Monde/40

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Mundaneum (p. 335-348).
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Le Monde au point de vue
du Sujet : Le Moi


Le monde avec tout ce qu’il contient, et ce en quoi il semble lui-même contenu, l’espace et le temps, le monde par rapport à nous, c’est l’objet. Le sujet, c’est le « moi » de chacun de nous.

Le moi par rapport au non-moi, est dans la relation de la chose et de son milieu, de la partie à l’égard du tout.

La formule du moi-individu se développe ainsi dans la formule générale :




Pour l’individu son moi-chose (en tant que chose) se présente en son occupation principale ; son espace en lui fait qu’il se considère lui-même comme centre ; quant à son temps, c’est son âge, ou sa durée personnelle, dans la chronologie universelle.

Le moi s’extériorise dans les actes de sa vie et il trouve son expression supérieure dans les créations humaines (sciences, arts, lettres, techniques, etc.).

Notion du moi. La conscience. L’âme (cum, avec, scire, savoir). — La conscience est le sentiment naturel de notre être. C’est le privilège que possède l’âme de se connaître elle-même. C’est le sentiment du moi. C’est la faculté par laquelle nous sommes sans cesse avertis de ce qui s’opère actuellement en nous. (Royer Collard). C’est le sens intime, la vue intérieure (Gérusez) ; la faculté par laquelle l’âme se perçoit elle-même (Garnier). C’est comme un témoin qui nous avertit de tout ce qui se fait dans l’intérieur de notre âme. C’est cette faculté qu’a l’homme de contempler ce qui se passe en lui, d’assister à sa propre existence, d’être, pour ainsi dire, spectateur de lui-même (Guizot).

Le moi, c’est donc : 1o la conscience de chacun par laquelle tout l’univers de sensation et de perception est ramené à un point central ; 2o le sentiment ; 3o la vie intérieure orientée selon les divers degrés d’altitude où sont placées les choses, du fond et des abîmes, au sommet et aux points culminants.

Le moi, en d’autres termes, c’est l’entité déterminée qui porte nom A, B, C. Une entité sentie (sentiment du moi) et dont je dis moi. Une entité qui est en même temps perçue dans ses rapports avec les autres choses dont la réflexion systématique conduit à la science.

Le moi dit : je vois, je sens, je fais, je pense, je dis, j’écris.

La conscience actuelle formée au cours d’une longue évolution historique et préhistorique, n’aurait-elle pu — suite de quelque orientation différente dans la détermination de l’évolution — se développer de façon toute différente. Et alors ce n’aurait pas seulement été une déformation en nous de la réalité qui se serait produite : mais c’eût été en nous-mêmes un état de conscience dissemblable du nôtre aujourd’hui.


L’étude du moi. — Elle soulève des questions dont certaines ont été traitées précédemment : 1o la nature de ce moi, le problème de la vérité, de la critique de la pensée ; le problème des apparences et de la réalité. 2o Le développement de ce moi : le développement spontané du moi à travers les siècles ; la conscience, l’être humain et l’avenir réservé à celui-ci ; l’éducation, l’élevage physique la formation. 3o L’expression du moi : la parole, la technique, les arts.

Le moi, l’être humain, a trois aspects : 1o connaissance, 2o sentiment, 3o activité. Ces aspects sont toujours intimement liés et reliés par des interactions mutuelles. Ils apparaissent très nettement dès le plus jeune âge.

Le moi, c’est l’âme, l’âme existant en chacun et qui apparaît une réalité présente, quelle que soit l’explication biologique ou métaphysique qui en est donnée. Le moi est conscient et inconscient. L’esprit est comme le spectre : il a des extensions invisibles (inconscientes), avec des caractéristiques propres aussi importantes à étudier que les régions visibles (conscientes).

Le moi, c’est l’introspection avec notamment les grands philosophes, les grands psychologues qui en ont fait avancer la connaissance ; avec les grands romanciers et ces géants parmi eux, les Russes Tolstoï, Dostoiewski.

