Melmoth ou l’Homme errant/XVIII

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Traduction par Jean Cohen.
G. C. Hubert (4p. 1-55).


CHAPITRE XVIII.



Je courus jusqu’à ce que j’eusse perdu mon haleine et mes forces, sans remarquer que j’étais dans un passage obscur. Je fus à la fin arrêté par une porte, contre laquelle je tombai. Elle s’ouvrit, et je me trouvai dans une chambre basse et obscure. En me relevant, car j’étais tombé sur mes mains et mes genoux, je regardai autour de moi, et je vis un spectacle si singulier que mon inquiétude et mon effroi furent pour un moment suspendus.

La chambre était fort petite, et je m’aperçus que j’avais non-seulement brisé la porte en tombant, mais encore que j’avais déchiré un ample rideau dont les plis auraient encore pu me cacher si je l’avais cru nécessaire. Il n’y avait personne, et j’eus le temps d’étudier à loisir son singulier ameublement.

Au milieu était une table couverte d’un drap, sur laquelle était placé un vase d’une forme bizarre, et un livre que je feuilletai en vain, mais dont je ne pus lire un mot. Je le pris donc sagement pour un livre de magie, et je le refermai avec un sentiment d’horreur. Ce n’était cependant qu’une bible hébraïque. Je vis aussi sur la table un couteau, et à son pied était attaché un coq, dont le chant aigu annonçait l’impatience que lui causait sa chaîne.

Ces préparatifs me parurent singuliers ; je ne doutais pas qu’ils n’indiquassent un sacrifice prochain ; je frémis, et je m’enveloppai dans le rideau qui cachait la porte que j’avais brisée en entrant. Une lampe, qui jetait une faible clarté, était suspendue au plafond. À l’aide de cette lumière je vis ce que je viens de décrire, et je pus observer ce qui suivit. Un homme entre deux âges, mais dont la physionomie pouvait paraître remarquable, même aux yeux d’un Espagnol, par l’extrême noirceur de ses sourcils, la longueur de son nez et un certain lustre dans ses yeux, entra dans la chambre, se mit à genoux devant la table, baisa le livre qui y était posé, et en lut quelques phrases que je jugeai devoir sans doute précéder un horrible sacrifice. Il examina ensuite le fil du couteau, se remit à genoux, prononça quelques mots que je ne pus comprendre, car ils étaient dans la même langue que le livre, puis il appela à haute voix : Manassé-ben-Salomon !

Personne ne répondit. Il soupira et passa sa main sur ses yeux comme un homme qui se demande pardon à lui-même de s’être un moment oublié. Il prononça ensuite le nom d’Antonio. Un jeune homme entra sur-le-champ, et dit : « Mon père, m’avez-vous appelé ? » En finissant ces mots, il jeta un regard d’étonnement sur les objets singuliers qui remplissaient la chambre.

« Je t’ai appelé, mon fils, » dit le père ; « pourquoi ne m’as-tu pas répondu ? »

— « Mon père, je ne vous avais pas entendu ; c’est-à-dire, je ne croyais pas que ce fût moi que vous appelassiez. Je n’avais entendu qu’un nom dont vous ne vous étiez jamais encore servi, en m’adressant la parole. Aussitôt que vous avez dit Antonio, je vous ai obéi : je suis venu. »

— « Mais l’autre nom est celui sous lequel tu seras désormais connu de moi, à moins cependant que tu n’en préfères un autre. Je t’en laisserai le choix. »

— « Mon père, j’adopterai le nom que vous m’indiquerez. »

— « Non ; le choix de ton nouveau nom doit dépendre de toi. Il faut qu’à l’avenir tu adoptes celui que tu viens d’entendre ou un autre. »

— « Quel autre, mon père ? »

— « Celui de parricide. »

Le jeune homme frémit d’horreur, moins encore à ce discours lui-même qu’à l’accent qui l’accompagnait. Après avoir regardé pendant quelque temps son père d’un air inquiet et suppliant, il fondit en larmes. Le père profita du moment. Il saisit le bras de son fils.

« Mon enfant, » s’écria-t-il, « je t’ai donné la vie ; il dépend de toi de me payer de ce bienfait ; la mienne est en ton pouvoir. Tu me crois catholique. Je t’ai élevé dans cette religion, parce que ta vie et la mienne en dépendaient, dans un pays où en professant la vraie croyance nous périssions tous deux. Je suis de cette race infortunée, partout honnie et décriée, quoique le pays ingrat qui prononce anathême sur nous, doive à notre industrie et à nos talens plus de la moitié des sources de sa prospérité nationale. Je suis un Juif, un Israélite, un de ceux de qui l’apôtre chrétien lui-même a dit : … il suffit… Le Messie viendra souffrant ou triomphant. Je suis Juif. Le jour de ta naissance, je t’ai appelé du nom de Manassé-ben-Salomon. Je ne sais quel vain espoir m’avait fait penser aujourd’hui que tu reconnaîtrais ce nom, parce que je l’aimais. Ô mon cher fils ! ne réaliseras-tu pas ce songe ? dis, ne le feras-tu pas ? Le Dieu de tes ancêtres t’attend pour t’embrasser, et ton père est à tes pieds qui t’implore, afin que tu suives la foi de ton père Abraham, du prophète Moïse et de tous les prophètes qui sont avec Dieu, et qui maintenant te contemplent, balançant entre l’infâme idolâtrie de ceux qui adorent le fils de l’homme, et la pieuse voix de ceux qui te disent de n’adorer que le Dieu de tes pères, le Dieu des siècles, le Dieu éternel du ciel et de la terre. »

