Mémoires historiques/24

La bibliothèque libre.
Les Huit Traités
Premier Traité : Les rites

CHAPITRE XXIV

Deuxième Traité : La musique


p.230 Le duc grand astrologue dit :

Toutes les fois que je lis le livre de Yu (Choen), lorsque j’arrive au passage où il est dit que, si le prince et ses sujets s’entr’aident dans leurs efforts, il y aura le calme dans toute affaire, et que, si les jambes et les bras ne sont pas excellents, toutes choses vont à leur ruine, — je ne peux jamais m’empêcher de verser des larmes (101). — Le roi Tch’eng fit une ode (102) pour s’infliger à lui-même un avertissement et une réprimande et pour s’attrister des difficultés dont souffrait son royaume. N’est-il pas celui dont on peut dire : saisi de tremblement et plein de crainte, il observa bien (son devoir), et le pratiqua jusqu’au bout ?

Si le sage pratique la vertu, ce n’est pas parce qu’il y est contraint ; lorsqu’il rejette les rites, ce n’est pas par négligence ; quoique restant en repos, il sait penser aux (affaires dès leur) début ; quoique immobile, il sait p.231 réfléchir aux (affaires dès leur) commencement ; il produit la purification (du peuple) et est grandement bienfaisant ; les chants (103) célèbrent ses efforts et sa peine. Qui d’autre que l’homme doué d’une grande vertu pourrait être tel ? Un livre dit :

« Quand le bon gouvernement est établi et que l’œuvre méritoire est accomplie, alors les rites et la musique sont en honneur. (Dans le pays situé à) l’intérieur des mers, la conduite des hommes devient plus profondément (excellente) ; leur vertu devient de plus en plus parfaite ; ce à quoi ils se plaisent devient de plus en plus différent.

Ce qui est rempli, et dont on ne retranche rien, déborde ; ce qui est plein, et n’est pas soutenu, se renverse (104). Tous ceux qui instituèrent des musiques le firent pour modérer la joie (105). Le sage fait les rites pour (engager à) céder et à se retirer (l’homme qui serait naturellement disposé à prendre le pas sur les autres) ; il fait la musique pour diminuer et retrancher (l’excès de joie auquel l’homme serait naturellement porté à se livrer). Voilà ce qu’est la musique.

Considérant que les provinces étaient diverses et les royaumes différents les uns des autres, que les sentiments et les usages n’y étaient pas identiques, à cause de cela, (les anciens rois) recueillirent partout les (poésies caractéristiques des) mœurs et les mirent en harmonie avec les notes et les tuyaux sonores (106) ; par là, p.232 on complète ce qui était défectueux et on produit la transformation ; on seconde le bon gouvernement et on répand les saines instructions. Le Fils du Ciel vient en personne dans le Ming-t’ang (107) pour observer de près (les résultats moraux ainsi obtenus) ; tous les gens du peuple se purifient en masse de leurs perversités et de leurs souillures ; on leur donne à boire et on les rassasie afin d’embellir leurs dispositions naturelles.

C’est pourquoi on dit : « Quand les airs du ya et du song (108) sont dirigeants, le peuple est correct ; quand les sons où retentissent les clameurs et les encouragements se font entendre, les guerriers sont excités ; quand les strophes de Tcheng et de Wei (109) sont exécutées, les cœurs se débauchent. » Sous l’influence de l’harmonie que ces airs mettent d’accord et de l’union qu’ils combinent, les oiseaux et les quadrupèdes eux-mêmes sont émus ; combien plus le seront ceux qui renferment dans leur sein les cinq vertus cardinales et qui ont la faculté d’aimer et de haïr ! C’est là un résultat de la nature même des choses.

La manière de gouverner étant devenue défectueuse, les airs (du pays) de Tcheng (110) furent mis en honneur ; des princes apanagés et des seigneurs héréditaires (111) eurent une renommée qui étendit son éclat sur les pays p.233 voisins ; ils luttèrent pour s’élever les uns au-dessus des autres. Lorsque Tchong-ni ne put plus, à cause (112) des comédiennes de Ts’i, agir comme il l’entendait dans le pays de Lou, quoique s’étant retiré, il rectifia la musique afin d’attirer au bien ses contemporains et fit (la poésie en) cinq phrases pour blâmer son époque ; mais il n’en résulta aucune réformation. La décadence se poursuivit graduellement (113) jusqu’à ce qu’on arrivât à la division en six royaumes (114) ; (les princes de ces royaumes) s’abandonnèrent à la débauche et s’enfoncèrent dans les excès ; ils allèrent toujours plus avant sans jamais revenir en arrière ; en définitive, ils aboutirent à se perdre eux-mêmes, à anéantir leur lignée et à faire annexer leurs royaumes par (le roi de) Ts’in. Eul-che, (de la dynastie) Ts’in, se livra davantage encore aux réjouissances. Le grand conseiller Li Se (115) vint le réprimander, disant :

— Rejeter le Che (King) et le Chou (King), penser avec ardeur aux mélodies (voluptueuses) et aux femmes, c’est ce que redoutait Tsou-i (116) ; accumuler inconsidérément des fautes légères, se livrer p.234 à ses passions tout le long de la nuit, c’est ce qui perdit Tcheou. Tchao Kao lui dit (au contraire) :

— Les cinq empereurs et les rois des trois premières dynasties eurent des musiques qui avaient chacune un nom différent ; ils montraient par là qu’ils ne s’imitaient pas les uns les autres. Depuis la cour du souverain en haut (117), jusqu’aux gens du peuple en bas, ils parvinrent ainsi à réunir tout le monde dans la joie, à coordonner les prospérités et les efforts. S’il n’y avait pas eu une telle harmonie, le bonheur n’eût pas pénétré partout, la distribution des bienfaits ne se fût pas répandue partout. D’ailleurs, sous chacun (de ces règnes), il y eut la transformation d’une génération entière, il y eut une musique qui réglait toute une époque. Qu’est-il donc besoin de Lou-eul (118), de la montagne Hoa (119) pour aller loin ?

Eul-che approuva ce discours.

Kao-tsou, à son passage à P’ei, composa la poésie des trois particules et ordonna à des jeunes gens de la chanter (120). Lorsque Kao-tsou fut mort, on ordonna que (le district de) P’ei eût le droit, aux quatre saisons, de chanter (cette poésie) avec accompagnement de danse dans le temple ancestral.


(Les empereurs) Hiao-hoei, Hiao-wen, Hiao-King, p.235 n’ajoutèrent ni ne modifièrent rien dans le bureau de la musique ; ils se livrèrent aux pratiques habituelles et se conformèrent aux usages anciens et ce fut tout.

Quand le souverain actuel eut pris le pouvoir, il fit dix-neuf pièces (de poésie) (121) ; il ordonna au che-tchong Li Yen-nien de combiner des airs appropriés et lui conféra le titre de hie-lu-tou-wei (122). Ceux qui ne sont versés que dans la connaissance d’un seul ouvrage canonique, sont incapables, avec leurs seules forces, de comprendre tout le sens (de ces poésies) ; qu’on rassemble tous ceux qui s’entendent aux cinq ouvrages canoniques (123) et qu’ils s’entr’aident pour expliquer ensemble et pour s’exercer à lire (ces poésies), alors ils parviendront à en pénétrer la signification (124). Le style (de ces odes) est souvent voisin de la perfection.

Sous les Han c’est l’usage, lorsque arrive le premier jour sin (125) du premier mois (de l’année), de sacrifier à l’Unité suprême dans (la localité de) Kan-ts’iuen (126) ; à six heures du soir on commence le sacrifice nocturne qui p.236 prend fin lorsque arrive le point du jour ; chaque fois il y a une étoile filante qui passe au dessus de l’autel où l’on sacrifie. Soixante-dix jeunes garçons et jeunes filles vierges sont chargés de chanter en chœur. Au printemps, on chante l’ode ts’ing yang ; en été, l’ode tchou ming ; en automne, l’ode si hao ; en hiver, l’ode hiuen ming (127). Le public en a un grand nombre (de copies), c’est pourquoi je ne les reproduis pas.

Puis (128) on trouva un cheval surnaturel dans la rivière Yo-wa (129) ; on composa derechef (sur ce sujet) un chant en l’honneur de l’Unité suprême. La strophe était ainsi conçue (130) :

« L’Unité suprême a fait un présent ; le cheval céleste est descendu ;

p.237 Une sueur rouge perle sur lui ; l’écume coule écarlate ;

Sa course est aisée ; il franchit dix mille li ;

Maintenant qui lui égalera-t-on ? Le dragon (seul) est son ami.

Ensuite (131), on vainquit (le royaume de) Ta-yuan et on trouva le cheval qui parcourait mille li (en un jour) ; le nom de ce cheval était P’ou-chao ; on composa de nouveau à ce sujet un chant dont le texte était ainsi conçu :

« Le cheval céleste est arrivé, venant de l’extrême occident ;

Franchissant dix mille li, il s’est réfugié auprès de celui qui est vertueux (132) ;

Grâce à son prestige surnaturel, il a fait se rendre les royaumes étrangers ;

il a traversé les sables mouvants, et les barbares des quatre points cardinaux se sont soumis.

Le tchong-wei Ki Yen (133) s’avança (en présence de l’empereur) et dit :

— Toutes les fois que des souverains ont institué certaines musiques, c’était pour honorer en haut leurs aïeux, et pour réformer en bas la multitude du peuple. Maintenant Votre Majesté a trouvé un cheval et a composé (à son sujet) une ode dont on a fait un chant et qu’on associe (aux cérémonies) dans le temple ancestral. Comment les empereurs vos prédécesseurs et les cent familles (du peuple) pourraient-ils apprendre de tels airs ?

L’empereur garda le silence, mécontent.

p.238 Le grand conseiller Kong-suen Hong (134) dit : — (Ki) Yen a critiqué un édit sacré (de l’empereur) ; il doit être mis à mort avec toute sa parenté (135).

[Toute note musicale (136) a son origine dans le cœur de l’homme ; les émotions du cœur humain, ce sont les objets qui les font se produire ; lorsque (le cœur) affecté par les objets (137) est ému, il donne une forme (à son émotion) par les sons. Les sons, en se répondant les uns aux autres, produisent les variations ; lorsque les variations se sont produites, c’est précisément ce qu’on appelle les notes musicales. En harmonisant les notes de manière à les jouer (sur les instruments de musique) (138), et en leur ajoutant les boucliers et les haches, les plumes p.239 et les queues de bœuf (139), (on obtient) ce qu’on appelle la musique.

C’est des notes musicales que la musique prend naissance ; son origine est dans le cœur de l’homme en tant qu’il est ému par les objets. Ainsi, lorsque le cœur ressent une émotion de tristesse, le son qu’il émet est contracté et va en s’affaiblissant ; lorsque le cœur ressent une émotion de plaisir, le son qu’il émet est aisé et relâché ; lorsque le cœur ressent une émotion de joie, le son qu’il émet est élevé et s’échappe librement ; si le cœur ressent une émotion de colère, le son qu’il émet est rude et violent ; si le cœur ressent une émotion de respect, le son qu’il émet est franc et modeste ; si le cœur ressent une émotion d’amour, le son qu’il émet est harmonieux et doux. Ces six (manifestations) ne sont point naturelles (140) ; c’est après avoir été affecté par les objets que (le cœur) est ému. C’est pourquoi les anciens rois veillaient à ce qui affectait (le cœur) (141).

Ainsi, les rites servaient à guider la volonté (de l’homme) ; la musique servait à harmoniser les sons qu’il émet ; les lois servaient à unifier ses actions ; les châtiments servaient à prévenir sa perversité. Les rites et la musique, les châtiments et les lois ont un seul et même but ; c’est par eux que les cœurs du peuple sont unis et p.240 c’est d’eux que sort la méthode du bon gouvernement. Toute note musicale naît du cœur de l’homme. Le sentiment étant excité à l’intérieur, il se manifeste (à l’extérieur) sous la forme de son ; quand les sons sont devenus beaux, c’est ce qu’on appelle les notes musicales (142). Ainsi donc, les notes d’une époque bien gouvernée sont paisibles et joyeuses et le gouvernement est harmonieux ; les notes d’une époque troublée sont haineuses et irritées et le gouvernement est contraire à la raison ; les notes d’un royaume qui tombe en ruines sont tristes et soucieuses et le peuple est affligé. Les sons et les notes sont en conformité avec le gouvernement (143).

(La note) kong représente le prince ; (la note) chang représente les ministres ; (la note) kio représente le peuple ; (la note) tche représente les affaires ; (la note) yu représente les objets. Si ces cinq (notes) ne sont pas troublées, il n’y aura pas de notes musicales mauvaises et discordantes (144). Lorsque (la note) kong est troublée, alors (le son) est désordonné ; c’est que le prince est arrogant. Lorsque la (note) chang est troublée, alors (le son) est lourd ; c’est que les ministres se sont pervertis. Lorsque (la note) kio est troublée, alors (le son) est p.241 inquiet ; c’est que le peuple est chagrin. Lorsque (la note) tche est troublée, alors (le son) est douloureux ; c’est que les affaires sont pénibles. Lorsque (la note) yu est troublée, alors (le son) est anxieux ; c’est que les fortunes sont épuisées. Lorsque les cinq (notes) sont toutes troublées, les rangs empiètent les uns sur les autres et c’est ce qu’on appelle l’insolence ; quand il en est ainsi, la perte du royaume arrivera en moins d’un jour (145).

Les notes musicales de Tcheng et de Wei sont les notes d’une époque troublée (146) ; c’est déjà presque l’insolence (147). Les notes (qu’on a entendues) parmi les mûriers sur le bord de (la rivière) Pou sont les notes d’un royaume tombé en ruines (148). Le gouvernement est alors relâché ; le peuple est sans règle ; il parle mal de ses supérieurs ; il agit avec égoïsme, et on ne peut mettre fin à cela.

Toute note musicale prend naissance dans le cœur de l’homme ; la musique est en rapport avec les classes et les attributions. Ainsi, ceux qui connaissent les sons, mais ne connaissent pas les notes, ce sont les animaux ; ceux qui connaissent les notes, mais ne connaissent pas p.242 la musique, ce sont les hommes ordinaires ; mais il n’y a que le sage (149) qui puisse connaître la musique.

Ainsi, on étudie les sons pour connaître les notes ; on étudie les notes pour connaître la musique ; on étudie la musique pour connaître le gouvernement (150), et c’est alors que la méthode pour bien diriger est acquise. Ainsi donc, à celui qui ne connaît pas les sons, on ne peut expliquer les notes ; à celui qui ne connaît pas les notes, on ne peut expliquer la musique ; mais celui qui connaît la musique est proche des rites (151). Quand les rites et la musique ont été entièrement obtenus, c’est ce qu’on appelle posséder la vertu ; car vertu, c’est obtenir (152).

C’est pourquoi la musique la plus noble ne consiste pas en notes exquises ; le rite des offrandes de nourriture (aux souverains morts) ne consiste pas en saveurs exquises. Le luth dont on se sert en chantant, « le pur temple ancestral » (153), a des cordes rouges et a le fond percé (154) ; un homme chante tandis que trois autres p.243 l’accompagnent de la voix et il y a des notes qu’on néglige (155). Lors du rite de la grande offrande, on met en honneur le breuvage sombre (156) ; sur les étals il y a du poisson cru ; le grand bouillon n’est pas assaisonné et il y a des saveurs qu’on néglige.

