Mémoires (Saint-Simon)/Tome 4/3

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CHAPITRE III.


Mort de la duchesse de Gesvres. — Trianon. — Retour de Fontainebleau. — Mort du comte de Noailles. — Succès des alliés en Flandre. — Marlborough pris et ignoramment relâché. — Vendôme court la même fortune. — Prince d’Harcourt salue enfin le roi. — Sa vie et son caractère, et de sa femme. — Retour brillant du maréchal de Villeroy après une dure captivité ; sa lourde et vaine méprise ; est déclaré général de l’armée en Flandre. — Mort du chevalier de Lorraine. — Retour et opération du comte d’Estrées. — Comte d’Albert, Pertuis et Conflans sortent de prison. — Charmois et du Héron chassés de Ratisbonne et de Pologne. — Catinat retiré ne sert plus. — Mgr le duc de Bourgogne entre dans tous les conseils. — Ubilla assis au conseil. — Régiments des gardes espagnole et wallonne. — Orry et sa fortune. — Marsin de retour. — Dispute entre le chancelier et les évêques pour le privilège de leurs ouvrages doctrinaux. — Chamilly de retour de Danemark ; sa fâcheuse méprise ; celle de d’Avaux. — Mort du cardinal Cantelmi ; du duc d’Albemarle ; de Champflour, évêque de la Rochelle ; de Brillac, premier président du parlement de Bretagne. — Mariage du duc de Lorges avec la troisième fille de Chamillart. — Mon intime liaison avec Chamillart, qui me demande instamment mon amitié.


La duchesse de Gesvres mourut dans le même temps, séparée d’un mari fléau de toute sa famille, et qui lui avoit mangé des millions. Son nom était du Val. Elle étoit fille unique de Fontenay-Mareuil, ambassadeur de France à Rome, du temps de l’entreprise du duc de Guise à Naples. C’étoit une espèce de fée, grande et maigre, qui marchoit comme ces grands oiseaux qu’on appelle des demoiselles de Numidie. Elle venoit quelquefois à la cour ; et avec du singulier et l’air de la famine où son mari l’avoit réduite, elle avoit beaucoup de vertu, d’esprit, et de la dignité. Je me souviens qu’un été que le roi s’étoit mis à aller fort souvent les soirs à Trianon, et qu’une fois pour toutes il avoit permis à toute la cour de l’y suivre, hommes et femmes, il y avoit une grande collation pour les princesses ses filles, qui y menoient leurs amies, et où les autres femmes alloient aussi quand elles vouloient. Il prit en gré un jour à la duchesse de Gesvres d’aller à Trianon et d’y faire collation.

Son âge, sa rareté à la cour, son accoutrement et sa figure excitèrent ces princesses à se moquer tout bas d’elle avec leurs favorites. Elle s’en aperçut, et, sans s’en embarrasser, leur donna leur fait si sec et si serré, qu’elle les fit taire et leur fit baisser les yeux. Ce ne fut pas tout : après la collation elle s’expliqua si librement mais si plaisamment sur leur compte, que la peur leur en prit au point qu’elles lui firent faire des excuses, et tout franchement demander quartier. Mme de Gesvres voulut bien le leur accorder, mais leur fit dire que ce n’étoit qu’à condition qu’elles apprendroient à vivre. Oncques depuis elles n’osèrent la regarder entre deux yeux. Rien n’étoit si magnifique que ces soirées de Trianon. Tous les parterres changeoient tous les jours de compartiments de fleurs, et j’ai vu le roi et toute la cour les quitter à force de tubéreuses, dont l’odeur embaumoit l’air, mais étoit si forte par leur quantité, que personne ne put tenir dans le jardin, quoique très vaste et en terrasse sur un bras du canal.

Le roi revint de Fontainebleau le 26 octobre et coucha à Villeroy, où il parut prendre part comme à sa propre maison et parla fort du maréchal de Villeroy avec beaucoup d’amitié. Il apprit en arrivant à Versailles la mort du second fils du duc de Noailles, d’un coup de mousquet dans la tête, se promenant près Strasbourg, au bord du Rhin, qui lui fut tiré de l’autre côté à balle perdue, et qui étoit dans le régiment de son frère. Il sut en même temps que la citadelle de Liège avoit été emportée d’assaut, le gouverneur et la garnison prisonniers ; que la Chartreuse, que nous tenions bien fortifiée, ne tarda pas à suivre, et que son armée fort affaiblie par les détachements pour le Rhin se retiroit derrière les lignes, hors d’état de tenir la campagne, qui finit de la sorte. M. de Marlborough, en séparant la sienne, se mit sur la Meuse avec M. d’Obdam, lieutenant général des Hollandois, et M. de Galde-Mersheim, un des députés des États généraux à l’armée des alliés. Chemin faisant, un parti de Gueldres vint sur le bord de l’eau, et, à coups de fusil, les obligea d’aborder.

La capture étoit belle, mais le sot partisan se contenta du passeport qu’avoit le député, qui fit passer Marlborough pour son écuyer et Obdam pour son secrétaire, et les laissa aller. M. de Vendôme ne l’avoit pas échappé moins belle avant l’arrivée du roi d’Espagne. Il s’étoit mis dans une cassine un peu éloignée de son camp, couverte d’un petit naviglio. On eut beau lui représenter qu’il n’y étoit pas en sûreté ; tout ce qu’on put obtenir fut qu’il ajouteroit une vingtaine de grenadiers à sa garde ; il étoit temps. La nuit même un détachement, des ennemis vint pour l’enlever, et, sans les grenadiers, qui tinrent ferme et donnèrent le temps à ce qui étoit le plus à portée d’accourir au bruit des coups de fusil, il étoit pris. Sa campagne finit aussi au commencement de novembre. Il décampa enfin le premier de Luzzara, et le prince Eugène, qui n’inquiéta point sa retraite, en décampa aussi le lendemain, et tous deux prirent leurs quartiers d’hiver et les avantages qu’ils purent.

Le prince d’Harcourt eut enfin permission de faire la révérence au roi, au bout de dix-sept ans qu’il ne s’étoit présenté devant lui. Il avoit suivi le roi en toutes ses conquêtes des Pays-Bas et de la Franche-Comté, mais il était demeuré peu à la cour depuis son, voyage d’Espagne, où on a vu, ci-devant, que lui et sa femme avoient conduit la fille de Monsieur au roi Charles II, son époux. Le prince d’Harcourt se mit au service des Vénitiens, se distingua en Morée, et ne revint qu’à la paix de cette république avec les Turcs. C’étoit un grand homme, bien fait, qui, avec l’air noble et de l’esprit, avoit tout à fait celui d’un comédien de campagne. Grand menteur, grand libertin d’esprit et de corps, grand dépensier en tout, grand escroc avec effronterie, et d’une crapule obscure qui l’anéantit toute sa vie. Après avoir longtemps voltigé après son retour, et ne pouvant vivre avec sa femme, en quoi il n’avoit pas grand tort, ni s’accommoder de la cour ni de Paris, il se fixa à Lyon avec du vin, des maîtresses du coin des rues, une compagnie à l’avenant, une meute, et un jeu pour soutenir, sa dépense et vivre aux dépens des dupes, des sots et des fils de gros marchands qu’il attiroit dans ses filets. Il y tiroit toute la considération que lui pouvoit donner là le maréchal de Villeroy par rapport à M. le Grand, et il y passa de la sorte grand nombre d’années, sans imaginer qu’il y eût en ce monde une autre ville ni un autre pays que Lyon. À la fin il s’en lassa et revint à Paris. Le roi, qui le méprisoit, le laissoit faire, mais ne voulut pas le voir ; et ce ne fut qu’au bout de deux mois d’instances, et de pardons [demandés] pour lui [de la part] de tous les Lorrains[1], qu’il lui permit enfin en ce temps-ci de le venir saluer.