À ces mots, le jeune homme, accablé de tout ce qu’il voyait et entendait, et nullement préparé à cette transition soudaine du catholicisme au judaïsme, fondit en larmes.

« Mon enfant, » continua le vieillard, « c’est maintenant que tu vas t’avouer l’esclave de ces idolâtres qui sont maudits dans la loi de Moïse et par le commandement de Dieu, ou t’enrôler au nombre des fidèles qui reposeront dans le sein d’Abraham et qui verront les incrédules, d’après les paroles de leur propre prophète, ramper sur les cendres brûlantes de l’enfer et te supplier en vain de leur donner une goutte d’eau. Un pareil tableau ne t’excite-t-il pas à leur refuser en effet cette goutte d’eau ? »

« Je ne la leur refuserais pas » dit en pleurant le jeune homme, « je leur donnerais mes larmes ».

« Garde-les pour la tombe de ton père, » ajouta le vieux Juif, « pour la tombe à laquelle tu m’as condamné. J’ai vécu, amassant, veillant, temporisant avec ces maudits idolâtres, et le tout à cause de toi ; et maintenant, maintenant tu rejettes un Dieu qui, seul, est capable de te sauver, et un père qui, à genoux, te supplie d’accepter ce salut. »

« Non, je ne les rejette point, » dit le jeune homme égaré.

— « À quoi te décides-tu donc ?… Je suis à tes pieds pour connaître ta résolution. Regarde : les mystérieux instrumens de ton initiation sont prêts. Voici les purs livres de Moïse, le prophète de Dieu, que ces idolâtres eux-mêmes confessent. Voilà tous les préparatifs pour l’année d’expiation. Résous-toi à te laisser par ces rites consacrer au vrai Dieu, ou bien, saisis ton père qui a mis sa vie en tes mains et traîne-le par la gorge dans les prisons de l’Inquisition. Je te le permets ; tu le peux… le voudras-tu ? »

Agenouillé et tremblant, le père levait ses mains jointes vers son fils. Je profitai du moment ; le désespoir m’avait rendu téméraire. Je n’entendis pas un mot de ce qui venait d’être dit, excepté ce qui avait rapport à l’Inquisition ; mais cela seul me suffit. Je m’élançai de derrière le rideau où j’étais caché et je m’écriai : « S’il ne vous dénonce pas à l’Inquisition, ce sera moi. »

Je tombai en même temps à ses pieds. Ce mélange de menace et d’humilité, ma figure pâle, mon habit inquisitorial, la manière dont j’avais interrompu cette entrevue sainte et solennelle, frappèrent le Juif d’une horreur qu’il essaya vainement d’exprimer ; enfin, me relevant de la terre où je n’étais tombé que par faiblesse, j’ajoutai, « Oui je vous dénoncerai à l’Inquisition, si vous ne me promettez à l’instant même de me mettre à l’abri de ses coups. »

Le Juif jeta un regard sur mon costume : il aperçut en même temps son danger et le mien, et avec une présence d’esprit qui ne saurait se trouver que dans un homme fortement ému par l’idée de ce danger, il se hâta d’éloigner à la fois toutes les traces de son sacrifice expiatoire et des vêtemens que je portais. Il appela en même temps Rébecca, pour qu’elle vînt enlever les vases qui étaient sur la table ; il dit à Antonio de sortir de la chambre et s’empressa de me couvrir d’un habit qu’il tira d’une garde-robe où, probablement, il était resté depuis plusieurs siècles. Celui que je portais me fut ôté avec tant de promptitude qu’il en resta à peine des lambeaux.

La scène qui suivit fut moitié effrayante, moitié ridicule. Une vieille Juive nommée Rébecca répondit à ses cris ; mais en voyant un étranger, elle se retirait tremblante, tandis que son maître qui perdait presque la tête, l’appelait en vain par son nom chrétien de Marie. Obligé d’ôter la table lui-même, il la renversa et cassa la pate de l’animal infortuné qui y était attaché et qui, pour prendre part au tumulte général, se mit à pousser les cris les plus aigus et les plus insupportables. Le Juif pour les faire cesser, saisit le couteau, et après avoir prononcé les mots sacramentels, il égorgea le coq. Puis tout-à-coup tremblant à l’idée de cet aveu public de sa croyance, il s’assit et me demanda d’un air égaré, pourquoi nos seigneurs de l’Inquisition avaient daigné honorer d’une visite son humble demeure.

