Mémoires historiques/Introduction/Chapitre 1/Se-ma Tsien

La bibliothèque libre.



SECONDE PARTIE
VIE DE SE-MA TS’IEN


Quel âge avait Se-ma Ts’ien au moment où il eut le malheur de perdre son père ? Il est difficile de répondre d’une manière précise à cette question, car la date de sa naissance ne nous est pas connue. M. Mayers XXIII-1 le fait naître vers 163 avant notre ère, mais il ne cite pas l’autorité sur laquelle il appuie cette affirmation : si elle était exacte, Se-ma Ts’ien aurait eu environ cinquante-trois ans à la mort de Se-ma T’an ; il serait alors difficile de comprendre comment Se-ma Ts’ien pouvait dire à son père, lorsque celui-ci était sur son lit de mort : « Quoique votre jeune fils ne soit pas intelligent... » XXIV-1. Tchang Cheou-kié (qui publia en 737 un commentaire des Mémoires historiques intitulé : Interprétations correctes), nous donne une autre indication qui, pour être aussi dénuée de preuves, ne laisse pas que d’être plus plausible : la première année t’ai tch’ou, nous dit-il XXIV-2, c’est-à-dire en l’an 104 avant notre ère, Se-ma Ts’ien avait quarante-deux ans ; si nous devons adopter cette opinion, Se-ma Ts’ien serait né en 145 avant J.-C. et aurait eu trente-six ans à la mort de son père. Ces dates concorderaient avec la manière de voir du critique moderne Wang Ming-cheng ; dans l’ouvrage qu’il publia en 1787 sous le titre de : « Propositions sujettes à discussion sur les dix-sept historiens », cet auteur calcule, d’après certaines indications de la biographie de Se-ma Ts’ien, qu’il était âgé, en l’an 110, d’une quarantaine d’années environ XXIV-3.

Se-ma Ts’ien, comme tout Chinois, devait avoir, outre son nom de famille (sing) qui était Se-ma, et son nom personnel (ming) qui était Ts’ien, une appellation [tse). Nous ne la trouvons pas mentionnée dans son autobiographie. Cependant nous savons par d’autres textes XXIV-4 que cette appellation était Tse-tchang. Se-ma Ts’ien, il nous l’apprend lui-même, naquit à Long-men XXV-1. Ce nom, qui signifie la porte du dragon, est celui d’une montagne située sur la rive droite du Hoang-ho, dans le territoire de la sous-préfecture de Han-tch’eng, préfecture de Tong-tcheou, province de Chan-si. Non loin de la ville même de Han-tch’eng étaient ensevelis tous les membres de la branche des Se-ma établie primitivement dans le royaume de Ts’in XXV-2 ; c’est donc dans le pays où avaient vécu et où étaient morts ses ancêtres que Se-ma Ts’ien vit le jour ; les devoirs pieux qu’il eut sans doute à remplir sur leurs tombes durent lui rappeler plus d’une fois de quelle noble souche il avait l’honneur de sortir. Ce n’était pas seulement le passé de sa famille que son lieu de naissance remémorait à Se-ma Ts’ien, c’était celui même de sa race : Long-men se trouve dans cette partie moyenne du bassin du Hoang-ho qui dut être le premier berceau des Chinois ; c’est sur les bords de la rivière Wei, puis, dans la province du Tche-li, jusqu’à Siuen-hoa-fou au nord, et, dans la partie septentrionale de la province du Ho-nan, jusqu’à Kai-fong-fou que sont localisées les plus anciennes légendes de Hoang-ti, de Yao et de Choen ; Long-men est compris dans le territoire qui fut le premier patrimoine de la nation. Sans exagérer l’influence du milieu, n’est-on pas autorisé à penser que Se-ma Ts’ien sentit se développer le goût qui était d’ailleurs inné en lui pour l’histoire, en vivant dans ces lieux où abondaient les souvenirs de l’antiquité et n’est-ce pas Un fait remarquable que le célèbre historien Pan Kou, au 1er siècle après notre ère, ait été originaire de Si-ngan-fou, sur les bords du Wei et dans cette même province de Chàn-si ?

La jeunesse de Se-ma Ts’ien se passa dans la campagne qui s’étend au sud de la montagne Long-men ; il menait une vie champêtre et s’occupait à labourer et à garder les troupeaux ; il trouvait cependant le temps d’étudier : dès l’âge de dix ans, il savait déjà par coeur les principaux textes de l’antiquité.