Sa femme, qui étoit de tous les voyages, favorite de Mme de Maintenon, par la forte et sale raison qu’on en a vue ailleurs, échoua pour lui sur Marly, où tous les maris alloient de droit, et sans être nommés dès que leurs femmes l’étoient. Elle s’abstint d’y aller, espérant que, pour continuer à l’y avoir, Mme de Maintenon obtiendroit la grâce entière. Elle s’y trompa ; Mme de Maintenon, qui se faisoit un devoir de la protéger en tout, ne laissoit pas d’en être souvent importunée, et de s’en passer fort bien. La peur qu’elle ne s’en passât tout à fait la fit bientôt retourner seule à Marly ; et le roi tint bon à n’y jamais admettre le prince d’Harcourt ; cela le ralentit sur la cour ; mais il retourna peu en province et se cantonna enfin en Lorraine.

Cette princesse d’Harcourt fut une sorte de personnage qu’il est bon de faire connoître, pour faire connoître plus particulièrement une cour qui ne laissoit pas d’en recevoir de pareils. Elle avoit été fort belle et galante ; quoiqu’elle ne fût pas vieille, les grâces et la beauté s’étoient tournées en gratte-cul. C’étoit alors une grande et grosse créature, fort allante, couleur de soupe au lait, avec de grosses et vilaines lippes, et des cheveux de filasse toujours sortants et traînants comme tout son habillement. Sale, malpropre, toujours intriguant, prétendant, entreprenant, toujours querellant et toujours basse comme l’herbe, ou sur l’arc-en-ciel, selon ceux à qui elle avoit affaire ; c’étoit une furie blonde, et de plus une harpie ; elle en avoit l’effronterie, la méchanceté, la fourbe et la violence ; elle en avoit l’avarice et l’avidité ; elle en avoit encore la gourmandise et la promptitude à s’en soulager, et mettoit au désespoir ceux chez qui elle alloit dîner, parce qu’elle ne se faisoit faute de ses commodités au sortir de table, qu’assez souvent elle n’avoit pas loisir de gagner, et salissoit le chemin d’une effroyable traînée, qui l’ont mainte fois fait donner au diable par les gens de Mme du Maine et de M. le Grand. Elle ne s’en embarrassoit pas le moins du monde, troussoit ses jupes et alloit son chemin, puis revenoit disant qu’elle s’étoit trouvée mal : on y étoit accoutumé.

Elle faisoit des affaires à toutes mains, et couroit autant pour cent francs que pour cent mille ; les contrôleurs généraux ne s’en défaisoient pas aisément ; et, tant qu’elle pouvoit, trompoit les gens d’affaires pour en tirer davantage. Sa hardiesse à voler au jeu étoit inconcevable, et cela ouvertement. On l’y surprenoit, elle chantoit pouille et empochoit ; et comme il n’en étoit jamais autre chose, on la regardoit comme une harengère avec qui on ne vouloit pas se commettre, et cela en plein salon de Marly, au lansquenet, en présence de Mgr et de Mme la duchesse de Bourgogne. À d’autres jeux, comme l’hombre, etc., on l’évitoit, mais cela ne se pouvoit pas toujours ; et comme elle y voloit aussi tant qu’elle pouvoit, elle ne manquoit jamais de dire à la fin des parties qu’elle donnoit ce qui pouvoit n’avoir pas été de bon jeu et demandoit aussi qu’on le lui donnât, et s’en assuroit sans qu’on lui répondît. C’est qu’elle était grande dévote de profession et comptoit de mettre ainsi sa conscience en sûreté, parce que, ajoutoit-elle, dans le jeu il y a toujours quelque méprise.

Elle alloit à toutes les dévotions et communioit incessamment, fort ordinairement après avoir joué jusqu’à quatre heures du matin.

Un jour de grande fête à Fontainebleau, que le maréchal de Villeroy étoit en quartier, elle alla voir la maréchale de Villeroy entre vêpres et le salut. De malice, la maréchale lui proposa de jouer, pour lui faire manquer le salut. L’autre s’en défendit, et dit enfin que Mme de Maintenon y devoit aller. La maréchale insiste, et dit que cela étoit plaisant, comme si Mme de Maintenon pouvoit voir et remarquer tout ce qui seroit ou ne seroit pas à la chapelle. Les voilà au jeu. Au sortir du salut, Mme de Maintenon, qui presque jamais n’alloit nulle part, s’avise d’aller voir la maréchale de Villeroy, devant l’appartement de qui elle passoit au pied de son degré. On ouvre la porte et on l’annonce ; voilà un coup de foudre pour la princesse d’Harcourt. « Je suis perdue, s’écria-t-elle de toute sa force, car elle ne pouvoit se retenir ; elle me va voir jouant, au lieu d’être au salut, » laisse tomber ses cartes, et soimême dans son fauteuil tout éperdue. La maréchale riait de tout son cœur d’une aventure si complète. Mme de Maintenon entre lentement, et les trouve en cet état avec cinq ou six personnes. La maréchale de Villeroy, qui avoit infiniment d’esprit, lui dit qu’avec l’honneur qu’elle lui faisoit, elle causoit un grand désordre ; et lui montre la princesse d’Harcourt en désarroi. Mme de Maintenon sourit avec une majestueuse bonté, et s’adressant à la princesse d’Harcourt : « Est-ce comme cela, lui dit-elle, madame, que vous allez au salut aujourd’hui ?  » Là-dessus la princesse d’Harcourt sort en furie de son espèce de pâmoison ; dit que voilà des tours qu’on lui fait, qu’apparemment Mme la maréchale de Villeroy se doutoit bien de la visite de Mme de Maintenon, et que c’est pour cela qu’elle l’a persécutée de jouer, pour lui faire manquer le salut. « Persécutée ! répondit la maréchale, j’ai cru ne pouvoir vous mieux recevoir qu’en vous proposant un jeu ; il est vrai que vous avez été un moment en peine de n’être point vue au salut, mais le goût l’a emporté. Voilà, madame, s’adressant à Mme de Maintenon, tout mon crime, » et de rire tous, plus fort qu’auparavant. Mme de Maintenon, pour faire cesser la querelle, voulut qu’elles continuassent de jouer ; la princesse d’Harcourt, grommelant toujours, et toujours éperdue, ne savoit ce qu’elle faisoit, et la furie redoubloit de ses fautes. Enfin, ce fut une farce qui divertit toute la cour plusieurs jours, car cette belle princesse étoit également crainte, haïe et méprisée.