Chaque individu a un comportement intérieur et extérieur : connaissance de l’objet perçu et jugement sur lui, sentiment et réaction, après délibération intérieure, volonté et action. Les opérations à peu près simultanées et comme trois aspects d’une même chose : position de la moindre résistance, se comporter selon l’immédiat ; position selon l’idéal, se comporter comme si chacun de ses actes collaborait à la réalisation de l’œuvre universelle toute entière.

La connaissance acquise n’est pas seulement une image du réel qui vient se superposer à ce que nous sommes, un contenu nouveau qui simplement s’introduit dans un contenant. C’est notre être substantiel lui-même que la nouvelle connaissance pénètre, modèle et transforme. De ses études universitaires un jeune homme sort modifié entièrement, le voyage fait des êtres neufs, une lecture renouvelle.

Du rapport du moi et du non-moi, de l’étude de la sensibilité considérée comme le rapport de deux activités, il résulte ces deux axiomes : 1° nous voyons la réalité, non comme elle est, mais selon ce que nous sommes ; 2° il est impossible de retenir et de recopier une forme ou une couleur si on n’y attache pas une interprétation quelconque, car en même temps qu’on voit, on juge. La réalité en art est le rapport réalité-idée. Il y a dans chaque cas, partant et à tout moment, à connaître l’équation personnelle (sujet : objet).

La conscience peut s’élargir de cercle en cercle. Après la conscience individuelle, sociale, locale et nationale, la conscience mondiale.

L’horrible prison en laquelle est enfermé le moi, qui ne s’épand et ne vit hors de lui-même : le moi de ceux qui doutent, de ceux qui souffrent, de ceux que paralyse leur impuissance !


L’entité-moi. — En dehors du moi individuel humain, il est des « moi » collectifs. Ce sont des personnes morales, des entités constituées par convention, des réalités d’accoutumance. (Ex. : la famille, l’association, la cité, la nation). Ces « moi » sont aussi des centres rapportant à eux-mêmes toutes choses et agissant comme sujet par rapport à l’univers hors d’eux, l’objet. Comme le «moi» humain, psychologique est égocentriste, ils sont x-centristes.


Le sentiment. — Le sentiment l’emporte, car il est le seul élément synthétique de la vie des masses. Il est l’instinct, l’irraisonné, l’inconscient. Il totalise et moyennise tout, à tout instant, automatiquement. C’est par lui qu’on se décide, qu’on persévère, qu’on peine et qu’on jouit, que l’on hait et que l’on aime.

Il y a les infinies complications de la psychologie. On pourrait réduire cependant le sentiment à deux groupes dont les manifestations sont plus ou moins étroitement analogues entre elles et qui se posent, l’un sur le plan matériel l’autre sur le plan spirituel.

Les sentiments ont une longue évolution. Les stratifications inférieures et primitives de la violence ont été couvertes par les stratifications psychiques supérieures. Elles sont toujours prêtes à revenir à la surface et à dominer lorsque les sentiments dont la formation est plus récente se sont écroulés ou ne sont organisés que d’une façon instable. (Théorie de la criminalité latente.)

La passion (avec ses degrés, de la sympathie, de l’amour à la folie, à la luxure) est une sorte d’être vivant magnifique ou monstrueux, qui plonge sa naissance dans le mystère, et l’épanouit dans le mystère de la fin. La passion a donc une vie, un cycle, naît, se développe et meurt. La passion est partout côte à côte avec la raison, partageant avec elle selon des proportions variantes la totalité qui est la vie. La passion est individuelle, elle est aussi collective.

Le motif de toute action est le sentiment. Tous les grands mouvements dans l’histoire sont précédés et accompagnés de forts sentiments. Ce sont les personnes qui ont eu les sentiments les plus violents qui ont exercé la plus grande influence sur le ton et le caractère de la société. Le sentiment purement intellectuel n’est jamais suffisant pour mouvoir la multitude (Ward). La religion est l’état corporalisé et organisé des émotions. Elle représente les formes combinées du sentiment humain.

Le sentiment intervient pour décider en suprême instance les conséquences logiques. Il est l’inconscient qui est l’instinct conservateur et guide de la race.

Il faut rechercher les sentiments de sympathie (emota sympathica). La joie et la douleur se représentent dans l’âme d’autrui et de cette communion, toute intérieure, peut sortir quelque composé plus fort, plus complet, plus « organique ».

