Monde/20

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Mundaneum (p. 303-316).
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Le Monde selon l’Espace

EXPOSÉ GÉOGRAPHIQUE.

Après avoir considéré le monde selon l’ordre des choses qu’il contient, avec les enchaînements dans cet ordre, il y a lieu d’envisager le monde selon un ordre différent, celui de l’espace.

Il s’agit ici du facteur e et de l’équation du Monde.

Réparties dans l’espace, les mêmes choses s’y présentent aussi reliées les unes aux autres, mais l’esprit leur découvre des propriétés et des rapports différents nés de leur coexistence en un même lieu ou une même aire.

L’espace est sidéral, galactique, planétaire ou terrestre. Sur terre, il est à considérer au point de vue des divisions de la géographie mathématique (les degrés de longitude et de latitude), de la géographie physique (les milieux naturels), de la géographie anthropo-sociologique (milieux sociaux ou politiques).

Dans la division de l’espace ou aire terrestre doit prendre place normalement l’organisation aux divers degrés, dont il a été traité ailleurs dans l’ouvrage (voir Politique) : a) organisation locale : cités et urbanisme ; b) organisation régionale ; c) organisation nationale ; d) organisation mondiale (toute la terre, toute l’humanité).

CONCEPTION DE L’ESPACE.

L’espace (comme le temps) est-il objet de perception ou simplement condition psychologique de la perception ? Les philosophes et les physiciens ont répondu :

L’espace est un rapport, un ordre, non seulement entre les existants, mais encore entre les possibles, comme s’ils existaient, et que sa réalité est fondée en Dieu, comme toutes les vérités éternelles.

L’idée d’espace est née de l’idée de corps et ne doit point en être séparée ; elle se confond avec celle d’étendue et l’étendue elle-même n’est que l’étendue abstraite.

L’idée d’espace est une idée nécessaire et absolue, immatérielle par conséquent et formant un des attributs de Dieu. L’espace comme le temps existe hors de nous et en eux-mêmes. (Newton, Clarke.)

L’étendue diffère tellement de l’espace qu’à l’endroit même où existe un corps, c’est-à-dire une substance étendue il peut exister une infinité d’autres substances auxquelles l’étendue est complètement étrangère.

L’espace n’est qu’une forme donnée par l’esprit humain lui-même à ses intuitions. (Kant.)

Ce sont des notions de notre esprit auxquelles nous soumettons les phénomènes en vertu dès lors de la pensée. (Leibnitz.)

Leibnitz, pour montrer comment se constituait l’espace dans notre esprit a, comme pour le temps, reporté ici l’échelle des nombres. Celle-ci (1 + 1), (1 + 1 + 1), (1 + … + n + n’) étant indéfinie, illimitée, le concept de l’espace lui-même acquérant cette infinitude.

Le monde extérieur tel qu’il nous apparaît nous présente des corps juxtaposés dans l’espace, et des états de ces corps se succédant dans le temps. On ne peut donc séparer dans son étude ce qui est si étroitement uni dans la réalité. Ainsi une théorie de l’espace entraîne toujours une théorie symétrique du temps.

Pour Leibnitz, l’espace est l’ordre des existences possibles et le temps est l’ordre de succession.

L’expression la plus générale, la plus universelle de la réalité est le mouvement avec son opposé l’immobilité (ce n’est pas la matière). L’espace est le mouvement ou l’immobilité considérés comme simultanée ; le temps est le mouvement ou l’immobilité considérée comme successive. Mais qu’est-ce que le mouvement ? Il faudrait le définir ; or, sa notion ne peut être comprise qu’en y faisant entrer la double notion de l’espace et du temps.

L’espace était considéré longtemps comme euclidien. Après Rieman, après les théories d’Einstein (1917), l’espace a été considéré comme ayant plus de trois dimensions. (Hypergéométrie).

Les occultistes admettent une quatrième dimension éthérique.

L’espace, comme le temps, est un continu : continuum. Le lieu se prolonge par un autre lieu qui, à son tour, est prolongé par un troisième et ainsi à l’infini. Cette route conduit à Paris d’où une autre, ou la même, conduit à Dijon, à Lyon, à Marseille, à Gênes, à Rome, à Brindisi, aux Indes, en Chine. Cette continuité est déterminative en elle-même d’une action. Les êtres s’épandent dans l’action.