Lorsqu’il eut atteint sa vingtième année, il commença de longs voyages qu’il paraît avoir entrepris dans la seule intention de développer son instruction XXVI-1. Il par- courut dans le sud les régions qu’arrosent la rivière Hoai et le Yang-tse-kiang. Plus au sud encore il franchit le 'Yang-tse-kiang et monta sur la terrasse Kou-sou (cf. ci-dessous, texte j) construite autrefois par un roi de l’état d’Ou, près de Sou-tcheou-fou, sur la rive nord-est du grand lac Tai-hou qui forme sur sa côté orientale cinq baies qu’on appelle les cinq lacs. En poursuivant sa route, Se-ma Ts’ien atteignit la montagne Koei-tsi, près de Chao-hing-fou. dans la province actuelle de Tche-kiang ; cette hauteur était célèbre parce que, suivant la légende, l’empereur Yu s’y était arrêté dans sa tournée d’inspection et y était mort ; on montrait la caverne dans laquelle il s’était retiré ; Se-ma Ts’ien la visita (texte a). Il dut voir aussi, quoiqu’il ne nous le dise point, la stèle que Ts’in Che Hoang ti avait fait élever là, en 210 avant J.-C. pour célébrer ses propres louanges ; c’est peut-être alors que le futur historien copia cette inscription dont nous retrouvons le texte intégral dans le VI e chapitre de son oeuvre. Il se rendit ensuite tout au sud de la province actuelle de Hou-nan et gravit la montagne des Neuf doutes (texte à) qui est près de la sous-préfecture de Tao, dans la préfecture de Yong-tcheou ; cette montagne avait neuf pics si semblables qu’on les confondait aisément les uns avec les autres et c’est de là que lui était venu son nom. Ce fut le point extrême des premiers voyages de Se-ma Ts’ien ; à vrai dire, il n’aurait guère pu aller plus loin sans tomber en territoire ennemi, car, au sud du Yang-tse, il n’y avait à cette époque que le roi de Tch’ang-cha qui fut soumis à l’empereur de Chine. Pour revenir, Se-ma Ts’ien remonta les rivières Yuen et Siang (texte a) qui partent toutes deux du sud de la province de Hou-nan et aboutissent au lac Tong-t’ing. Sur sa route, il dut passer par Tch’ang-cha et ne manqua pas d’aller faire un pèlerinage, à quelque distance au nord de cette ville, au lieu où l’illustre poète et homme d’état K’iu Yuen s’était noyé vers la fin du ive siècle avant notre ère (texte b). Se-ma Ts’ien descendit du lac Tong-t’ing au lac Po-yang ; il monta sur la montagne Lou au sud de K’ieou-kiang et contempla la région où les savants de son temps plaçaient les neuf fleuves dont il est question dans le chapitre du Chou king intitulé : Le tribut de Yu XXIX-1 . Puis Se-ma Ts’ien se dirigea franchement vers le nord et atteignit la province actuelle de Chan-tong ; peu, avant d’y arriver, il traversa les deux anciennes principautés de Fong et de P’ei qui sont à l’extrémité nord-ouest de la province actuelle de Kiang-sou ; peut-être les avait-il déjà visitées à son premier passage (texte e). Il navigua sur les rivières Wen et Se, devenues maintenant des affluents du Grand Canal ; il séjourna successivement dans les villes qui avaient été, au temps de la Chine féodale, les capitales des royaumes de Lou et de Ts’i. Ces deux pays voisins avaient été, depuis l’époque de Confucius, les foyers de la culture intellectuelle en Chine XXX-1 . C’était là, que malgré la persécution dirigée par Ts’in Che hoang ti contre les lettrés, s’étaient conservées les traditions de l’antiquité ; sous les règnes réparateurs des premiers empereurs Han, ce fut là encore qu’on travailla avec le plus d’ardeur à rechercher les livres disparus et à restaurer les rites oubliés. Se-ma Ts’ien visita avec émotion le temple consacré à Confucius dans sa ville natale (Mém. hist., chap. XLVII, p. 12 v°) ; dans l’ancien pays de Lou, près de la ville de Tseou, sur la montagne I, il prit part au grand tir à l’arc où concourait tout le village. Ce fut sans doute pendant son séjour dans l’ancien état de Ts’i qu’il monta sur la montagne Ki (texte c) et vit la tombe de Hiu-yeou, ce sage des temps légendaires qui refusa d’accepter la dignité souveraine que voulait lui céder l’empereur Yao. Pendant qu’il habitait le Chan-tong, Se-ma Ts’ien se trouva dans des circonstances difficiles à P’i, Sié et P’ong-tch’eng (texte a), trois places qui sont comprises entre l’actuel T’eng-hien dans le Chan-tong et Siu-tcheou dans le Kiang-sou ; nous n’avons aucun renseignement sur la nature des difficultés avec lesquelles il fut aux prises ; il rappelle seulement en un autre passage (texte i) qu’à Sié on rencontre de nombreuses bandes de garnements hardis et effrontés. Peut-être Se-ma Ts’ien a-t-il exagéré à dessein un incident sans importance afin de donner à sa vie une ressemblance plus grande avec celle de Kong-tse qui fut, nous disent ses biographes, en danger de mort dans les pays de Tch’en et de Ts’ai ; ce parallélisme entre sa destinée et celle du grand sage devait être très flatteur pour lui. Il revint en passant par les pays de Tch’ou et de Leang, c’est-à-dire sans doute en traversant la partie sud de la province de Ho-nan et en arrivant par le fleuve Jaune jusqu’à Han-tch’eng, son lieu d’origine.

A son retour, Se-ma Ts’ien fut nommé secrétaire (lang tchong) dans une des administrations de la capitale. C’est en cette qualité qu’il fut chargé d’une mission qui devait lui faire entreprendre une nouvelle et plus lointaine tournée. En l’an 111 avant J.-C, l’empereur Ou venait de terminer victorieusement une expédition contre les peuplades jusqu’alors indépendantes du Se-tch’oan et du Yun-nan. L’origine de cette campagne avait été la conduite insolente du roi de Tien, dont la capitale était l’actuel Yun-nan-fou ; tous les chefs voisins avaient fait cause commune avec lui et ce ne fut pas seulement le roi de Tien, mais aussi une multitude de petits princes barbares que les troupes chinoises eurent à combattre et que d’ailleurs elles réduisirent à l’impuissance, tuant les uns et faisant reconnaître aux autres la suzeraineté impériale. A la conquête succéda la période de réorganisation ; on installa dans ces régions barbares des fonctionnaires chinois ; on y établit un système administratif calqué sur celui de l’empire du Milieu. Se-ma Ts’ien fut chargé d’aller dans les contrées nouvellement soumises pour les inspecter (texte a, ad fin.) ; il passa dans le pays de K’iong, dont on faisait la commanderie de Yue-soei ; la capitale de ce territoire était dans la vallée supérieure du Kin-cha-kiang (le haut Yang-tse des cartes européennes), non loin de la sous-préfecture de Si tch’ang, préfecture de Ning-yuen, province de Se-tch’oan. Se-ma Ts’ien franchit le fleuve et arriva dans l’ancienne principauté de Tso qui était devenue la commanderie de Chen-li et qui correspond à la sous-préfecture actuelle de Li-kiang, dans le Yun-nan. Il poussa enfin jusque chez les Koen-ming, le moderne Ta-li-fou, la tête de ligne de la route qui mène de Chine en Birmanie. En l’an 110, Se-ma Ts’ien revint à la capitale dans l’intention de faire son rapport ; il arriva juste à temps pour assister son père dans ses derniers moments.

L’autobiographie de Se-ma Ts’ien sur laquelle principalement nous nous sommes fondés jusqu’ici pour raconter ses voyages, ne mentionne aucune excursion dans le nord. Nous apprenons cependant par d’autres textes qu’il avait aussi visité les régions septentrionales ; il avait été de la montagne K’ong-t’ong qui est sur le territoire de la préfecture de P’ing-leang, dans la province de Kan-sou, jusqu’à la montagne Tchouo-lou, non loin de Pao-ngan, préfecture de Siuen-hoa, province de Tche-li XXXII-1. Sur sa route, il avait longé XXXII-2 la grande muraille construite par Mong Tien, général de Ts’in Che hoang ti ; ce rempart commençait à Kong-tch’ang fou, dans le Kan-sou, devait rejoindre la grande muraille actuelle vers Ts’ing-pien, dans le Chàn-si et suivre le tracé qu’elle parcourt encore aujourd’hui depuis cette localité jusqu’au golfe du Leao-tong XXXII-3. C’est au cours de ce voyage que Se-ma Ts’ien visita le Chouo-fang XXXIII-1 ; ce nom désignait, au temps des premiers Han, le territoire occupé maintenant par la bannière postérieure de l’aile droite des Mongols Ordos, tout au sommet de la grande boucle formée par le Hoang-ho, dans la partie septentrionale du Chàn-si. D’après ces textes, Se-ma Ts’ien a dû entreprendre une expédition assez longue dans le nord, mais nous manquons de données pour déterminer à quelle époque de sa vie il faut la rapporter.

