Manifeste d’avril 1963

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Manifeste du FLQ à la Nation
Le 16 avril 1963, le Front de libération du Québec lance son Manifeste. Aucun média ne le diffusera. Le document précise les orientation de fond du mouvement en faveur de l’indépendance, certes, mais aussi de la "révolution sociale" qui exprime le socialisme vague des premiers militants felquistes.

Patriotes,

Depuis la Seconde Guerre mondiale les divers peuples dominés du monde brisent leurs chaînes afin d’acquérir la liberté à laquelle ils ont droit. L’immense majorité de ces peuples a vaincu l’oppresseur et aujourd’hui vit librement. Après tant d’autres, le peuple québécois en a assez de subir la domination arrogante du colonialisme anglo-saxon. Au Québec comme dans tous les pays colonisés, l’oppresseur nie férocement son impérialisme et est appuyé en cela par notre soi-disant élite nationale, plus intéressée à protéger ses intérêts économiques personnels qu’à servir les intérêts vitaux de la nation québécoise. Elle persiste à nier l’évidence et s’emploie à créer de multiples faux problèmes, voulant détourner le peuple assujetti du seul qui soit essentiel : L’INDÉPENDANCE.

Malgré cela, les yeux des travailleurs s’ouvrent chaque jour un peu plus à la réalité : le Québec est une colonie ! Colonisés, nous le sommes politiquement, socialement et économiquement. Politiquement, parce que nous ne possédons par les leviers politiques vitaux à notre survie. Le gouvernement colonialiste d’Ottawa possède en effet toute juridiction dans les domaines suivants : économie, commerce extérieur, défense, crédit bancaire, immigration, droit criminel, etc. De plus, toute loi provinciale peut être refusée si Ottawa le juge bon. Le gouvernement fédéral étant complètement acquis aux intérêts des impérialistes anglo-saxons, qui y détiennent une majorité constitutionnelle et pratique écrasante, sert constamment à maintenir et à accentuer l’infériorité des Québécois. Chaque fois que les intérêts anglo-saxons et québécois entrent en conflit, les intérêts du Québec sont infailliblement défavorisés. Que ce fut militairement avec la conscription, démographiquement avec le favoritisme d’assimilation aux anglo-saxons, internationalement par la suprématie totale des anglophones dans les divers domaines diplomatiques, toujours, sans exception, le gouvernement d’Ottawa a imposé les intérêts des Anglais au détriment des Québécois.

La force même ne fut pas dédaignée en certaines occasions. Le sang de notre peuple coula alors au bénéfice de la finance coloniale. Colonisé, le peuple québécois l’est donc politiquement. Il l’est aussi économiquement. Une seule phrase suffit à le prouver : plus de 80% de notre économie est contrôlée par des intérêts étrangers. Nous fournissons la main-d’œuvre, ils encaissent les profits. Même socialement, le Québec est un pays colonisé. Nous sommes 80% de la population et pourtant la langue anglaise domine les domaines les plus divers. Peu à peu le français est relégué au rang du folklorisme alors que l’anglais devient la langue de travail. Le mépris des Anglo-saxons envers notre peuple demeure constant. Les " SPEAK WHITE ", stupid French canadians, et autres épithètes du même genre sont très fréquentes. Dans le Québec même, des milliers de cas d’unilinguisme anglais sont arrogamment affichés. Les colonialistes nous considèrent comme des êtres inférieurs et nous le font savoir sans aucune gêne.

Historique du problème : Quand le 8 septembre 1760, Monsieur de Vaudreuil, gouverneur de la Nouvelle-France, signe l’acte de capitulation de Montréal, le sort en est jeté. Quelque temps plus tard, l’Angleterre prendra officiellement possession de la colonie française ainsi que des 60,000 Français qui s’y trouvent. Et alors commence l’histoire de la domination anglo-saxonne au Québec. Notre pays était riche et les financiers londoniens lorgnaient déjà sur les profits futurs. Pour que la suprématie anglo-saxonne sur le Québec soit incontestée, il fallait à tout prix assimiler ces quelque 60,000 colons, d’une façon comme d’une autre. Cela leur sembla alors plus facile. En effet, qu’est-ce que cette poignée d’hommes devant l’écrasante puissance que représentait alors l’Angleterre ? Soudain la révolution américaine se produisit. Il fallut donc pour un certain temps se ménager les Canadiens-français. L’on abandonna pas pour autant le processus assimilatoire.