L’espace en soi a été longtemps conçu comme un vide que viendrait remplir les choses. (Discussions séculaires sur le vide et le plein.) Mais on doit reconnaître une action active double dans l’espace. 1° Si l’espace est une création de l’esprit (jugement synthétique a priori de Kant), semblable création marque de son empreinte tout ce qui est pensée. Plus sera claire, consciente, évoluée la notion, plus forte sera son action, plus grande son importance. 2° L’espace n’est pas seulement un lieu, c’est un milieu. Toutes les choses qui l’occupent sont amenées à avoir des rapports les unes avec les autres. Il y a connivence dans un même espace et ainsi les milieux y deviennent actifs. Les choses y respectent un « espace intérieur » délimité par les confins de la chose et placé dans un espace extérieur. Les choses s’influencent donc d’extérieur à extérieur. Comme elles ont des vibrations et des émanations, elles agissent à distance. Et elles-mêmes, loin d’être impénétrables, peuvent être traversées (transpercées) d’outre en outre par certains agents (électricité, lumière, chaleur). Comme aussi ce qui s’élabore en elle, comme foyer d’actions actives est susceptible de s’extérioriser à leur surface et de là agir au loin à travers l’espace sur d’autres êtres. À l’analyse profonde s’évanouit donc la notion d’être occupant autonomement et exclusivement une portion de l’espace.

D’où ces corollaires : 1° la géographie sera l’étude des milieux plus encore que celle des espaces ; 2° les milieux constituent de véritables « associations » de groupements naturels par affinité, ou fixés par une force de compulsion extérieure. En certains sens la sociologie doit étendre jusqu’à eux ses concepts fondamentaux. 3° Non seulement il est diverses espèces d’espaces, à étudier distinctement, mais il y a lieu de considérer aussi la distribution de chaque ordre de chose dans l’espace. Par ex. : il y a une distribution spéciale des astres, des corps chimiques, des plantes, des animaux, des hommes, des sociétés, des objets manufacturés par l’homme. 4° La statistique dénombre ce qu’il y a dans l’espace. Elle relève ainsi le nombre et la grandeur totale de ce qui à distance s’interinfluence.

Topologie. — Il faudrait une science générale de l’espace, du lieu (la spatiologie) dont la géographie ne serait qu’une partie : la science de l’espace terrestre. Ce qui est propre à l’espace comme tel et commun à tous les ordres d’espaces se retrouverait par conséquent dans la géographie.

Division de l’espace. — L’espace total peut être divisé en espace sidéral, espace ou système solaire, espace de la terre et sur la terre les cinq parties dites du monde : Europe, Asie, Afrique, Amérique, Océanie ; les régions polaires arctique (Nord) et antarctique (Sud) ; les océans Atlantique, Indien, Pacifique, avec les mers qui en dépendent, les mers polaires.

Souvenons-nous de la grandeur de l’espace stellaire. La nébuleuse NGC, n° 4486 dans le catalogue céleste, est à une distance telle, d’après les calculs récents de M. Lundmark, que nous en voyons aujourd’hui, dans nos télescopes, les faibles spires, non point comme elles sont mais comme elles étaient il y a 56 millions d’années.

L’être a besoin de s’orienter dans l’espace : il a des points de repère. L’esprit a créé un système rationnel de repère (topographie). C’est une des origines de la géométrie : la mesure de l’espace.

Détermination du lieu. — L’espace est découpable en volumes, en surfaces, en lignes, en points. Il faut trois éléments ou coordonnées pour fixer la position d’un point. Mais si le point doit être une surface donnée, il suffit de deux éléments pour achever de le déterminer En tous cas, la définition d’un lieu équivaut toujours à la donnée d’une relation entre les coordonnées d’un quelconque de ses points. Cette relation est l’équation du lieu.

C’est Descartes qui le premier conçut la représentation des lieux par des équations entre les coordonnées de leurs points.

Universalité de l’espace. — Tous les phénomènes dans toutes les sciences sont soumis à une répartition selon l’espace et le temps. L’être suprême est conçu indépendant de l’un et de l’autre.

La psychologie montre comment s’opère par l’esprit la forme de synthèse qui produit la localisation des objets dans l’espace et l’organisation des événements dans le temps.

L’âme s’affranchit en quelque mesure de la localisation dans l’espace, par les sens, par l’usage d’instruments qu’elle invente, et par la sympathie avec des âmes étrangères qu’elle devine derrière la matière.