Par les tournées qu’il fit dès l’âge de vingt ans et par la mission dont il fut chargé dans son âge mûr, Se-ma Ts’ien eut l’occasion de parcourir presque toute la Chine. Il a été un des grands voyageurs et, si on tient compte de la sauvagerie qui régnait alors dans» le Se-tch’oan méridional et le Yun-nan, on pourrait dire un des grands explorateurs de son temps. Il sut bien écouter et bien voir ; souvent il cite des traditions locales qu’il a entendu raconter ou parle de quelque vestige de l’antiquité qu’il a été visiter. D’autre part, il semblerait que ce savant si consciencieux eût dû profiter de sa longue et riche expérience pour retracer l’aspect des pays qu’il traversait et pour esquisser l’ethnographie des populations diverses au milieu desquelles il passait ; nous nous attendrions à trouver un écho de ces notes personnelles dans ses écrits ; mais notre espérance est déçue : Se-ma Ts’ien est un érudit et l’érudition, comme il arrive trop souvent, a tué chez lui l’observation originale ; il va bien chercher ses documents en tous lieux, mais il ne sait pas leur rendre la vie en décrivant le milieu où les faits se sont accomplis. La nature physique est entièrement absente de son oeuvre.

Comme Se-ma Tan l’avait désiré, son fils lui succéda dans la dignité de grand astrologue ; il entra en charge aussitôt après que la période réglementaire du deuil, qui durait nominalement trois ans et en fait vingt-sept mois, fut finie XXXIII-2.

Ce fut en cette qualité qu’en l’an 104 avant J.-C. Se-ma Ts’ien prit part à la grande réforme du calendrier entreprise par l’empereur Ou : « La septième année de la période yuen fong (104 av. J.-C), lisons-nous dans le livre des Han antérieurs (chap. XXI, Lu litche, 1e partie, p. 10 r°), il y avait cent deux ans que les Han étaient au pouvoir. Les hauts dignitaires de second rang Kong suen K’ing et Hou Soei, le grand astrologue Se-ma Ts’ien et d’autres disent que les calculs du calendrier étaient altérés et troublés et qu’il fallait changer le premier jour de l’année ... (l’empereur chargea une commission, dont faisaient partie le yu che ta fou Ni K’oan et le po che Ts’e, d’examiner le bien fondé de cette requête ; sur leur rapport, il décréta que la septième année yuen fong prendrait un autre nom et s’appellerait la première année t’ai tch’ou)... Alors l’empereur ordonna à (Kong-suen) K’ing, (Hou) Soei et (Se-ma) Ts’ien de se réunir aux che lang Ts’oen Ta Tien Sing et Che Sing et autres, et de délibérer entre eux pour constituer le calendrier des Han. Ils fixèrent donc l’est et l’ouest ; il établirent un cadran solaire ; ils firent descendre les marques des quarts d’heure de la clepsydre ; ils purent ainsi déterminer les distances mutuelles des vingt-huit divisions équatoriales par rapport aux quatre côtés (de l’horizon). Ils instituèrent la durée d’une révolution pour déterminer le premier jour de la lune et le dernier, les équinoxes et les solstices, le cours du soleil et celui de la lune, les quartiers et les pleines lunes. » — Cependant ces travaux ne furent pas jugés suffisants et l’empereur dut former une nouvelle commission dont le membre le plus important fut un nommé Teng P’ing ; ce fut lui qui fit les calculs du calendrier T’ai-tch’ou dont la caractéristique était une division du jour en 81 parties ; quand son oeuvre fut achevée, l’empereur « chargea par décret (Se-ma) Ts’ien de se servir des mesures et du calendrier que Teng P’ing avait fondés sur le principe des 81 divisions XXXV-1. »

Cette institution d’un nouveau calendrier avait une importance capitale. La correction du calcul des temps n’était en effet que le résultat et comme l’expression résumée d’une refonte complète des sciences qui sont susceptibles de mesure mathématique. Le point de départ de toute harmonie, et par suite de toute mesure, étant la musique, les dimensions du tuyau d’orgue qui rendait le son initial de la gamme chinoise étaient l’étalon qui devait servir de point de départ pour tous les calculs. Le nombre 9 qui exprimait la hauteur de ce tube, et le carré de 9, 81, qui en exprimait le volume, étaient donc les nombres qui se trouvaient à la base de toute proportion.

Les mathématiciens de l’époque des Han s’élevaient à une généralisation plus haute encore et faisaient dépendre toutes les mesures elles-mêmes de l’évolution universelle des cinq éléments. La terre est l’élément primordial ; elle est vaincue par le bois, vaincu à son tour par le métal ; le métal est détruit par le feu qui disparaît devant l’eau ; la terre enfin triomphe de l’eau et le cycle recommence. Au temps de l’empereur Ou, Se-ma Ts’ien, Ni K’oan et d’autres montrèrent qu’on devait être à leur époque sous la puissance ou la vertu de l’élément terre XXXVI-1 ; on adopta leur manière de voir pour régler les lois, les institutions, les cérémonies et les mesures en tenant compte de certaines concordances mystiques entre les éléments, les sons, les couleurs, les saveurs, les qualités morales et les points cardinaux ; on édifia ainsi un système cosmologique et social aussi vaste que fragile.

Après avoir travaillé au calendrier, Se-ma Ts’ien put continuer pendant sept années à rédiger sa grande compilation historique ; mais, en 99 avant notre ère, survint un événement qui devait avoir pour lui des conséquences déplorables.