J’étais presque aussi troublé que lui ; et quoique nous parlassions tous deux la même langue, et que les circonstances nous forçassent de mettre l’un dans l’autre une grande confiance, nous aurions eu, pendant assez long-temps, besoin d’un interprète. À la fin, notre terreur mutuelle nous en servit, et le résultat fut qu’au bout d’une heure, je me vis habillé de vêtemens convenables, et assis devant une table bien garnie. Surveillé par mon hôte, je le surveillais à mon tour, mais je ne courais aucun danger. Il me craignait plus que je ne devais le craindre, et pour bien des raisons. Il était Juif, et demeurait en Espagne ; il trahissait l’Église, ayant cherché à faire un prosélyte de son fils. Je n’étais qu’un fugitif échappé des prisons du Saint-Office. Ayant une répugnance assez naturelle pour les flammes du bûcher, je devais préférer, comme de raison, de les voir s’allumer pour un adhérent de la loi de Moïse, que pour moi. En effet, tout bien considéré, ma position était beaucoup plus favorable que la sienne, et le Juif agit en conséquence ; mais je n’attribuai sa conduite qu’à la frayeur qu’il éprouvait de l’Inquisition.

Je dormis cette nuit, mais je ne saurais dire où, ni comment. Mon sommeil fut interrompu par des songes, des visions dont il m’est impossible de rendre aucun compte. J’ai plus d’une fois interrogé ma mémoire sur la première nuit que je passai sous le toit du Juif, mais je n’y ai rien pu trouver, si ce n’est la conviction que ma raison était tout-à-fait égarée. Je me trompe peut-être : je ne puis dire ce qui en est. Je me souviens qu’il me fit monter un escalier étroit. Il m’éclairait, et je lui demandai s’il me faisait descendre les degrés qui conduisaient aux cachots de l’Inquisition. Il ouvrit une porte, et je m’informai si c’était celle de la chambre des tortures. Quand il voulut me déshabiller, je m’écriai : « Ne me liez pas si fort. Je sais que je dois souffrir ; mais ayez de la pitié ! » Il me jeta sur le lit, et je m’écriai : « Me voilà sur la torture. Tirez fort, afin que je perde plus tôt connaissance ; mais que votre chirurgien ne soit pas là pour guetter mon pouls : qu’il cesse de battre, afin que je puisse cesser de souffrir. » Quant aux jours suivans, je n’en ai aucune espèce de souvenir, malgré les efforts que j’ai faits pour me les rappeler.

Au bout de quelques jours cependant le Juif commença à trouver que son repos était un peu chèrement acheté par la charge additionnelle d’un commensal de plus, et surtout d’un commensal dont la raison était dérangée. Il saisit le premier intervalle de lucidité que j’offris pour me le faire entendre, et pour me demander ce que je comptais faire et où je comptais aller. Cette question me donna, pour la première fois, une idée de l’avenir terrible et sans espérance qui se présentait à moi. L’Inquisition avait dévasté tout le sentier de ma vie, comme si elle y eût passé le fer et le feu. Je n’avais, dans tout le royaume des Espagnes, pas un pouce de terre où rester, pas un repas à gagner, pas une main à serrer, pas un être à saluer, pas un toit où reposer.

Vous n’ignorez pas sans doute, Monsieur, que le pouvoir de l’Inquisition, semblable à celui de la mort, vous sépare, par un simple attouchement, de toutes les relations que vous pouviez avoir avec le monde. Du moment où sa main vous a saisi, toutes les mains humaines se détachent de la vôtre. Vous n’avez plus ni père, ni mère, ni sœur, ni enfant. Le plus dévoué de vos parens ou de vos amis est le premier à mettre le feu au bûcher qui doit vous consumer, si l’Inquisition demande ce sacrifice. Je savais tout cela, et je sentais d’ailleurs que, quand même je n’eusse jamais été prisonnier de l’Inquisition, j’étais une créature isolée, repoussée par mon père et ma mère, meurtrier involontaire de mon frère, seul être sur la terre qui m’eût aimé, que je pusse chérir à mon tour, ou qui pût m’être utile. En Espagne, il m’était impossible de vivre caché, à moins de me condamner à un emprisonnement presque aussi triste que celui de l’Inquisition elle-même ; et si, par un miracle, je trouvais le moyen de sortir d’Espagne, je ne pourrais pas subsister un jour dans un pays étranger dont j’ignorais la langue et les usages, privé que j’étais de toute ressource pour gagner ma vie. Je ne voyais donc devant moi qu’une détresse absolue, rendue plus affreuse par le sentiment d’humiliation que me faisait éprouver mon inutilité. En cessant d’être une victime de la persécution, mon importance diminuait à mes propres yeux. Quand les hommes nous jugent dignes d’être tourmentés, nous ne sommes jamais sans quelque considération, quoique pénible et imaginaire. Même dans les prisons de l’Inquisition, j’appartenais à quelqu’un ; j’étais gardé et surveillé ; maintenant j’étais le rebut de la terre, et je versais des larmes de dépit et de douleur, en songeant à l’immensité du désert que j’avais à traverser.