La vitesse. — Elle est la mesure du mouvement d’un mobile dans l’espace. Il est toute une échelle des vitesses. La plus rapide est la lumière : 300,000 km. à la seconde. L’avion marche à 500 km. à l’heure. Le vent soufflant en tempête peut atteindre 180 km. à l’heure. La conquête de l’espace, immense conquête de l’homme, se fait par l’accroissement de sa vitesse. Les minéraux et les plantes ne se déplacent pas.

PARCOURIR L’ESPACE. VOYAGER.

Il est deux beaux moyens d’explorer le monde : 1o le voyage à pied ; c’est l’analyse du monde à la mesure du bipède que la nature nous a fait ; c’est le repos, la joie de vivre ; la marche est à la mesure de la méditation ; 2o le voyage en avion ; c’est la synthèse. Il explique tout : le destin des races dans le cadre où elles vivent, les indications du sol et des fleurs, leur histoire, leur régime juridique et social. Voici la terre divisée en pays individualistes d’Occident. Voici les villes ordonnées de l’économie collective, voici l’eau qui relie les monts, qui divise, voici la frontière naturelle et l’erreur des conventions humaines génératrices de conflits. L’avion, instrument de connaissance des générations nouvelles. (Pierre Laterier.)

« La joie de l’espace » (aviation). Ceux qui l’ont connue en resteront toujours mordus jusqu’aux moelles, cela seul vous jette dans l’âme un grand vol de victoire.

L. Guiccardini, dans sa « Description de tout le Pays Bas », cite ainsi les vers de Lucas d’Heere, peintre gantois (Anvers 1567).

Vous qui prenez plaisir à perdre vostre temps. — À lire des discours sans matière ou science. — Quittez tous ces fatras indignes aux sçavans. — Et venez embrasser les choses d’importance. — Amusez-vous icy pour avoir cognoissance. — De nostre beau pais, et de ses qualitez — De nos villes, citez et leur propriétez. — Peuples, arts, industrie et leur magnificence.

Et H. Campbell-Bannerman, un jour, a exprimé cette pensée : Nous voulons faire de notre pays moins une terre de plaisir pour le riche qu’une maison pleine de trésors pour la Nation.

LA TERRE ET L’UNIVERS PHYSIQUE.

Problèmes. Points. — Toute l’action de l’homme, tous les événements auxquels il est mêlé se passent en un lieu terrestre et sont influencés par lui. Les facteurs géographiques de la vie internationale doivent donc être dégagés avec soin : superficie et distribution de la terre ; étendue du monde connu et civilisé aux diverses époques ; caractéristiques des diverses parties du monde ; importance variable des caractères de la terre d’après les époques ; contribution des différents pays à la civilisation universelle ; utilité de la connaissance mutuelle des peuples ; constitution progressive des sciences géographiques par collaboration internationale. Il faut aussi passer de la géographie à la géophysique : la terre ferme et ses divers aspects, la mer et ses abîmes, les grandes « fonctions géographiques », la considération constante de l’ensemble de la Terre, la chaîne ou cycle des causes et des effets de tous les phénomènes telluriques ; la dynamique de la Terre, avec les multiples formes de ses mouvements ; sa « génétique » comme ses transformations.

Mondialisation. — La terre est facteur à la fois de « nationalisation et d’internationalisation ». La surface entière de la terre est partagée aujourd’hui entre les États souverains et constitue soit leur territoire métropolitain, soit leurs colonies, possessions ou protectorats. Les particularités physiques propres à chaque fragment de la superficie terrestre contribuent à accentuer les différences nationales entre les peuples qui les occupent. Mais d’autre part certains caractères généraux de la terre sont communs à tous les lieux ou n’offrent que des variations sans importance pratique. Ainsi certaines circonstances planétaires ou cosmiques sont partout analogues (ex. ; la pesanteur, l’air) ; certaines configurations sont communes à de grandes étendues de terre (ex. : le fait d’avoir des fleuves, des montagnes, d’être situé au bord de la mer). Au contraire, certaines aires de géographie politique (ex : les climats, les bassins miniers, les bassins des grands fleuves). La terre est donc facteur tantôt d’unification, tantôt de différenciation. Pour marquer l’importance du lieu géographique on peut ajouter que les structures sociales évoluent dans une double direction : les unes ont leur base dans le lieu : elles organisent toutes les choses humaines qui se trouvent dans les limites d’une même circonscription territoriale. Les autres ont leur base dans la fonction et s’organisent entre toutes choses similaires, sans égard à leur répartition territoriale.