Mgr [le duc] et Mme la duchesse de Bourgogne lui faisoient des espiègleries continuelles. Ils firent mettre un jour des pétards tout du long de l’allée qui, du château de Marly, va à la perspective, où elle logeoit. Elle craignoit horriblement tout. On attira deux porteurs pour se présenter à la porter lorsqu’elle voulut s’en aller. Comme elle fut vers le milieu de l’allée, tout le salon à la porte pour voir le spectacle ; les pétards commencèrent à jouer, elle à crier miséricorde, et les porteurs à la mettre à terre et à s’enfuir. Elle se débattoit dans cette chaise, de rage à la renverser, et crioit comme un démon.

La compagnie accourut pour s’en donner le plaisir de plus près, et l’entendre chanter pouille à tout ce qui s’en approchoit, à commencer par Mgr [le duc] et Mme la duchesse de Bourgogne. Une autre fois ce prince lui accommoda un pétard sous son siège, dans le salon où elle jouoit au piquet. Comme il y alloit mettre le feu, quelque âme charitable l’avisa que ce pétard l’estropieroit, et l’empêcha.

Quelquefois ils lui faisoient entrer une vingtaine de Suisses avec des tambours dans sa chambre, qui l’éveilloient dans son premier somme avec ce tintamarre. Une autre fois, et ces scènes étoient toujours à Marly, on attendit fort tard qu’elle fût couchée et endormie. Elle logeoit ce voyage-là dans le château, assez près du capitaine des gardes en quartier qui étoit lors M. le maréchal de Lorges. Il avoit fort neigé et il geloit ; Mme la duchesse de Bourgogne et sa suite prirent de la neige sur la terrasse qui est autour du haut du salon, et de plain-pied à ces logements hauts, et, pour sien mieux fournir, éveillèrent les gens du maréchal, qui ne les laissèrent pas manquer de pelotes ; puis, avec un passe-partout et des bougies, se glissent doucement dans la chambre de la princesse d’Harcourt, et, tirant tout d’un coup les rideaux, l’accablent de pelotes de neige. Cette sale créature au lit, éveillée en sursaut, froissée et noyée de neige sur les oreilles et partout, échevelée, criant à pleine tête, et remuant comme une anguille, sans savoir où se fourrer, fut un spectacle qui les divertit plus d’une demi-heure, en sorte que la nymphe nageoit dans son lit, d’où l’eau découlant de partout noyoit toute la chambre. Il y avoit de quoi la faire crever. Le lendemain elle bouda ; on s’en moqua d’elle encore mieux.

Ces bouderies lui arrivoient quelquefois, ou quand les pièces étoient trop fortes, ou quand M. le Grand l’avoit malmenée. Il trouvoit avec raison qu’une personne qui portoit le nom de Lorraine ne se devoit pas mettre sur ce pied de bouffonne ; et comme il étoit brutal, il lui disoit quelquefois en pleine table les dernières horreurs, et la princesse d’Harcourt se mettoit à pleurer, puis rageoit et boudoit. Mme la duchesse de Bourgogne faisoit alors semblant de bouder aussi, et s’en divertissoit. L’autre n’y tenoit pas longtemps, elle venoit ramper aux reproches, qu’elle n’avoit plus de bontés pour elle, et en venoit jusqu’à pleurer, demander pardon d’avoir boudé, et prier qu’on ne cessât plus de s’amuser avec elle. Quand on l’avoit bien fait craqueter, Mme la duchesse de Bourgogne se laissoit toucher ; c’étoit pour lui faire pis qu’auparavant ; tout étoit bon de Mme la duchesse de Bourgogne auprès du roi et de Mme de Maintenon, et la princesse d’Harcourt n’avoit point de ressource ; elle n’osoit même se prendre à aucunes de celles qui aidoient à la tourmenter, mais d’ailleurs il n’eût pas fait bon la fâcher.

Elle payoit mal ou point ses gens, qui un beau jour de concert l’arrêtèrent sur le pont Neuf. Le cocher descendit et les laquais, qui lui vinrent dire mots nouveaux à sa portière. Son écuyer et sa femme de chambre l’ouvrirent, et tous ensemble s’en allèrent et la laissèrent devenir ce qu’elle pourroit. Elle se mit à haranguer ce qui s’étoit amassé là de canaille, et fut trop heureuse de trouver un cocher de louage, qui monta sur son siège et la mena chez elle. Une autre fois, Mme de Saint-Simon, revenant dans sa chaise de la messe aux Récollets, à Versailles, rencontra la princesse d’Harcourt à pied dans la rue, seule, en grand habit, tenant sa queue dans ses bras. Mme de Saint- Simon arrêta, et lui offrit secours : c’est que tous ses gens l’avoient abandonnée, et lui avoient fait le second tome du pont Neuf, et pendant leur désertion dans la rue, ceux qui étoient restés chez elle s’en étoient allés ; elle les battoit, et étoit forte et violente, et changeoit de domestique tous les jours.

Elle prit, entre autres, une femme de chambre forte et robuste, à qui, dès les premières journées, elle distribua force tapes et soufflets. La femme de chambre ne dit mot, et comme il ne lui étoit rien dû, n’étant entrée que depuis cinq ou six jours, elle donna le mot aux autres, de qui elle avoit su l’air de la maison, et un matin qu’elle étoit seule dans la chambre de la princesse d’Harcourt, et qu’elle avoit envoyé son paquet dehors, elle ferme la porte en dedans sans qu’elle s’en aperçût ; répond à se faire battre, comme elle l’avoit déjà été, et au premier soufflet, saute sur la princesse d’Harcourt, lui donne cent soufflets et autant de coups de poing et de pied, la terrasse, la meurtrit depuis les pieds jusqu’à la tête, et quand elle l’a bien battue à son aise et à son plaisir, la laisse à terre toute déchirée, et tout échevelée, hurlant à pleine tête, ouvre la porte, la ferme dehors à double tour, gagne le degré, et sort de la maison.

C’étoit tous les jours des combats et des aventures nouvelles. Ses voisines à Marly disoient qu’elles ne pouvoient dormir au tapage de toutes les nuits, et je me souviens qu’après une de ces scènes tout le monde alloit voir la chambre de la duchesse de Villeroy et celle de Mme d’Espinoy, qui avoient mis leur lit tout au milieu, et qui contoient leurs veilles à tout le monde. Telle étoit cette favorite de Mme de Maintenon, si insolente et si insupportable à tout le monde, et qui avec cela, pour ce qui la regardoit, avoit toute faveur et préférence, et qui, en affaires de finances et en fils de famille et autres gens qu’elle a ruinés, avoit gagné des trésors et se faisoit craindre à la cour et ménager jusque par les princesses et les ministres. Reprenons le sérieux.