De toute antiquité les Chinois avaient eu à combattre les tribus nomades et pillardes qui campaient sur leur frontière septentrionale ; au temps des Han, c’étaient les hordes Hiong-nou qui étaient leurs plus redoutables ennemis. En l’an 99, l’empereur Ou envoya un de ses meilleurs généraux, Li Koang-li, maréchal de Eul-che, les attaquer près des monts Tien-chan (monts Célestes), c’est-à-dire probablement dans les environs du lac Barkoul ; l’empereur ordonna à un autre capitaine, nommé Li Ling, de commander l’arrière-garde et de veiller aux approvisionnements du gros de l’armée. Li Ling était le petit-fils d’un guerrier célèbre, Li Koang : il était lui-même avide de gloire et demanda la permission de ne point suivre le général en chef mais de tenter une diversion en attaquant les Hiong-nou sur un autre point. L’empereur ne fut d’abord pas très satisfait de cette requête où il crut démêler le désir qu’avait cet officier de ne pas être dans une situation dépendante ; cédant cependant à ses instances, il l’autorisa à mettre ses plans à exécution. Li Ling, à la tête de cinq mille fantassins, sortit du territoire chinois par Kiu-yen, poste avancé qui devait se trouver sur les bords du lac Sogok, au nord du confluent de la rivière Tao-lai avec l’Etsina XXXVII-1, à une grande distance de la ville de Sou-tcheou, du Kan-sou. A partir de Kiu-yen, Li Ling marcha vers le nord pendant trente jours et arriva à la montagne Siun-ki ; peut-être cette hauteur doit-elle être identifiée avec la montagne Ma-tsong, au sud-est de Hami, car on a découvert là dans une niche taillée dans le roc une inscription que fit graver Li Ling XXXVII-2. Ce fut à cet endroit qu’il se heurta aux Hiong-nou ; il commença par remporter un léger avantage, mais les archers nomades accoururent de toutes parts comme des oiseaux de proie et les cinq mille Chinois se trouvèrent entourés par quatre-vingt mille ennemis ; ils opérèrent leur retraite en toute hâte ; Li Ling fit décapiter toutes les ribaudes que ses soldats tenaient cachées dans les chars et qui retardaient sa marche ; il se rapprochait de plus en plus de la Grande Muraille, mais il perdait beaucoup de monde et allait être à court de flèches ; pour dernière infortune, un de ses officiers lui fit défection et alla révéler aux Hiong-nou la situation désespérée des fugitifs à qui l’empereur n’envoyait aucun secours. Délivré de toute inquiétude, le chef barbare redoubla d’efforts : « se mettant en travers de la route, nous dit le chroniqueur XXXVIII-1, il attaqua Li Ling avec impétuosité. Li Ling se trouvait dans la vallée ; les esclaves XXXVIII-2 étaient sur la montagne ; des quatre côtés les flèches tombaient comme une pluie. L’armée chinoise s’avançait vers le sud et n’avait pas encore atteint les monts Ti-han en un jour elle tira cinq cent mille flèches et épuisa toutes celles qu’elle avait ; on abandonna les chariots et on marcha ; il restait encore plus de trois mille hommes ; les simples soldats avaient pris des timons de char et les brandissaient ; les officiers avaient des couteaux longs d’un pied seulement. Arrivé aux montagnes, Li Ling entra dans une gorge resserrée. Le chen-yu XXXVIII-3 ferma les derrières et, montant au sommet de la montagne, il faisait rouler des quartiers de roche ; officiers et soldats périrent en grand nombre ; ils ne purent plus avancer. »

La nuit tomba au moment où les Chinois étaient pris dans cette impasse ; s’ils y restaient, ils étaient sûrs d’être massacrés jusqu’au dernier dès que le point du jour aurait paru. Li Ling ne savait quel parti prendre : il chercha à pénétrer seul sous un déguisement parmi les Hiong-nou afin de tuer leur chef ; mais cette folle tentative échoua. De retour parmi les siens, il voulait se suicider : on parvint à l’en dissuader. Il se résolut enfin à ordonner au milieu de la nuit un sauve-qui-peut général ; cette mesure désespérée n’eut pas grand succès ; quoique les Chinois ne fussent plus qu’à une cinquantaine de kilomètres de leur frontière, quatre cents d’entre eux à peine purent l’atteindre. Quant à Li Ling, poursuivi à outrance et redoutant d’ailleurs de paraître en présence de l’empereur, il se rendit aux barbares.

Lorsque la nouvelle de ce désastre retentissant parvint à la cour, ce fut une explosion de fureur contre Li Ling ; des favoris efféminés blâmèrent sans vergogne le soldat qui avait risqué vingt fois sa vie pour son pays ; Se-ma Ts’ien fut indigné de leur conduite et, appelé à dire son avis, il prononça devant l’empereur un éloge enthousiaste du vaincu. « Li Ling, dit-il XXXIX-1, a servi ses parents avec piété et a été de bonne foi avec ses collègues ; toujours hardi, il ne s’inquiétait pas de sa personne et bravait la mort partout où il y avait quelque danger pour l’état. Les sentiments qu’il a sans cesse nourris sont ceux d’un brave qui mérite bien du pays. Maintenant, parce qu’une seule de ses entreprises a échoué, tous ceux qui prennent grand soin de leur propre personne et qui veillent au bien-être de leurs femmes et de leurs enfants s’empressent d’exagérer sa faute par leurs clabaudages ; en vérité c’est odieux. Considérez que Li Ling avait emmené à peine cinq mille fantassins lorsqu’il pénétra profondément dans le pays des voleurs et des chevaux XXXIX-2 ; il a tenu en respect plusieurs myriades de guerriers. Les esclaves XXXIX-3 n’avaient plus même le temps de venir chercher leurs morts et de secourir leurs blessés ; alors ils ont appelé toute la foule de leurs archers pour faire une attaque en masse et pour cerner Li Ling. Celui-ci combattit pendant mille li en opérant sa retraite : ses flèches s’épuisèrent et le chemin lui fut coupé. Ses soldats brandissaient leurs poings désarmés et se précipitaient au devant des épées nues ; tournés vers le nord, ils résistaient en luttant jusqu’à la mort. Li Ling a fait preuve d’une vaillance qui affrontait la mort ; même parmi les généraux d’ancienne renommée, aucun n’a été plus grand que lui. Quoiqu’il ait été battu et défait, cependant les ennemis qu’il a repoussés et écrasés sont en nombre assez grand pour illustrer l’empire. S’il n’est pas mort, c’est qu’il désire obtenir un succès capable de racheter sa faute, afin de reconnaître les bienfaits de son souverain. »

Ces paroles n’eurent d’autre effet que d’exciter la colère de l’empereur. C’était à contre-coeur qu’il avait autorisé Li Ling à suivre sa propre inspiration et, dans de telles conditions, ce capitaine devait vaincre ou mourir ; sa reddition à l’ennemi était une faute inexcusable. En outre, l’empereur crut voir dans le discours de Se-ma Ts’ien une intention cachée XL-1; il pensa que le grand astrologue avait voulu incriminer le maréchal de Eul-che, Li Koang-li, qui avait lui-même été en grand danger d’être pris par les Hiong-nou, et qui n’avait pas su secourir Li Ling ; or Li Koang-li était le frère aîné de la fou jen Li qui avait été une des favorites du palais ; lui-même était en ce moment fort bien en cour. Se-ma Ts’ien se vit donc châtié de sa témérité avec une extrême rigueur. Il fut déféré aux tribunaux sous l’inculpation d’avoir voulu tromper l’empereur ; on le condamna à la castration. S’il eût eu des amis influents ou s’il eût été riche, il aurait pu échappera cet affreux supplice, car le rachat des peines était admis par le code ; mais sa famille n’avait pas de fortune et tous ses amis l’abandonnèrent ; il subit donc cette ignominie (98 av. J.-C).