Ainsi, quand les anciens rois ont fait leurs ordonnances relatives aux rites et à la musique, ils n’ont pas cherché à satisfaire au plus haut point les désirs de la bouche et du ventre, des oreilles et des yeux, mais ils ont voulu enseigner au peuple à être juste dans ce qu’il aime et dans ce qu’il hait, et le faire revenir dans la droite voie humaine.

L’homme, à sa naissance, est en repos (157) ; telle est la nature qui lui vient du Ciel. Quand il est ému par les objets extérieurs, il entre en mouvement ; ainsi se produisent les désirs propres à sa nature. A mesure que les objets extérieurs se présentent, il en prend connaissance et c’est à la suite de cela que les affections et les haines se forment. Lorsque les affections et les haines ne trouvent pas une règle à l’intérieur (de l’homme) et lorsque celui-ci se laisse entraîner au dehors par ses p.244 connaissances (158), il devient incapable de se ressaisir lui-même et son principe céleste est détruit.

Or, les objets qui émeuvent l’homme sont en nombre infini ; si donc les affections et les haines de l’homme n’ont pas une règle, alors il arrivera qu’à mesure que les objets se présenteront, l’homme se transformera (conformément à) ces objets (159). Ce sera l’extinction du principe céleste qui est en lui et l’abandon complet aux passions humaines. Alors on trouve des cœurs rebelles et fourbes, des actions de débauche et de désordre ; c’est pourquoi les puissants oppriment les faibles ; les majorités sont cruelles pour les minorités ; les habiles trompent les sots ; les hardis sont durs pour les timides ; les malades ne sont pas soignés ; les vieillards et les enfants, les orphelins et les abandonnés ne savent que devenir : tel est l’état de grande perturbation où l’on se trouve.

Ainsi donc les anciens rois, quand ils ont réglementé les rites et la musique, ont fait des principes modérateurs pour les hommes. Le pectoral et le vêtement de chanvre, les lamentations et les pleurs (160) étaient ce par quoi on réglait les lois du deuil ; les cloches et les tambours, les boucliers et les haches étaient ce par quoi on maintenait l’harmonie dans les moments de calme et de réjouissance ; le mariage de la femme et celui de l’homme, p.245 la prise du bonnet viril et la prise de l’épingle de tête (161) étaient ce par quoi on distinguait l’homme de la femme ; le tir à l’arc et le banquet de village ; les offrandes de nourriture et de boisson étaient ce par quoi on rendait correctes les relations et les réceptions.

Les rites règlent les cœurs du peuple ; la musique harmonise les sons du peuple ; le gouvernement le fait agir ; les châtiments le retiennent. Quand les rites, la musique, les châtiments et le gouvernement s’étendent dans les quatre directions sans rencontrer aucun obstacle, alors la méthode de règne est prête].

[ (162) La musique est ce qui unifie ; les rites sont ce qui différencie ; par l’unification il y a amitié des uns pour les autres ; par la différenciation, il y a respect des uns pour les autres. Quand la musique est trop prédominante, il y a négligence ; quand les rites sont trop prédominants, il y a séparation (163). Unir les sentiments et embellir les formes, telle est l’œuvre des rites et de la musique.

Les convenances des rites étant instituées, le noble et le vil ont leurs rangs ; la beauté de la musique produisant l’unité, le haut et le bas sont en harmonie. Ce qui est aimable et ce qui est haïssable étant mis en lumière, alors le sage et l’indigne sont distingués. Les châtiments p.246 réfrénant les cruels et les honneurs élevant les sages, alors le gouvernement est équitable. On se sert de la bonté pour témoigner l’affection, et de la justice pour maintenir la rectitude, et, quand il en est ainsi, le peuple est bien gouverné et agit comme il le doit.

La musique vient du dedans ; les rites sont établis du dehors. La musique venant du dedans (produit) donc le calme ; les rites étant établis du dehors (produisent) donc la politesse. La plus grande musique est toujours simple ; les plus grands rites sont toujours modérés (164).

Quand la musique est parfaite, il n’y a plus de haine ; quand les rites sont parfaits, il n’y a plus de querelles (165). En saluant et en cédant gouverner l’empire, c’est la parole qui s’applique aux rites et à la musique (166). L’oppression du peuple ne se produit plus ; les seigneurs sont respectueux et obéissants ; les armes offensives et défensives ne sont plus mises en usage ; les cinq supplices ne sont plus employés ; les cent familles sont sans chagrin ; le Fils du Ciel est sans irritation ; quand il en est ainsi, c’est que la musique pénètre tout. Maintenir l’affection entre les pères et les fils, mettre en lumière la hiérarchie entre les aînés et les cadets et ainsi établir le respect à l’intérieur des quatre mers, quand le Fils du p.247 Ciel peut faire cela, c’est que les rites exercent leur action.

La grande musique produit la même harmonie que le Ciel et la Terre, les grands rites produisent la même règle que le Ciel et la Terre (167). Par l’harmonie, les divers êtres ne perdent pas (leur nature propre) ; par la règle, on fait les sacrifices au Ciel et ceux à la Terre (168). Dans le domaine des choses visibles, il y a les rites et la musique ; dans le domaine des choses invisibles, il y a les mânes et les dieux (169) ; quand il en est ainsi, alors, à l’intérieur des quatre mers, il y a le respect mutuel et l’amour universel.

Les rites sont différents suivant les occasions, mais concourent tous au respect ; les musiques sont distinctes par leurs genres de beauté mais concourent toutes à l’affection. Les rites et les musiques sont donc dans leur essence identiques à eux-mêmes. C’est pourquoi les rois illustres se les sont transmis les uns aux autres et c’est pourquoi (d’autre part) les faits se sont conformés aux époques et les noms ont été d’accord avec les mérites (170).

p.248 Ainsi les cloches et les tambours, les chalumeaux et les pierres sonores, les plumes et les flûtes (171), les boucliers et les haches sont les instruments de la musique ; les inflexions et les redressements (du corps), les abaissements et les élévations (de la tête), les groupements et les places (des danseurs), la lenteur et la rapidité (des mouvements) sont les ornements de la musique. Les récipients fou et koei (172), les étals et les vases, les règles et les modèles sont les instruments des rites ; les montées et les descentes, les rangs supérieurs et inférieurs, les évolutions et les tours, les ouvertures et les fermetures d’habit sont les ornements des rites.

p.249 Ainsi ceux qui connaissent l’essence des rites et de la musique peuvent instituer (les rites et la musique) ; ceux qui connaissent l’ornement des rites et de la musique peuvent maintenir la conformité (aux rites et à la musique). Ceux qui instituent, on les appelle les saints (173) ; ceux qui maintiennent la conformité, on les appelle les intelligents (174). On applique les termes d’intelligents et de saints à ceux qui maintiennent la conformité et à ceux qui instituent.

La musique, c’est l’harmonie (que produisent) le Ciel et la Terre ; les rites, c’est la hiérarchie (que produisent) le Ciel et la Terre. Par l’harmonie, les divers êtres viennent à l’existence ; par la hiérarchie, les êtres multiples se distinguent tous. La musique tire du Ciel son principe d’efficacité ; les rites prennent à la Terre leur principe de réglementation. Si l’on abuse de la réglementation, il y a trouble ; si l’on abuse de l’efficacité, il y a violence. C’est après avoir bien compris le Ciel et la Terre qu’on pourra bien pratiquer les rites et la musique.

Faire que les classes distinctes d’êtres ne se gênent pas les unes les autres, telle est l’essence de la musique ; la satisfaction et la joie, le contentement et l’amour, tels sont les effets de la musique. Faire que l’équilibre et la correction se maintiennent sans aucune déviation, telle est l’essence des rites ; la majesté et le respect, la vénération et l’obéissance, telle est la régularité produite par les rites.

p.250 Dans les rites et la musique, pour ce qui est du fait d’adapter (la musique) aux instruments en métal et en pierre, et de la manifester par les sons et les notes, (et pour ce qui est du fait) de se servir (des rites) au temple ancestral et aux autels des dieux de la terre et des moissons, et de les appliquer aux sacrifices faits aux montagnes et aux cours d’eau, aux mânes et aux dieux, ce sont là choses qui se conforment au peuple (175).]

[ (176) Les (anciens) rois, lorsque leurs actions étaient accomplies, instituaient une musique ; lorsque leur gouvernement était assuré, ils réglementaient des rites (177). Si leurs actions étaient grandes, leur musique était parfaite ; si leur gouvernement embrassait tout, leurs rites étaient excellents. La danse avec les boucliers et les haches n’est pas ce qui cause la musique parfaite ; les offrandes de viande cuite ne sont pas ce qui cause les rites excellents (178).

p.251 Les cinq empereurs vécurent en des temps différents et c’est pourquoi chacun d’eux n’adopta pas la même musique que son prédécesseur ; les trois premières dynasties fleurirent en des âges divers et c’est pourquoi chacune d’elles ne se conforma pas aux mêmes rites que celle qui l’avait précédée. Lorsque la musique est portée à l’extrême, alors elle engendre la tristesse ; lorsque les rites sont grossiers, alors il y a imperfection (179). Ainsi donc une musique vraiment bonne et qui n’engendre pas la tristesse, des rites complets et qui ne sont pas imparfaits, ce n’est vraiment que le grand saint (180) (qui est capable de les instituer).

Le Ciel est en haut ; la Terre est en bas ; les diverses espèces d’êtres sont réparties (entre le Ciel et la Terre) suivant leurs différentes natures ; c’est ainsi que les règlements des rites furent mis en vigueur. (Le Ciel, la p.252 Terre et les diverses espèces d’êtres) évoluent sans cesse ; par l’harmonie et l’unité ils se développent ; c’est ainsi que la musique se produisit. La naissance au printemps, la croissance en été (sont symbolisées par) la bonté ; la récolte en automne, la mise à l’abri en hiver (sont symbolisées par) la justice. La bonté est proche de la musique ; la justice est proche des rites (181).

La musique met en honneur l’harmonie ; elle étend l’influence spirituelle supérieure et se conforme au Ciel. Les rites font les distinctions nécessaires ; ils résident dans l’influence spirituelle inférieure et se conforment à la Terre (182). C’est pourquoi l’homme saint fait une musique qui correspond au Ciel ; il institue des rites qui correspondent à la Terre. Quand les rites et la musique sont clairs et complets, le Ciel et la Terre exercent chacun leur fonction normale.

Le Ciel est noble ; la Terre est vile ; et (par analogie) p.253 le prince et le sujet sont fixés (à leurs places respectives). Le haut et le bas étant manifestés (dans les montagnes et les lieux humides de la Terre), l’honoré et le méprisé ont (en conséquence) des rangs déterminés. Les êtres soumis au mouvement et ceux qui restent immobiles ont une règle constante (183) ; c’est pourquoi le petit et le grand sont différenciés. Les êtres animés s’assemblent suivant les espèces diverses auxquelles ils appartiennent ; les êtres inanimés se séparent en groupes (184) ; aussi les natures des êtres et leurs destinées ne sont-elles pas identiques. Dans le Ciel sont les figures (des astres) ; sur la Terre sont les formes (des espèces naturelles) ; c’est ainsi que les rites ne sont autre chose que les distinctions qui résultent du Ciel et de la Terre (185).

L’influence de la Terre s’élève en haut ; l’influence du Ciel descend en bas ; le yn et le yang viennent en contact mutuel ; le Ciel et la Terre réagissent l’un sur l’autre. Sous l’ébranlement causé par le tonnerre et l’éclair, sous l’excitation du vent et de la pluie, sous le mouvement imprimé par les quatre saisons, sous l’échauffement du soleil et de la lune, les cent espèces d’êtres se produisent et prospèrent ; c’est ainsi que la musique n’est autre chose que l’harmonie qui est établie entre le Ciel et la Terre.

p.254 Si les transformations ne s’accomplissent pas aux temps voulus, alors il n’y a plus de vie ; si les hommes et les femmes ne sont pas séparés, alors le désordre se produit. Telle est la nature du Ciel et de la Terre (186).

Ainsi donc, pour ce qui est des rites et de la musique, ils s’élèvent jusqu’au Ciel et descendent jusqu’à la Terre ; ils pénètrent les principes yn et yang et communiquent avec les mânes et les dieux ; ils atteignent jusqu’à ce qui est le plus haut et le plus lointain (187) et ils s’enfoncent dans ce qui est profond et épais (188).

La musique se manifeste dans le grand commencement (189) et les rites se trouvent dans les êtres produits. Ce qui manifeste ce qui ne cesse pas, c’est le Ciel ; ce qui manifeste ce qui ne remue pas, c’est la Terre. Un des termes étant ce qui remue, l’autre étant ce qui est immobile, (on en dérive) tout ce qui est entre le Ciel et la Terre. C’est pourquoi les hommes saints se sont bornés à parler des rites et de la musique (190).]

[ (191) Dans l’antiquité, Choen fit le luth à cinq cordes pour chanter le (chant intitulé) « le Vent du sud » (192). K’oei le p.255 premier fixa la musique afin d’en faire une récompense pour les seigneurs (193).

Ainsi, lorsque le Fils du Ciel instituait une musique, c’était afin de récompenser ceux des seigneurs qui s’étaient montrés vertueux. Lorsque leur vertu était accomplie, que leurs instructions étaient tenues en honneur et que les cinq céréales mûrissaient au temps voulu, alors on les récompensait en leur accordant une musique. C’est pourquoi, chez ceux sous le gouvernement desquels le peuple était accablé, les rangs des danseurs étaient éclaircis ; chez ceux sous le gouvernement desquels le peuple était à son aise, les rangs des danseurs étaient serrés (194). Ainsi, en considérant leurs danseurs, on connaissait leur vertu ; en entendant leur nom posthume, on savait quelle avait été leur conduite.

Le t’ai tchang manifestait l’éclat ; le hien tch’e, l’universalité ; le chao, la continuité ; le hia, la grandeur ; les p.256 musiques des Yn et des Tcheou embrassaient la totalité (des choses humaines) (195).

D’après la loi immanente du Ciel et de la Terre, si le froid et le chaud ne viennent pas aux époques voulues, il y a des maladies ; si le vent et la pluie ne sont pas bien réglés, il y a des famines. Les instructions (du souverain) sont comme le froid et le chaud du peuple ; si les instructions ne viennent pas aux époques voulues, cela est nuisible aux gens ; les actions (du souverain) sont comme le vent et la pluie du peuple ; si les actions ne sont pas bien réglées, il n’y a plus aucune réussite (196). Ainsi donc les anciens rois faisaient de la musique un instrument d’ordre et de bon gouvernement ; si (leur musique) était excellente, alors le peuple imitait leur vertu (197).

En engraissant des porcs avec du grain et en p.257 fabriquant du vin, on n’avait point en vue de produire des maux (198) ; cependant cela fut cause que les emprisonnements et les procès se multiplièrent ; ainsi l’abus du vin produisit des maux. C’est pourquoi les anciens rois instituèrent les rites du vin ; suivant le rite, chaque fois qu’on offre (la coupe), l’invité et son hôte font cent salutations (199) ; ils pourraient boire tout le jour sans arriver à s’enivrer, C’est de cette manière que les anciens rois ont prévenu les maux que peut causer le vin, et par suite le boire et le manger ne servaient qu’à unir les joies (des convives) (200).

La musique est ce qui fait que (le peuple) imite la vertu (du prince) ; les rites sont ce qui réprime les excès (201).