Le problème fondamental de l’économie et de la politique mondiales consiste à faire vivre, heureuses et pacifiques, les populations sur le territoire du globe. La Terre est l’unité ultime qui doit entrer dans tous les plans sociaux.

Découverte et occupation de la terre. — Ce qu’on a appelé le monde aux diverses époques de l’histoire a bien varié ! Combien la terre est vaste en comparaison du petit bassin méditerranéen sur les rives duquel se confina pendant si longtemps la civilisation ! Combien les hommes d’autrefois paraissent faibles et craintifs même aux plus glorieuses époques du passé, en comparaison de la formidable puissance dont nous disposons aujourd’hui ! Sous l’Empire, après la première invasion gothique, ce qu’on appelait alors le monde était limité aux pays qui s’étendent du golfe Persique à la mer d’Irlande et de la Scandinavie au Sahara, ces territoires étaient partagés en deux fractions : « le monde nouveau et le monde barbare ». Successivement à leur heure d’importance apparaissent sur la scène du monde les peuples et les races de l’Asie septentrionale et méridionale, de l’Extrême-Orient, de l’Amérique et de l’Afrique aujourd’hui. Peu à peu cependant la terre se révèle aux hommes grâce à leurs efforts aventureux la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb (1492) ; la découverte de Vasco de Gama qui double le cap de Bonne-Espérance et aborde au sud de l’Inde (1498) ; celle de Magellan qui fait le tour du monde en doublant le sud de l’Amérique (1520) ; celle de Marco Polo qui traverse toute l’Asie jusqu’à Pékin (1520[1]). Bientôt toutes les nations participent à ces découvertes. En même temps les nouvelles terres deviennent la possession de ceux qui les découvrent : Portugais (côtes d’Afrique et Sumatra), Espagnols (Amérique du Sud et du Centre), Hollandais (Australie), Anglais (Australie), Français (Canada, Louisiane). Il y soixante ans, Élisée Reclus, en tête du monument qu’il élevait à la Géographie Universelle, pouvait encore dire que la Terre reste en partie une inconnue à l’homme, que la nature ou les hommes opposaient des barrières. Et il citait les deux pôles, le centre de l’Afrique, une partie du Continent australien, la Nouvelle-Guinée, les plateaux de l’intérieur de l’Asie. Aujourd’hui la terre entière est devenue le territoire où s’exerce l’activité humaine et celle-ci ne se laisse plus enserrer ni comprimer dans les limites arbitraires des frontières de chaque pays. Ce n’est pas seulement un échange de produits ou une circulation d’idées ; c’est une colonisation des uns chez les autres, des uns par les autres. Les hommes se transportent et s’installent eux-mêmes à l’étranger, avec leurs capitaux, ou sous leur direction ; ils s’y créent des établissements. Ils agissent ainsi réciproquement. Les uns suppléent par là aux manquants des autres et ainsi se prolonge, de pays en pays, le phénomène national de la colonisation intérieure, grâce auquel la population peut augmenter encore sur un même territoire, pourvu que les derniers arrivants l’utilisent économiquement à de nouveaux points de vue. Mais l’autarchie a arrêté ce mouvement.

Caractéristiques des parties de la Terre. — Chaque partie de la Terre a ses grandes caractéristiques. L’Europe occupe la première place dans le monde. Sans avoir une population aussi dense que celle de l’Inde et de la Chine centrale, elle contient près du quart des habitants du globe. Elle est depuis vingt-cinq siècles le principal foyer de rayonnement pour les sciences, les arts, les idées nouvelles. Le foyer s’est déplacé du Sud-Est au Nord-Ouest. Avec le temps, hors de doute cependant que l’égalité finira par prévaloir entre l’Amérique et l’Europe et aussi entre toutes les parties du monde. Ce sont les heureuses conditions du sol, du climat, de la forme et de la situation du continent qui ont valu aux Européens d’être arrivés à la tête de l’humanité et non la vertu propre des races qui la composent. L’Europe très dentelée, très entourée de mers a pu de bonne heure donner lieu à des émigrations et à un concours entre les hommes. En Asie, les hauts plateaux centraux ont enlevé toute facilité géographique à l’accès des terres intérieures et des péninsules environnantes. L’Afrique présente une masse lourde et massive. L’Australie continentale est pleine de monotonie, privée de toute variété. L’Amérique du Nord, elle, a ressemblance avec l’Europe. L’Amérique du Sud est couverte de forêts et de nappes d’eau. Mais de plus en plus l’intervention de l’homme y crée la mobilité dans ce qui était immobile, et l’unité dans ce qui était séparé.