Le Juif, que de pareils sentimens ne troublaient pas, sortait tous les jours pour recueillir des nouvelles ; et il revint un soir dans un ravissement tel que je découvris sans peine qu’il s’était tranquillisé sur lui-même ou sur moi. Il m’annonça que le bruit courait dans tout Madrid que j’avais péri dans l’incendie. Il ajouta que ce bruit avait acquis une nouvelle force par la circonstance que les corps de ceux qui avaient été écrasés par la chute de la voûte, avaient été tellement défigurés par le feu et les meurtrissures, qu’il avait été impossible de distinguer leurs traits. On avait néanmoins rassemblé leurs restes, au nombre desquels on supposait que les miens devaient se trouver. On avait célébré une seule messe pour eux tous, et leurs cendres, renfermées dans une seule bière, avaient été déposées dans l’un des caveaux de l’église des Dominicains. Parmi les personnes qui assistaient au service funèbre, se trouvait ma mère ; mais son visage était couvert d’un voile si épais, que personne n’eût reconnu en elle la duchesse de Monçada, si le bruit n’avait couru dans l’Église que sa présence en ce lieu était une pénitence qui lui avait été imposée. Le Juif termina par une assurance qui me causa une entière satisfaction : c’était que le Saint-Office n’était pas fâché d’accréditer le bruit de ma mort : car ce que l’Inquisition veut que l’on croie n’est presque jamais mis en doute à Madrid. Cette espèce d’extrait mortuaire que l’on me donnait était la meilleure sauvegarde de ma vie.

La joie de mon hôte le rendant communicatif, il m’annonça que le soir même il devait y avoir à Madrid la procession la plus belle et la plus solennelle que l’on n’y eût jamais vue. Le Saint-Office y devait paraître dans toute la pompe et toute la plénitude de sa gloire, accompagné de l’étendard de saint Dominique et de la croix, tandis que tous les ordres ecclésiastiques de Madrid le suivraient avec leurs diverses enseignes. Une garde militaire nombreuse devait protéger le cortége, où se trouverait sans doute toute la population de la capitale. Le but de cette procession était de se rendre dans la principale église pour s’y humilier devant Dieu, et le supplier d’éloigner à l’avenir de pareils malheurs.

La soirée approchait ; le Juif me quitta ; et moi, excité par un sentiment dont je ne saurais rendre compte, je montai à l’appartement le plus élevé de la maison, d’où j’écoutai, d’un cœur palpitant, le son des cloches qui annonçaient que la cérémonie allait commencer. Je n’attendis pas long-temps. J’étais, comme je viens de vous le dire, dans une chambre située à un étage supérieur. Il n’y avait qu’une fenêtre ; et, m’étant placé derrière un rideau que je tirais de temps à autre, je distinguai parfaitement tout le spectacle. La maison du Juif donnait sur une place où la procession devait passer, et qui était déjà si pleine de monde, que je ne pouvais concevoir comment elle trouverait le moyen de percer une masse si serrée, et en apparence si impénétrable. Je m’aperçus à la fin d’un mouvement qui semblait indiquer un pouvoir éloigné, donnant une espèce d’impulsion vague au vaste corps qui se déroulait en noircissant au-dessous de moi, semblable à l’Océan quand la tempête commence.

La foule se balança sans céder d’un pas. La procession commença. Je distinguai son approche au crucifix, à la bannière et aux cierges : car on la faisait de nuit, pour en rendre l’effet plus imposant. Tout-à-coup je vis la multitude s’entr’ouvrir, et j’aperçus la procession qui s’avançait, et ressemblait à un fleuve majestueux, resserré entre deux rives de peuple qui restaient à une distance aussi fixe que si elles avaient été construites en pierres. Les bannières, les croix et les cierges représentaient les flots. À la fin, je vis tout l’ensemble de la procession, et il est impossible de rien imaginer de plus imposant et de plus magnifique. Je considérais avec admiration ce superbe spectacle, quand tout-à-coup un tumulte s’éleva dans la foule. Je ne savais à quoi l’attribuer : tout le monde paraissait enchanté et dans la joie.