D’après un dire de Wei Hong, qui vivait au temps de la seconde dynastie Han et commenta le livre de Pan Kou, la disgrâce de Se-ma Ts’ien aurait eu une origine plus ancienne et une issue plus fatale encore : « Se-ma Ts’ien, dit-il XL-2, écrivit les Annales principales de l’empereur King (156-141) ; il y parlait avec excès de ses défauts ainsi que des erreurs commises par l’empereur Ou. L’empereur Ou s’en irrita et le priva de ses fonctions. Ensuite il fut accusé d’avoir loué Li Ling après la reddition de ce dernier aux Hiong-nou ; c’est pourquoi on jeta Se-ma Ts’ien dans la chambre tiède (où on opérait la castration) ; il prononça des paroles haineuses, fut livré aux tribunaux et mis à mort. » Ainsi, ce serait pour avoir diffamé dans son histoire l’empereur régnant et l’empereur King, son père et son prédécesseur, que Se-ma Ts’ien aurait d’abord encouru la colère du souverain ; son attitude lors de l’affaire de Li Ling l’aurait définitivement perdu ; il subit alors la mutilation ; puis, ayant exhalé son ressentiment en plaintes trop vives, il aurait été mis à mort.

Rien ne nous autorise cependant à regarder comme vrai ce récit tragique. D’après une version beaucoup plus plausible, Se-ma Ts’ien aurait au contraire fini par occuper à la cour la charge fort élevée de tchong chou ling XLI-1. « Après qu’il eut subi son châtiment, dit le Livre des Han antérieurs XLI-é, Se-ma Ts’ien fut tchong chou ling ; il se fit honorer et apprécier dans l’exercice de cette charge. » Ma Toan-lin XLI-3 nous fournit le même témoignage : « L’empereur Ou, écrit-il, fut le premier à se servir d’un eunuque pour veiller aux papiers d’état ; ce fut Se-ma Ts’ien qui en eut la charge. » Le tchong chou ling avait la haute surveillance de tous les rapports au trône et de tous les décrets impériaux ; il jouait le rôle qui était dévolu à certains membres du conseil privé (nei ko) sous la présente dynastie XLI-4. En outre, le fait que Se-ma Ts’ien ne fut pas mis à mort par l’empereur Ou nous est attesté par l’anecdocte suivante que nous trouvons dans le Livre des Han postérieurs : en 192 de notre ère, le sage Ts’ai Yong fut condamné à mort pour avoir voulu rester fidèle à l’usurpateur Tong Tchouo ; on intercéda pour lui auprès du ministre de la justice Wang Yun, en demandant qu’il pût achever l’histoire des Han qu’il avait commencé d’écrire. Wang Yun s’y refusa, disant : « Autrefois l’empereur Ou, en ne mettant pas à mort Se-ma Ts’ien, fit qu’il composa un livre diffamatoire qui fut transmis à la postérité XLI-5; » de même, si on laissait vivre Ts’ai Yong, il pourrait mal parler des personnes de son temps.

Le dernier document que nous ayons au sujet de Se-ma Ts’ien est une lettre XLII-1 qu'il écrivit en 91 avant J.-C, c’est-à-dire sept ans après avoir été fait eunuque. Les circonstances qui l’inspirèrent avaient une gravité toute particulière. A la fin du règne de l’empereur Ou, quand le souverain était vieux et malade, le bruit se répandit qu’on voulait attenter à sa vie par des incantations magiques et des envoûtements ; un certain Kiang Tch’ong profita de la créance qu’obtenaient ces rumeurs pour accuser le fils aîné de l’empereur, l’héritier présomptif Li XLII-2 ; muni de pleins pouvoirs, il vint fouiller les appartements du prince et y découvrit une statuette qu’il avait sans doute lui-même fait cacher au préalable dans l’endroit prétendu ensorcelé : il n’en fallut pas davantage pour convaincre du plus grand des forfaits l’héritier présomptif ; celui-ci dut chercher son salut dans la fuite ; il passa par le camp du nord que commandait un certain Jen Ngan et tenta de gagner cet officier à sa cause. Jen Ngan parut accepter ses ouvertures, mais ne fit aucun mouvement. Le prince Li ne tarda pas à être arrêté ; il fut mis à mort avec tous ses partisans. Quelque temps plus tard cependant une réaction se produisit : les ennemis de l’héritier présomptif furent taxés d’imposture et on les fit périr ; c’est ainsi qu’une sanglante tragédie assombrit les dernières années de l’empereur Ou.

Dès que le prince Li eut été saisi, on s’empara aussi de Jen Ngan dont l’attitude avait paru louche ; il s’était manifestement tenu sur la réserve pour voir qui l’emporterait de l’empereur ou de son fils et se ranger au parti du plus fort ; il fut donc jeté en prison ; pendant que son procès s’instruisait, il écrivit à Se-ma Ts’ien, pour le prier d’intercéder en sa faveur. C’est la réponse du grand historien qui nous a été conservée.