C’est pourquoi, les anciens rois, dans les occasions de grande tristesse, avaient des rites certains pour s’en affliger ; dans les occasions de grand bonheur, ils avaient des rites certains pour s’en réjouir. Les limites de leur affliction et de leur joie étaient toujours fixées par les rites (202).]

[ (203) La musique est une donation (faite à autrui) ; le rite est une réciprocité. La musique se réjouit en ce qui lui p.258 donne naissance, et les rites reviennent à ce qui est leur principe. La musique manifeste la vertu ; les rites paient de retour les sentiments d’autrui et reviennent à ce qui est leur principe (204).

Ce qu’on appelait le char d’apparat était le char donné par le Fils du Ciel ; l’étendard orné de dragons et découpé en neuf festons était l’étendard donné par le Fils du Ciel ; (la tortue dont la carapace avait sur les bords) une barbe verte et noire était la tortue précieuse donnée par le Fils du Ciel ; de nombreux bœufs et moutons accompagnaient ces dons qui étaient les présents accordés aux seigneurs (205).]

[ (206) La musique concerne ce qui dans les sentiments intérieurs est invariable ; les rites concernent ce qui dans l’ordre extérieur ne peut être modifié. La musique embrasse tout ce qui est harmonie ; les rites distinguent tout ce qui est différence ; la théorie des rites et de la musique domine donc tous les sentiments humains.

Aller jusqu’au fond (du cœur humain) et en connaître les changements, c’est l’essence de la musique ; manifester la sincérité et repousser ce qui est faux, c’est le p.259 principe constant des rites. Les rites et la musique manifestent la nature du Ciel et de la Terre ; ils pénètrent jusqu’aux vertus des intelligences surnaturelles (207) ; ils font descendre les esprits d’en haut et font sortir les esprits d’en bas ; ils réalisent la substance de tous les êtres menus et gros ; ils président aux devoirs des pères et des fils, du prince et des sujets.

C’est pourquoi, lorsque le grand homme (208) met en vigueur les rites et la musique, alors le Ciel et la Terre en réponse resplendiront ; le Ciel et la Terre se réjouiront dans l’harmonie ; le yn et le yang seront en accord mutuel ; l’influence réchauffante d’en haut couvrira tous les êtres et l’influence réchauffante d’en bas les nourrira ; puis les plantes et les arbres seront luxuriants ; les pousses et les bourgeons perceront ; les êtres qui ont des plumes et des ailes prendront leur essor ; ceux qui ont des cornes et des ramures naîtront ; les insectes apparaîtront au jour et revivront. Les femelles qui ont des plumes couveront ; les femelles qui ont des poils seront grosses et enfanteront. Les vivipares n’avorteront pas ; les ovipares ne verront pas leurs œufs brisés. Ainsi tout cela se ramène à la direction imprimée par la musique.

La musique suivant notre définition ne consiste pas dans les tuyaux hoang-tchong et ta-lu, dans les instruments à cordes et les chants, dans les boucliers et les p.260 haches (qu’on brandit dans les pantomimes) ; (ces accessoires ne constituent que) la dernière partie de la musique ; aussi sont-ce des jeunes garçons qui en jouent. (De même), si l’on fait rentrer dans les rites les actes qui consistent à étaler la natte inférieure et la natte supérieure, à disposer les coupes pour le vin et les étals pour les viandes, à ranger les vases en bambou et en bois, et aussi à monter et à descendre, (ces actes cependant ne constituent que) la dernière partie des rites ; aussi sont-ce des fonctionnaires subalternes qui s’en occupent. Le maître de musique ne sait que distinguer les notes et les paroles (des chants) et c’est pourquoi il se tourne vers le nord en jouant des instruments à cordes (209) ; le prieur ancestral ne sait que distinguer les rites du temple ancestral et c’est pourquoi il vient après le représentant du mort (210) ; le prieur suivant les rites de la dynastie Chang ne sait que distinguer les rites funéraires et c’est pourquoi il vient après celui qui mène le deuil.

Ainsi donc, celui qui réalise la vertu est placé au haut (de la salle) ; celui qui réalise la technique (des rites et de la musique) est placé au bas (de la salle) ; celui qui accomplit la conduite vertueuse passe le premier ; celui qui accomplit les actes (des rites et de la musique) passe le dernier. C’est pourquoi les anciens rois p.261 distinguaient ceux qui étaient en haut et ceux qui étaient en bas, ceux qui étaient en avant et ceux qui étaient en arrière, et, en conséquence, ils pouvaient appliquer leur réglementation (des rites et de la musique) dans tout l’empire.]

[ (211) La musique est ce en quoi l’homme saint se complaît et elle est capable de perfectionner les cœurs des hommes. Comme elle émeut profondément les hommes, comme elle produit le changement des coutumes et la transformation des mœurs, c’est pourquoi les anciens rois en ont fait un objet d’enseignement.

? L’homme a, de naissance, le sang et la respiration, un cœur et une intelligence, mais la tristesse et la joie, le plaisir et la colère ne sont pas chez lui constants ; ces émotions se produisent en réponse aux objets extérieurs qui viennent impressionner l’homme ; ce n’est qu’après (cette action du monde extérieur) que se manifestent les dispositions du cœur (212).

Ainsi donc, lorsque les intentions (du prince) sont mesquines, les sons musicaux sont entrecoupés et amoindris ; alors le peuple est pensif et triste. Quand le prince est indulgent, libéral, aisé et accommodant, les sons musicaux sont nombreux et gracieux, et obéissent à des règles peu sévères ; alors le peuple est content et joyeux. Quand le prince est grossier, violent, cruel et emporté, les sons musicaux mettent en mouvement les bras et les jambes (213) et sont larges et grands ; alors le p.262 peuple est dur et ferme. Quand le prince est intègre et droit, fort et correct, les sons musicaux sont l’expression de la bonne tenue et de la sincérité ; alors le peuple est grave et respectueux. Quand le prince est libéral et magnanime, condescendant et bon, les sons musicaux se réalisent suivant l’ordre voulu et agissent d’une manière harmonieuse ; alors le peuple est affectueux et aimant. Quand le prince est relâché, mauvais, pervers et oisif, les sons musicaux se portent aux excès et débordent comme l’onde ; alors le peuple est débauché et désordonné.

C’est pourquoi les anciens rois, (lorsqu’ils instituaient leur musique), prenaient pour fondement les sentiments et la nature (des hommes) ; ils veillaient à ce qu’elle fût conforme aux mesures et aux nombres (214) ; ils la réglementaient selon les rites et les convenances ; ils l’unissaient à l’harmonie des influences de vies (215) ; ils la dirigeaient suivant les énergies des cinq éléments (216). Lorsqu’ils faisaient prédominer le principe yang, ils ne le laissaient pas se disperser ; lorsqu’ils faisaient prédomines le principe yn, ils ne le laissaient pas causer de l’obstruction ; l’influence forte n’allait pas jusqu’à la colère ; l’influence faible n’allait pas jusqu’à la crainte. Ces quatre principes universels (217) s’accordaient dans le cœur de l’homme et se manifestaient dans ses actes extérieurs ; ils étaient calmes à leurs places et n’empiétaient pas les uns sur les autres.

p.263 C’est pourquoi les anciens rois instituèrent l’étude de la musique suivant les capacités des gens (218). Ils multiplièrent les morceaux (de musique) ; ils en examinèrent avec soin les élégances ; et, de cette manière, ils réglementèrent la réalité de la vertu. Ils discernèrent (dans la musique) les proportions du petit et du grand ; ils firent une classification suivant l’ordre de ce qui est à la fin et de ce qui vient en premier ; et, de cette manière, ils symbolisèrent l’accomplissement des actes (219). Ils firent donc que les relations normales entre le proche et l’éloigné, le noble et le vil, l’aîné et le plus jeune, l’homme et la femme, prirent toutes forme et figure dans la musique. C’est pourquoi on dit : La musique fait voir la profondeur (des émotions humaines).

Lorsqu’un sol est épuisé, les herbes et les arbres n’y poussent pas haut ; lorsqu’une eau est troublée, les poissons et les tortues n’y grandissent pas ; lorsque les influences (vitales) sont altérées, les êtres doués de vie ne prospèrent pas ; dans une époque de désordre, les rites tombent en désuétude et la musique se corrompt.

C’est pourquoi, (dans une pareille époque,) lorsque les sons musicaux sont tristes, ils le sont cependant sans dignité ; lorsqu’ils sont joyeux, ils ne causent cependant pas le calme. On s’abandonne et on se laisse aller (à la douleur) au point de violer les règles ; on se livre au plaisir et à la débauche au point d’oublier les devoirs fondamentaux. Cette musique est-elle d’inspiration large, elle pousse l’homme à tolérer le désordre ; p.264 est-elle d’inspiration étroite, elle le pousse à ne songer qu’à réaliser ses désirs égoïstes. Elle ébranle l’énergie qui le ferait monter et se développer ; elle détruit la vertu qui produirait en lui l’égalité et l’harmonie. Aussi le sage méprise-t-il (une telle musique).]

[ (220) Toutes les fois que des sons désordonnés viennent émouvoir l’homme, l’énergie d’opposition (à la vertu) leur répond (dans le cœur de l’homme) ; lorsque l’énergie d’opposition se manifeste, la musique débauchée se produit. Quand des sons corrects viennent émouvoir l’homme, l’énergie de conformité (à la vertu) leur répond ; quand l’énergie de conformité se manifeste, la musique harmonieuse se produit. Ainsi, celui qui entonne le chant et celui qui l’accompagne se répondent. Le rond et l’oblique, le courbe et le droit vont se classer chacun dans la catégorie qui lui convient, et, telle est la loi de toutes choses, qu’elles subissent l’action (de la musique) suivant la nature qui leur est propre (221).

C’est pourquoi le sage revient aux bons sentiments fondamentaux afin de rendre sa volonté harmonieuse ; il compare les mérites respectifs afin de rendre sa conduite parfaite. Les sons désordonnés et les spectacles mauvais, il ne les laisse pas atteindre son ouïe et sa vue ; la musique débauchée et les rites corrompus, il ne les admet pas dans les affections de son cœur ; les influences de négligence et d’indifférence, de méchanceté et de perversité, il ne les reçoit pas dans sa personne ; il a soin que ses oreilles, ses yeux, son nez, sa bouche, p.265 son cœur, son intelligence et toutes les parties de son être soient uniquement inspirés par la conformité au bien et par la correction, afin d’accomplir ce qui est leur devoir.

Après cela (222), (le sage) manifeste au dehors (sa vertu) au moyen des sons et des notes ; il l’orne avec les luths k’in et che ; il y joint les mouvements des boucliers et des haches d’armes ; il la décore avec les plumes et les queues de bœuf ; il l’accompagne avec les flûtes siao et koan. Il excite l’éclat de la vertu parfaite ; il anime l’harmonie des influences des quatre saisons ; et de cette manière il rend manifestes les lois qui régissent toutes choses.

Quand il en est ainsi, la pureté et la clarté (des chants) symbolisent le Ciel ; l’ampleur (du son des cloches et des tambours) symbolise la Terre ; la succession du commencement d’un air à la fin d’un autre symbolise les quatre saisons ; les évolutions (des danseurs) symbolisent le vent et la pluie. Alors les cinq éléments (223) forment un bel ensemble et ne sont pas troublés ; les huit vents (224) obéissent aux tuyaux sonores et ne sont pas déréglés ; les cent mesures (225) sont conformes aux nombres et sont immuables ; le petit et le grand se réalisent l’un l’autre ; la fin et le commencement se produisent l’un l’autre ; les notes principales et l’accompagnement, les sons aigus et les sons graves se succèdent les uns aux autres suivant une règle constante.

p.266 Ainsi, quand la (bonne) musique exerce son action, les devoirs des hommes sont purement observés ; les oreilles et les yeux perçoivent d’une manière distincte et claire ; le sang et les forces (de l’homme) jouissent de l’harmonie et du calme ; les pratiques (des grands) sont réformées et les coutumes (du peuple) sont changées ; dans l’empire tous vivent en paix.

Aussi dit-on : « La musique, c’est la joie. » Le sage se plaît à accomplir son devoir ; l’homme de peu se plaît à accomplir ses désirs. Quand le devoir commande aux désirs, alors il y a joie sans aucun trouble ; quand les désirs font négliger le devoir, alors il y a confusion sans aucune joie.

Voilà pourquoi le sage revient aux bons sentiments fondamentaux afin de rendre sa volonté harmonieuse (226) et répand la musique pour rendre parfaites ses instructions. Quand cette musique est en vigueur, le peuple se tourne vers la règle (qui lui est ainsi proposée), et, par là, on peut voir quelle est la vertu (du prince).

La vertu est le principe de la nature (humaine) ; la musique est la fleur de la vertu. Le métal, la pierre, la soie et le bambou (servent à faire) les instruments de la musique. La poésie exprime l’idée (de l’homme vertueux.) ; le chant module les sons ; la danse anime les attitudes ; ces trois termes (227) ont leur principe dans le p.267 cœur de l’homme, et c’est ensuite que l’inspiration (228) de la musique les suit.

Ainsi donc, (quand la musique est parfaite), les (bons sentiments sont profondément enracinés (au dedans) et l’expression en est lumineuse (au dehors) ; l’inspiration est abondante et la transformation (qu’elle opère dans les êtres) est merveilleuse. L’harmonie et la conformité s’amassent à l’intérieur (du cœur humain) et l’excellente floraison se manifeste au dehors. C’est surtout en musique qu’il ne saurait rien y avoir de faux (229).

La musique résulte des émotions du cœur ; les sons musicaux sont le mode d’expression de la musique ; les élégances (de la mélodie) et les coupes (des strophes) sont l’ornement des sons. Le sage a donc une émotion dans ses sentiments fondamentaux ; il fait une musique avec le mode d’expression (de cette émotion) ; puis il règle l’ornementation (de cette musique).

Ainsi donc, on commence par un battement de tambour pour avertir qu’on est sur ses gardes ; (les danseurs) font trois pas pour montrer qu’ils sont prêts. Puis on recommence pour montrer qu’on s’avance (230) ; les p.268 acteurs reprennent leurs places et leurs rangs pour (symboliser l’armée) se retirant en bon ordre (après la bataille). (Les danseurs), malgré leur élan et leur rapidité, ne se laissent pas emporter ; (les chanteurs), quoique absolument calmes, ne sont pas inintelligibles. (Toutes les personnes représentées dans cette musique) prennent leur unique plaisir dans la volonté (du roi Ou) et ne se lassent pas de ses ordres raisonnables ; ils exécutent ses ordres raisonnables et ne sont pas égoïstes dans leurs désirs. Ainsi donc, par l’apparition de tels sentiments, la justice est établie ; à la fin de la musique, la vertu a été mise en honneur. Le sage en aime davantage ce qui est bien ; l’homme médiocre en est plus disposé à cesser de faire le mal. C’est pourquoi on dit : « Pour produire la bonne conduite dans le peuple, la musique est un puissant facteur.. »]

[Le sage a dit : « Les rites et la musique, on ne peut un seul instant s’en séparer. » Quand un homme a si profondément pénétré la musique que son cœur est par là même soumis à la règle, alors le cœur calme, droit, affable, loyal, se produit en lui dans toute sa fraîcheur ; quand le cœur calme, droit, affable, loyal, s’est produit en lui, alors il est joyeux ; étant joyeux, il est en repos ; étant en repos, il est constant ; sa constance le fait ressembler au Ciel ; étant semblable au Ciel, il est semblable à un dieu. Étant comme le Ciel, sans même qu’il parle, il inspire confiance (231) ; étant comme un dieu, sans même qu’il s’irrite, il inspire la crainte. Tel est celui qui pénètre si profondément la musique que son cœur est par là même soumis à la règle.