Je tirai le rideau, et, à l’éclat de mille cierges, j’aperçus, au milieu d’un groupe de familiers réunis autour de la bannière de saint Dominique, j’aperçus, dis-je, la figure du compagnon de ma fuite. Le bruit de son crime s’était répandu partout, et il était généralement connu. Au premier moment, quelques sifflets se firent entendre, qui furent suivis d’un mouvement étouffé, mais plein d’horreur. Bientôt j’entendis des voix dans la foule qui s’écriaient : « À quoi sert cette procession ? Pourquoi demander la cause de l’incendie, et le motif qui a engagé la sainte Vierge à retirer sa protection au Saint-Office ? Les Saints détournent de nous leur visage… cela est-il étonnant, quand un parricide marche au milieu des familiers de l’Inquisition ? Les mains qui ont égorgé un père sont-elles dignes de porter la bannière de la croix ? »

Ces paroles, d’abord prononcées par un petit nombre de voix, circulèrent peu à peu parmi les spectateurs. Des regards féroces furent lancés ; on menaça du poing, on fit même mine de se baisser pour ramasser des pierres. Cependant la procession avançait et tout le monde s’agenouillait à mesure que les prêtres élevaient les crucifix. Mais les murmures augmentaient, et les mots de parricide, de profanation, de victime, retentissaient de toutes parts et sortaient même de la bouche de ceux qui se mettaient à genoux. Les ecclésiastiques conservèrent pendant quelque temps leur sang-froid ; mais bientôt le bruit prit si fort le dessus que les premiers prêtres s’arrêtèrent, et ce fut là le signal de la scène terrible qui suivit. Un officier qui faisait partie de l’escorte s’approcha dans ce moment du grand inquisiteur, et le prévint du danger dont on était menacé ; il fut renvoyé avec cette courte réponse : « Allez toujours ; les serviteurs du Christ n’ont rien à craindre. »

La procession voulut pour lors continuer sa route ; mais sa marche était obstruée par la multitude qui paraissait décidée à accomplir un acte sanguinaire. On jeta quelques pierres ; et les prêtres levant le crucifix firent mettre le peuple à genoux et arrêtèrent ses coups. Les militaires s’adressèrent de nouveau au grand inquisiteur et le supplièrent de leur accorder la permission de disperser la foule. Ils reçurent toujours la même réponse laconique : « La croix suffit pour protéger ses serviteurs ; quelles que soient vos craintes, je n’en éprouve point. »

Un jeune officier, impatienté à la vue de cette apathie, s’élança sur son cheval qu’il avait quitté par respect, et au même instant une pierre l’atteignit à la tempe. Il tourna ses yeux ensanglantés vers l’inquisiteur, et… mourut. La multitude poussa de grands cris, et approcha plus près ; ses intentions n’étaient que trop manifestes. Elle pressait surtout du côté où était la victime qu’elle s’était désignée. Les militaires renouvelèrent leurs instances, sinon pour disperser la populace, du moins pour protéger la retraite de l’objet qui gênait sa vue, jusque dans une église voisine. Le misérable lui-même, s’apercevant du danger qui le menaçait, joignit ses prières aux leurs. Le grand inquisiteur pâlit mais ne changea point de résolution. « Voici mes armes, » s’écria-t-il en montrant les crucifix. « Je vous défends de tirer une épée ou de lâcher un coup de fusil. Avancez, au nom de Dieu. »

Ils essayèrent en effet d’avancer ; mais la presse devint si grande qu’il ne fut pas possible de faire un pas. La multitude n’ayant rien à craindre des militaires perdit toute espèce de frein ; les croix et les bannières allaient et venaient comme dans une bataille ; les ecclésiastiques pleins de confusion et de terreur se serraient les uns contre les autres. Dans cette vaste masse dont les moindres parties paraissaient être en mouvement, il n’y avait qu’une seule impulsion forte et énergique : celle qui poussait une portion de la foule directement vers l’endroit où la victime, bien qu’enveloppée et défendue par tout ce que la puissance spirituelle et temporelle a de plus respectable, la croix et l’épée, se tenait tremblante jusqu’au fond de l’âme. Le grand inquisiteur vit trop tard la faute qu’il avait faite ; il appela les militaires et leur dit de disperser à tout prix la foule. Ils s’efforcèrent d’obéir : mais déjà ils étaient eux-mêmes mêlés avec le peuple. Il n’y avait plus aucune apparence d’ordre ; et, d’ailleurs, les soldats avaient paru dès le premier moment peu disposés à ce service. Ils essayèrent de charger ; mais au milieu du peuple qui s’attachait à leurs chevaux, ils ne purent pas même se ranger en bataille et la première grêle de pierres les mit dans un désordre complet. Le murmure étouffé d’un petit nombre était devenu le cri général de tous. « Livrez-le-nous, nous voulons l’avoir. » Et en disant cela ils se pressaient comme les flots qui, dans la tempête, attaquent le vaisseau échoué.