On a vu à l’œuvre dans la Sarre la propagande sentimentale massive.

Savons-nous ce qui se passe dans le bureau de ce nouveau ministère de la propagande où Goebels compose le scénario de son orchestrante activité. Soyons sûrs qu’il y est entouré non seulement d’artistes, mais de psychologues et de techniciens dans l’art de l’hypnose et de l’appel aux forces de l’inconscient.

Il y a certaines lois du sentiment comme il en est de l’intelligence. Le sentiment est spontané ou dirigé (contrôle des émotions), individuel ou collectif, existant ou formé. On entrevoit la possibilité de créer de vastes harmonisations de sentiment.

Variétés de moi. — Autant d’êtres, autant de « moi » différents, de vies intérieures différentes.

La vie est différente pour chacun. Dans le cerveau de chacun la société contemporaine se peint de couleurs successives selon les dispositions du tempérament.

L’Oriental vit en dedans de lui-même, d’un rêve personnel. Il méprise la promiscuité de la vie sociale des Occidentaux. Il enferme tout ce que l’Occidental aime d’étaler de ses sentiments.

Le bonheur. — Les fins de l’homme, qui sont en même temps les moyens de la nature, sont premièrement et principalement ceux-ci : 1. plaisir en liaison avec la nutrition ; 2. plaisir en liaison avec la reproduction ; 3. plaisir en liaison avec l’exercice physique en général ; 4. plaisir du goût ; 5. plaisir de l’intellect. Ce plaisir peut être joint à toute action et peut être compris sous le nom général de bonheur. Les trois premiers sont préservation ; le cinquième progrès. La nature se sert du plaisir pour atteindre ses fins.

C’est une grande tâche de trouver des moyens d’accroître le bonheur, la joie, le plaisir de l’homme. On peut le tenter dans diverses directions.

Les objets. — Par un accroissement des types d’objet susceptibles de les produire ou d’y contribuer (invention). Par une accession du plus grand nombre aux types de ces objets existant et multipliés (répartition). Par une coordination (hiérarchie, synthèse) plus parfaite de ces moyens entre ;eux et de leurs rapports avec l’être humain. L’être humain. — Par un développement de l’être lui-même, en intensité, en harmonie ou en facultés nouvelles.

La souffrance. — L’immense problème de la souffrance accompagnement d’un si grand nombre de nos impressions. Dire la nature et la signification dernière de la souffrance.

La douleur fut chantée par Dante qui a dit les scènes de l’enfer et les souffrances des réprouvés. Elle fut réalisée : la nature, l’hostilité, l’homme se conduisant comme un loup pour l’homme, par les supplices de tous les temps : Oh ! Le jardin des supplices, qu’un jour écrivit Octave Mirbeau.

Les pauvres malades timorés qui « pour seule raison de vivre ont l’ignorance du mal implacable dont ils sont atteints et pour seul espoir une erreur de diagnostic, heureusement fréquente. »

L’attitude devant la souffrance. La résignation : toute souffrance serait utilisée comme un ciment sacrificiel nécessaire à l’édification des plus hautes constructions divines. La révolte : Dieu ne pouvant à la fois être bon et spectateur de la souffrance. Bergson veut concilier : « Rien ne prouve que la souffrance ait été voulue. L’acte créateur se présente sous deux perspectives, celle de l’impulsion intérieure qui l’anime, celle toute extérieure, des résistances qu’il rencontre au dehors. »

« L’homme est un apprenti et la douleur est son maître. Nul ne connaît la vie s’il n’a lui-même souffert. » Ces vers sont de de Musset et d’Amélie Murât cette prière profonde : « Père, donnez-nous aujourd’hui notre courage quotidien. »

« Miserere : Ayez pitié de nous, seigneur, de nous, de notre misère. Elle est infinie et perpétuelle, elle est dans tous les domaines de notre existence. » Ainsi clame l’humanité tordue physiquement et moralement aux pieds des autels : « Miserere ! »


Individualisme. Egoïsme. — Le moi, s’il prévaut sans le contrepoids d’éléments altruistes, devient franchement égoïste, individualiste.