C’étoit à la reine d’Angleterre à qui le maréchal de Villeroy étoit redevable de sa liberté sans rançon et de la permission enfin de n’être pas conduit à son retour par l’armée du prince Eugène. M. de Modène, frère de la reine d’Angleterre, et fort bien avec l’empereur, l’avoit obtenu ; il ne se peut rien ajouter aux étranges traitements que les Allemands se plurent de faire essuyer au maréchal et pendant sa prison, et par les chemins, et à Gratz, capitale de Styrie, où ils le confinèrent. La populace accabla sa maison de pierres à la nouvelle du combat de Luzzara. Ils lui firent accroire qu’ils y avoient eu une pleine victoire, et que nous y avions perdu une infinité de gens de marque qu’ils lui nommèrent. Ils eurent la cruauté de le laisser un mois dans le doute sur son fils. Il voulut aussi prendre de grands airs à Gratz, qui ne lui réussirent pas. Le chemin de son retour fut par Venise et par Milan, où il s’arrêta avec le cardinal d’Estrées, et il y vit le roi d’Espagne, il passa par l’armée d’Italie qu’il avoit commandée, et arriva à Versailles le 14 novembre.

Rien n’est égal à la manière dont le roi le reçut et le traita, d’abord chez Mme de Maintenon, puis en public. Cette faveur alla jusqu’à lui parler d’affaires d’État, et à lui en faire communiquer quelques dépêches par Torcy. Le chevalier de Lorraine, son ami intime dès leur jeunesse, et ami de galanteries, d’intrigues, d’affaires, et d’alliance proche par M, le Grand, et qui avoit infiniment d’esprit et de connoissance du roi et de la cour, lui conseilla d’abdiquer le commandement des armées, où il n’étoit pas heureux, et de suivre ce rayon de faveur si singulier pour essayer d’entrer dans le conseil. Le chevalier de Lorraine, homme de grandes vues, n’auroit pas été fâché sans doute d’y avoir un ami de peu de lumières, accoutumé à n’avoir point de secret pour lui et à s’en laisser conduire en beaucoup de choses. Il fit tout ce qu’il put pour le persuader qu’établi aussi complètement qu’il étoit, ce seroit mettre un comble solide à sa fortune, auquel nul autre portant épée n’étoit parvenu de ce règne, que le duc de Beauvilliers. Le maréchal en convint, il lui avoua même qu’à ce qui se passoit du roi à lui, il pouvoit se flatter que d’être admis au conseil ne seroit pas une grâce difficile ; mais il soutint que quitter le commandement des armées sur les malheurs qui lui étoient arrivés, ce seroit se déshonorer.

Un homme de peu d’esprit et de sens, et qui se croit beaucoup de l’un et de l’autre, s’entête aisément. Jamais le chevalier de Lorraine ne put le tirer de ce faux raisonnement. Il ne mit guère à se repentir de n’avoir pas suivi un conseil si salutaire. Il fut peu de jours après déclaré général de l’armée de Flandre ; mais le chevalier de Lorraine n’en vit pas le triste succès. Il avoit eu une légère attaque d’apoplexie pendant Fontainebleau. Il n’en avoit pas quitté sa vie ordinaire. Jouant à l’hombre dans son appartement du Palais- Royal, après son dîner, le 7 décembre, il lui en prit une seconde, et perdit en même temps connoissance ; il en mourut vingt-quatre heures après, sans que la connoissance lui fût revenue, n’ayant pas encore soixante ans. Il était lieutenant général, et avoit servi sous le roi à toutes ses conquêtes. Monsieur lui avoit donné les abbayes de Saint-Benoît-sur-Loire, Saint-Père en Vallée à Chartres, de la Trinité de Tiron et de Saint-Jean des Vignes à Soissons. Il les garda toute sa vie ; et outre ce qu’il avoit tiré de Monsieur, qui étoit immense, il avoit de grosses pensions du roi, et souvent des gratifications très considérables. Peu de gens le regrettèrent, excepté Mlle de Lislebonne qu’on croyoit qu’il avoit épousée secrètement depuis longtemps. J’ai assez parlé ailleurs de ces personnages, pour n’avoir rien à y ajouter.

Le comte d’Estrées arriva de Toulon et s’arrêta à Essonne, où toute sa famille l’alla trouver. Ce fut, au retour, force plaisanteries à sa femme ; il fut rapporté à peine à Paris, où peu de jours après, c’est-à-dire le 23 novembre, on lui fit une grande opération qu’on n’expliqua point, mais qu’on prétendit qui l’empêcheroit d’avoir des enfants. Son beau-frère, le duc de Guiche, obtint en même temps pour une confiscation de vingt mille livres de rente sur les biens des Hollandois en Poitou. Lui et sa femme, qui étoient mal dans leurs affaires, étoient continuellement à l’affût d’en faire, et les contrôleurs généraux avoient ordre de ne leur en refuser aucune possible, ni à la maréchale de Noailles. Il est incroyable tout ce qu’ils en firent.

Le roi permit aussi en même temps au comte d’Albert de sortir de la Conciergerie, où il étoit depuis deux ans, quoique le parlement l’eût absous du duel dont il étoit accusé ; mais il demeura cassé. Pertuis, en prison aussi depuis neuf ans, et le marquis de Conflans aussi, pour s’être aussi battus, en sortirent de même, mais sans rentrer dans le service.

Chamois, envoyé du roi à Ratisbonne, en avoit été chassé fort brusquement, il y avoit trois mois. Du Héron, envoyé du roi en Pologne, fut traité de même en ce temps-ci ; et Boneu, envoyé du roi près du roi de Suède, passant pays sur la foi de son caractère, fut enlevé par les Polonois. On arrêta à Paris tous ceux de cette nation et tous les Saxons qui s’y trouvèrent ; et, pour s’assurer mieux de la Lorraine, on occupa Nancy, au cuisant regret de M. et de Mme de Lorraine, qui s’en allèrent pour toujours à Lunéville d’où ils ne sont plus revenus à Nancy. Le maréchal Catinat, qui ne venoit presque point à la cour, et des moments, eut une audience du roi dans son cabinet, à l’issue de son lever, courte et honnête, et de la part du maréchal fort froide et réservée, après laquelle on sut qu’il ne serviroit plus.

Le lundi 4 décembre, au sortir du conseil de dépêches, où étoit Mgr le duc de Bourgogne, le roi lui dit qu’il lui donnoit l’entrée du conseil des finances et même du conseil d’État, qu’il comptoit qu’il y écouteroit et s’y formeroit quelque temps sans opiner, et qu’après cela il seroit bien aise qu’il entrât dans tout. Ce prince s’y attendoit d’autant moins, que Monseigneur n’y était entré que beaucoup plus tard, et fut fort touché de cet honneur. Mme de Maintenon, par amitié pour Mme la duchesse de Bourgogne, y eut grand’part, ainsi que le témoignage que rendit le duc de Beauvilliers de la maturité et de l’application de ce jeune prince. Mme la duchesse de Bourgogne parut transportée de joie, et M. de Beauvilliers en fut ravi.