Valeur des parties de la Terre. — La forme générale des continents, les mers, et tous les traits particuliers de la terre ont dans l’histoire de l’humanité une valeur essentiellement changeante, suivant l’état de culture auquel en sont arrivés les nations, suivant les circonstances. Ainsi la guerre mondiale a momentanément attiré dans la grande circulation internationale des États que leur position géographique en avait tenus plutôt éloignés : les pays Scandinaves notamment, devenus les couloirs entre la Russie et l’Occident. Au sud, l’Espagne cesse d’être au bout du continent pour redevenir un couloir entre l’Europe et l’Afrique. Le canal de Panama a rendu doublement centrales certaines républiques américaines.

L’homme entreprend de soumettre le milieu qui l’entoure. Il y a une loi d’adaptation de soi au monde, mais aussi du monde à soi. « Les innombrables changements que l’industrie humaine opère sur tous les points du globe constituent une révolution des plus importante dans les rapports de l’homme avec les continents eux-mêmes. La forme et la hauteur des montagnes, l’épaisseur des plateaux, les dentelures de la côte, la disposition des îles et des archipels, l’étendue des mers perdent peu à peu de leur importance relative dans l’histoire des nations à mesure que celles-ci gagnent en force et en volonté. » (E. Reclus.)

La géographie conclut au rapport constant entre sol (géologie, climat, ressources naturelles) et l’homme différemment civilisé. Ainsi, la composition et la disposition du sol déterminent la répartition des richesses sur le globe, et les climats, les flores, les faunes conditionnent l’habitat de l’homme ; un lien unit l’individu au sol qu’il habite, l’homme modifie ce lien et devient à son tour une cause originale d’activité. C’est de la combinaison de ces éléments divers et multiples, c’est aussi de leur modification les uns par les autres que résulte la caractéristique d’une contrée. Un sujet d’étude consiste, pour chaque région, à démêler l’importance relative de ces divers phénomènes. La valeur d’un territoire national, le rôle qu’il joue dans l’économie et dans la politique mondiales est le produit d’un grand nombre de facteurs qu’il faudra s’efforcer d évaluer avec plus de précision qu’on ne l’a fait jusqu’ici. Parmi les plus importants il convient de citer son étendue, l’accessibilité de ses diverses parties, la variété et la richesse de ses productions naturelles, son climat favorable à l’habitation et à la culture, sa situation stratégique. Ces facteurs ont à intervenir dans le calcul de la représentation internationale des États.

Solidarité. — Il faut aussi déterminer en quoi chaque pays a besoin des autres, comment il en est solidaire, quel est son rôle dans le monde, quel a été et quel pourra être à l’avenir son apport à la communauté humaine. Dans l’évolution du passé les peuples ont développé leur génie propre et fait à l’humanité l’apport de ce en quoi ils étaient privilégiés. L’Orient inspiré est le berceau ardent et ensoleillé des religions. La Grèce, artiste et curieuse a le génie des formes, de l’esthétique et de la philosophie. Rome, éminemment pratique, a la science du droit et du gouvernement, de la politique et de l’action. Ainsi tous les cultes viennent de l’Orient, comme la science du droit sort de Rome et la philosophie de la Grèce.

La géographie. — La géographie est l’étude systématique de la terre. Elle fait un effort constant pour embrasser les énergies naturelles dans leur connexité, pour observer, classer, expliquer les effets directs des forces agissantes et les effets complexes de ces forces associées. Au sens large elle étudie les conditions géographiques, telluriques, et climatériques de la vie sociale. On a divisé la géographie humaine, qui étudie les rapports entre l’homme et le milieu physique en : 1° Géographie sociale ou politique, qui se réfère aux liens existant entre l’État, le sol qui le porte et la mer qui l’entoure ; elle s’attache à l’étude du peuplement, de son habitat, de ses groupements. 2° Géographie économique, qui s’occupe de l’exploitation du sol et de la mer sous leurs différentes formes. Elle considère le milieu physique, l’action de ce milieu sur l’homme et, inversement, celle de l’homme sur ce milieu.