Kant distingue trois sortes d’égoïsmes : 1o logique : l’homme ne tient compte que de ses idées (paradoxe) et non de la science collective ; 2o pratique ou moral : l’homme se fait le centre de son action, par l’idée de devoir ; 3o esthétique : l’homme n’approuve que ses œuvres et se refuse à un critère extérieur du beau.

L’anthropothéisme est la déification de l’humanité, de l’homme considéré d’une manière générale. L’anthropothéisme est souvent désigné sous le nom d’Humanisme. Hégel et Auguste Comte en ont formulé deux doctrines.

Montherlant écrit : « Il y a eu trois passions dans ma vie : la passion de l’indépendance, la passion de l’indifférence et la passion de la volupté. » Passion du moi unique, réplique Beliard. Indifférence : moi statique équilibré, s’affirmant le même au regard du milieu variable. Indépendance : moi cinétique, automoteur courant librement sans amarres ni commandes. Volupté : moi dynamique transformant les émotions en forces avec l’ivresse des dieux.

Pascal a parlé du moi haïssable : l’accaparement injuste par l’individu de propriétés indivises, dans les espaces matériels comme dans le royaume de l’esprit. « Le moi de culture, lui, est une création, une prise de conscience, il a le droit à l’orgueil puisqu’il impose le devoir correspondant d’être digne et d’avoir toutes les bravoures. »


Amour. — Le moi est amour, indifférence ou haine.

Il est toute une histoire de l’amour à travers les siècles.

Dans l’antiquité, matériel ou le sentiment de la beauté. Au moyen âge, christianisme, les peuples germaniques, amours chevaleresques. Dans le temps moderne : XVe siècle, amour platonique ; XVIIe siècle, galanterie ; XVIIIe siècle, corruption, libertinage, élégance ; Révolution, simplicité antique ; XIXe siècle, amour mélancolique et rêveur ; amour que la soif de l’infini fait dévier de sa fin naturelle, amour qui se mêle à deux sentiments vagues, indéterminés : le sentiment de la nature et l’inquiétude métaphysique ou religieuse. Cet amour conduit au mépris, à la haine de l’action, de la réalité, à l’ennui et au dégoût de la vie.

Le sentiment d’amour s’élargit de cercle en cercle. Lç sentiment de l’homme à l’égard de la femme et réciproquement ; à l’égard de l’enfant et réciproquement. L’amour du prochain : la reconnaissance que l’homme est précieux à l’homme, que la grande richesse, c’est l’homme, comme disait Ruskin.

Puis par des raisonnements comme par des intentions, l’homme peut s’élever à l’amour de l’humanité. Cet amour est distinct du culte. Il est à la base des sentiments fondamentaux et des motifs scientifiques peuvent l’alimenter.

Il est aussi un esprit qu’on pourrait dire pétri du sentiment de la nature entière, du sentiment cosmique.

Il y a enfin l’amour divin des religieux et des mystiques.

La sympathie, la pitié universelles sont-elles bien possibles ? Représentons-nous là-bas, dans ce lointain comme Sirius, un mal analogue à celui qui se passe sur la terre, injustice et souffrance. En pourrions-nous être émus dans les conditions actuelles de notre ignorance et de notre impuissance ?

Le mysticisme, remarque Bergson, suggère l’idée d’un univers qui ne serait que l’aspect visible et tangible de l’amour et du besoin d’aimer avec toutes les conséquences qu’entraîne cette émotion : c’est l’apparition d’êtres vivants où cette émotion trouve son complément et d’une infinité d’autres êtres vivants sans lesquels ceux-ci n’auraient pu apparaître et enfin d’une immensité de matérialité sans laquelle la vie n’eût pas été possible.

LA VIE.


L’existence est l’ensemble des pensées, des sentiments, des actions intérieures et extérieures d’un homme, son histoire au sens de la succession chronologique de ce qui lui advient.

La sensibilité est un autre nom de la vie ; c’est le rapport immédiat du moi et du non-moi. Rapport intime des forces de l’univers et des forces du moi.

L’entrecoupement de toutes les données (nature, homme, société) ont des répercussions sur l’individu et partant sur le moi. En peuvent donner une idée les biographies, les journaux, les tribunaux, les discours parlementaires, les salons, les alcôves, les confessionnaux.

