Mœurs des diurnales/3

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Loyson-Bridet ()
Mœurs des Diurnales : Traité de journalisme
Société du Mercure de France (p. 211-218).


APPENDICE


LETTRE DE MARONIEZ À LOYSON-BRIDET AVEC LA RÉPONSE QUE FIT LE DIT OYSON BRIDÉ APRÈS S’ÊTRE ARRACHÉ DEXTREMENT, POUR LA MIEUX ÉCRIRE, UNE BELLE PLUME NEUVE JOUXTE LE CROUPION


À monsieur Loyson-Bridet, rédacteur au Mercure de France, 15, rue de l’Échaudé-Saint-Germain, à Paris.


Monsieur,

Dans votre « Traité de Journalisme », récemment paru dans le Mercure, vous raillez fort agréablement les libertés grandes que prennent MM. les journalistes tant avec les règles de la syntaxe qu’avec la vérité historique. En passant, vous relevez aussi, non sans esprit, les mauvais tours que joue quelquefois à ceux qui ont l’imprudence d’y sacrifier la douce manie des citations. Oh ! les citations ! que de crimes on commet en leur nom ! Les va-t-on quérir chez les anciens ou les étrangers ? Le voyage ne leur réussit guère, elles arrivent estropiées, lamentablement estropiées :

Regnum meum… times is money…

Emprunte-t-on à nos classiques ? Je ne sais quelle rage on a d’y vouloir ajouter, mais ils ne gagnent guère au change :

mais pour mieux l’étouffer…

Les citations ! comme il est périlleux d’y recourir ! le plus malin s’y laisse prendre. On est trahi par sa mémoire ou par les protes et l’on fait commettre au savant latiniste Abeilard un barbarisme de cette taille :

Non omnis moribor
Nil novo sub soli

Mais il me semble que cette façon de presenter la pensée que l’Ecclésiaste (v. 9, ch. 1) exprime ainsi : « Nihil est sub sole novum » est quelque chose d’assez neuf dont le soleil…

Le désir d’être exact m’eût dicté :


Risum teneatis amici ?

et, plus loin, dans la même épître aux Pisons, pour ne pas faire commettre à Horace un vers faux, j’eusse écrit :


si vis me flere, dolendum est
Primum ipsi tibi


Mais c’est peut-être avoir beaucoup de scrupules !… Le même respect du texte m’eût fait dire avec La Bruyère :

..... « et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes… »

Oh ! ces traîtres de protes ! on ne saurait vraiment trop s’en défier : qu’on en juge :

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macteamini puer


quand le manuscrit porte macte nova virtute puer, c’est déjà un peu suffocant ; mais où la borne « étant franchie il n’est plus de limites », c’est quand ils attribuent la paternité de cet encouragement à Horace (Odes) au lieu de Virgile (Énéide, IX, 641).

En vérité où sont-ils allés chercher tout cela ? macteamini, par les dieux infernaux ceci est peut-être de l’étrusque ???? Mais archaïque alors !!!

Et quant à faire « Odifier » Horace au temps « du jeune Jules César » voilà qui va révolutionner toute la Sorbonne.

Pardonnez-moi la pédanterie avec laquelle je vous signale les réflexions que m’a suggérées au passage la lecture, exquise d’ailleurs, de votre fantaisiste article. Vous donnez là aux citateurs une jolie leçon. Permettez-moi, [monsieur (rayé)] d’en prendre ma part et de me dire, Monsieur,

Votre respectueux élève,

Paul Maroniez
3, rue de la Cloche, Douai.


Oserai-je, élève Maroniez, compléter votre petite étude critique ?

Edgar Quinet n’a pas écrit : « Vous êtes le printemps de Fannie et l’espoir de la France » (page 5). Il s’est contenté de le dire. Et il écrivait tout simplement à M. Jules Claretie, en 1867 : « Vous êtes le printemps de l’année. »

Vous avez, élève Maroniez, laissé échapper quelques barbarismes et solécismes dans une citation (peut-être inexacte) à la note de la page 6.


Reddate Cæsaro quod est Cæsari.


Je suis surpris qu’ils aient éludé votre rare perspicacité

Quand vous ouvrirez, élève Maroniez, un livre qui s’appelle Bévues Parisiennes (par M. de la Flotte. Paris, Dentu, 1860), vous serez surpris que le prote de 1860, par une admirable coïncidence avec la négligence d’un autre prote en 1903, ait laissé imprimer de la même manière deux citations qui n’appartiennent pas à Loyson-Bridet, mais à M. Émile de la Bédollière.


J’embrasse mon rival, mais pour mieux l’étouffer.
Regnum meum non est ex hoc sæculi.


Soyez aussi de bonne foi, cher Maroniez (vous qui n’êtes point, rue de la Cloche, à Douai, de la grande presse quotidienne), et vous reconnaîtrez, en vous reportant à la page 10, que Loyson-Bridet a imprimé time is money, si toutefois il admet, pour le journalisme, une variante qui choque votre érudition des lettres anglaises.

Le savant latiniste Abailard ou Abélard (plus rarement Abeilard) n’est point en effet coupable d’avoir dit : non omnis moribor. C’est Loyson-Bridet qui lui a prêté cette barbare pensée, exprimée d’abord sous cette forme : non omnis moriar par Quintus Horatius Flaccus. Mais elle s’appliquait mieux (dans l’humble imagination de Loyson-Bridet) à celui que le chanoine Fulbert ne laissa pas mourir entier. Ne soyez pas trop sévère, bon Maroniez.

Pour macteamini, élève Maroniez, l’original (Publius Papinius Statius) n’est point de Virgile, mais de Stace : le dictionnaire de Quicherat, que vous possédez sans doute, en diligent latiniste que vous êtes, vous le révélera sous le mot mactus. Macte animi ou animo (Stat.).

Macteamini a été composé par Loyson-Bridet, élève Maroniez, qui s’est plu à orner de ce barbarisme une ode d’Horace adressée au jeune Jules César.

Car vous avez évidemment raison, élève Maroniez, partout où vous ne vous êtes pas trompé ; et votre perspicacité, comme je l’ai dit, est de l’espèce la plus rare ; mais vous avez oublié un tout petit point. Vous souvenez-vous, cher Maroniez, du conte de la Lettre volée par Edgar Poe ? Relisez-le, et méditez sur les ingénieuses recherches du Préfet de Police Gisquet. Il y a des choses qui échappent aux génies les plus subtils parce qu’elles sont trop évidentes.

Vous avez oublié, élève Maroniez, que Loyson-Bridet était journaliste.