Quand les soldats se furent retirés, une centaine de prêtres entourèrent le malheureux, et avec un désespoir généreux, ils s’exposèrent à la fureur de la multitude. Le grand inquisiteur se hâta de courir au point menacé et se plaça à la tête des prêtres tenant la croix élevée. Sur ses traits régnait la pâleur de la mort, mais son œil n’avait rien perdu de sa vivacité, ni sa voix de sa fierté. Ce fut en vain. Le peuple procédait avec calme et même avec respect, quand on ne lui résistait pas, et s’efforçait d’écarter tout ce qui s’opposait à sa marche. Il prenait surtout soin de ne pas faire de mal aux prêtres qu’il était obligé de repousser, et ne cessait de leur demander pardon de la violence dont il se rendait coupable. Cette tranquillité rendait la vengeance d’autant plus terrible qu’elle était la preuve que rien ne la satisferait jusqu’à ce qu’elle fût parvenue à son but. La dernière barrière fut enfin rompue ; personne ne s’y opposait plus. Avec des cris semblables à ceux qu’auraient poussés mille tigres réunis, la victime fut saisie et attirée en avant. Elle tenait dans ses deux mains les lambeaux des robes de ceux auxquels elle s’était vainement attachée ; et dans l’impuissance du désespoir, elle les élevait en l’air pour s’en former un inutile bouclier.

Les cris cessèrent pour un moment, quand on se fut rendu maître de l’objet que l’on poursuivait, et quand on put le considérer avec des yeux avides de vengeance. Ils recommencèrent bientôt et avec eux le sanglant sacrifice. Le malheureux fut précipité contre le pavé ; puis relevé et jeté en l’air. Il fut bientôt lancé de main en main comme le taureau lance avec ses cornes le chien qui hurle et se débat en vain. Couvert de sang, défiguré, noirci par la boue et meurtri de coups de pierres, il luttait et rugissait au milieu de ces bêtes féroces, jusqu’à ce qu’un grand cri s’élevât qui fit espérer qu’une scène, aussi horrible aux yeux de l’humanité que honteuse pour la civilisation, prendrait bientôt fin. Les militaires ayant reçu du renfort, arrivèrent au grand galop, tandis que tous les ecclésiastiques, les habits déchirés et les crucifix brisés, faisaient l’arrière-garde, tout brûlans de défendre la cause de l’humanité et d’empêcher qu’une pareille disgrâce ne souillât le nom du christianisme et la nature humaine.

Hélas ! leur interposition ne fit que hâter la catastrophe. Je vis, je sentis, mais il m’est impossible de décrire les derniers momens de cette scène horrible. Traîné au milieu de la boue et des pierres, ils lancèrent une masse de chair meurtrie contre la porte de la maison où je me trouvais. Sa langue sortait de sa bouche déchirée, comme celle d’un taureau vaincu dans le combat. Un de ses yeux arraché de son orbite, pendait sur sa joue ensanglantée. Il n’avait pas un membre qui ne fût brisé, pas une partie du corps qui ne fût couverte de blessures, et dans cet état pitoyable, il criait encore à haute voix : « La vie ! la vie ! la vie ! miséricorde ! » jusqu’à ce qu’une pierre lancée par une main plus humaine lui ôtâ le sentiment de sa misérable existence. Il tomba foulé sous mille pieds, il ne fut plus, au bout d’un instant, qu’un tas de boue sanglante et décolorée.

Cependant la cavalerie avançait et chargea avec fureur. La multitude rassasiée de cruautés et de sang, céda dans un morne silence. L’officier qui commandait le détachement demanda : « Où est la victime ? » — « Sous les pieds de vos chevaux, » lui répondit-on. Ses yeux se tournèrent vers la terre, et il vit en effet une masse informe et sanglante dans laquelle l’animal venait de marcher.

Témoin de cette horrible exécution, je puis vous assurer, Monsieur, que j’éprouvai tous les effets que l’on attribue d’ordinaire à la fascination. Je frémis dans les commencemens ; mais quand je vis lancer contre la porte le corps de l’infortuné moribond, je répétai les cris de la multitude avec une espèce d’instinct sauvage. Ensuite, je demandai la vie et la miséricorde, avec le malheureux que l’on torturait. Pendant que je criais ainsi, je vis les regards d’une personne de la foule se fixer sur moi et se retirer sur-le-champ. L’éclat de ces yeux que je ne pus méconnaître ne me fit aucun effet, mon existence était devenue si machinale, que sans réfléchir au danger que je pouvais courir, je restai fixé à la fenêtre, ne pouvant faire un pas pour m’en éloigner, ouvrant les yeux malgré moi pour contempler ce qui se passait, comme Régulus qui, privé de paupières, était forcé de soutenir l’éclat du soleil. Pendant quelques instans je m’imaginai moi-même être l’objet de la vengeance de la populace.