Il est assez difficile de démêler quel est le sens de cette lettre ; il est certain qu’elle exprime un refus ; dès le début, Se-ma Ts’ien expose que sa condition d’eunuque l’a rendu méprisable aux yeux de tous ; il ne saurait donc avoir assez d’autorité pour exercer quelque influence sur l’empereur et pour sauver son ami. Mais, après cet exorde, il ne dit plus un mot de Jen Ngan et ne parle que de lui-même ; il commence par montrer toute l’ignominie dont l’a couvert sa condamnation ; il raconte la reddition de Li Ling et les circonstances qui l’impliquèrent lui-même dans son crime ; le reste de la lettre est consacré à expliquer pourquoi il ne se tua pas, échappant ainsi par un noble trépas à la honte qui l’attendait ; le seul motif qui le retint fut le désir de terminer son histoire commencée et l’espoir de gagner ainsi auprès de la postérité une gloire qui compenserait tous les affronts qu’il pourrait subir de son vivant. La thèse est intéressante, mais pourquoi la développer à un malheureux prisonnier qui attend avec anxiété son arrêt ? Les subtilités de la rhétorique chinoise nous paraissent autoriser la réponse suivante : Se-ma Ts’ien invoque son propre exemple pour prouver à Jen Ngan qu’il ne saurait se soustraire au châtiment ; il lui fait voir qu’en se tuant de sa propre main il évitera les humiliations qui le menacent ; si cette lettre a une portée pratique véritable, ce ne peut être que celle d’inviter Jen Ngan au suicide pour ne pas subir un supplice infamant. Nous ne savons pas la date exacte de la mort de Se-ma Ts’ien ; le seul moyen que nous ayons de la fixer par approximation, c’est de rechercher dans son ouvrage quels sont les derniers événements dont il fait mention ; mais cette investigation est sujette à caution pour deux raisons : en premier lieu les interpolations assez nombreuses qui se sont introduites dans le texte dés Mémoires historiques peuvent nous donner le change ; ainsi, de ce que le rhéteur Yang Hiong qui vivait de 53 avant J.-C. à 18 après J.-C. est cité à la fin du chapitre CVII, on ne peut évidemment conclure que Se-ma Ts’ien vécut jusqu’au commencement du Ie siècle de notre ère ; si le caractère apocryphe du passage est ici aisé à découvrir, il est d’autres cas qui sont moins faciles à surprendre et c’est pourquoi on ne peut arguer de telle ou telle phrase de l’oeuvre pour établir que Se-ma Ts’ien dut vivre jusqu’après telle ou telle date. Nous avons cependant un moyen de nous sortir jusqu’à un certain point d’incertitude : les Chinois ont la coutume de décerner aux empereurs un titre posthume ; si donc Se-ma Ts’ien a vécu plus longtemps que l’empereur Ou, il l’appellera par son titre posthume, c’est-à-dire « l’empereur Ou », tandis que, s’il est mort avant que ce titre posthume lui eût été décerné, soit avant l’an 86 avant J.-C., il l’appellera « le présent Fils du ciel ». Mais ici nous rencontrons la seconde difficulté ; c’est à savoir que les Mémoires historiques sont une oeuvre trop considérable pour avoir été composée tout entière à la même époque ; ainsi, à la fin du Traité sur les sacrifices fong et chan, Se-ma Ts’ien nous donne une indication d’où il résulte qu’il écrit en l’an 99 avant notre ère XLIV-1 ; or plusieurs parties de son travail sont bien postérieures à cette date ; c’est pourquoi, tandis que dans certains chapitres des Mémoires historiques l’empereur est appelé « le présent Fils du ciel », il est admissible que dans d’autres passages il reçoive son titre posthume « Ou-ti ». Il reste donc à déterminer si les textes où nous rencontrons ce titre sont bien dus à Se-ma Ts’ien lui-même. A vrai dire, nous ne pouvons invoquer ici les Annales fondamentales de l’empereur Ou, car ce chapitre n’est que la reproduction d’une partie du Traité sur les sacrifices fong et chan où une main indiscrète a précisément changé l’expression « le présent Fils du ciel» pour la remplacer par le nom de « Ou-ti » ; mais dans d’autres passages XLV-1 nous relevons ce titre posthume sans que rien puisse nous donner à croire que nous sommes en présence d’une interpolation. La conclusion à laquelle nous arrivons est donc celle-ci : Se-ma Ts’ien dut mourir au commencement du règne de l’empereur Tchao (86-74 av. J.-C), mais il avait achevé en partie la rédaction de son grand oeuvre dès l’année 99 avant notre ère.

Après Se-ma Ts’ien la famille Se-ma est encore mentionnée plusieurs fois dans l’histoire chinoise. Au temps de Wang Mang (9-22 ap. J.-C), on proposa que le descendant de Se-ma Ts’ien fût ennobli sous le titre de « vicomte de la pénétration historique » XLV-2.

De l’an 265 à l’an 419 de notre ère des membres de la famille Se-ma occupèrent le trône de Chine sous le nom de dynastie Tsin. La généalogie de ces empereurs remonte jusqu’à Se-ma Ang XLV-3 que Se-ma Ts’ien mentionne dans son autobiographie, mais en remarquant qu’il était d’une autre branche que la sienne : dès le temps de la dynastie Tcheou, les Se-ma s’étaient divisés en trois ramifications qui s’établirent, l’une dans le pays de Wei, la seconde dans le pays de Tchao, la troisième dans le pays de Ts’in ; c’est de cette dernière que descend Se-ma Ts’ien, tandis que les empereurs Tsin se rattachent à celle du pays de Tchao.

Au temps des Tsin, deux rejetons de la famille Se-ma se distinguèrent par leurs travaux littéraires ; le premier, Se-ma Piao, dont l’appellation est Chao-t’ong, composa une suite du Livre des Han XLVI-1 en 80 chapitres et fit, en se fondant sur les Annales écrites sur bambou, une critique de l’Examen des anciens historiens XLVI-2 que Ts’iao Tcheou avait publié dans la seconde moitié du IIIe siècle de notre ère. Se-ma Piao mourut dans les premières années du IVe siècle XLVI-3. L’autre auteur qui, à vrai dire, paraît n’avoir été écrivain que par occasion, est Se-ma Ou-ki, dont l’appellation est Kong-cheou, roi du pays de Ts’iao, qui mourut en l’an 350 de notre ère. Il avait composé un arbre généalogique de la famille Se-ma XLVI-4.

Enfin, à l’époque des T’ang, il faut citer Se-ma Tcheng ; il vivait au temps de la période k’ai yuen (713-741) et a laissé un commentaire des Mémoires historiques XLVI-5.




XXIII-1. Chinese Reader’s Manual, n° 660.

XXIV-1. Mémoires historiques, chap. cxxx, p. 4 r° ; — dans la lettre à Jen Ngan (Appendice I), on lit aussi : « J’ai eu le malheur de perdre de bonne heure mon père et ma mère. ;>

XXIV-2. Mémoires historiques, chap. cxxx, p. 4 ro.

XXIV-3. 十七史商榷 , chap. i, p. 3 v°.

XXIV-4. L'appellation de Se-ma Ts’ien n’est pas indiquée dans le chap. LXII de l’Histoire des Han antérieurs qui n’est d’ailleurs que la reproduction presque textuelle du chap. CXXX des Mémoires historiques. L’ouvrage le plus ancien où nous trouvions cette appellation est le Fa yen 法言 de Yang Hiong (53 av. J.-C.-18 ap. J.-C.) ; au chap. V de ce livre (qui fait partie de la collection intitulée Han Wei ts’ong chou),
on lit : Se-ma 子長有言曰 . Les commentateurs P’ei Yn et Tchang Cheou-kié nous donnent le même renseignement. Cf. Wang Ming-cheng : Che ts’i che chang kio, chap. 1, p. 2 r°.

XXV-1. C’est une coutume assez fréquente en Chine de designer un auteur par son lieu de naissance et c’est pourquoi Long-men, dans certains textes, désigne Se-ma Ts’ien lui-même. — Tchang Cheou-kié dit que Se-ma Ts’ien était originaire du Tso-p’ing-i ( 左馮翊 ) ; le Tso-p’ing-i était, au temps des Han, la commanderie ( 郡 ) dans laquelle se trouvait Long-men. — Enfin Ma Toan-lin {Wen hien t’ong k’ao, chap. CXCI) dit que Se-ma Ts’ien était originaire de Hia-yang ( 夏陽 ). Hia-yang était une sous-préfecture située à lO kilomètres environ au sud de l’actuel Han-tch’eng ( 韓城 ) et c’est dans le territoire de cette sous-préfecture qu’était la montagne Long-men. C’est par erreur que tous les sinologues européens, à la suite de Mayers, placent le lieu de naissance de Se-ma Ts’ien dans le Ho-nan.