Un jour les anglo-canadiens dépassèrent les bornes : ce fut la révolte de 1837. Ils la réprimèrent dans le sang, puis vint le rapport Durham. Comme il s’avère impossible, disait celui-ci s’assimiler les Québécois par la force prenons-nous-y autrement ; l’élimination progressive demande plus de temps mais demeure tout aussi efficace. L’Acte d’union s’étant avéré un échec, l’on créa la Confédération, moyen parfait d’assimilation, dont même le nom était mensonger. Depuis l’avènement de celle-ci, tous les efforts du peuple québécois pour obtenir ses droits fondamentaux ont été arrêtés par le colonialisme. En 1963, nous avons beau être plus de cinq millions, l’assimilation n’en pousse pas moins sa progression insidieuse. Alors que nous étions près de 40% de la population canadienne, nous n’en sommes plus que 28%. Seul cela les intéresse. Le temps joue en leur faveur et ils le savent. Les colonialistes ont pourtant oublié une chose, essentielle pourtant. Elle se produit actuellement. Des patriotes se sont rendus compte qu’ils étaient colonisés, dominés, exploités. Ils se sont aussi aperçu que seule une action immédiate et totale pouvait briser leurs chaînes. Une action où les profits personnels mesquins, la mentalité véreuse du compromis utopique à tout prix, les complexes d’infériorité nationaux étaient jetés par-dessus bord.

Les patriotes québécois en ont assez de lutter depuis près d’un siècle pour des futilités, de dépenser leurs énergies vitales dans l’obtention de profits illusoires toujours remis en question. Il suffit de penser aux centaines de milliers de chômeurs, à la misère noire des pêcheurs de la Gaspésie, aux milliers de cultivateurs à travers le Québec dont le revenu dépasse à peine 1,000$ par an, aux milliers de jeunes qui ne peuvent poursuivre leurs études par manque d’argent, aux milliers de personnes qui ne peuvent avoir recours aux soins médicaux les plus élémentaires, à la misère de nos mineurs, à l’insécurité générale de tous ceux qui occupent un emploi : voilà ce que nous a donné le colonialisme. Au Québec prévaut également cette situation injuste et paradoxale qui trouve un bon exemple dans la comparaison entre le quartier de St-Henri et celui ce Westmount. D’un côté, nous trouvons une masse typiquement québécoise, pauvre et misérable, tandis que de l’autre, une minorité anglaise étale le luxe le plus honteux. Notre écrasement économique progressif, la domination étrangère de plus en plus totale, ne demandent pas des solutions provisoires et à courte vue. Les patriotes disent NON AU COLONIALISME, NON À L’EXPLOITATION.

Mais, il ne suffit pas de refuser une situation, il faut encore y remédier. Notre situation en est une d’urgence nationale. C’est maintenant qu’il faut y remédier. Acquérons les leviers politiques vitaux, prenons le contrôle de notre économie, assainissons radicalement nos cadres sociaux ! Arrachons le carcan colonialiste, mettons à la porte les impérialistes qui vivent par l’exploitation des travailleurs du Québec. Les immenses richesses naturelles du Québec doivent appartenir aux Québécois ! Pour ce faire, une solution, une seule : la révolution nationale pour l’INDÉPENDANCE. Autrement, le peuple du Québec ne peut espérer vivre libre. Mais il ne suffit plus de vouloir l’indépendance, de militer au sein des partis politiques indépendantistes existants. Les colonialistes ne lâcheront pas si facilement un tel morceau de choix. Les partis politiques indépendantistes ne pourront jamais avoir la puissance nécessaire pour vaincre la puissance politique et économique coloniale. De plus, l’indépendance seule ne résoudrait rien. Elle doit à tout prix être complétée par la révolution sociale. Les Patriotes québécois ne se battent pas pour un titre mais des faits. La Révolution ne s’accomplit pas dans les salons. Seule une révolution totale peut avoir la puissance nécessaire pour opérer les changements vitaux qui s’imposeront dans un Québec indépendant. La révolution nationale, dans son essence, ne souffre aucun compromis. Il existe une seule façon de vaincre le colonialisme, c’est d’être plus fort que lui ! Seul l’angélisme le plus aberrant peut faire croire le contraire. Le temps de l’esclavage est terminé.

Patriotes du Québec, aux armes !

L’heure de la révolution nationale est arrivée !

L’indépendance ou la mort !