Pour ce qui est de l’homme qui a si profondément p.269 pénétré les rites qu’il a soumis toute sa personne à la règle, ayant soumis sa personne à la règle, il est grave et respectueux ; étant grave et respectueux, il est majestueux et imposant. — Si, à l’intérieur du cœur, l’harmonie et la joie font un instant défaut, les sentiments de bassesse et de tromperie font aussitôt leur entrée ; si, dans la contenance extérieure, la gravité et le respect font un instant défaut, les sentiments de négligence et de laisser-aller font aussitôt leur entrée.

Ainsi, pour ce qui est de la musique, son action s’exerce à l’intérieur ; pour ce qui est des rites, leur action s’exerce à l’extérieur. La musique produit la parfaite harmonie ; les rites produisent la parfaite conformité (aux convenances). Quand un homme possède en lui l’harmonie et manifeste au dehors la conformité, le peuple n’a qu’à considérer son air pour ne pas lui résister ; le peuple n’a qu’à contempler ses façons d’air pour ne plus concevoir aucun sentiment de négligence et de mépris. Quand la vertu brille et agit à l’intérieur (de cet homme), il n’est personne dans le peuple qui n’accepte de l’écouter ; quand sa conduite raisonnable se manifeste au dehors, il n’est personne dans le peuple qui n’accepte de lui obéir. C’est pourquoi on dit :

« Celui qui connaît la théorie des rites et de la musique, celui qui les met en vigueur et qui les établit fermement, pour celui-là, dans tout l’empire, il n’existe aucune difficulté.

Pour ce qui est de la musique, son action s’exerce à l’intérieur ; pour ce qui est des rites, leur action s’exerce à l’extérieur. Ainsi, l’essentiel des rites est dans la modestie ; l’essentiel de la musique est dans l’abondance. Les rites, se caractérisant par la modestie, doivent cependant produire aussi la hardiesse, et c’est la hardiesse qui p.270 fait leur beauté ; la musique, se caractérisant par l’abondance, doit cependant aussi se contenir, et c’est en se contenant qu’elle est belle. Si les rites produisent la modestie et non la hardiesse, alors il y a anéantissement ; si la musique est abondante mais ne se contient pas, alors il y a excès. C’est pourquoi, dans les rites, il y a la réplique, et dans la musique il y a le retour en arrière. Quand les rites ont leur réplique, alors il y a joie ; quand la musique revient en arrière, alors il y a calme. La réplique des rites et le retour en arrière de la musique ont une seule et même signification (232).

La musique produit la joie ; c’est ce qui est inévitable en vertu de la nature humaine. Or, quand on est joyeux, on ne peut manquer de l’exprimer par les sons et les notes, de le manifester par les gestes et les attitudes, car telle est la règle constante pour l’homme. Les, sons et les notes, les gestes et les attitudes épuisent entièrement les modifications qui se produisent dans le cours des sentiments naturels (233). Ainsi, l’homme ne peut pas ne pas se réjouir ; quand il a de la joie, il ne peut pas ne pas la manifester ; mais s’il la manifeste sans s’astreindre à une règle, il ne peut éviter le désordre. Les anciens rois détestaient ce désordre ; c’est pourquoi ils p.271 déterminèrent les sons du ya et du song (234) pour donner une règle. Ils firent que les sons (de ces chants) fussent suffisants pour créer le plaisir sans aller jusqu’au relâchement ; ils firent que les paroles fussent suffisantes pour exposer (ce qui est juste et bon) sans aller jusqu’à la lassitude ; ils firent que les strophes et les divisions (des chants), la multitude ou la rareté, la faiblesse ou l’ampleur (des sons), les interruptions et les reprises (de la musique) fussent suffisantes pour n’émouvoir dans l’homme que le meilleur de son cœur ; ils ne permirent pas que le relâchement du cœur et la perversité de l’inspiration fussent admis. Telle est la manière dont les anciens rois instituèrent la musique.

Ainsi, lorsque cette musique est jouée dans le temple ancestral, prince et sujets, supérieurs et inférieurs l’entendent ensemble et il n’est aucun d’eux qui n’obéisse à l’harmonie en éprouvant du respect ; lorsque cette musique est jouée dans les assemblées de clans par arrondissements et par districts, jeunes et vieux l’entendent ensemble et il n’est aucun d’eux qui n’obéisse à l’harmonie en éprouvant de la docilité ; lorsque cette musique est jouée dans l’intérieur d’une demeure familiale, père et fils, frères aînés et frères cadets l’entendent ensemble et il n’est aucun d’eux qui n’obéisse à l’harmonie en éprouvant de l’affection. La musique examine l’unique voix humaine) de manière à en fixer l’harmonie ; elle classe les divers instruments de musique de manière à embellir les morceaux de musique ; les arrêts et les reprises sont combinés de manière à réaliser la beauté ; c’est par là que la musique produit l’union et l’harmonie entre les pères et les fils, le prince et les sujets, entre les p.272 parents et dans la multitude du peuple. Telle est la manière dont les anciens rois instituèrent la musique.

Ainsi, à l’audition des sons du ya et du song (235), les volontés et les pensées s’élargissent ; à la vue des danseurs qui brandissent le bouclier et la hache, qui pratiquent les inclinations et les redressements, les reculs et les avancements, les attitudes deviennent dignes ; (en voyant les danseurs qui) se tiennent à leurs rangs et à leurs places, (et en entendant les chanteurs qui) connaissent les arrêts et les reprises, les hommes observent la correction dans l’ordre hiérarchique, et la régularité dans les cas où il faut s’avancer et dans ceux où il faut se retirer. La musique est en effet le principe régulateur du Ciel et de la Terre, le fondement de l’équilibre et de l’harmonie, et les sentiments humains ne peuvent échapper à son influence.

La musique est ce dont se servaient les anciens rois pour manifester leur contentement ; les bataillons et les haches d’armes sont ce dont se servaient les anciens rois pour manifester leur colère. Ainsi le contentement et la colère des anciens rois avaient des manifestations bien réglées. Quand ils étaient contents, tout l’empire en éprouvait de l’harmonie ; quand ils étaient irrités, les cruels et les pervers en concevaient de la crainte. Dans la conduite que suivirent les anciens rois, on peut dire que les rites et la musique furent parfaits).

[(236) Le marquis Wen (424-387 av. J.-C.), du pays de Wei, posa la question suivante à Tse-hia (237) :

— Lorsque, portant p.273 la robe et le bonnet prescrits pour les cérémonies, j’entends la musique ancienne, je n’ai qu’une crainte, c’est de m’endormir. Lorsque j’entends les airs (des pays) de Tcheng (238) et de Wei, je ne sais plus ce que c’est que la fatigue. J’ose vous demander comment il se fait que l’ancienne et la nouvelle musique aient des effets si différents ?

Tse-hia lui répondit en ces termes :

— Or donc, dans l’ancienne musique, (les danseurs) s’avancent avec ensemble et reculent avec ensemble ; (la musique) est harmonieuse et correcte avec ampleur ; les instruments à cordes et ceux faits avec une calebasse et l’instrument cheng (239) aux tuyaux munis de languettes, tous ces instruments réunis attendent qu’on ait frappé le tambourin et le tambour. C’est l’instrument pacifique qui marque le commencement de la musique ; c’est l’instrument militaire qui en marque la fin (240). Ce qui gouverne les interruptions, c’est l’instrument siang ; ce qui règle la rapidité, c’est l’instrument ya (241). Le sage alors parle et alors discourt sur l’antiquité (242). Il perfectionne sa personne, puis sa famille, et enfin il établit la paix et l’ordre dans p.274 tout l’empire. Tels sont les effets de l’ancienne musique.

« Mais, dans la nouvelle musique, (les danseurs) s’avancent irrégulièrement et se retirent irrégulièrement ; les sons y sont corrompus jusqu’à la débauche ; ils produisent une dépravation qui n’a pas de limite. Puis il s’y trouve des bouffons et des nains ; comme si c’étaient des singes, les hommes et les femmes y sont mêlés et on n’y distingue plus les pères et les fils. Quand cette musique est finie, on ne peut pas parler ni discourir sur l’antiquité. Tels sont les effets de la nouvelle musique.

« Maintenant, ce sur quoi Votre Altesse m’interroge, c’est la musique, mais ce qu’elle aime, ce sont les airs ; or la musique et les airs sont choses voisines, mais non identiques.

Le marquis Wen dit :

— Je vous prie de me l’expliquer.

Tse-hia répondit :

— Dans l’antiquité, le Ciel et la Terre étaient conformes à la règle et les quatre saisons étaient ce qu’elles devaient être ; le peuple était vertueux et les cinq sortes de céréales prospéraient ; les maladies et les fièvres n’existaient point et il ne se produisait aucun présage funeste. C’est là ce qu’on appelle l’époque de la grande régularité. Puis les saints hommes établirent des distinctions entre les pères et les fils, le prince et les sujets, pour en faire les principes directeurs ; quand les principes directeurs furent déterminés avec exactitude, l’empire fut très calme ; puis, quand l’empire fut très calme, on détermina les six sons fondamentaux et on établit l’harmonie des cinq notes ; on joua sur le luth et on chanta les poésies et les odes ; voilà ce qu’on appelle l’air (243) de la vertu, et l’air de la vertu est ce qu’on p.275 appelle la musique. Il est dit en effet dans le Che (King) Paisiblement s’éleva l’air de sa vertu ; Sa vertu put illuminer (l’univers) ; Elle put l’illuminer et elle put (étendre ses bienfaits aux) autres êtres ; Capable de diriger, capable de gouverner, Il régna sur cette grande contrée ; Il put créer la soumission ; il put faire qu’on l’imitât. Lorsque ce fut le tour du roi Wen, Sa vertu ne laissa rien à désirer ;

Il reçut les faveurs de l’Empereur céleste. Et les transmit à ses descendants.

« (L’air de la vertu) est donc bien ce dont il est parlé ici. Or, ce qu’aime Votre Altesse, ce sont les airs de dépravation.

Le marquis Wen dit :

— Permettez-moi de vous demander d’où viennent les airs de dépravation ?

Tse-hia répondit :

— Les airs du pays de Tcheng se plaisent aux excès et débauchent l’esprit. Les airs du pays de Song font les délices des femmes et anéantissent la volonté. Les airs du pays de Wei sont vifs et mobiles et troublent l’esprit. Les airs du pays de Ts’i sont violents et excessifs et rendent arrogant. Ces quatre sortes d’airs excitent aux passions charnelles et nuisent à la vertu ; c’est pourquoi on n’en fait point usage aux sacrifices (244).

« p.276 Il est dit dans le Che King (245) :

Avec respect et harmonie ils se font entendre ; Aussi les ancêtres les écoutent-ils.

« (Dans ce texte), le mot sou a le sens de respect et le mot yong a le sens d’harmonie : quelle est la chose qui ne puisse être réalisée par le respect uni à l’harmonie ?

« Celui qui est établi prince sur les hommes n’a qu’à faire attention à ce qu’il aime et à ce qu’il déteste, et cela suffit. Ce que le prince aime, ses sujets le font ; les actions des supérieurs, le peuple les imite. C’est cette idée qui est exprimée dans ce vers du Che King (246) :

Guider le peuple est très facile. « C’est pourquoi donc les saints hommes instituèrent le tambourin à balles et le tambour, l’instrument qui donne le signal de commencer la musique et celui qui donne le signal de la finir, l’ocarina et la flûte traversière ; ces six instruments rendirent les notes des airs de la vertu, Puis furent inventés les cloches, les pierres musicales, la flûte yu et le luth, afin d’accompagner (les six instruments) ; les boucliers, les haches, les queues de bœuf et les plumes, afin de jouer la pantomime appropriée. Voilà ce dont on se servit lors des sacrifices dans les temples ancestraux des anciens rois, et lors du rite où le maître de maison et l’invité s’offrent à boire tour à tour ; voilà ce qui servit à déterminer la hiérarchie des gens nobles et des gens vils, de manière à ce que chacun eût son dû ; voilà ce qui servit à montrer à la p.277 postérité les rangs qu’on doit observer suivant la noblesse et suivant l’âge.

« Les cloches rendent un son élevé qui produit un appel ; cet appel produit le maximum (d’excitation) ; le maximum (d’excitation) produit les dispositions guerrières. Quand le sage entend le son des cloches, il songe aux officiers militaires. — Les pierres sonores rendent un son clair qui produit le sens du devoir ; le sens du devoir éveille l’idée de braver la mort. Quand le sage entend le son des pierres sonores, il songe aux officiers qui sont morts pour leur pays. — Le son des instruments à cordes est triste et éveille le désintéressement ; le désintéressement produit l’esprit résolu. Quand le sage entend le son des luths, il songe aux officiers qui sont fermes et justes. — Le son des instruments de bambou est ample et éveille l’idée de réunion ; l’idée de réunion éveille l’idée de multitude rassemblée. Quand le sage entend le son des flûtes yu, cheng, siao et koan, il songe aux officiers qui pourvoient à l’entretien de la multitude. — Le son des tambours et des grosses caisses est étendu et produit un ébranlement ; l’ébranlement produit la marche en avant de la foule. Quand le sage entend le bruit des tambours et des grosses caisses, il songe aux officiers qui commandent l’armée. — Ainsi, quand le sage entend ces instruments, ce n’est pas seulement les sons qu’il entend, mais il y associe aussi certaines idées.

[ (247) Pin-meou Kia (248) se trouvait assis à côté de K’ong-tse. K’ong-tse s’entretenait avec lui et vint à traiter de la p.278 musique ; il lui demanda :

— (Dans la musique (249) du roi) Ou, pourquoi les avertissements préliminaires (du tambour) durent-ils si longtemps ?

(Pin-meou Kia) répondit :

— (Cela indique que le roi Ou) est affligé de n’avoir pas gagné le cœur de la multitude (250).

— Pourquoi les chanteurs prolongent-ils indéfiniment leur souffle et mettent-ils de la surabondance (dans leurs notes) ?

Réponse :

— (Cela indique que le roi Ou) craint que (les seigneurs) ne soient pas présents à l’affaire (251).

— Pourquoi (les danseurs) se mettent-ils si promptement à agiter les bras et à frapper du pied d’une manière martiale ?

Réponse :

— (Cela indique que le roi Ou) a atteint le moment d’engager l’action.

— (Dans la danse) guerrière, pourquoi s’arrête-t-on le genou droit en terre et le genou gauche levé ?

Réponse :

— Il ne devrait pas y avoir d’agenouillement dans (la danse du roi) Ou (252).

— Pourquoi les sons musicaux expriment-ils une convoitise qui va jusqu’à (se traduire par la prédominance de la note) chang (253) ?

Réponse :

— Ce ne p.279 sont pas des sons (dignes de la musique du roi) Ou.

— Si ce ne sont pas des sons (dignes de la musique du roi) Ou, quels sons est-ce là ? 

Réponse :

—  Les fonctionnaires (préposés à la musique) ont perdu la bonne tradition. Si ce n’était pas que les fonctionnaires ont perdu la bonne tradition, alors ce serait que les intentions du roi Ou auraient été mauvaises.

Le maître dit :

— Ce que moi, K’ieou, j’ai entendu dire à Tch’ang Hong (254) est en effet conforme à ce que vous avez dit, mon fils (255).