Parlant des conseils, il arriva un notable changement au cérémonial de celui d’Espagne. Les conseillers d’État, c’est-à-dire les ministres à notre façon de parler, y sont assis devant le roi, mais le secrétaire des dépêches universelles qui y rapporte toutes les affaires y est toujours debout au bas bout de la table ou à son choix à genoux sur un carreau. Je ne sais si par similitude cela déplut à nos secrétaires d’État, qui pourtant ne se sont jamais assis du vivant du roi au conseil des dépêches en présence des ministres assis, qui ne sont jamais entrés dans les autres conseils que lorsqu’ils ont été ministres, et qui, bien que ministres, sont demeurés debout en celui des dépêches, ou si le roi le fit de son mouvement en considération des services qu’Ubilla, secrétaire des dépêches universelles, avoit rendus si essentiellement lors du testament du roi Charles II ; quoi qu’il en soit, ce fut à la recommandation du roi que le roi d’Espagne, en arrivant à Madrid avec le cardinal d’Estrées, qui entra dans le conseil, y fit asseoir Rivas au bout de la table. Cette grâce fit quelque rumeur, comme font les nouveautés dans un pays qui les abhorre, mais elle passa, et Rivas eut un titre de Castille, et s’appela le marquis de Rivas ; mais ces titres ne donnent rien ou comme rien. Une autre nouveauté fit bien plus de fracas. Le roi d’Espagne, sous prétexte des gardes que la reine son épouse avoit pris sur la fin de sa régence à propos de ces bruits dont elle s’étoit effrayée la nuit auprès de son appartement, déclara qu’il vouloit avoir deux régiments des gardes sur le modèle entièrement, pour le nombre et le service, de ceux de France ; le premier, d’Espagnols, et le second, de Flamands ou Wallons que Mme des Ursins fit donner au duc d’Havrech, dont elle avoit connu la mère à Paris, qui étoit demeurée fort de ses amies. Ils furent levés, formés et entrèrent en service fort promptement. Le marquis de Custanaga, gouverneur des Pays-Bas sous Charles II, et qui depuis étoit demeuré en considération eu Espagne, et s’étoit fort bien conduit à l’avènement de Philippe V, eut le régiment des gardes espagnoles, mais il mourut avant qu’il fût en état de servir.

Orry fut en même temps renvoyé en Espagne. C’étoit une manière de sourdaud de beaucoup d’esprit, de la lie du peuple, et qui avilit fait toutes sortes de métiers pour vivre, puis pour gagner. D’abord rat de cave, puis homme d’affaires de la duchesse de Portsmouth qui le trouva en friponnerie et le chassa. Retourné à son premier métier, il s’y fit connoître des gros financiers, qui lui donnèrent diverses commissions dont il s’acquitta à leur gré, et qui le firent percer jusqu’à Chamillart. On eut envie de savoir plus distinctement ce que c’étoit que la consistance et la gestion des finances d’Espagne ; on n’y voulut envoyer qu’un homme obscur, qui n’effarouchât point ceux qui en étoient chargés, et qui eût pourtant assez d’insinuation pour s’introduire, et de lumière pour voir et en rendre bon compte. Orry fut proposé et choisi. Il étoit donc revenu depuis peu d’Espagne pour rendre compte de ce qu’il y avoit appris. Mme des Ursins qui, à l’appui de la régence de la reine dont elle avoit saisi les bonnes grâces au dernier point, avoit dès lors projeté de la faire entrer dans toutes les affaires, et de les gouverner, elle, par ce moyen. Orry lui fit sa cour ; son esprit lui plut, elle le trouva obséquieux pour elle, et d’humeur à entreprendre sous ses auspices. C’étoit pour elle un moyen de mettre utilement le nez dans les finances que de l’y pousser ; ils lièrent de valet à maîtresse, et en apporta ici les plus fortes recommandations. Chamillart, ravi qu’on se fût bien trouvé de son choix, l’appuya ici de toute sa faveur, et le fit renvoyer avec des commissions qui le firent compter. Nous le verrons devenir assez rapidement un principal personnage.

En ce même temps, Marsin, que le roi d’Espagne avoit mené jusqu’à Perpignan, arriva à Versailles au lever du roi, qui l’entretint dans son cabinet, et le soir deux heures chez Mme de Maintenon ; il fut reçu à merveille : aussi n’avoit-il rien oublié pour se concilier tout ce qui le pouvoit servir. Desgranges, maître des cérémonies, avoit été au débarquement du roi d’Espagne à Marseille et l’avoit accompagné jusqu’à la frontière de Catalogne pour le faire servir et sa suite de tout ce qu’il pouvoit être nécessaire, et empêcher les cérémonies et les réceptions, dont il ne voulut aucune, et qui l’auroient fort importuné.

Il y avoit quelque temps qu’il se couvoit une querelle entre M. le chancelier et les évêques, lorsqu’une nouvelle dispute avec M. de Chartres la fit éclater tout à la fin de cette année. Les évêques, en possession de faire imprimer leurs mandements ordinaires pour la conduite et les besoins de leurs diocèses, les livres d’église, quelques catéchismes courts, à l’usage des enfants, sans permission et de leur propre autorité, voulurent profiter du double zèle du roi contre le jansénisme et le quiétisme, et se donner peu à peu l’autorité de l’impression pour des livres de doctrine plus étendus sans avoir besoin de permission ni de privilège. Le chancelier ne s’accommoda pas de ces prétentions, ils se tiraillèrent quelque temps là-dessus : les évêques alléguant qu’étant juges de la foi, ils ne pouvoient être revus ni corrigés de personne dans leurs ouvragea de doctrine ni par conséquent avoir besoin de permission pour les faire imprimer : le chancelier maintenant son ancien droit, et que, sans prétendre s’en arroger aucun sur la doctrine, c’étoit à lui à empêcher que, sous ce prétexte, les disputes s’échauffassent jusqu’à troubler l’État ; qu’il ne se glissât des sentiments qui, n’étant que particuliers, ne feroient que les aigrir ; que la domination anciennement usurpée par les évêques, et sagement réduite à des bornes tolérables, ne vint à se reproduire ; enfin à veiller qu’il ne se glissât rien dans ces ouvrages de contraire aux libertés de l’Église gallicane.

Cette fermentation dura jusqu’à ce que M. de Meaux, et M. de Chartres vinrent à y prendre une part personnelle pour leurs ouvrages prêts à être publiés contre M. Simon, savant inquiet, auteur d’une foule d’ouvrages ecclésiastiques, entre autres une traduction du Nouveau Testament avec des remarques littérales et critiques que M. le cardinal de Noailles et M. de Meaux condamnèrent par des instructions pastorales. Il se rebéqua par des remontrances. M. de Meaux et M. de Chartres écrivirent contre lui ; et ce furent ces ouvrages qu’ils prétendirent soustraire à l’inspection et à l’autorité du chancelier, qui fit l’éclat couvé depuis assez longtemps. Avec cet appui les évêques haussèrent le ton, et prétendirent que c’étoit à eux, chacun dans son diocèse, à donner la permission d’imprimer les livres sur la religion, et non à d’autres à les examiner ni à en permettre ou défendre l’impression. L’affaire s’échauffa. Mme de Maintenon, de longue main assez peu contente du chancelier pour avoir été ravie de s’en défaire aux finances, et à la marine par les sceaux, gouvernée d’ailleurs tout à fait par M. de Chartres, et raccommodée avec M. de Meaux par l’affaire de M. de Cambrai, se déclara pour eux contre lui. Le roi, tout obsédé qu’il étoit par une partialité si puissante et par les jésuites, qui poussoient le P. de La Chaise contre le chancelier, qu’ils regardoient comme leur ennemi parce qu’il aimoit les règles et qu’il étoit exact et délicat sur toutes les matières de Rome, et n’oublioient rien pour lui donner auprès du roi l’odieux vernis de jansénisme ; le roi, dis-je, ne laissoit pas d’être embarrassé. Le chancelier lui montroit la nouveauté de ces prétentions, et les prodigieux abus qui s’en pourroient faire dès que tout livre de religion dépendroit uniquement des évêques ; le danger que l’ambition de ceux qui tourneroient leurs vues du côté de Rome pouvoit rendre très redoutable, et celui de tout tirer comme autrefois à la religion, pour dominer indépendamment sur tout. Le roi craignit donc de juger une question qu’il eût tranchée d’un mot, mais qui auroit fâché les jésuites et mis Mme de Maintenon de mauvaise humeur. Il pria donc les parties de tâcher de s’accommoder à l’amiable, et il espéra qu’en les laissant à elles-mêmes, de guerre lasse enfin, elles prendroient ce parti dont il les pressoit toujours. En effet toutes deux désespérant d’une décision du roi, par conséquent d’emporter tout ce qu’elles prétendoient, prêtèrent l’oreille à un accommodement, dont le cardinal de Noailles, et MM. de Meaux et de Chartres se mêlèrent uniquement pour leur parti.

