Margie

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Les Écrits nouveauxTome 9, numéros 8-9 (p. 51-53).


MARGIE


Je laisse sans regret s’écouler les injures
et je passe mon chemin
au bord duquel les doux les serviables,
plantent sans impatience
ces arbres magnifiques du mépris

Je suis seul avec mes jouets
tête genoux et rire
laissés de coté par mes commerçants
je suis seul c’est une façon de parler
dans une chambre
qui est ma chambre d’hotel
et je reconstitue le massacre des Innocents
en égorgeant sans volupté mes souvenirs

Je vous préviens
mes larges mains sont pleines de sang

Il ne s’agit plus maintenant d’avoir peur

Voilà un homme
Je vois qu’il porte une pelisse de fourrure
un chapeau haut de forme
et de grands souliers pointus
Il mâche un cigare mince
et marche à grands pas
Mais où va-t-il
toute la question est là
mais il n’en sait rien Monsieur
Il passe son chemin
en invoquant le Seigneur
et en criant

Suis-je donc si léger que la terre tout entière
roule sur mes épaules
s’appuie comme un bandeau
sur mes yeux rouges de haine

Eux
Les hommes dont le cœur bat trop fort
et pour qui l’air d’une ville
devient irrespirable
qui savent qu’ils ne peuvent plus tenir
qu’une heure
mais qu’après tout sera fini
qui s’en vont lentement
sans craindre de regarder derrière eux
sans fermer les yeux
en écartant les bruits qu’ils n’ont pas encore oubliés

 
Eux
que la fièvre et la soif dominent
qui préfèrent l’eau à n’importe quelle vie
Suis-je déjà aussi léger qu’eux tous

Cette haine sourde comme un puits
qui est là
entre mes doigts
entre mes yeux
entre mes dents
et qui frappe chaque seconde
Vais-je donc continuer à jouer avec elle
et à regarder le ciel d’un air indifférent
quand je sais qu’il faut qu’il tombe sur ma tête
Suis-je donc si léger qu’il faut que je dorme
pour ne pas voir mes mains
ou faut-il les couper pour ne plus les aimer
léger comme la pluie
léger comme le sable
léger comme le feu
je sens la terre qui s’éloigne de moi
mais il me reste mes deux yeux
pour creuser toutes les tombes du monde
et mon vieux brave de cœur où il reste tout de même encore assez de sang
pour me désaltérer de temps en temps


Philippe SOUPAULT