La vie humaine sous son aspect extérieur (l’homme comme objet considéré) se présente en une trajectoire individuelle à travers le complexe infini des choses, une certaine substance individuelle en mouvement dans l’espace et dans le temps.

Sous son aspect intérieur (le moi comme sujet) est une série d’états de conscience représentatifs des choses du dehors perçues, déformées, retenties en « connaissance, patience et vouloir ».

La vie n’est pas un système. Mais en font un système l’intelligence avec la logique et l’organisation de la science, la société avec les lois déterminant un ordre public, et les conventions déterminant un ordre privé.

La durée moyenne de la vie humaine qui était de 37 ans en 1810 était passée à 50 ans en 1910. Le crocodile et la carpe vivent 300 ans, la baleine et l’éléphant 200 ans, le cheval 25 ans, le chien et le chat 20 ans. Le baobab et le châtaignier vivent 100 ans, les séquoias de 2000 à 2500 ans, le platane d’Hippocrate dans l’île de Cos aurait vécu 2300 ans.

L’EMPLOI DE LA VIE.


À la base se trouve pour l’homme cette question : à quoi employer ses activités, que faire de son temps, de ses heures, voire de ses loisirs, et au total de sa vie ?

Dans une vie de 70 ans, on a compté 25 ans de sommeil, 11 ans 8 mois de travail, 5 ans 10 mois d’alimentation, 5 ans 10 mois de locomotion. La toilette avait absorbé 2 ans, la paresse 1 an 5 1/2 mois, le bavardage, la réflexion même temps.

La vie est une continuité. Et elle peut se concevoir comme une évolution, plus exactement une formation continue, un perfectionnement dont la connaissance, l’adresse, l’action, l’harmonisation des sentiments sont la norme et le but.

La vie peut être création, rénovation, exaltation, dégradation.

Toute vie est une édification, une architecture qui s’édifie constamment d’après un type imité ou un déterminisme des faits eux-mêmes, ou quelque dessein intérieur.

Naître, travailler, aimer, haïr, grandir et disparaître, disait Henri Conscience.

Et Guizot septuagénaire s’écriait : « J’avance dans la vie en travaillant. J’arriverai à la fin sans avoir fait le quart de ce que je voudrais faire encore. La vie est un vase trop petit ; il déborde longtemps, puis il se brise. »

La vie, sa signification, son emploi, sont diversement appréciés. « La vie humaine, dit le chrétien, est une grande chose. Je n’ai pas le droit de m’endormir devant elle. Le chemin mène droit vers un but à atteindre en un temps mesuré. La statue que je dois sculpter est-elle ce qu’attend l’artiste éternel ? Statue d’enfant, d’adolescent, d’homme mûr, de vieillard !… détail infime. Ce qu’il faut, c’est qu’elle soit belle et que Dieu se reconnaisse en, elle. »

« La vie, dit le pessimiste ?… Farce sinistre, parmi ces personnages tristement comiques, dans ce décor sans joie qu’est la vie, notre vie, la vie quotidienne et criminelle. »

L’homme vit en harmonie ou en désharmonie avec lui-même, avec la nature, avec la société, avec Dieu.

Influence du hasard dans la vie de l’individu : rencontre, changement de domicile, retard d’un train… hasard de la naissance entraînant avec lui tout le problème de classe, de culture, et d’éducation, provoquant à lui seul les autres événements d’une destinée.

À côté des occupations, à côté des constantes humaines, les préoccupations d’ordre immédiat basses, ou d’ordre élevé.

Le grand problème demeure : trouver ou donner une signification à la vie ; développer tous les pouvoirs latents que l’on a en soi ; former son moi intérieur et non seulement extérieur, vivre passionnément et harmoniquement dans les trois domaines où se développent la science, l’art et l’action, réaliser un moi universel.

LES TYPES DE VIE.


Des écrivains ont entrepris de nous donner leur philosophie de la vie sous forme de romans enchaînés entre eux. Ainsi Balzac, Zola, Romain Rolland, Proust, Romains, Duhamel. Il y a, décrits par eux, les fervents du mysticisme, substitut de la religion ; l’homme d’argent (l’homme d’affaires) ; l’homme de puissance (le politicien) ; l’homme d’art, l’homme de science : professions scientifiques faites d’imprévus, de nouveau, d’inventions et de découvertes.