Les évêques avoient peut-être étendu leurs prétentions au delà de leurs espérances pour tirer davantage, et le chancelier, peiné de fatiguer le roi, et d’en voir retomber le dégoût sur soi, par l’adresse des jésuites et le manège de Mme de Maintenon, prit aussi son parti de finir la querelle en y laissant le moins qu’il pourroit du sien. Il fut donc enfin convenu que les évêques abandonneroient la prétention aussi nouvelle que monstrueuse d’avoir l’autorité privative à toute autre de, permettre l’impression des livres concernant la religion, mais qu’ils les pourront censurer, ce qui ne leur était pas contesté, et qu’ils pourront faire imprimer sans permission les livres de religion dont ils seront les auteurs, article qui fit après une queue. Qu’à l’égard de leurs rituels, la matière des mariages sera soumise à l’examen et à l’autorité du chancelier par rapport à l’État. En particulier sur les ouvrages contre M. Simon, qu’il y seroit changé quelque chose que le chancelier n’approuvoit pas.

L’affaire finit ainsi ; mais le venin demeura dans le cœur ; les jésuites ni les évêques, par des vues différentes, ni Mme de Maintenon, à cause de son directeur, ne purent se consoler d’avoir manqué un si beau coup, ni le chancelier de leur voir emporter des choses si nouvelles et si dangereuses.

C’est ce qui produisit depuis une lutte entre eux sur cet article des livres de religion que les évêques voudroient faire. Ils prétendirent que cette expression enveloppoit toute matière de doctrine. Le chancelier maintenoit qu’elle se bornoit à ce qu’on appelle livres de liturgie, missels, rituels et autres semblables ; de décision il n’y en eut point ; mais le chancelier, qui n’avoit rien à perdre du côté des jésuites ni à regagner de celui de Mme de Maintenon, et qui étoit maître de la librairie, en vint à bout par les menus, et tint ferme à ne rien laisser imprimer que sous l’examen et l’autorité ordinaire.

M. de Meaux vieillissoit, il aimoit la paix, il n’étoit point ennemi du chancelier.

M. de Chartres, noyé dans Saint-Cyr, et toujours occupé dans l’intérieur du roi et de Mme de Maintenon, et dans la confidence entière de leur mariage, ne fit plus guère rien au dehors ; et des autres évêques, il n’y en avoit point, ou bien peu, qui par leurs ouvrages fussent pour entretenir la dispute ; mais de cette affaire le chancelier demeura essentiellement mal avec Mme de Maintenon qui, peu à peu, avec les jésuites l’éreintèrent auprès du roi, sans toutefois lui en pouvoir liter ni l’estime ni un certain goût naturel qu’il avoit toujours eu pour lui, et que le dégoût de ce refroidissement empêcha le chancelier, aisé à dépiter, de cultiver et de ramener comme il lui auroit été aisé de faire pour peu qu’il, en eût voulu prendre la peine, ainsi que cela parut depuis en plusieurs occasions qui se retrouveront dans la suite.

Chamilly, revenant de son ambassade de Danemark, salua le roi à la fin de cette année, et ne fut pas bien reçu : il étoit fils d’un homme très distingué à la guerre, et qui, s’il eût vécu, auroit été maréchal de France en 1675, et à qui le roi destinoit de loin une compagnie de ses gardes, et neveu de Chamilly que nous allons bientôt voir maréchal de France. Chamilly dont je parle étoit un très grand et très gros homme qui, avec beaucoup d’esprit, de grâce et de facilité à parler, et beaucoup de toutes sortes de lectures, se croyoit de tout cela le triple de ce qu’il en avoit, et le laissoit sentir. Il se rendit odieux au roi de Danemark et à ses ministres par ses grands airs et ses hauteurs, et des protections qu’il entreprit contre eux dans leur propre cour et jusque contre l’autorité du roi de Danemark ; mais ce qui le perdit dans l’esprit du roi fut la méprise d’un dessus de lettre à Torcy et à Barbezieux ; ce dernier, qui se croyoit de ses amis, ouvrit la lettre écrite à Torcy, y vit un portrait de soi et une espèce de parallèle si fâcheux, qu’il le perdit auprès du roi si radicalement, qu’après la mort de Barbezieux même, l’impression ne s’en put jamais effacer. Pareille aventure étoit arrivée à d’Avaux avec les deux mêmes, leur écrivant d’Irlande où il étoit auprès du roi d’Angleterre, dont il eut toutes les peines du monde à se relever. Il ne s’en releva même jamais parfaitement, mais il n’en fut pas perdu comme l’autre, parce qu’il n’étoit pas homme de guerre, et que Croissy à qui il avoit écrit, et Torcy depuis, le soutinrent et le firent renvoyer en d’autres ambassades. On ne sauroit croire le nombre et le mal de pareilles méprises.

En cette même fin d’année, trois bagatelles qui devinrent trois époques qui se retrouveront : la mort du cardinal Cantelmi, archevêque de Naples, frère du duc de Popoli ; [de] Brillac, conseiller au parlement de Paris, fait premier président du parlement de Bretagne, et surtout [de] Champflour, nommé à l’évêché de la Rochelle. Une autre mort, qui ne vaut pas la peine d’être comptée, arrivée en même temps, fut celle du duc d’Albemarle, bâtard du roi d’Angleterre Jacques II, en Languedoc, où il étoit allé tâcher de se guérir. Sa naissance, si au goût du roi, l’avoit fait, tout jeune, lieutenant général des armées navales. M. et Mme du Maine en faisoient comme de leur frère, et toutefois l’avoient marié à la fille de Lussan, premier gentilhomme de la chambre de M. le Prince, et de Mme de Lussan, dame d’honneur de Mme la Princesse, qui n’avoit rien, et n’en eut pas d’enfants.