XXV-2 Mémoires historiques, eh. cxxx, p. 1 v° : « Tous sont enterrés à Kao-men 高門 ». D’après le Kouo ti tche, Kao-men était à 9 kilomètres environ au sud-ouest de Han-tch’eng.

XXVI-1. a) Mémoires historiques, chap. CXXX, p. 3 : « A l’âge de vingt ans, il parcourut dans le sud les régions du Kiang ( 江 ) et du Hoai ( 淮 ) ; il monta sur la montagne Koei-tsi ( 會稽 ) et il explora la caverne de Yu ( 禹 ) ; il visita la montagne des Neuf doutes ( 九疑 ); il navigua sur les rivières Yuen ( 沅 ) et Siang ( 湘 ). Au nord, il franchit les rivières Wen ( 汶 ) et Se ( 泗 ). Il se livra à l'étude dans les capitales de Ts'i ( 齊 ) et de Lou ( 魯 ) ; il observa les usages laissés par K'ong-tse ( 孔子 ) ; il prit part au tir municipal sur la montagne I ( 嶧 ) près de la ville de T'séou ( 鄒 ). Il se trouva dans une situation difficile à P'i ( 鄱 ), à Sié ( 薜 ) et à P'ong-Tch'eng ( 彭城 ). Il revint en passant par les pays de Leang ( 梁 ) et de
Tch’ou ( 楚 ). Alors (Se-ma) Ts’ien fut nommé secrétaire ( 郎中 ) ; il reçut l’ordre d’aller dans l’ouest régler l’administration des pays au sud de Pa ( 巴 ) et de Chou ( 蜀 ) ; il parcourut les pays de K'iong ( 卭 ), de Tso ( 笮 ) et de Koen-ming ( 昆明 ) ; à son retour, il fit un rapport sur sa mission. »

On peut grouper autour de ce texte fondamental d’autres passages qui le complètent :

b) Mémoires historiques, chap. LXXXIV, p. 6 r° : « J’ai été à Tch’ang-cha ( 長沙 )et j’ai vu la crique où K’iu Y’uen ( 屈原 ) s’est noyé. »

c) Mémoires historiques, chap. LXI, p. 1 v° : « Je suis monté sur la montagne Ki ( 箕 ) ; sur le sommet, il y a la tombe de Hiu Yeou ( 許由 )

d) Mémoires historiques, chap. LXXVIII, p. 4 T° : « Le duc grand astrologue dit : Je suis allé dans le pays de Tch’ou ( 楚 ) : j’y ai vu les anciens remparts et les palais du prince de Tch’oen-chen ( 春申 ) : ils étaient vraiment magnifiques. »

e) Mémoires historiques, chap. XCV, p, 7 r° : « Le duc grand astrologue dit : Je suis allé à Fong ( 豐 ) et à P’ei ( 沛 ), J’ai interrogé les vieillards qui y étaient restés. J’ai vu les anciennes familles de Siao, de Ts’ao, de Fan’K’oai et du duc T’eng et ce qu’elles avaient l’habitude de faire. »

f) Mémoires historiques, chap. XLVII, p. 12 v° : Récit de la visite de Se ma Ts’ien au temple de Confucius. Ce texte sera cité plus loin.

g) Mémoires historiques, chap. XCII, p. 7 v° : « Je suis allé dans le pays de Hoai-yn ( ( 淮陰 ) aujourd’hui Hoai-ngan-fou, province de Kiang-sou). »

h) Mémoires historiques, chap. LXXVII, p. 3 v° : « J’ai traversé la région montagneuse de Ta-leang ( 大梁 ), capitale de l’ancien royaume de Wei, au nord-ouest de la préfecture de K’ai-fong, province de Ho-nan). » Cf. chap. XLIV, p. 9 r°.

i) Mémoires historiques, chap. LIXV, p. 5 r° : « Le duc grand astrologue dit : J’ai autrefois passé dans le pays de Sié ( 薜 ) ; c’est l'habitude dans les bourgs et les villages que des bandes de garnements hardis et effrontés se réunissent ; ces moeurs diffèrent de celles de Tseou ( 鄒 ) et de Lou ( 魯 ).»

j) Mémoires historiques, chap. XXIX, p. 3 v° : « Le duc grand astrologue dit : Au sud, je suis monté sur la montagne Lou ( 廬 ) ; j’ai vu comment Yu { 禹 ) avait fait couler les neuf Fleuves ( 九江 ) ; puis je me rendis à Koei-tsi ( 會稽 ) et à T’ai-hoang { 太湟 ) ; je suis monté sur le Kou-sou ( 姑蘇 ) et j’ai vu de loin les cinq lacs ( 吾湖 ). A l’est, j’ai considéré le tournant de la rivière Lo ( 洛 ) et le Ta-p’ei ( 大邳 ) : je me suis rendu vers le fleuve ; j’ai parcouru les canaux du Hoai ( 淮 ), du Se ( 泗 ), du Tsi ( 濟 ), du T’o ( 漯 ) et du Lo ( 洛 ). A l’ouest, j’ai contemplé dans le pays de Chou ( ) la montagne Min ( 岷 ) et les monts Li et Toei ( 離 碓 ). Au nord, j’ai été de Long-men ( 龍門 ) au Chouo-fang ( 朔方 ) »

k) Mémoires historiques, chap. 1, p. 13 r°. Autrefois j’ai été vers l’ouest jusqu’à (la montagne) K’ong-t’ong ( 空侗 ) ; au nord, j’ai traversé Tchouo-lou ( 涿鹿 ) ; à l’est, je me suis avancé graduellement jusqu’à la mer ; au sud, j’ai navigué sur le Kiang ( 江 )et le Hoai ( 淮 ). »

l) Mémoires historiques, chap. LXXXVIII, p 2 v° : « Le duc grand astrologue dit : Je me suis rendu à la frontière du nord ; en revenant par le droit chemin, j’ai vu sur ma route le grand mur, les corps de garde et les postes qu’avait construits Mong T'ien ( 蒙恬 ) pour le compte de Ts’in ( 秦 ). »

XXIX-1. Comme on le verra dans les notes au chapitre II des Mémoires historiques (p. 121, note 4), les neuf Fleuves paraissent avoir été dans la région du lac Tong-t'ing plutôt que dans celle du lac Po-yang.