Pin-meou Kia se leva, quitta sa natte et demanda à poser cette question :

— Si, lorsqu’il s’est agi de la prolongation des avertissements préliminaires (du tambour dans la musique du roi) Ou, je vous ai fait entendre une explication correcte (256), je vous prie de me dire pourquoi, après ce retard, il y en a un autre et une nouvelle prolongation (257).

Le maître dit :

— Asseyez-vous, je vais vous le dire. La musique est la représentation d’un événement accompli (258). Quand (les danseurs) tiennent leurs boucliers et p.280 restent immobiles comme des rocs, ils représentent ce qui concerne le roi Ou (259). Quand ils agitent les bras et frappent du pied d’une façon martiale, ils représentent la hardiesse de T’ai-kong (260). Dans la confusion de la bataille, quand (les danseurs) s’agenouillent tous, cela représente l’ordre rétabli par les ducs de Tcheou et de Chao (261).

« En outre, quand (la musique et la danse du roi) Ou commencent, cela représente la marche vers le nord (262) ; à la seconde reprise, c’est la destruction de (l’empire des) Chang ; la troisième reprise, c’est la marche vers le sud (263) ; à la quatrième reprise, on représente les royaumes du sud devenus pays-frontières (264) ; à la cinquième reprise, on p.281 représente le pays partagé, à partir de Chàn, entre le duc de Tcheou qui eut la gauche (c’est-à-dire l’orient) et le duc de Chao qui eut la droite (c’est-à-dire l’occident) ; à la sixième reprise, les danseurs reviennent à leurs rangs pour représenter l’honneur rendu au Fils du Ciel.

Ceux qui flanquent (les bandes de danseurs) en agitant (des sonnettes) dont ils font entendre quatre sonneries (à chaque reprise (265), représentent la vertu du roi Ou) faisant éclater son prestige sur tout le royaume du Milieu. Quand ceux qui flanquent ainsi les bandes (de danseurs) s’avancent, cela indique que l’entreprise a été promptement achevée. Quand les danseurs restent longtemps p.282 immobiles sur leurs rangs, cela indique que (le roi Ou) attend l’arrivée des seigneurs.

« D’ailleurs, seriez-vous seul à n’avoir point encore entendu le récit de (la bataille de) la plaine de Mou (266) ? Le roi Ou, ayant triomphé du (dernier souverain de la dynastie) Yn, arriva à (la capitale des) Chang. Avant qu’il fût descendu de son char, il conféra au descendant de Hoang-ti le fief de Ki ; au descendant de l’empereur Yao, le fief de Tchou ; au descendant de l’empereur Choen, le fief de Tch’en ; après être descendu de son char, il conféra au descendant des princes de Hia le fief de K’i (267) ; au descendant des Yn, le fief de Song (268), il éleva un tertre sur la tombe du fils de roi, Pi-kan (269) ; il délivra le vicomte de Ki de prison (270) ; il l’envoya rechercher Chang Yong (271) pour le rétablir dans ses dignités. La foule du peuple vit se relâcher la sévérité du gouvernement ; la foule des officiers subalternes vit ses appointements augmenter.

« (Puis le roi Ou) traversa le Ho et se dirigea vers l’ouest (272) ; ses chevaux furent mis en liberté au sud de la montagne Hoa et on ne les attela plus derechef ; ses bœufs furent mis en liberté dans la campagne de T’ao-lin et on ne leur imposa plus le joug (273) ; les chars et les p.283 cuirasses furent couverts de fourreaux (274) ; on les cacha dans les magasins et les arsenaux et on ne s’en servit plus. On porta renversés les boucliers et les lances et on les enveloppa dans des peaux de tigre ; ceux qui avaient commandé et guidé les soldats furent faits seigneurs et on leur donna le surnom de « fourreaux cadenassés » (275). A la suite de cela, tout l’empire connut que le roi Ou ne se servirait plus des armes de guerre.

« Après que l’armée eût été licenciée, on exécuta le tir à l’arc dans la banlieue ; au (collège de) tir de l’Est, on fit entendre l’ode li cheou ; au (collège de) tir de l’Ouest, on fit entendre l’ode tseou yu (276) ; alors on cessa de pratiquer le tir qui consiste à traverser une cuirasse. Les assistants portaient la robe et le bonnet de cérémonie et avaient la fiche d’ordonnance enfoncée (dans leur ceinture) ; les guerriers braves comme des tigres avaient délié leurs épées. (Le roi Ou) offrit le sacrifice dans la p.284 Salle de distinction (277) et le peuple apprit ce que c’était que la piété filiale. Il donna des audiences et les seigneurs apprirent en quoi consistaient leurs devoirs de sujets. Il laboura le champ réservé et les seigneurs surent ce qui devait être mis en honneur (278). Ces cinq choses furent le grand enseignement de l’empire.

« (Le roi Ou) donna à manger dans le grand collège aux trois (catégories de) vieillards et aux cinq (catégories d’)hommes expérimentés ; le Fils du Ciel lui-même avait dénudé son buste et découpait les victimes ; il tenait les assaisonnements et offrait à manger ; il tenait les coupes et (les offrait aux vieillards pour) se rincer la bouche ; puis il prenait le bonnet de cérémonie et saisissait le bouclier (279). De cette manière il enseigna aux seigneurs ce qu’est l’amour fraternel.

« Ainsi, la sage conduite des Tcheou s’étendit dans les quatre dimensions de l’espace ; les rites et la musique pénétrèrent toutes choses. Le retard et la prolongation dans (la musique du roi) Ou ne sont-ils donc pas nécessaires ? (280) »]

[ (281) (Un jour), Tse-kong (282) vit le maître de musique I et lui demanda :

— Moi, Se, j’ai entendu dire que les airs et les chants étaient chacun appropriés (à telle ou telle p.285 personne) ; pour un homme tel que moi, quel est le chant approprié ? 

Maître I répondit :

— Je ne suis qu’un humble artisan et suis indigne qu’on me demande ce qui est approprié ; permettez-moi de vous réciter ce que j’ai entendu dire, et vous-même, mon fils, vous apprécierez. Ceux qui sont généreux et calmes, doux et corrects doivent chanter le Song ; ceux qui sont magnanimes et calmes, pénétrants et sincères doivent chanter le Ta ya ; ceux qui sont respectueux, modérés et qui aiment les rites doivent chanter le Siao ya ; ceux qui sont corrects, droits, purs, intègres et humbles doivent chanter le (Kouo) fong ; ceux qui sont corrects et droits, bons et affectueux doivent chanter le Chang ; ceux qui sont doux et placides mais capables de décision doivent chanter le Ts-i (283). En chantant ainsi, chacun se rend droit et déploie la vertu (qui lui est propre) ; quand l’homme s’est ainsi mis lui-même en mouvement, le Ciel et la Terre lui répondent, les quatre saisons sont en harmonie, les planètes et les étoiles sont bien réglées, les êtres divers sont entretenus en vie.

« Ce qu’on appelle Chang, ce sont les airs qui nous viennent des cinq empereurs ; des hommes du pays de Chang (284) les retinrent dans leur mémoire et c’est pourquoi on les nomme Chang. Ce qu’on appelle Ts’i, ce sont les airs qui nous viennent des trois (premières) dynasties ; des hommes du pays de Ts’i les retinrent dans leur mémoire et c’est pourquoi on les nomme Ts’i. Celui qui comprend bien les poésies du Chang, lorsqu’il sera aux p.286 prises avec des affaires, souvent cependant manifestera de la décision ; celui qui comprend bien les poésies du Ts’i, lorsqu’il verra son avantage particulier, s’effacera cependant devant autrui. Quand on est aux prises avec des affaires, manifester souvent de la décision, c’est du courage ; quand on voit son avantage particulier, s’effacer devant autrui, c’est de la justice. Le courage, la justice, quel est l’homme qui, sans chanter ces chants, pourrait garantir qu’il les possède ?

« Ainsi, dans le chant, les parties hautes rendent l’homme comme soulevé ; les parties basses le rendent comme abattu ; les parties sinueuses le rendent comme courbé ; les parties où il y a arrêt le rendent (immobile) comme un arbre mort ; les parties fières le rendent exactement rigoureux comme une équerre ; les parties qui se recourbent (285) le rendent exactement replié comme un crochet ; les séries de sons produisent en lui une beauté comparable à celle des perles enfilées (286). — Le chant consiste en paroles, c’est-à-dire en paroles prolongées. Quand l’homme éprouve une joie, il l’exprime par la parole ; la parole ne suffisant pas, il prolonge la parole ; la prolongation de la parole ne suffisant pas, il y fait un accompagnement ; l’accompagnement ne suffisant pas, il se met inconsciemment à faire mouvoir ses mains et à faire bondir ses pieds. 

Telle fut (la réponse faite à) la question de Tse-kong sur la musique.]

p.287 Tout son musical a son origine dans le cœur de l’homme. Entre le Ciel et l’homme, il y a communication réciproque ; c’est comme l’image réfléchie par l’ombre, c’est comme le son renvoyé par l’écho ; c’est pourquoi ceux qui font le bien, le Ciel les récompense par des félicités ; ceux qui font le mal, le Ciel leur donne des infortunes. C’est là une chose toute naturelle. — Ainsi, lorsque Choen touchait du luth à cinq cordes et chantait la poésie du Vent du sud (287), l’empire était bien gouverné ; quand Tcheou eut composé l’air de la Région-frontière au nord de Tchao-ko (288), il périt lui-même et son royaume fut détruit. Pourquoi la conduite de Choen le mena-t-elle à la grandeur ? pourquoi la conduite de Tcheou le précipita-t-elle dans la détresse ? La poésie du Vent du sud est un chant de naissance et de croissance ; la musique de Choen s’y plaisait ; cette musique était ainsi unanime avec le Ciel et la Terre et s’attirait l’affection des dix mille royaumes ; c’est pourquoi l’empire fut bien gouverné. D’autre part, « Tchao-ko » (éveille l’idée de) « pas en temps opportun » ; « nord » (éveille l’idée de) « défaite » ; « région-frontière » (éveille l’idée de) « méprisable » ; la musique de Tcheou se plaisait à (ces idées) et était en dissentiment avec les dix mille royaumes ; les seigneurs ne furent pas soumis (à Tcheou) ; les cent familles ne lui furent pas attachées ; l’empire se détacha de lui ; c’est pourquoi il périt lui-même et son royaume fut détruit.

C’était au temps du duc Ling (534-493 av. J.-C.) du pays de Wei (289) ; le duc se proposait de se rendre dans le p.288 pays de Tsin ; arrivé au bord de la rivière Pou (290), il y fit halte. Vers le milieu de la nuit, il entendit un luth dont quelqu’un jouait ; il interrogea ceux qui étaient auprès de lui, mais tous répondirent qu’ils n’avaient pas entendu. Alors (le duc) donna l’ordre suivant au maître de musique Kiuen :

— J’ai entendu les notes d’un luth dont quelqu’un jouait ; j’ai interrogé ceux qui étaient auprès de moi, mais aucun d’eux n’avait entendu ; cela a toute l’apparence de venir de l’esprit d’un mort ou d’un dieu ; écoutez à ma place et notez par écrit (cet air).

Le maître de musique Kiuen y consentit ; il s’assit donc d’une manière correcte en attirant à lui son luth ; il entendit (l’air) et le nota par écrit ; le lendemain, il dit :

— Je l’ai ; mais je ne m’y suis point encore exercé ; je vous prie de vous arrêter encore une nuit pour que je m’y exerce.

Le duc Ling y consentit ; on passa donc de nouveau la nuit (dans cet endroit) ; le lendemain (le maître de musique Kiuen) annonça qu’il s’était exercé (à jouer cet air). (Le duc et sa suite) partirent alors et arrivèrent dans le pays de Tsin.

Ils furent reçus en audience par le duc P’ing (557-532 av. J.-C.) du pays de Tsin ; le duc P’ing leur donna un banquet sur la terrasse de Che-hoei (291). Quand on fut échauffé par le vin, le duc Ling dit :

— En venant, j’ai entendu p.289 un air nouveau ; je vous demande la permission de vous le jouer.

Le duc P’ing y consentit. On ordonna alors au maître de musique Kiuen de s’asseoir à côté du maître de musique K’oang, d’attirer à lui son luth et d’en jouer ; avant qu’il eût fini, maître K’oang posa la main sur lui et l’arrêta, disant :

— Ceci est un air de musique d’un royaume détruit ; il ne faut pas l’écouter.

Le duc P’ing dit :

— De quelle manière (cet air) s’est-il produit ? 

Maître K’oang dit :

— C’est le maître de musique Yen qui l’a composé ; il fit pour Tcheou une musique de perdition ; lorsque le roi Ou eût vaincu Tcheou, maître Yen s’enfuit vers l’est et se jeta dans la rivière Pou, C’est pourquoi c’est certainement au bord de la rivière Pou que vous avez dû entendre cet air. Celui qui le premier entend cet air, son royaume sera diminué.

Le duc P’ing dit :

— Les sons que j’aime, je désire les entendre.

Maître Kiuen joua et termina (l’air).

Le duc P’ing dit :

— N’est-il pas des airs plus néfastes encore que celui-ci ?

— Il y en a, dit maître K’oang. — Puis-je les entendre ?, demanda le duc P’ing.

Maître Koang dit : 

— La vertu et la justice de Votre Altesse sont minces ; vous ne sauriez les entendre. 

Le duc P’ing dit :

— Les sons que j’aime, je désire les entendre.

Maître K’oang, ne pouvant faire autrement, attira à lui son luth et en joua ; dès le premier air, il y eut deux bandes de huit grues noires qui s’abattirent à la porte de la véranda ; au second air, elles allongèrent le cou et crièrent, étendirent les ailes et dansèrent. Le duc P’ing fut très content ; il se leva et porta la santé de maître K’oang ; étant revenu s’asseoir, il demanda :

— N’est-il pas des airs plus néfastes encore que ceux-ci ?

— Il y en a, répondit maître Koang ; ce sont ceux par lesquels autrefois Hoang li réalisa une grande union avec les p.290 esprits des morts et les dieux. Mais la vertu et la justice de Votre Altesse sont minces ; vous n’êtes pas digne de les entendre. Si vous les entendiez, vous seriez près de votre ruine.

Le duc P’ing dit :

— Je suis vieux. Les sons que j’aime, je désire les entendre.

Maître Koang, ne pouvant faire autrement, attira à lui son luth et joua ; dès le premier air, des nuages blancs s’élevèrent au nord-ouest ; au second air, un grand vent arriva et la pluie le suivit ; il fit voler les tuiles de la véranda. Les assistants s’enfuirent tous ; le duc P’ing, saisi de terreur, resta prosterné à terre entre la chambre et la véranda. Le royaume de Tsin souffrit d’une grande sécheresse qui rendit la terre rouge pendant trois années. — Ce qu’on entend, ou porte bonheur, ou porte malheur ; une musique ne doit pas être faite inconsidérément.

