomposition de l’acide sulfurique par la chaleur. La décomposition d’une partie de l’ammoniaque dans la distillation du sulfate d’ammoniaque ; la facile réduction de l’argent dans celle du sulfate de ce métal, la volatilité du mercure, l’oxidation du fer, sont autant de circonstances qu’il ne faut pas négliger, et qui peuvent ou modifier, ou accélérer en quelque sorte les résultats ; mais, hors ces cas particuliers, elle ne peut favoriser la décomposition de l’acide sulfurique. Son affinité avec lui est une force puissante que la chaleur doit vaincre, et elle doit par conséquent retarder ou empêcher sa décomposition, comme on le voit avec le sulfate de plomb et les sulfates alcalins.

La décomposition de l’acide sulfurique par une chaleur rouge ordinaire, va nous servir à jetter quelque jour sur la formation de l’acide sulfurique par la combustion du soufre, sur laquelle on n’est point encore d’accord. M. Berthollet pensoit qu’une des conditions principales étoit une température très-élevée, et que le nitre qu’on ajoutoit au soufre ne faisoit que remplir cette condition. MM. Clément et Désonnes, sans réfuter entièrement cette opinion, ont pensé que l’acide sulfurique qu’on obtenoit dans les chambres de plomb, étoit dû aux actions combinées de l’air et du gaz nitreux sur l’acide sulfureux qui se dégage dans la combustion d’un mélange de nitre et de soufre. Cependant M. Chaptal a obtenu de l’acide sulfurique en brûlant du soufre avec du muriate sur-oxigéné de potasse, et par conséquent sans action du gaz nitreux. Il reste donc encore quelques incertitudes sur la manière dont le soufre se change par la combustion en acide sulfurique.

Mais puisqu’il est démontré maintenant que l’acide sulfurique se décompose à une chaleur bien inférieure sans doute à celle qui est due à la combustion du soufre et du nitre dans l’air, il faut nécessairement en conclure qu’une haute température est contraire à la formation de l’acide sulfurique. Si cette conclusion ne paroissoit pas suffisamment rigoureuse, je pourrois ajouter, pour la fortifier, d’autres expériences. Quand on brûle du soufre dans du gaz oxigène, on n’obtient que de l’acide sulfureux, et certainement il y a dans ce cas une température très-élevée. Depuis Lavoisier, qui avoit pensé que la combustion du soufre dans l’oxigène donnoit de l’acide sulfurique, tous les chimistes avoient partagé la même opinion ; mais M. Chaptal a prouvé qu’elle n’étoit pas fondée. Enfin en brûlant du gaz hydrogène sulfuré dans le gaz oxigène on n’obtient encore que de l’acide sulfureux.

Puisqu’on peut obtenir de l’acide sulfurique sans le secours du gaz nitreux, il faut donc qu’il y ait d’autres causes qui concourent à sa formation.

M. Fourcroy a fait voir qu’on pouvoit conserver longtems ensemble du gaz oxigène et du gaz acide sulfureux, pourvu qu’ils fussent secs. Mais si ces deux gaz sont en contact avec l’eau, elle les absorbe l’un et l’autre en détruisant leur force élastique, et il se forme de l’acide sulfurique. Tous les chimistes savent en effet combien il est difficile de conserver et même d’obtenir de l’acide sulfureux, sans qu’il se forme de l’acide sulfurique. Dans les chambres de plomb où l’eau, l’oxigène et l’acide sulfureux se trouvent réunis, il doit se produire un effet semblable. Ce n’est que de cette manière au moins qu’on peut concevoir la formation de l’acide sulfurique en se servant de muriate sur-oxigéné de potasse, qui n’a sûrement d’autre usage que d’empêcher que la combustion du soufre ne devienne trop languissante. Ce n’est encore que de cette manière qu’on peut expliquer la formation de l’acide sulfurique dans l’ancien procédé, par lequel on prépare l’esprit de soufre par la cloche ; car tous ceux qui l’ont répété doivent avoir remarqué qu’il s’en produit toujours une certaine quantité. Ainsi en m’arrêtant aux indications de l’expérience, j’admets qu’il ne se forme point d’acide sulfurique au moment de la combustion du soufre, à moins qu’il ne puisse se combiner avec une base qui le condense et l’empêche d’être décomposé par la chaleur. Celui qu’on recueille dans les chambres de plomb est dû à deux causes : l’une plus puissante que la seconde, provient de l’action du gaz nitreux sur l’acide sulfureux et le gaz oxigène de l’air atmosphérique, comme MM. Clément et Désormes l’ont démontré, et l’autre provient de l’action immédiate de l’acide sulfureux sur le gaz oxigène par le moyen de l’eau.