Hippocrate, Aristote, Hipparque, Ératosthène, Agrippa, Pline, Strabon, commencèrent dans l’antiquité à constituer les sciences géographiques. Ptolémée les résuma en son grand ouvrage, qui a dominé les études au moyen âge. Mercator renouvela l’art de tracer les cartes à l’époque contemporaine. Trois monuments ont été élevés à la géographie au XIXe siècle, l’un par Alexandre Humboldt (Cosmos), l’autre par Karl Ritter (la géographie dans ses rapports avec la nature et l’histoire de l’homme, Berlin 1822-1859, 10 vol. en 20 parties), le troisième par Élisée Reclus (Nouvelle géographie universelle, la terre et les hommes, 1875-1891).

Les études géographiques se sont internationalisées. Des congrès internationaux de géographie se réunissent périodiquement. On a groupé en une Union les sociétés de géographie du monde entier. Sous la direction d’une conférence internationale a été entreprise, avec l’aide des États, l’élaboration d’une carte du monde au millionième, selon la double base, acceptée transactionnellement, du méridien de Greenwich et de l’échelle métrique.

Les divisions politiques. — Le monde est bouleversé par des problèmes qui n’ont plus guère à voir avec les divisions politiques. Au contraire, celles-ci compliquent les problèmes et paralysent les solutions. Les nations doivent être conçues comme simples cadres plus ou moins mobiles et toujours franchissables, de l’Humanité et non point comme substances de celle-ci. (H. Follin)

L’ÉTUDE DES PAYS. LA « NATIONALOGIE »
ÉTUDE COMPARÉE DES PEUPLES ET DES NATIONS


Définition de la nation. — Une nation c’est : 1° dans un territoire ; 2° une population ; 3° qui y organise sa vie aux six points de vue : santé, vie économique, politique et sociale, vie intellectuelle, religion ; 4° qui l’organise dans les différentes régions et villes du territoire (géographie) ; 5° qui la poursuit au cours du temps à travers la suite des générations (histoire) ; 6° qui prend contact avec les autres nations, avec le monde et par voie d’échange ou de domination en reçoit ou leur donne des éléments de civilisation ; 7° tout ce par quoi des individualités fortes naissent et se développent et la collectivité s’élève au rang de personnalité morale.

Méthode. — Il importerait d’instaurer une méthode perfectionnée, coopérative générale pour étudier tout pays en soi.

Étudier chaque pays en soi, dans tous les éléments de sa définition.

Rapprocher les éléments de l’étude des autres éléments similaires en vue d’établir leurs corrélations (1 les voisins, 2 les continents, 3 le monde), comme entités globales d’abord, comme éléments divers de pays à pays ensuite.

Pour chacun des éléments exposer les faits (connaissance), les programmes ou action qu’ils font naître (action), les sentiments auxquels ils donnent lieu (émotivité).

En étudiant un pays il est utile d’en connaître toutes les ressources, de savoir aussi ce qui constitue pour lui des charges et des déficiences ; de se rendre compte du labeur exigé pour l’obtention de tels de ses produits, des prodiges d’énergie collective qu’il faut perpétuer pour conserver à un peuple le standing dont il jouit au point de vue matériel, moral et social.

On peut dresser un tableau général des pays où chacun d’eux serait caractérisé sur la base de la formule sociologique générale suivante :


Dans la formule, N représente le pays considéré et les autres termes une fraction de l’équation totale du monde.

Ainsi, au point de vue économique, on a l’U.R.S.S. : quasi autarchie naturelle, pays en voie d’industrialisation. Le Japon : pays nouveau dont l’essor industriel récent et rapide a contribué au rétrécissement du marché extérieur des pays industriels anciens, pays en quelque sorte « décolonisé ».

Le tableau envisagé donnera la classification générale comparée des peuples en quantité, qualité et valeur. Il serait possible de déterminer scientifiquement ce que l’ancienne terminologie appelait arbitrairement « Peuple-Roi », peuple marchant à la tête de la civilisation.



  1. Paul Otlet indique une date erronée de plus de deux siècles, Marco Polo étant mort en 1324. (Note de Wikisource)