Le duc grand astrologue dit : Dans la haute antiquité, les rois sages, lorsqu’ils instituaient une musique, n’avaient pas en vue de récréer leur cœur et de se réjouir, d’être agréables à leurs propres pensées et de complaire à leurs propres désirs ; mais ils se proposaient de s’en servir pour bien gouverner. Les enseignements corrects ont tous leur principe dans les sons musicaux ; quand les sons musicaux sont corrects, la conduite (des hommes) est correcte. Les sons et la musique sont ce qui agite et ébranle les artères et les veines, ce qui traverse et parcourt les esprits vitaux et ce qui donne au cœur l’harmonie et la correction ; ainsi, la note kong émeut la rate et (met l’homme) en harmonie avec la sainteté parfaite ; la note chang émeut le poumon et (met l’homme) en harmonie avec la justice parfaite ; la note kio émeut le foie et (met l’homme) en harmonie avec la bonté parfaite ; la note tche émeut le cœur et (met l’homme) en harmonie avec les rites parfaits ; la note yu émeut les reins et p.291 (met l’homme) en harmonie avec la sagesse parfaite. La musique est donc ce qui, à l’intérieur, soutient le cœur devenu parfait, et ce qui, à l’extérieur, établit les distinctions entre le noble et le vil. En haut, on s’en sert pour les sacrifices dans le temple ancestral ; en bas, on s’en sert pour transformer la multitude du peuple.

Le luth k’in est long de huit pieds et un pouce ; c’est la dimension correcte. La corde la plus grande est celle qui rend le son kong ; elle se trouve placée au centre ; elle est le prince ; (la corde qui rend la note) chang s’étend à côté d’elle, à droite ; les autres cordes, grandes ou petites, se succèdent les unes aux autres et ne manquent pas à l’ordre de succession qui leur est propre ; alors les situations respectives du prince et des sujets sont correctes. L’audition de la note kong rend les hommes doux et tolérants, larges et grands ; l’audition de la note chang rend les hommes rigides et corrects et leur fait aimer la justice ; l’audition de la note kio rend les hommes compatissants et affectueux envers autrui ; l’audition de la note tche fait que les hommes se réjouissent de ce qui est bien et se plaisent à la bienfaisance ; l’audition de la note yu fait que les hommes restent dans l’ordre et aiment les rites.

Les rites entrent du dehors ; la musique sort du dedans. C’est pourquoi le sage ne saurait un seul instant s’écarter des rites ; s’il s’écartait des rites pendant un seul instant, il n’y aurait plus au dehors que des actes de cruauté et d’arrogance ; (le sage) ne saurait un seul instant s’écarter de la musique ; s’il s’écartait de la musique pendant un seul instant, il n’y aurait plus au dedans que des actes de débauche et de perversité. Ainsi, les airs musicaux sont ce par quoi le sage entretient la justice.

p.292 Dans l’antiquité, le Fils du Ciel et les seigneurs écoutaient les cloches et les pierres sonores et se gardaient de les éloigner de leur cour ; les hauts dignitaires et les grands officiers écoutaient les airs des luths k’in et che et se gardaient de les éloigner de leur présence ; par là, ils s’entretenaient dans la pratique de la justice et se prémunissaient contre la licence et les excès. La licence et les excès naissent de l’absence des rites. Ainsi les saints rois faisaient que les oreilles des hommes entendaient les airs du ya et du song (292), que leurs yeux voyaient les rites de la dignité et de la convenance, que leurs pieds prenaient la démarche du respect et de la vénération, que leurs bouches prononçaient des explications de bonté et de justice. Ainsi le sage parlait durant tout le jour, et le mal et la perversité n’avaient aucune issue par où ils pussent entrer.

Notes

(101. ) Se-ma Ts’ien est ému au souvenir de l’âge d’or célébré par Choen lorsque K’oei fit sa merveilleuse musique (cf. tome I, p. 160-161). Il ouvre son traité sur la musique en rappelant le plus ancien texte où il soit question de cet art et de ses effets.

(102. ) Cette ode est la quatrième dans la troisième décade des odes sacrificatoires des Tcheou. Cf. Legge, Chinese Classics, vol. IV, p. 599-600.

(103. ) Une des origines de la musique se trouve ainsi dans les chants par lesquels on loue les vertus d’un bon prince.

(104. ) Comme l’épi arrivé à maturité.

(105. ) On peut assigner à la musique une nouvelle origine, en montrant qu’elle fut destinée, dans l’esprit des sages qui l’instituèrent, à modérer les excès de la joie.

(106. ) La section Kouo fong du Che King est composée des poésies recueillies dans divers royaumes.

(107. ) Sur le ming-t’ang ou salle de distinction, cf. le XIIe chapitre du Li ki.

(108. ) Noms de sections du Che King.

(109. ) Les poésies du pays de Tcheng et de Wei (Ve et VIIe livres de la section Kouo fong du Che King) passaient pour licencieuses.

(110. ) Cf. la note précédente.

(111. ) Des princes ou seigneurs, qui auraient dû être soumis au Fils du Ciel, cherchèrent à imposer leur autorité et à prendre le premier rang.

(112. ) Littéralement : en même temps que les comédiennes de Ts’i. On lira dans le XLVIIe chapitre des Mémoires historiques comment le duc de Ts’i, craignant l’influence que Confucius avait prise auprès du prince de Lou, envoya à ce prince quatre-vingt belles musiciennes. Confucius ne put rester à la cour en même temps que ces femmes dont les charmes empêchaient le prince de suivre ses conseils. Il se retira donc et fit une poésie en cinq phrases où il déclarait qu’il s’exilait à cause des musiciennes du pays de Ts’i.

(113. ) Cf. n. 18.104. .

(114. ) Cf. n. 15.128. .

(115. ) Les remontrances de Li Se lui valurent la mort (cf. t. II, p. 207-210). Il est cependant peu vraisemblable que Li Se ait considéré comme une faute de rejeter le Che King et le Chou King, puisque c’est lui qui, en 213 avant J.-C., avait conseillé à Ts’in Che-hoang-ti de détruire les livres classiques.

(116. ) Sage dont les conseils ne furent pas écoutés par Tcheou, dernier souverain de la dynastie Yn ; cf. tome I, pp. 203-205.

(117. ) L’édition de Shanghai omet par erreur les deux mots chang tse.

(118. ) Lou-eul est un des célèbres chevaux du roi Mou (cf. t. II, p. 5). La phrase de Tchao Kao signifie :

Quand on a, comme les anciens rois, une musique qui transforme le monde entier et le rend heureux, il n’est pas besoin d’être tiré par un coursier rapide comme l’était Lou-eul pour exercer de l’influence au loin. Comme d’ailleurs chaque souverain eut une musique différente, il est clair qu’on peut être un fort bon roi sans imiter ses prédécesseurs ; Eul-che n’a donc qu’à continuer à gouverner comme il l’entend.

(119. ) Cf. tome I, note 02.192.

(120. ) Cf. tome II, p. 396-397. Cette poésie est appelée ici le morceau des trois particules, parce que la particule [] s’y trouvait trois fois.

(121. ) Ces dix-neuf odes, qui étaient les odes des sacrifices [], nous ont été conservées dans le XXIIe chapitre du Ts’ien Han chou. Cf. Appendice I.

(122. ) C’est-à-dire intendant qui met l’accord entre les tubes musicaux.

(123. ) Le I King, le Chou King, le Che King, le livre des rites et le livre de la musique.

(124. ) Cette réflexion de Se-ma Ts’ien devrait décourager un traducteur européen ; je me suis cependant hasardé à expliquer, dans l’Appendice I annexé à ce volume, les odes du bureau de la musique.

(125. ) On sait que les jours sont notés au moyen des caractères des cycles dénaire et duodénaire. Le premier jour sin est le premier jour du mois dans 1a notation duquel apparaît le caractère sin du cycle dénaire.

(126. ) Cf. tome II, n. 06.154.

(127. ) Ces odes sont appelées d’après les deux premiers mots qui en forment le début. Elles sont au nombre des dix-neuf odes des sacrifices et se trouvent par conséquent dans le chapitre XXII du Ts’ien Han chou  ; cf. Appendice I.

(128. ) En 120 avant J.-C.

(129. ) D’après le T’ong kien tsi lan (3e année yuen cheou), la rivière Yo-wa était une ramification de la rivière Ti-tche, laquelle n’est autre que la rivière actuellement appelée Tang, au sud de la sous-préfecture de Toen-hoang. — Voici comment on raconte que fut pris le cheval merveilleux : Un certain Pao Li-tchang, originaire de Sin-ye, dans la commanderie de Nan-yang, avait été envoyé en exil dans le territoire de Toen-hoang ; il vit souvent au bord de la rivière Yo-wa une troupe de chevaux sauvages qui venaient y boire ; parmi eux se trouvait un cheval singulier, fort différent de tous les autres ; Pao Li-tchang fabriqua un mannequin qui tenait un licou et des entraves et le plaça au bord de 1a rivière ; les chevaux s’accoutumèrent peu à peu à la vue de cet objet ; alors Pao Li-tchang se substitua au mannequin ; il réussit ainsi à s’emparer du cheval merveilleux ; il l’offrit à l’empereur et, pour rendre l’animal plus merveilleux encore, il prétendit qu’il l’avait trouvé dans l’eau même de la rivière.

(130. ) Cette ode et la suivante ne sont pas complètes. Cf. Appendice I.

(131. ) En 101 avant J.-C. Cf. tome I, Introduction, p. LXXVII-LXXVIII.

(132. ) C’est-à-dire l’empereur de Chine.

(133. ) Cf. Mém. hist., chap. CXX. — Ki Yen étant mort en 112 avant J.-C., l’anecdote racontée ici par Se-ma Ts’ien doit se rapporter à l’ode composée en 120 avant J.-C., en l’honneur du cheval de la rivière Yo-wa.

(134. ) Cf. Mém. hist., chap. CXII. La terrible sentence proposée par Kong-suen Hong ne fut d’ailleurs pas exécutée.

(135. ) Li ki : chap. Yo ki, § 1. Tout ce qui suit ce préambule se retrouve, avec quelques différences de plan, dans le chapitre Yo ki du Li ki. Certains critiques ont vu là une interpolation de Tch’ou Chao-suen ; mais on peut contester cette opinion. Cf. tome I, Introduction, p. CCV.

(136. ) Le mot [] est expliqué par les commentateurs du Li ki de deux manières différentes ; d’après Tcheng K’ang-tch’eng, ce mot désigne les cinq notes de la gamme chinoise ; c’est le sens que nous adoptons ; d’après K’ong Yng-ta, ce mot désignerait les modulations du chant []. — La note musicale se distingue du simple son en ce qu’elle n’est pas un son quelconque, mais un son qui a certains rapports harmoniques avec d’autres sons ; comme le dit fort bien l’auteur de ce texte, il n’y a donc notes musicales que lorsque plusieurs sons sont combinés entre eux, suivant certains rapports.

(137. ) Il faut donner ici au mot « objet » un sens philosophique ; est objet tout ce qui n’est pas sujet. Ainsi la musique n’a pas une origine toute subjective ; elle se produit à la suite de l’action de l’objet sur le sujet.

(138. ) L’expression [] désigne, d’après les commentateurs du Li ki, le fait d’ajouter aux notes musicales émises par la voix l’harmonie des instruments de musique.

(139. ) Les boucliers et les haches étaient employés dans la danse guerrière ; les plumes et les queues de bœuf, dans la danse pacifique. — La musique complète se compose ainsi de trois éléments : le chant l’orchestre, la danse.

(140. ) En d’autres termes, les six manifestations musicales dont il vient d’être question n’ont pas une origine purement subjective, mais résultent de l’action du monde extérieur sur le sujet.

(141. ) Les anciens rois avaient, parmi leurs attributions, celle de rendre la musique correcte ; la musique ayant son principe dans les émotions, ils veillaient à ce que ces émotions fussent bonnes et généreuses.

(142. ) D’après Tchen-K’ang-tch’eng, le mot [] aurait ici le sens qu’il a dans l’expression [] qui désigne les huit sortes d’instruments de musique (cf. tome I, note 01.326), Mais je ne vois aucune nécessité d’abandonner maintenant le sens que nous avons adopté d’abord (cf. note 136), car on peut très bien comprendre ce développement en admettant qu’il s’agit des cinq notes de la gamme et le paragraphe suivant prouve péremptoirement que ces cinq notes sont susceptibles d’exprimer les divers sentiments dont il est question ici.

(143. ) En d’autres termes : tel gouvernement, telle musique.

(144. ) C’est-à-dire que, si chacune des cinq notes, prise en elle-même, est de bon aloi, les airs qu’on formera avec ces notes seront aussi de bonne qualité.

(145. ) L’expression [] signifie, dit Kong Yn-ta, que l’événement arrivera dans l’espace de temps qui sépare le matin du soir et sans qu’il se soit écoulé un jour entier.

(146. ) On sait que Confucius condamnait la musique du pays de Tcheng comme licencieuse ; cf. Luen yu, chap. XV, § 10, et Mencius, VII, a, 37.

(147. ) Les royaumes de Tcheng et de Wei n’étaient pas entièrement perdus ; ils n’étaient donc pas encore réduits à cette condition dont la caractéristique est l’insolence, comme il a été dit au paragraphe précédent ; mais ils étaient près de cette condition.

(148. ) La musique qu’on entendait sur le bord de la rivière Pou était celle de Tcheou, dernier souverain de la dynastie Yn. La légende relative à cette musique se trouve rapportée à la fin de ce chapitre des Mémoires historiques.

(149. ) Le mot [] a ici le sens que lui attribue le confucianisme ; c’est à la fois le sage et le prince, car, d’après cette morale qui est au fond une politique, le prince seul peut être le sage par excellence.

(150. ) On étudie la musique, non pas pour juger si le gouvernement d’autrui est bon ou mauvais, mais pour se connaître soi-même en l’art de gouverner ; le prince étudie la musique afin de se rendre capable de bien gouverner.

(151. ) Les rites succèdent à la musique ; lorsque la musique a établi l’harmonie entre le prince, les ministres, le peuple, les affaires et les êtres, alors les rites interviennent pour établir dans le monde un accord plus parfait encore. Celui qui connaît la musique est donc proche des rites, puisqu’il s’est mis dans les conditions nécessaires pour les pratiquer.

(152. ) Comme l’ont fait remarquer Callery et Legge, il n’y a là qu’un jeu de mots sur les caractères [] vertu et [] obtenir, qui ont la même prononciation en chinois.

(153. ) Cf. n. 23.184. .

(154. ) Cf. n. 23.186. .

(155. ) C’est-à-dire que cette musique ne se propose pas de réaliser la perfection de l’harmonie, mais bien de susciter dans les cœurs des sentiments nobles et austères ; elle néglige donc certaines habiletés musicales et n’en a que plus de puissance et d’élévation. On ne peut nier qu’il n’y ait une grande part de vérité dans ces remarques ; les airs religieux ou certains airs nationaux ne sont sans doute pas ce qu’il y a de plus parfait en musique ; cependant ils exercent sur nos âmes une action plus profonde que les mélodies de l’art le plus raffiné.

(156. ) Cf. n. 23.115. .

(157. ) C’est la doctrine philosophique de la table rase ; l’esprit humain ne devient capable d’affections et d’idées qu’au contact de l’expérience extérieure.

(158. ) C’est-à-dire lorsque l’homme se laisse guider dans sa conduite par les seules notions de l’agrément ou du désagrément que lui causent les objets extérieurs.

(159. ) Si l’homme ne trouve pas dans sa propre nature une règle capable de dominer ses désirs, il deviendra le jouet de ses appétits ; si les objets qui se présentent à lui excitent en lui de bons désirs, il sera bon ; mais s’ils excitent en lui de mauvais désirs, il sera mauvais.

(160. ) C’est-à-dire les règles relatives au nombre des lamentations et à la durée des pleurs.

(161. ) Le jeune homme prenait le bonnet viril à vingt ans ; la jeune fille prenait l’épingle de tête à quinze ans.