Le Juif s’était tenu éloigné pendant le tumulte de la nuit. Quand il revint, il fut frappé d’horreur à la vue de l’état où il me trouva. J’avais le délire, et malgré tout ce qu’il put faire ou dire, rien ne fut capable de me calmer. Mais si mon imagination avait été fortement frappée, la frayeur du Juif ne fut pas moins grande que la mienne, seulement il s’y mêla quelque chose de ridicule. Il oublia tout-à-coup les noms chrétiens dont il avait affublé tout son ménage, du moins depuis qu’il demeurait à Madrid. Il appelait à haute voix son fils Manassé-ben-Salomon et sa servante Rébecca pour qu’ils vinssent l’aider à me tenir et il s’écria : « Ô père Abraham ! ma perte est certaine. Ce fou découvrira tout ; et Manassé-ben-Salomon, mon fils, mourra incirconcis ! »

Ces paroles agirent sur mon délire ; je me levai furieux, et le saisissant à la gorge, je m’écriai qu’il était prisonnier de l’Inquisition. Le malheureux accablé de terreur tomba à genoux et se mit à faire les plaintes les plus étranges. Tout-à-coup un bruit se fit entendre à la porte de la maison. Il dit à Rébecca d’y courir et d’empêcher que l’on n’entrât : car il ne doutait pas que ce ne fussent les familiers qui venaient le chercher. La pauvre fille fit ce qu’elle put pour opposer de la résistance ; mais les coups redoublèrent et bientôt la porte céda. Le Juif tremblant se croyait perdu ; il fut cependant bientôt rassuré en voyant entrer, au lieu des familiers de l’Inquisition qu’il attendait, deux de ses confrères qui, à ce qu’il paraissait, avaient quelque motif extraordinaire pour arriver ainsi chez lui à une heure indue et en forçant la porte.

Quand le Juif les eut apperçus, il me quitta, et après avoir mis le verrou à l’entrée de sa demeure, il entra dans sa chambre avec les étrangers, et resta avec eux en conversation très-sérieuse pendant une grande partie de la nuit. Quel qu’ait été le sujet de leur délibération il laissa, sur le visage de mon hôte, des traces d’une vive inquiétude qui étaient encore visibles le lendemain matin. Il sortit de bonne heure et revint tard. Aussitôt qu’il fut rentré, il s’empressa de se rendre à l’appartement que j’occupais et témoigna la joie la plus vive en me voyant tranquille et raisonnable. Il fit placer des lumières sur la table, renvoya Rébecca et ferma la porte. Il fit ensuite plusieurs tours dans la chambre, toussa et cracha, et ce ne fut qu’après tous ces préparatifs qu’il se décida à la fin à s’asseoir et à me confier la cause de son trouble, auquel je ne sentais que trop que j’avais une part. Il me dit donc que, quoique le bruit de ma mort si généralement répandu dans Madrid, l’eût tranquillisé dans le moment, une nouvelle rumeur s’était élevée depuis la veille, qui, malgré sa fausseté et son impossibilité, pouvait avoir pour nous les suites les plus funestes. Il me demanda si j’avais été assez imprudent pour m’exposer à la vue du public le jour de l’horrible exécution ; et quand j’eus avoué que je m’étais tenu à une fenêtre, et que j’avais involontairement poussé des cris qui pouvaient être parvenus à l’oreille de quelques personnes, il se tordit les mains, et de ses traits pâles découlèrent des gouttes de sueur. Quand il se fut remis, il me dit que tout le monde croyait que mon spectre avait apparu dans cette horrible occasion ; que j’avais été vu planant dans les airs, afin d’être témoin des souffrances du misérable, tandis que ma voix l’appelait au sort qui lui était réservé dans l’éternité. Il ajouta que ce conte, bien fait pour offrir de la pâture à la crédule superstition, était répété par des milliers de bouches, et que, quelle que fût son absurdité, il ne laissait pas d’exciter la vigilance du Saint-Office, et pourrait peut-être conduire à une découverte. En conséquence, il jugeait nécessaire de me faire connaître un secret qui me mettrait à même de rester tranquille au sein même de la capitale, jusqu’à ce qu’on pût imaginer quelque moyen de m’en faire sortir, et de me procurer des ressources pour subsister dans un pays étranger, hors des atteintes de l’Inquisition.

Comme il allait me découvrir ce secret dont dépendait la sûreté de tous deux, et que je m’apprêtais à écouter avec la plus scrupuleuse attention, un coup fut frappé à la porte. Il n’avait aucune ressemblance avec ceux de la nuit précédente ; il était unique, solennel, péremptoire, et fut suivi d’une sommation d’ouvrir la maison au nom de la très-sainte Inquisition. À ces mots terribles, le malheureux Juif se mit à genoux ; il éteignit les chandelles, et, après avoir invoqué tous les Patriarches, il passa son bras dans un rosaire à gros grains. Tous ces mouvemens divers se firent dans un seul instant. Un second coup fut frappé à la porte. Je restai immobile ; mais le Juif, quittant sa place, leva une des planches du plancher, et, me faisant un signe qui tenait le milieu entre l’instinct et la convulsion, il m’indiqua que je devais y descendre. J’obéis, et je ne tardai pas à me trouver dans les ténèbres, mais en sûreté.

