Monographie du bourgeois parisien

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La Peau de tigre (recueil, partiellement original)Michel Lévy frères (p. 243-270).



MONOGRAPHIE DU BOURGEOIS PARISIEN




Qu’est-ce que le bourgeois ? Question grave et tout à fait palpitante d’actualité, comme disent les journalistes. Ouvrez tous les dictionnaires, même celui de l’Académie, et vous trouverez au mot bourgeois cette explication : « Habitant d’une ville ayant droit de bourgeoisie. » Ce n’est assurément pas dans ce sens-Là que nous devons le prendre aujourd’hui, et l’on ne voit presque personne s’en servir avec cette acception.

Le bourgeois n’est pas une chose, c’est un être ; certaines ressemblances éloignées ont d’abord fait croire qu’il appartenait au genre homme ; en effet, il est bipède et bimane ; c’est ce qui a induit les naturalistes en erreur. Des quadrupèdes peuvent apprendre à marcher sur les pieds de derrière, cela se voit tous les jours, les chiens savants en font preuve ; et cependant, qui a jamais songé à dire que les chiens étaient des hommes ? Il ne peut pas être non plus classé dans la catégorie des singes : les singes sont mieux faits, plus vifs, plus jolis et plus spirituels ; ils font des tours de passe-passe et se pendent par la queue aux branches d’arbre pour jouer à l’escarpolette, ce dont le bourgeois a été unanimement reconnu incapable.

Au risque d’augmenter les divisions et les classifications déjà trop nombreuses de l’histoire naturelle, je crois qu’il faut reconnaître dans le bourgeois une espèce particulière ; car on ne saurait raisonnablement le rattacher ni aux fissipèdes, ni aux batraciens, ni aux sauriens, ni même aux échassiers et aux crustacés, quoiqu’il soit diablement encroûté sui generis.

Je voudrais bien donner une description exacte et succincte de l’animal ; mais cela ne laisse pas que d’être difficile. Le bourgeois est un et multiple, et, dans son espèce, il est ce que sont les chiens dans la leur.

Il y a des chiens noirs, il y a des chiens blancs, il y en a de pies ; les uns ont les pattes tortues et les oreilles traînantes, les autres ont le museau pointu et le poil ras ; mais lévriers, caniches, bassets, dogues, carlins, quoique très-différents entre eux, se font aisément reconnaître pour chiens, et personne ne s’y trompe.

Il en est de même du bourgeois : chauve, ventru, avec ou sans favoris, le nez rouge ou bleu, l’œil vert ou jaune, la jambe circonflexe et l’échine prolixe, il n’en est pas moins un bourgeois ; et tout homme qui passe et le voit marcher ou s’asseoir, dit avec un ricanement singulier : « C’est un bourgeois. »

Un signe distinctif et principal des bourgeois, c’est un immense col de chemise, en toile fortement empesée, qui lui monte par-dessus la tête et l’empêche de mettre son chapeau, qu’il porte habituellement à la main. L’oreille du malheureux, qui ordinairement est écarlate et recouverte d’un duvet blanc comme celui d’une feuille de bardane, se trouve, malgré son innocence, impitoyablement guillotinée par ces deux triangles blancs. Grâce à ce monstrueux col de chemise qui le fait ressembler à des fleurs enveloppées dans du papier, le bourgeois a toujours l’air d’aller souhaiter la fête à quelqu’un et de lui apporter sa tête en guise de bouquet.

Toutes les fois que vous verrez cette muraille de toile au col d’un individu, quelles que soient d’ailleurs les formes de son corps et les couleurs de son pelage, et Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/254 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/255 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/256 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/257 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/258 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/259 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/260 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/261 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/262 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/263 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/264 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/265 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/266 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/267 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/268 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/269 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/270 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/271 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/272 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/273 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/274 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/275 Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/276 le bourgeois, car les chansons de Béranger sont des odes ; oui, messieurs, et je suis là-dessus de l’avis d’un journal très-bien rédigé, ma foi, dont j’ai oublié le nom, mais cela ne fait rien à l’affaire.