(162. ) Li ki, chap. Yo ki, § 2.

(163. ) J’adopte le sens indiqué par K’ong Ying-ta. La musique et les rites doivent se faire équilibre, l’une produisant l’union des hommes entre eux par l’affection, les autres produisant la distinction des hommes par le respect. Mais si l’un des deux éléments l’emporte au détriment de l’autre, il en résulte des effets fâcheux : l’excès des sentiments affectueux créés par la musique tend à faire oublier aux hommes les devoirs qu’ils ont suivant leur rang dans le monde ; l’excès de la différenciation créée par les rites tend à séparer les hommes et à supprimer tout amour entre eux.

(164. ) On a vu plus haut que la musique et les rites les plus nobles étaient ceux du temple ancestral ; or cette musique se distingue par sa simplicité et ces rites sont dénués d’apparat.

(165. ) L’affection produite par la musique prévient la haine ; le respect produit par les rites empêche les querelles.

(166. ) Lorsque les rites et la musique sont parfaits, le souverain gouverne sans avoir besoin d’agir ; l’expression « saluer et céder » qui désigne cette bienheureuse inaction du prince peut être rapprochée de l’expression « les vêtements tombants à terre et les mains jointes pour saluer », qui est employée dans le même sens. Cf. tome II, n. 06.507.

(167. ) Suivant les idées du dualisme chinois primitif, le Ciel et la Terre sont les deux principes dont l’harmonie fait exister les êtres et dont les rapports mutuels créent chez les êtres une hiérarchie naturelle. La musique et les rites ont donc une action analogue à celle du Ciel et de la Terre.

(168. ) Les sacrifices au Ciel et à la Terre sont cités ici comme ce qu’il y a de plus important parmi les actes soumis à une règle. Puisque les rites permettent de faire comme il convient les sacrifices au Ciel et à la Terre, à plus forte raison la règle qu’ils produisent pourra-t-elle s’appliquer à toutes les autres choses de l’univers.

(169. ) Les rites et la musique produisent visiblement dans le cœur de l’homme les mêmes effets d’ordre et d’harmonie que les mânes et les dieux produisent d’une manière invisible dans l’univers.

(170. ) En d’autres termes, les rites et les musiques peuvent être différents en apparence tout en restant foncièrement les mêmes, puisque, sous des formes autres, ils ont le même effet qui est de produire le respect et l’affection ; c’est ainsi que les anciens souverains se sont transmis les uns aux autres ce qui est essentiel dans les rites et la musique, quoiqu’ils aient observé des rites qui variaient suivant l’époque à laquelle ils vivaient, quoiqu’ils aient appelé leurs musiques de noms qui variaient suivant le mérite que ces musiques étaient destinées à célébrer. Ainsi Yao donna l’empire à Choen et Choen le donna à Yu, tandis que T’ang le victorieux chassa Kie et que le roi Ou vainquit Tcheou ; ces conduites, diverses en apparence, étaient inspirées par un même sentiment de respect. Ainsi encore la musique de Yao s’appelait ta tchang ; celle de Choen s’appelait ta chao ; celle de Yu s’appelait ta hia ; celle de T’ang s’appelait ta hou ; celle du roi Ou s’appelait ta ou ; mais ces musiques, dont les noms étaient appropriés aux mérites divers de ces souverains, concouraient toutes à produire une affection mutuelle entre les hommes.

(171. ) Les plumes et les flûtes sont les instruments dont on se sert dans la danse pacifique, de même que les boucliers et les haches sont les instruments dont on se sert dans la danse militaire. Cf. Tcheou li, article des « fonctionnaires du printemps » : « Le maître de flûte enseigne aux fils de l’État à faire les mouvements rythmiques avec les plumes et à jouer de la flûte. » Commentaire : « Dans la danse pacifique, on tenait en main des plumes et on jouait de la flûte. »

(172. ) Le vase fou était carré à l’extérieur et rond à l’intérieur ; le vase koei était carré à l’intérieur et rond à l’extérieur. Cf. les dessins donnés par le P. Couvreur dans son Dictionnaire chinois-français, p. 77 et p. 435.

(173. ) Tels furent les anciens empereurs Yao, Choen, Yu et T’ang.

(174. ) Tels furent Tse-feou et Tse-hia, disciples de Confucius.

(175. ) D’après Tchang Cheou-tsie, nous retrouvons ici l’idée que les rites et la musique, tout en restant identiques à eux-mêmes dans leur essence, peuvent varier dans leurs formes et leurs manifestations extérieures suivant les époques.

(176. ) Li ki, chap. Yo ki, § 3.

(177. ) Les « actions » consistent essentiellement dans l’exercice du pouvoir royal ; le « gouvernement » consiste dans le fait d’instruire le peuple (ap. Tcheng K’ang-tch’eng).

(178. ) En d’autres termes, si la musique des Tcheou est parfaite, ce n’est pas parce qu’elle comporte une danse avec boucliers et haches, mais c’est parce que le roi Ou, qui l’institua, était un très bon roi ; et, de même, si les rites sont excellents, c’est parce qu’ils ont été réglementés par des princes dont le gouvernement était sage, et non à cause des offrandes que ces rites supposent. En d’autres termes, ce n’est pas l’organisation matérielle de la musique et des rites qui en fait la perfection ; toute leur excellence leur vient des qualités morales éminentes de ceux qui les instituèrent.

Ce sens n’est pas cependant celui que proposent Tcheng K’ang-tch’eng et K’ong Yng-ta ; d’après ces commentateurs, l’auteur du traité sur la musique affirmerait ici que la musique et les rites des Tcheou étaient inférieurs à la musique et aux rites des cinq Empereurs de la haute antiquité ; la danse avec boucliers et lances instituée par le roi Ou ne valait pas la musique parfaite de l’empereur Choen, car cette dernière ne trahissait aucune préoccupation guerrière ; de même, les offrandes de viande cuite ne valaient pas les sacrifices plus anciens où l’on présentait aux esprits du sang et de la viande crue. Legge (Sacred Books of the East, vol. XXVIII, p. 102) adopte ce sens et donne la traduction suivante :

« The dances with shields and axes did not belong to the most excellent music, nor did the sacrifices with cooked flesh mark the highest ceremonies.

Cette interprétation peut s’appuyer sur une parole de Confucius ; on lit en effet dans le Luen yu (chap. III, § 25) :

« Le maître disait du chao (c’est-à-dire de la musique de l’empereur Choen) qu’elle était parfaitement belle et en même temps parfaitement bonne ; il disait de (la musique du roi) Ou qu’elle était parfaitement belle, mais qu’elle n’était pas parfaitement bonne.

(179. ) Le danger de la musique est dans l’excès ; les rites au contraire ne pèchent jamais que par insuffisance.

(180. ) On a vu plus haut (p. 249) que le saint était celui qui instituait une musique et des rites nouveaux, tandis que l’intelligent ne fait que transmettre la musique et les rites de l’antiquité.

(181. ) Les rites séparent et distinguent suivant leurs rangs les divers êtres dont la hiérarchie naturelle s’étend entre les deux termes extrêmes qui sont le Ciel en haut et la Terre en bas ; la musique établit l’harmonie et l’unité dans le développement simultané des divers êtres. Le principe de la bonté est dans l’amour ; celui de la musique est dans l’harmonie ; aussi peut-on dire que la bonté est apparentée à la musique. Le principe de la justice est dans une délimitation précise ; la justice a donc quelque rapport avec les rites qui distinguent et classent les êtres.

(182. ) Le mot [a] désigne l’influence spirituelle qui se rattache au principe yang ; le Ciel est le yang par excellence ; comme la musique dérive du principe yang, on peut dire d’elle qu’elle allonge et élève cette influence spirituelle supérieure de manière à se conformer au Ciel.

Le mot [b] désigne l’influence spirituelle qui se rattache au principe yn ; la Terre est le yn par excellence ; comme les rites dérivent du principe yn, on peut dire d’eux qu’ils descendent et s’établissent sur cette influence spirituelle inférieure, de manière à se conformer à la Terre.

(183. ) Les êtres soumis au mouvement sont ceux qui naissent, grandissent et meurent en suivant le cours des quatre saisons. Les êtres immobiles sont ceux qui ne sont pas soumis à une évolution annuelle.

(184. ) Je suis ici l’explication de Tcheng k’ang-tch’eng et de K’ong Yng-ta qui considèrent le mot [] comme désignant les animaux et le mot [] comme désignant les végétaux. Les interprètes modernes proposent un autre sens qui me paraît trop subtil.

(185. ) En d’autres termes, les rites ne sont que l’expression ou le symbole des distinctions naturelles qui se trouvent réalisées dans le Ciel et sur la Terre.

(186. ) Les transformations normales des êtres s’accomplissent suivant une loi d’harmonie qui dérive de la musique et celle-ci symbolise le Ciel ; la séparation des hommes d’avec les femmes est le premier des rites et les rites symbolisent la Terre. Si donc le Ciel et la Terre viennent à présenter quelque défectuosité, la faute en est à la musique et aux rites qui ne sont pas parfaits.

(187. ) A savoir le soleil, la lune et les étoiles qui sont dans le ciel.

(188. ) A savoir les montagnes et les cours d’eau qui sont sur la terre.

(189. ) Le grand commencement représente ici le Ciel, de même que les êtres produits représentent la Terre.

(190. ) La musique symbolise le Ciel et le mouvement incessant ; les rites symbolisent la Terre et l’immobilité. Les rites et la musique suffisent donc à expliquer tout ce qui existe et c’est pourquoi les sages ont parlé de cela seulement.

(191. ) Li ki, chap. Yo ki, § 4.

(192. ) Les cinq cordes du luth devaient correspondre aux cinq notes de la gamme chinoise. Le Nan fong était une ode destinée à célébrer la piété filiale ; de même que, sous l’action bienfaisante du vent du sud, tous les êtres se développent, ainsi les enfants naissent et grandissent grâce à leurs pères et mères. Quatre vers de cette ode nous ont été conservés dans le Kia yu (chap. VIII, section Pien yo kie)

« L’haleine parfumée du vent du sud

Peut dissiper les chagrins de mon peuple ;

L’arrivée opportune du vent du sud

Peut accroître la richesse de mon peuple.

(193. ) Sur K’oei, cf. tome I, p. 86. — D’après ce passage, K’oei aurait fixé la musique sur laquelle devait se chanter l’ode du Vent du sud, afin de conférer comme une récompense aux seigneurs vertueux le droit de chanter cette ode.

(194. ) Lorsqu’un seigneur gouvernait bien, le Fils du Ciel lui accordait une musique qui comportait un grand nombre de danseurs ; les danseurs étaient d’autant moins nombreux que le seigneur gouvernait moins bien. Suivant donc que les rangs des danseurs étaient éclaircis ou serrés, c’est-à-dire suivant qu’il y avait peu ou beaucoup de danseurs, on reconnaissait le degré de vertu du seigneur.

(195. ) Le t’ai tchang ou ta tchang était la musique de Yao ; elle était ainsi nommée parce qu’elle manifestait l’éclat de son auteur. Le hien tch’e était la musique de Hoang ti, elle était ainsi nommée parce que la vertu de cet empereur était bienfaisante pour toute chose. La musique de Choen était appelée chao parce que cet empereur sut continuer le bon gouvernement de Yao. Hia est la musique de Yu qui agrandit encore les qualités de ses prédécesseurs. La musique des Yn fut appelée ta hou parce que T’ang le vainqueur sut protéger le peuple. Enfin la musique des Tcheou fut appelée ta ou à cause de la gloire guerrière du fondateur de cette dynastie.

(196. ) Le chaud et le froid dans l’ordre physique sont assimilés aux instructions, c’est-à-dire à la musique, dans l’ordre moral. Le vent et la pluie correspondent aux actions, c’est-à-dire aux rites.

(197. ) On retrouve ici une des idées fondamentales du confucéisme, à savoir que, si le prince est vertueux, le peuple ne pourra manquer d’imiter son exemple.

(198. ) On avait en vue d’organiser les sacrifices et les banquets destinés aux sages. Mais l’abus du vin à ces solennités amena des disputes avec toutes leurs fâcheuses conséquences.

(199. ) Ce nombre de « cent » ne prétend point à l’exactitude ; il désigne seulement les salutations répétées que l’invité et son hôte devaient s’adresser entre chaque tasse de vin ; ce rite obligeait les buveurs à espacer leurs libations et les empêchait de s’enivrer.

(200. ) Les banquets ne furent plus, grâce aux rites, qu’une occasion de se réjouir en commun et les inconvénients de l’ivresse furent évités.

(201. ) Cette phrase résume les deux paragraphes qui la précèdent.

(202. ) Ici se termine la quatrième section du Yo ki dans le texte actuel du Li ki. Les deux paragraphes qui suivent sont les deux derniers de la sixième section ; mais, en fait, ils se rattachent mieux à la quatrième section qu’à la sixième.

(203. ) Li ki, chap. Yo ki, fin du § 6.

(204. ) La musique se donne comme un bienfait et ceux qui l’écoutent ne donnent rien en retour ; mais, tout en se livrant au dehors, elle n’est au fond que la manifestation de la vertu intérieure du cœur ; c’est cette vertu qui la fait naître et dont elle se réjouit. Le rite est une réciprocité, car celui qu’on aborde suivant les rites répond suivant les rites et paie de retour les sentiments d’autrui ; mais, tout en étant une réciprocité, les rites sont aussi un commencement ou un principe lorsqu’on les considère chez celui qui les exécute le premier dans le désir de s’attirer une réciprocité de respect de la part d’autrui.

(205. ) Ce paragraphe montre un exemple de la réciprocité des rites ; les seigneurs venant apporter en hommage les produits de leurs terres au Fils du Ciel, celui-ci leur donne des présents en retour. Parmi ces présents, la tortue était celle dont la carapace servait à la divination.

Ce qui suit ce paragraphe est le commencement de la septième section du Yo ki.

(206. ) Li ki, chap. Yo ki, § 7.

(207. ) Chên mîng tch?u t? ; cette expression désigne les énergies ou vertus conçues comme des entités au dedans desquelles se concentrent le Ciel et la Terre. A la phrase suivante, l’expression cháng hiá tch?u chên désigne les puissances surnaturelles par lesquelles se manifeste au dehors l’action du Ciel et de la Terre.

(208. ) Le grand homme n’est autre que le saint, l’homme qui réunit en lui la toute-puissance et la sagesse.

(209. ) Le maître de musique ne connaît que la technique, et non l’esprit et le sens de la musique ; c’est pourquoi il se tourne vers le nord comme un sujet. Le prince au contraire se tourne vers le sud et c’est lui qui comprend la musique dans son essence, et non plus seulement dans sa forme extérieure.

(210. ) On appelait ch?u « cadavre », la personne qui, dans les rites des sacrifices aux ancêtres, représentait le défunt. Cette personne était comme le centre de toute la cérémonie et c’est pourquoi elle venait avant le prieur ancestral qui ne faisait que régler l’exécution matérielle du rite.

(211. ) Li ki, chap. Yo ki, § 5.

(212. ) En d’autres termes, l’homme est, par nature, capable d’engendrer diverses émotions ; mais ces émotions ne sont que la réaction du cœur humain touché par une cause extérieure ; c’est ce qui explique comment elles peuvent être excitées par la musique, ainsi que cela va être exposé au paragraphe suivant.

(213. ) Ils mettent en mouvement « les extrémités » du corps humain, c’est-à-dire les bras et les jambes ; en d’autres ternes, c’est une musique qui incite à l’action violente.