L’année finit par le mariage de mon beau-frère avec la troisième fille de Chamillart ; dès l’été précédent, il en avoit été parlé dans le monde, en sorte que je demandai à Mme la maréchale de Lorges ce qu’il convenoit que je répondisse aux questions qu’on me faisoit là-dessus ; elle m’assura qu’il n’y avoit rien de fondé en ces bruits, sur quoi je crus pouvoir et devoir lui parler avec franchise d’un mariage si peu touchant par l’alliance et les entours, si peu réparé par le bien, si peu encore par les espérances, avec un gendre tel que La Feuillade, dont Chamillart étoit affolé, et tout de suite j’ajoutai qu’une fille du duc d’Harcourt seroit bien plus convenable par la naissance, par l’état brillant d’Harcourt, par l’âge fort supérieur à ses enfants qu’auroit ce gendre, susceptible en tout des prémices de sa faveur. Cela ne fut point goûté, et j’en demeurai là. M. de Lauzun, qui sur la prochaine opération de M. le maréchal de Lorges n’avoit pu éviter de se rapprocher par degrés, et qu’on vit avec surprise emmener chez lui la maréchale de Lorges, après ce qui s’étoit passé de si éclatant, et la garder chez lui les premiers jours de notre perte commune, voulut en tirer parti. Il compta se faire un mérite auprès du toutpuissant ministre de presser le mariage de sa fille, et que, devenant son beau-frère, cette alliance lui ouvriroit la porte du cœur et de l’esprit de Chamillart, et le remettroit auprès du roi dans sa première faveur. Il n’eut pas peine à persuader la maréchale qui en mouroit d’envie, ni le jeune homme à qui il fit accroire que tout par là deviendroit or entre ses mains.

Tout se fit et se conclut sans que Mme de Saint-Simon ni moi en sussions rien, que par le monde. J’en parlai à la maréchale qui m’avoua l’affaire seulement fort avancée ; je ne pus m’empêcher de lui dire encore mon sentiment. J’ajoutai que, quant à moi, rien ne me convenoit davantage, mais que, par plusieurs raisons, je craignois fort qu’elle et son fils ne s’en repentissent. Alors elle me parla plus ouvertement, et je vis si bien que c’étoit chose faite que je crus en devoir faire compliment à Chamillart dès le lendemain. Ce qui me pressa là-dessus fut le souvenir d’un avis que, dès l’été que j’en avois parlé à la maréchale sur les bruits qui couroient, Mme de Noailles m’avoit averti de prendre garde à ne pas montrer de répugnance pour ce mariage, parce que les Chamillart en étoient avertis, et qu’il n’en seroit autre chose. J’allai donc voir Chamillart que je ne connoissois que comme on connoît les gens en place, et à qui je n’avois jamais parlé que lorsque, très rarement, j’avois eu affaire à lui : il quitta pour moi les directeurs des finances avec qui il travailloit. La réception fut des plus gracieuses. Je me bornois aux compliments, lorsque ce ministre, avec qui je n’avois pas la plus légère liaison, se mit à me raconter les détails du mariage, et à me faire ses plaintes des procédés qu’il avoit eus à essuyer de Mme la maréchale de Lorges ; que ce mariage, fait dès l’été, avoit traîné jusqu’alors par toutes sortes d’entortillements, et m’en dit tant, que plein de mon côté je ne pus m’empêcher de lui répondre avec la même franchise. Il m’apprit qu’une pension de vingt mille livres, que le duc de Quintin avoit obtenue à la mort de son père, étoit uniquement en faveur du mariage, et il me montra une lettre de la maréchale qu’il avoit lue au roi, dont les termes me firent rougir. Je pense qu’il n’y a point d’exemple d’une première conversation si pleine de confiance réciproque, mais prévenue par celle de Chamillart, entre deux hommes aussi peu connus l’un à l’autre, et d’âges et d’emplois si différents.

La surprise en doit être plus grande, quand on verra, comme je le raconterai bientôt, que le ministre étoit plus qu’informé de mon éloignement de ce mariage, et combien la maréchale de Noailles m’avoit fidèlement averti. Il produisit encore bien de la tracasserie sur l’intérêt entre ma belle-mère, et moi, qui, non contente de ce que j’avois bien voulu faire, ne cessa de tenter plus, à force de propositions captieuses, qui aboutirent enfin à n’accepter ni renoncer à la communauté, et à ne rien faire de tout ce à quoi les lois obligent les veuves, en quoi, les procédés de sa part furent encore, s’il se peut, plus étranges que le fond. Ce détail domestique pourra paroître étranger ici, mais on verra par la suite qu’il y est nécessaire.

Le mercredi, 13 décembre, nous allâmes à l’Étang, où l’évêque de Senlis maria mon beau-frère à sa nièce, dont la dot ne fut que de cent mille écus, comme celle de sa sœur la duchesse de La Feuillade, et de même logés et nourris partout, ce qui me procura l’usage de l’appartement que M. le maréchal de Lorges avoit dans le château de Versailles. La noce fut nombreuse et magnifique ; rien n’égaloit la joie du ministre et de sa famille ; rien n’approcha des empressements de M. de Lauzun, rien ne fut pareil à ceux de Chamillart pour Mme de Saint-Simon et pour moi, de sa femme, de ses filles et jusque de ses amis particuliers qu’il avoit conviés. Si j’avois été surpris de la franchise avec laquelle il m’avoit parlé la première fois, je le fus encore davantage de la façon dont il me demanda mon amitié. La plus grande politesse et l’énergie se disputèrent en ses expressions, et je vis la sincérité du désir y dominer. Je fus embarrassé ; il s’en aperçut. J’en usai avec lui comme en pareil cas j’avois fait avec le chancelier. Je lui avouai naturellement mon intimité avec le père, ma liaison avec le fils, celle de Mme de Saint-Simon et de Mme de Pontchartrain, cousines germaines, mais plus étroitement unies que deux véritables sœurs, et je lui dis que, si à cette condition il désiroit mon amitié, je la lui donnerois de tout mon cœur. Cette franchise le toucha. Il me dit qu’elle augmentoit son empressement d’obtenir mon amitié, nous nous la promîmes, et nous nous la sommes toujours tendrement et fidèlement tenue dans tous les temps jusqu’à la mort. Il était outrément brouillé avec le chancelier et avec son fils, et eux avec lui. C’étoit à qui pis se feroit. Je crus donc, au sortir de l’Étang, leur devoir dire ce qui seroit passé entre Chamillart et moi ; le chancelier me reçut comme avoit fait M. de Beauvilliers en pareil cas sur lui ; sa femme et sa belle-fille de même, son fils autant bien qu’il put être en lui. Ils eurent tous de part et d’autre cette considération pour moi, et toujours soutenue, qu’en ma présence quand il y avoit quelqu’un, jamais ils ne parlèrent les uns des autres. Pour en particulier avec moi, ils ne s’en contraignirent pas tant. Ils se comptoient en sûreté avec moi, et ils ne s’y trompèrent jamais ; je devins donc de la sorte ami intime de Chamillart ; je l’étois déjà des ducs de Beauvilliers et de Chevreuse et du chancelier, et aussi bien avec Pontchartrain qu’il était possible. Cela m’initia dans bien des choses importantes, et me donna un air de considération à la cour fort différent de ceux de mon âge.