CONCLUSION.

1°. Tous les sulfates métalliques sont décomposables par l’action de la chaleur, en donnant des résultats dépendans de l’affinité des métaux pour l’acide sulfurique. Les sulfates dans lesquels l’acide est peu condensé, ne donnent à la distillation que de l’acide sulfurique. Ceux dans lesquels il est retenu beaucoup plus fortement, et qui sont insolubles, donnent de l’acide sulfureux et du gaz oxigène. Enfin les sulfates qui ont des propriétés communes aux précédens, et qui sont acide et solubles, donnent de l’acide sulfurique, du gaz oxigène et de l’acide sulfureux.

2°. Dans le grillage des sulfures métalliques les produits varient suivant la température et suivant les sulfures. À une température fort élevée, il ne se produit que de l’acide sulfureux ; à une température inférieure, il se produit d’autant plus d’acide sulfurique que les oxides peuvent le condenser plus fortement : il ne s’en forme point quand ils n’ont qu’une très-foible affinité avec lui.

3°. Tous les sulfates terreux qui sont naturellement acides sont décomposables par le feu en donnant de l’acide sulfurique, du gaz oxigène et de l’acide sulfureux.

4°. Les sulfates neutres alcalins ne se décomposent pas par la chaleur, excepté le sulfate d’ammoniaque ; mais quand ils peuvent former avec un excès d’acide des sels cristallisables, le condenser et diminuer sa volatilité, une partie de cet excès d’acide se change en gaz oxigène et en acide sulfureux.

5°. Les sulfates traités au feu par les acides phosphorique ou boracique, donnent de l’acide sulfurique, du gaz oxigène et de l’acide sulfureux.

6°. L’acide sulfurique est composé en volume de 100 de gaz sulfureux, et 47,79 de gaz oxigène.

7°. 100 parties en poids de soufre prennent, pour se convertir en acide sulfureux, 50,61 d’oxigène, tandis que pour se changer en acide sulfurique il leur en faut 85,70.

8°. L’acide sulfurique se décompose seul par la chaleur en gaz oxigène et en gaz acide sulfureux.

9°. Une grande élévation de température n’est pas une condition favorable à la production de l’acide sulfurique ; elle lui est au contraire opposée. Au moment de la combustion du soufre, il ne se produit que du gaz sulfureux, soit qu’elle ait lieu dans l’air ou dans le gaz oxigène, et l’acide sulfurique qu’on obtient dans les chambres de plomb doit être le résultat de l’action du gaz nitreux et de l’air sur l’acide sulfureux, ainsi que de celle que ce dernier gaz exerce sur l’oxigène par le moyen de l’eau.




  1. Annales de chimie, tom. 55, pag. 271.
  2. M. Proust, dont on connoît l’exactitude, a aussi décomposé le sulfate de cuivre (Ann. de chim. tom. 32) ; mais il dit n’avoir obtenu que de l’acide sulfurique et de l’eau. Ce résultat, contraire à ceux que je viens d’annoncer, est facile à expliquer ; car M. Proust ayant fait la décomposition dans un creuset, il n’a pu juger par l’odeur seule de la nature de tous les produits. Les sulfates de nickel et de cobalt se seroient encore comportés très-probablement comme le sulfate de cuivre.
  3. Chimie appliquée aux arts, tom. 3, p. 49.
  4. Journal des Mines. vol. 21.
  5. Chimie de Lavoisier, tom. 2, p. 268.
  6. Mém. de l’Inst. 1806.