(214. ) Allusion aux nombres qui déterminent les dimensions des tuyaux sonores.

(215. ) Les principes yn et yang qui sont l’origine de toute vie.

(216. ) Métal, bois, eau, feu, terre. Suivant d’autres commentateurs, il s’agirait ici des cinq vertus fondamentales : bonté, justice, urbanité, prudence, bonne foi,

(217. ) Le principe yang, le principe yn, l’influence forte et l’influence faible qui pénètrent toutes choses.

(218. ) Puisque la musique peut influer sur les cœurs des hommes, les anciens rois en instituent l’étude et font de la musique l’image de la vie vertueuse.

(219. ) A la phrase précédente, « la réalité de la vertu » désignait la vertu cachée dans le cœur de l’homme ; ici, « l’accomplissement des actes » désigne la vertu manifestée dans les actes de l’homme.

(220. ) Li ki, chap. Yo ki, § 6.

(221. ) Ce ne sont pas seulement les hommes, mais aussi les plantes, le vent, les nuages, en un mot tous les êtres, qui sont affectés par la musique. Et, comme la musique elle-même est bonne ou mauvaise suivant que le prince est vertueux ou pervers, c’est, en dernière analyse, du prince que vient l’ordre ou le désordre chez le peuple et dans tout l’univers,

(222. ) Après avoir réalisé la perfection en lui-même, le sage la produit au dehors par sa musique.

(223. ) Litt. : « les cinq couleurs ». Mais les cinq couleurs ne sont ici que le symbole des cinq éléments.

(224. ) Sur les huit vents, cf. le chapitre suivant consacré aux tuyaux sonores.

(225. ) Les cent mesures désignent ici le soleil, la lune, le jour, la nuit en un mot tout ce qui sert à mesurer et à diviser.

(226. ) Cf. p. 264, « c’est pourquoi le sage… harmonieuse ; ». Au-dedans de lui-même, le sage revient aux sentiments fondamentaux qui lui font préférer le devoir aux désirs égoïstes ; au dehors de lui-même, il se servira de la musique pour créer dans le peuple des dispositions analogues.

(227. ) A savoir l’idée, les sons et les attitudes. Ces trois termes ont leur origine dans les impressions du cœur humain ; la poésie, le chant et la danse, c’est-à-dire l’inspiration musicale sous ses diverses formes, s’appliquent ensuite à l’idée, aux sons et aux attitudes pour les exprimer.

(228. ) La leçon des Mémoires historiques me paraît préférable à la leçon du Li ki, quoique ce ne soit pas l’avis des éditeurs du Li ki de l’époque K’ien-long.

(229. ) La musique en effet n’est que l’expression d’une réelle vertu intérieure.

(230. ) Ce paragraphe décrit la musique accompagnée de danse que le roi Ou avait instituée pour célébrer sa victoire sur Tcheou, dernier souverain de la dynastie Yn. On sait que le roi Ou avait commencé par réunir les seigneurs au gué de Mong, qu’il avait été sur le point d’attaquer Tcheou, puis qu’après cette alerte il s’était retiré ; c’est ce que rappellent le roulement du tambour et les trois pas après lesquels il y a un arrêt. Quand la musique et la danse recommencent, il s’agit alors de la véritable entrée en campagne du roi Ou ; on le montre qui s’avance avec toute son armée.

(231. ) Le Ciel inspire confiance par l’inaltérable régularité des mouvements des astres et de la succession des saisons.

(232. ) Les rites prescrivent la politesse qui consiste à céder le pas à autrui ; mais, si l’on exagérait la modestie, on annihilerait sa propre personne, et c’est pourquoi la politesse doit avoir pour correctif la hardiesse qui permet à l’homme, après avoir montré sa modestie, de répliquer, c’est-à-dire de prendre à son tour la première place, lorsque son prochain la lui cède en vertu des mêmes rites. — Inversement, la musique tend à développer abondamment toutes les énergies de l’homme ; elle doit donc revenir en arrière ou se contenir, de peur de tomber dans l’excès.

(233. ) Les sons traduisent les émotions intérieures du cœur ; les gestes et les attitudes expriment les changements extérieurs de la personne physique. Il n’y a pas d’autre mode d’expression des sentiments.

(234. ) Le ya et le song sont des sections du Che King .

(235. ) Cf. note 234.

(236. ) Li ki, chap. Yo ki, § 8.

(237. ) Le marquis Wen est le premier souverain du pays de Wei, un des trois royaumes formés des débris de l’État de Tsin.

Tse-hia est l’appellation de Pou Chang, un des plus célèbres disciples de Confucius ; il est souvent cité dans le Luen yu ; il vécut jusqu’à un âge fort avancé.

(238. ) On sait que Confucius condamnait comme licencieux les airs du pays de Tcheng (cf. Luen yu, XV, 10) ; les paroles de ces airs constituent le septième livre de la section Kouo fong du Che King. — Les poésies de Wei forment le cinquième livre de cette même section, — On verra plus loin que Tse-hia réprouve ces airs ainsi que ceux de deux autres royaumes.

(239. ) Cf. tome I, note 00.128.

(240. ) L’instrument pacifique est le tambour ; l’instrument militaire est la cloche sans battant appelée nao.

(241. ) Le siang et le ya sont deux espèces de tambour.

(242. ) Le sage explique quels sont les événements de l’antiquité qui sont rappelés par cette musique et il y trouve une règle de conduite pour le temps présent.

(243. ) Le mot « air » est pris ici dans le sens d’« air musical ». La citation qui suit est tirée du Che King, section Ta ya, ode VII de la 1e décade, strophe 4. Ce texte est cité et commenté dans le Tso tchoan, 28e année du duc Chao, Legge, C. C., vol. V, p. 727.

(244. ) Nous avons parlé plus haut (note 238) des airs de Tcheng et de Wei ; les poésies du pays de Ts’i forment le huitième livre de la section Kouo fong du Che King ; quant aux poésies du pays de Song, elles sont très vraisemblablement celles qui forment le douzième livre du Kouo fong, sous le nom de poésies de Tch’en. — Tandis que la plupart des poésies du Che King étaient chantées lors de certains rites, les poésies des quatre États de Tcheng, Wei, Song et Ts’i étaient jugées indignes de cet honneur et on n’en faisait point usage aux sacrifices,

(245. ) Che King, Tcheou song, 2e décade, ode V. Il est question dans cette ode des musiciens et des instruments de musique du duc de Tcheou.

(246. ) Ta ya, 2e décade, ode X, strophe 6.

(247. ) Li ki, chap. Yo ki, § 9.

(248. ) Pin-meou Kia n’est connu que par ce texte ; suivant Tchang Cheou-tsie, Pin serait le nom de famille et Meou-kia le nom personnel.

(249. ) Il faut se rappeler que cette musique était un véritable opéra dans lequel on représentait la victoire du roi Ou sur Tcheou, dernier souverain de la dynastie Chang.

(250. ) C’est-à-dire : le cœur du peuple soumis à Tcheou ; le roi Ou regrette d’être obligé de livrer bataille à ce peuple.

(251. ) Cette réponse de Pin-meou Kia et la précédente sont considérées comme exactes.

(252. ) Cette réponse et la précédente sont inexactes ; elles seront implicitement réfutées dans le discours que va tenir Confucius.

(253. ) Les éditeurs du Li ki à l’époque K’ien-long citent ici deux textes :

— l’un du Kouo yu, dans lequel il est dit :

« Dans l’affaire de Mou ye (c’est-à-dire la bataille du roi Ou contre Tcheou), les sons musicaux font tous prédominer la note kong ; — l’autre texte est tiré du Tcheou li  :

« Dans la musique du grand sacrifice, il n’y a pas la note chang

Ainsi, la note chang était considérée comme la caractéristique des mauvaises passions et n’aurait pas dû trouver place dans la musique qui représente les sentiments du roi Ou ; si cependant elle se fait entendre dans cette musique, c’est que la bonne tradition a dû se perdre. Confucius approuvera cette réponse.

(254. ) Il est dit dans les Rites de Tai l’aîné :

« K’ong-tse étant allé à la cour des Tcheou, il s’enquit des rites auprès de Lao Tan, il étudia la musique auprès de Tch’ang Hong ».

(255. ) Terme d’affection.

(256. ) Quoique Pin-meou Kia ait répondu en partie correctement aux questions de Confucius, il se rend compte cependant que bon nombre de points restent encore obscurs pour lui dans la musique du roi Ou, et c’est pourquoi il prie Confucius de lui donner à son tour des éclaircissements.

(257. ) Il s’agit ici de l’immobilité que conservaient les danseurs sur leurs rangs pendant un long moment après que les avertissements du tambour avaient cessé de se faire entendre.

(258. ) Cette définition est essentielle, car elle montre bien que la musique rituelle de l’antiquité était en réalité une représentation théâtrale accompagnée de musique.

(259. ) Quand les danseurs restent immobiles après l’avertissement du tambour, ils représentent le roi Ou qui,avant d’attaquer Tcheou, attend avec fermeté l’arrivée des seigneurs.

(260. ) T’ai-kong n’est autre que T’ai Kong-wang ou Lu Chang ; cf. tome I, n. 04.152 et n. 04.199.

(261. ) Au moment de la bataille, le trouble faillit se mettre dans les rangs des troupes du roi Ou. Les ducs de Tcheou et de Chao eurent l’idée de commander à leurs hommes de mettre genou en terre et ainsi ils évitèrent la déroute.

Suivant une autre interprétation, la phrase devrait être traduite :

« A la fin de l’action militaire, quand tous mettent genou en terre, cela représente le bon gouvernement des ducs de Tcheou et de Chao ;

cette musique symboliserait donc le calme rétabli par les ducs de Tcheou et de Chao après que la guerre eût été terminée.

Quoi qu’il en soit, cette phrase et la précédente réfutent implicitement la troisième et la quatrième réponse de Pin-meou Kia (cf. note 252).

(262. ) Cela représente le roi Ou venant passer en revue ses troupes au gué de Mong, sur la rive nord du Hoang-ho.


La gravure ci-dessous, empruntée à l’édition du Li ki intitulée K’in ting li ki i sou (chapitre LXXXI, p. 36 r°) représente les positions occupées par les danseurs sur la scène aux six moments successifs dont va parler Confucius.




(263. ) Le retour de l’armée victorieuse.

(264. ) Les barbares du Sud rendent hommage au roi Ou après sa victoire.

(265. ) Ces hommes tenant des sonnettes représentent le roi Ou et ses généraux qui sont à côté de leurs troupes pour les exciter au combat. Les quatre sonneries à chaque reprise rappellent ce passage de la harangue à Mou dans lequel le roi Ou recommande à ses soldats de ne pas porter plus de quatre ou cinq coups, puis de s’arrêter pour reprendre leurs rangs (cf. tome I, p. 231-232).

(266. ) Cf. tome I, p. 233, n. 6.

(267. ) Sur ces investitures, cf. tome I, notes 04.232 à 04.235.

(268. ) Cf. tome I, note 04.271.

(269. ) Cf. tome I, p. 238, ligne 4.

(270. ) Cf. tome I, p. 237, lignes 13-14.

(271. ) Cf. tome I, note 04.220. . Chang Yong, pour échapper aux cruautés de Tcheou, s’était réfugié dans la montagne T’ai-hang ; le roi Ou, après avoir honoré l’entrée de son village en y élevant un portique commémoratif, le fit rechercher lui-même pour le rétablir dans ses dignités.

(272. ) Pour retourner à sa capitale qui était Hao ; cf. tome I, n. 04.247.

(273. ) Cf. tome I, n. 04.262.

(274. ) Si l’on adopte la leçon du Li ki, il faut traduire : « on frotta de sang, pour les consacrer, les chars et les cuirasses. »

(275. ) C’est la vaillance des capitaines du roi Ou qui avait assuré la victoire et qui avait permis de remettre dans leurs fourreaux les armes de guerre ; à ceux donc de ces capitaines qui furent nommés seigneurs on donna le surnom populaire de « fourreaux cadenassés ».

(276. ) Ces odes étaient chantées pour marquer la mesure. L’ode tseou yu est la dernière du livre Chao nan dans la section Kouo fong du Che King. Quant à l’ode li cheou, elle est perdue ; li cheou signifie « la tête de renard » ; un passage du traité sur les sacrifices fong et chan explique peut-être à quelle occasion cette ode fut composée :

« Vers ce même temps, Tch’ang Hong (cf. n. 254) mit son art magique au service du roi Ling (571-545 av. J.-C.) de la dynastie Tcheou. Les seigneurs ne venaient plus rendre hommage aux Tcheou et la puissance des Tcheou déclinait. Or Tch’ang Hong connaissait ce qui concerne les génies et les dieux ; il fit tirer à l’arc sur une tête de renard ; la tête de renard représentait ceux des seigneurs qui ne venaient pas. Comptant sur l’étrangeté de l’objet, il espérait faire accourir les seigneurs ; mais les seigneurs n’obéirent pas. Alors les gens du pays de Tsin se saisirent de Tch’ang Hong et le tuèrent.

(277. ) Ce nom est donné ici au temple funéraire du roi Wen, père du roi Ou.

(278. ) A savoir l’agriculture.

(279. ) Le repas fini, le roi se mêlait lui-même aux danseurs qui jouaient devant les vieillards.

(280. ) Cette conclusion nous ramène à la question qui avait été posée à Confucius par Pin-meou Kia ; puisque la musique du roi Ou symbolise la victoire du roi Ou et les événements qui la suivirent, il est naturel que cette musique ait certaines lenteurs qui marquent le temps qu’il a fallu pour accomplir une œuvre aussi considérable.

(281. ) Li ki, chap. Yo ki, § 11.

(282. ) Tse-kong est le surnom d’un disciple de Confucius qui est souvent cité dans le Luen yu. Son nom de famille était Toan-mou, et son nom personnel, sous lequel nous allons le voir apparaître, était Se.

(283. ) Sur le Chang et le Ts’i, nous ne savons que ce qui nous est dit dans le paragraphe suivant. Le Kouo fong, le Siao Ya, le Ta ya et le Song sont les diverses sections du Che King.

(284. ) C’est-à-dire : du pays de Song dont les princes étaient les descendants de la dynastie Chang.

(285. ) C’est-à-dire : les parties de la musique où dominent les sentiments d’humilité.

(286. ) Suivant l’explication de Kong Yng-ta, j’ai traduit tout ce paragraphe comme s’il décrivait l’action de la musique sur le cœur de l’homme. Callery et Legge y voient une description de la musique en elle-même, indépendamment de l’action qu’elle exerce.

(287. ) Cf. note 192.

(288. ) Tchao-ko est le nom que porta sous les Han la ville qui avait été la capitale de Tcheou, dernier souverain de la dynastie Yn (cf. tome I, n. 04.179).

(289. ) La capitale du pays de Wei était alors la ville de Tch’ou-k’ieou, dans le voisinage de la sous-préfecture actuelle de Ts’ao, préfecture de Ts’ao-Tcheou, province de Chan-tong.

(290. ) Le lieu de la halte doit être près de la sous-préfecture actuelle de [], préfecture de Ta-ming, province de Tche-li, à la limite entre cette province et celle de Chan-tong.

(291. ) La terrasse des Bienfaits répandus était au bord de la rivière Fen à 40 li à l’ouest de la préfecture secondaire de Kiang dans la province de Chan-si.

(292. ) Sections du Che King.