Chamillart ne fut pas longtemps sans me donner des preuves d’amitié. Sans que j’y pensasse, il voulut me raccommoder avec le roi ; quoiqu’il n’y pût réussir, je ne sentis pas moins cette tentative. Un jour que j’en parlois à sa femme, elle prit un air de plus de confiance encore qu’à l’ordinaire, et me dit qu’elle étoit ravie que je fusse plus content d’eux que je ne l’avois cru, et sur ce que je lui parus n’entendre point ce langage, elle me dit qu’ils savoient bien que je ne voulois point du tout que mon beau-frère épousât leur fille, mais qu’elle m’avouoit qu’elle étoit fort curieuse de savoir pourquoi. Dans ma surprise, je tournai court et je lui dis qu’il étoit vrai ; et que puisqu’elle en vouloit savoir la raison, je la lui dirois avec la même franchise. Il n’étoit pourtant pas à propos de l’avoir entière là-dessus avec elle. Je lui dis que j’avois toujours pensé, sur les mariages, qu’il ne falloit jamais prendre plus fort que soi, surtout des ministres, si rarement traitables et raisonnables, pour n’être point écrasé par ce qu’on a pris pour se soutenir et s’avancer ; qu’un mariage égal engageoit chaque côté à mettre également du sien, et faisoit plus justement espérer l’union des familles ; que, pour cette raison, je n’avois pas goûté leur mariage, et que j’avois proposé celui d’une fille du duc d’Harcourt par les raisons que j’ai ci-devant rapportées, et je me rabattis à l’assurer que si je les avois connus alors tels que je les connoissois maintenant, j’aurois pressé leur mariage, bien loin d’en dégoûter.

La franchise de ma réponse, et le peu qu’il avoit fallu pour l’attirer, plut tant à Mme Chamillart, qu’elle me répondit qu’il la falloit payer par la sienne. Elle m’apprit que, dès l’hiver précédent, le mariage s’étoit traité pour Mme de La Feuillade ; que, ne s’étant pu faire, et Mme de La Feuillade mariée, Mme la maréchale de Lorges avoit tout tenté pour leur dernière fille, par M. de Chamilly et par Robert, après qu’elle fut partie avec son mari pour la Rochelle ; enfin par elle-même ; qu’il étoit comme fait lorsque la maréchale me répondit l’été dernier qu’il n’y avoit pas le moindre fondement, qui fut l’occasion où je lui parlai contre ce mariage et pour celui de Mlle d’Harcourt ; qu’aussitôt après la maréchale alla à l’Étang sous un autre prétexte, et qu’en ce voyage, que Mme Chamillart me rappela par des circonstances, traitant avec elle le mariage, la maréchale lui avoit dit que j’y étois entièrement opposé, et voulois celui de Mlle d’Harcourt. Je laisse les réflexions sur ce trait et sur ses suites, mais je ne l’ai pas voulu omettre pour montrer combien M. et Mme Chamillart étoient de bonnes gens d’en user après, cela comme ils firent avec moi, et d’en faire toutes les avances. Cela aussi scella entièrement notre amitié et notre liaison intime.

Ce mariage eut le sort que j’avois prédit à la maréchale il fut de fer pour eux et d’or pour moi, non pas en finance, par l’horreur que nous avons toujours eue, Mme de Saint-Simon et moi, de ce qu’on appelle à la cour faire des affaires, et à quoi tant de gens du premier ordre se sont enrichis, mais par le plaisir de la confiance de Chamillart, des services que je fus à portée de rendre à mes amis, et d’en tirer pour moi, et dans les suites assez promptes, par la satisfaction de ma curiosité sur les choses de la cour et de l’État les plus importantes, qui me mettoit au fait journalier de tout. Je gardai ce secret à Mme Chamillart excepté pour son mari, avec qui je me répandis, et lui avec moi, et pour Mme de Saint-Simon qui en fut informée. Il suffit de dire que le mariage alla tout de travers entre le mari et la femme tant qu’il dura ; que mon beau-frère acheva de se perdre en quittant le service aussitôt après ses noces, sans que l’offre d’être fait brigadier hors de rang le pût retenir, et que Mme de Saint-Simon et moi fûmes toujours les dépositaires des douleurs de Chamillart et de tout ce triste domestique. Mme la maréchale de Lorges n’avoit acquis ni leur estime ni leur amitié ; elle prit le parti d’une grande retraite. C’étoit bien fait pour l’autre monde, et ne fut guère moins bien pour celui-ci ; il faut dire à sa louange qu’à la fin elle rentra en elle-même ; et que sa vie fut austère, pénitente, pleine de bonnes œuvres et parfaitement retirée. Je fus bien des années à revenir pour elle, cela se retrouvera en son lieu. Je le répète, j’aurois passé sous silence ce détail triste et peu intéressant, si je ne l’avois jugé tout à fait nécessaire à montrer l’origine et le fondement de l’intimité qui se verra dans la suite entre Chamillart et moi, et qui m’a mis à portée de savoir et de faire fort au delà de mon âge et de mon apparente situation, tandis que j’y étois de l’autre partie opposée[2], je veux dire le chancelier et son fils, et par M. de Beauvilliers mal avec eux, mais fort ami de Chamillart. Les filles de celui-ci, avec qui j’étois aussi en toute confiance, me mettoient au fait de mille bagatelles de femme, souvent plus importantes qu’elles-mêmes ne croyoient, et qui m’ouvroient les yeux, et une infinité de combinaisons considérables, jointes à ce que j’apprenois par les dames du palais, mes amies, et par la duchesse de Villeroy avec qui j’étois étroitement lié, ainsi qu’avec la maréchale sa belle-mère, que j’eus le plaisir de raccommoder intimement, et de voir durer leur union jusqu’à leur mort, après avoir été longues années on ne sauroit plus mal ensemble. J’étois aussi très bien avec le duc de Villeroy et en grande et la plus familière société avec eux ; mais je ne pus m’accoutumer aux grands airs du maréchal : je trouvois qu’il pompoit l’air de partout où il étoit, et qu’il en faisoit une machine pneumatique. Je ne m’en cachois ni à sa femme, ni à son fils, ni à sa bellefille, qui en riaient et qui ne purent jamais m’y apprivoiser.

Pour ne plus revenir à un triste sujet, je dirai ici d’avance que mon beau-frère prit [le nom de duc de Lorges] peu après son mariage, pour faire porter le nom de Lorges, si illustré par son père, à son duché de Quintin ; et qu’il porta depuis le nom de duc de Lorges.




  1. Le texte du manuscrit a été exactement reproduit. Les anciens éditeurs ont modifié ainsila phrase : « Ce ne fut qu’au bout de deux mois d’instances et de pardons de tous ses Zarcins. » Saint-Simon.toujours mal disposé pour les Lorraine, n’a pas manqué de rappeler que Harcourt était de leur maison et que ce fut à leurs instantes sollicitations qu’il dut son retour.
  2. Cette phrase a été modifiée par les précédents éditeurs qui l’ont probablement trouvée trop obscure. Il est cependant facile de comprendre ce que Saint-Simon veut dire, qu’il était dans la confidence des deux partis opposés, de Ghamillart et du chancelier de Pontchartrain.