J’avais descendu quelques marches, et je me tenais tremblant sur la dernière, quand les officiers de l’Inquisition entrèrent dans la chambre, et passèrent sur la planche même qui me cachait. Je pus entendre chaque mot qui se disait. Un des officiers, s’adressant au Juif qui rentra avec eux, en les saluant respectueusement, lui dit :

« Don Fernand, pourquoi ne nous avez-vous pas introduits plus tôt ? »

« Révérend père, » répondit le Juif en frémissant, « je n’ai qu’une domestique, la vieille Marie ; elle est âgée et sourde ; mon jeune fils est au lit, et j’étais moi-même occupé à remplir mes devoirs religieux. »

« Il paraît que vous les remplissez dans l’obscurité, » dit un autre officier en montrant du doigt les chandelles que le Juif s’empressait de rallumer.

— « Quand l’œil de Dieu est sur moi, très-révérend père, je ne suis jamais dans les ténèbres. »

« L’œil de Dieu est en effet sur vous, » reprit l’officier d’un ton grave et en s’asseyant, « et l’œil du Saint-Office l’est aussi, cet œil auquel Dieu a daigné communiquer la vigilance et l’irrésistible pénétration du sien. Don Fernand Nunez (c’était le nom que portait le Juif parmi les Chrétiens), vous n’ignorez pas l’indulgence que l’Église montre à ceux qui ont renoncé aux erreurs de cette race incrédule et maudite de laquelle vous descendez ; mais vous ne pouvez pas ignorer non plus que ces individus sont les objets de sa plus active surveillance, par le soupçon qui s’attache nécessairement à l’incertitude de leur conversion, et à la possibilité de leur rechute. Vous êtes ancien d’âge, don Fernand ; mais vous n’êtes pas ancien chrétien ; aussi le Saint-Office est-il obligé d’avoir toujours les yeux ouverts sur votre conduite. »

L’infortuné Juif, invoquant tous les saints, protesta que les recherches les plus scrupuleuses sur sa conduite seraient regardées, par lui, comme un honneur et une obligation. Il abjura en même temps l’ancienne croyance de sa race en des termes si véhémens et si exagérés, que je ne pus m’empêcher de soupçonner sa sincérité, même dans celle qu’il avouait au fond de son cœur, et je tremblais aussi qu’il ne fût prêt à me trahir. Les officiers de l’Inquisition, sans s’embarrasser de ses protestations, lui firent part du motif de leur visite. Le spectre d’un prisonnier de l’Inquisition avait été vu, disait-on, errant dans les environs de sa maison, et le Saint-Office, dans sa sagesse, jugeait qu’il était bien plus probable que le prisonnier lui-même fût caché dans ses murs.

Je ne pouvais voir la frayeur du Juif, mais j’entendis que, d’une voix étouffée et tremblante, il suppliait les officiers de faire des recherches dans tous les appartemens de la maison, et de la raser ensuite au niveau du terrain, s’ils y trouvaient la moindre chose qui pût compromettre un enfant fidèle et orthodoxe de l’Église.

« C’est bien notre intention, » dit l’officier en le prenant au mot avec le plus grand sang-froid ; « mais en attendant, don Fernand, permettez-moi de vous prévenir du danger que vous courrez s’il vous arrivait jamais, à quelque époque que ce fût, de donner asile à un prisonnier de l’Inquisition, à un ennemi de la sainte Église. Votre maison sera rasée, à la vérité, et ce sera la moindre des peines que vous encourrez. » L’inquisiteur prononça ce qui suit en élevant la voix, et en mettant une pause après chaque clause de la sentence, sans doute dans l’intention d’augmenter l’effroi du Juif, et d’en calculer l’étendue. « Vous serez conduit en prison, comme soupçonné d’être un Juif relaps ; votre fils sera renfermé dans un couvent, afin de l’éloigner de l’influence pestilentielle de votre présence, et tout ce qui vous appartient sera confisqué jusqu’à la dernière pierre de vos murs, le dernier vêtement qui vous couvre, le dernier denier de votre bourse. »

Le pauvre Juif, qui avait marqué les gradations de sa frayeur par des gémissemens de plus en plus sensibles, ne put tenir à la clause de la confiscation, et, se laissant tomber par terre, du moins à ce que j’en jugeai par le bruit, il s’écria : « Ô père Abraham, et tous les saints prophètes ! »

À ces paroles, je me regardai comme perdu : elles suffisaient pour le trahir ; et moi, sans hésiter, je résolus de braver l’obscurité, plutôt que de tomber de nouveau dans les mains de l’Inquisition. Je descendis, comme je pus, les degrés qui restaient, et puis je m’efforçai de trouver, en tâtonnant, mon chemin dans les passages où ils aboutissaient.