La constitution vraie de la nature humaine ? Elle est impérialiste, irrationnelle par essence et se laisse lentement éclairer sur ses intérêts à échéance par le progrès de la raison qui est la synthèse de l’expérience humaine. (Duhamel, La Terre promise.)

Il est difficile d’être « grand » ; il est surtout difficile de mettre de la grandeur dans les petites choses. De nous y montrer mesquin nous déforme et nous rend inapte ensuite dans les choses plus grandes.

Le héros de Duhamel dans « Vue de la terre promise » s’explique ainsi : « Je veux vivre, je veux vivre pour moi, je veux aimer. Je veux jouir de la beauté du monde. Je veux me sauver tout seul. Enfin, j’ai un programme qui comporte trois parties essentielles : l’amour, la liberté, la gloire. »

Le moi évolué veut posséder le monde (Duhamel « La Possession du Monde » ). C’est tout utiliser : les astres, les planètes, les insectes et les hommes, la poésie et la musique, la santé et la maladie, les joies et les peines, les réussites et les échecs, les souvenirs et les espoirs, pour vivre plus fort, pour mieux aimer, pour mieux prier.

Tous les systèmes politiques et sociaux retentissent sur les individus et les atteignent diversement dans leur vie. Dans l’antiquité classique la vie privée tenait une très petite place, tout y aboutit à la vie publique. Le christianisme développa la conscience ; il substitua le désert, les solitudes, le silence absolu à la vie scénique du monde grec et romain. Les Barbares y ajoutèrent leur individualisme. L’homme moderne est une personne libre s’appartenant tout entière, ayant autour d’elle des habitudes domestiques, un rempart élevé par les lois. Chez les Anglo-Saxons la vie privée et l’activité individuelle ont conservé largement l’étendue qu’elles avaient au moyen âge. Se pose de nos jours la question du retentissement de la vie communiste sur la vie de l’individu.

L’épopée de la vie. — La vie est une immense épopée. Toute vie d’homme est épique par ses variétés, ses aventures, ses luttes, ses aspirations. Et la vie de l’humanité, de l’espèce toute entière, ne l’est pas moins par l’inconnu qui pèse sur elle, par le développement merveilleux et imprévu de son passé.

L’aventure. — Elle est au cœur de l’homme. Aventure avec les autres hommes, aventure avec la nature, aventure avec les idées.

L’aventure sous mille formes. La passion du belliqueux avide de se livrer à l’aventure, de mourir ou de plus intensément vivre dans la merveilleuse pureté de l’atmosphère dangereuse. (Octave Beliard). L’aventure du devoir le plus sacré à remplir, de l’œuvre la plus grande à accomplir, de l’impossible à rendre possible.

La mort : la survie. — Le moi a une fin comme il a un commencement. Naît-il de rien et après sa mort n’y a-t-il plus rien ? Angoissant problème auquel sagesse, religion, philosophie ont répondu : dissolution du moi, survie. Immortalité, migration de ceux en d’autres corps, appel des êtres vers la source divine d’où ils émanent, contemplation éternelle mais distincte de l’Être infini ou de l’absorption de son immensité. La mort, non pas la négation totale de la vie, mais une de ses phases, la condition de tous ses progrès qui ne peuvent se réaliser qu’à travers les renoncements et les recommencements.

Le fantastique réel, le fantastique social, le fantastique mental. L’étrange. Le drame qui est celui de mourir peu à peu, ou d’attendre, avec un sentiment de fatalité, une mort violente ou quelque bouleversement d’allure cosmique. (Marc Orlan.)

Il est un âge où l’idée de la mort s’impose et devient familière, la fin de la route vers le grand silence. La mort est cruelle surtout pour ceux qui restent et pleurent.

Tous les jours mourir un peu ; par la maladie et l’usure sentir réduite l’intégrité de sa personne.

On entre, on crie. — Et c’est la vie. — On crie, on sort. — Et c’est la mort. (Texier.)