XXX-1. Mémoires historiques, chap. CXXI, p. 1 : « Mais, dans les écoles de Ts’i et de Lou, ceux qui étudiaient furent les seuls à ne pas se relâcher (au temps des royaumes combattants)… (Pendant les troubles qui précédèrent l’avènement de la dynastie Han), tous les lettrés du pays de Lou continuèrent leurs explications et leurs récitations et s’exercèrent aux rites et à la musique. Les sons des instruments à cordes et des chants ne s’interrompirent point. Cela n’est-il pas un principe de réformation laissé par des sages, n’est-ce pas là un royaume qui chérissait les rites et la musique ? … Depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, l’application à l’étude des lettres dans les pays de Ts’i et de Lou est une nature que leur a donnée le Ciel. C’est pourquoi quand les Han triomphèrent, les lettrés pour la première fois purent restaurer leurs livres et leurs arts. Ils expliquèrent et pratiquèrent les rites du grand tir à l’arc et du banquet de village. »

XXXII-1. Cf. p. 26, note 1, texte k.

XXXII-2. Cf. p. 26, note 1, texte l.

XXXII-3. Mémoires historiques, chap. LXXXVIII, p. 1 r°.

XXXIII-1. Cf. p. XXVI, note 1, texte j, ad fin.

XXXIII-2. Mémoires historiques, chap. CXXX, p. 4 r° : « Trois ans après la mort (de Se-ma T’an), Se-ma Ts’ien devint grand astrologue ; il compila les mémoires des historiens ainsi que les écrits de la chambre de pierre et de l’armoire de fer (c’est-à-dire des archives officielles). Cinq ans après, ce fut la première année t’ai tch’ou (104 av. J.-C) ; la onzième lune, au jour kia tse qui était le premier de la lune et sur lequel tombait le solstice d’hiver, le calendrier céleste pour la première fois fut changé ; ou l’institua dans le Ming-t’ang ; tous les dieux en reçurent la règle. » — On remarquera que Se-ma Tan mourut en l’an 110 et que le nouveau calendrier fut constitué en l’an 104 ; si l’on compte, suivant la coutume chinoise, l’année initiale et l’année finale, il s’est écoulé, de l’une à l’autre date, sept ans. Or, d’autre part, le texte que nous venons de citer dit que Se-ma Ts’ien fut nommé grand astrologue trois ans après la mort de son père et que cinq ans plus tard on changea le calendrier ; si l’on devait prendre ce passage au pied de la lettre, il y aurait donc eu un espace de huit ans entre les deux événements ; mais toute difficulté disparaît si l’on considère que les trois ans dont il est ici question ne sont en réalité que les vingt-sept mois du deuil obligatoire, et ne font qu’un peu plus de deux ans.

XXXV-1. Ts’ien Han chou, chap. XXI, Lu li-tche, 1ère partie, p. 11 v°.

XXXVI-1. Ts’ien Han chou, chap. XX, Kiao-se tche, ad fin. : «Sous le règne de Hiao wen (179-157), on fit pour la première fois en été le sacrifice kiao ; cependant Tchang Ts’ang opina pour la vertu de l’eau. Kong-suen Tch’en et Kia I voulaient la changer contre la vertu de la terre ; mais en définitive ils ne purent démontrer leur dire. Au temps de Hiao-ou (140-87) il y eut une grande floraison des arts libéraux ; le calendrier t’ai tch’ou changea les règles ; alors Ni K’oan, Se-ma Ts’ien et d’autres reprirent la thèse de Kong-suen Tch’en et de Kia I. La couleur des vêtements, les nombres et les mesures devinrent conformes a la vertu du jauue : ces auteurs considéraient que la succession des cinq vertus suivait l’ordre de leurs défaites... Les Ts’in ayant eu la vertu de l’eau, ils disaient donc que les Han s’étaient appuyés sur la terre pour les vaincre. »

XXXVII-&. Si yu choei tao ki, publié en 1823, par Siu Song, chap. in, p. 1 v°.

XXXVII-2. Cette inscription est mentionnée dans le récit du voyage de Wang Yen-té de 981-983 (Stanislas Julien, Mélanges de géographie asiatique..., p. 90) et dans la grande géographie des Ming, au chapitre LXXXIX (Bretschneider, Mediaeval Researches, t. II, p. 178).

XXXVIII-1. Ts’ien Han chou, chap. LIV, p. 8 r°.

XXXVIII-2. Terme de mépris par lequel l’historien désigne les barbares.

XXXVIII-3. Titre que portait le chef Hiong-nou.

XXXIX-1. Ts’ien Han chou, chap. LIV, p. 8 r°.

XXXIX-2. C’est-à-dire le pays des Hiong-nou.

XXXIX-3. C’est-à-dire les Hiong-nou.

XL-1. Ts’ien Han chou, chap. LXII, p. 11 v° et chap. LIV, p. 9 r°.

XL-2. Mémoires historiques, chap. CXXX, p. 13 r°.

XLI-1. 中晝令 .

XLI-2. Ts’ien Han chou, chap. Lxit, p. 9 r°.

XLI-3. Wen hien t’ong k’ao, chap. LI, p. 1 r°.

XLI-4. Mayers, The Chinese government, n° 147.

XLI-5. Heou Han chou, chap. LX, 2e partie, p. 14 v° :昔武帝不殺司馬遷使作使作謗書流於後世.

XLII-1. On trouvera le texte de cette lettre dans le Ts’ien Han chou, chap. LXII, p. 9 et suiv. et dans le Wen siuen (voy. Wylie, Notes on Chinese literature, p. 192), chap. XLI. — Nous en avons donné la traduction dans l’Appendice I de cette Introduction.. — Quoique les critiques chinois n’aient fait aucune réserve sur l’authenticité de cette pièce, elle peut exciter quelques soupçons chez un esprit exigeant ; on y retrouve en effet un passage de la biographie de Li Ling et un passage de l’autobiographie de Se-ma Ts’ien ; la présence du premier texte ne prouverait à vrai dire pas grand’chose, car, cette lettre étant citée par l’Histoire des premiers Han, rien ne peut faire croire que la biographie de Li Ling lui soit antérieure et que ce ne soit pas au contraire le rédacteur de cette biographie qui a reproduit une partie de la lettre. Mais la présence du second passage est plus difficile à expliquer ; il faudrait admettre que Se-ma Ts’ien était un compilateur si invétéré qu’en écrivant à son ami il s’est copié lui-même. Cela n’est pas d’ailleurs absolument impossible et c’est pourquoi nous adoptons l’opinion admise en Chine que la lettre est authentique.

XLII-2. Ts’ien Han chou, chap. LXIII.

XLIV-1. Cf. ma traduction du Traité sur les sacrifices fong et chan , Péking, 1890, p. 93, note 1. La date de 98 est erronée.

XLV-1. Mémoires historiques, chap. CXI, p. 1 r° : « Kong-suen Ngao... servit Ou-ti ; la douzième année du règne de Ou-ti, il fut nommé général des cavaliers rapides. » —Ibid., p. 1 v° : « Li Ts’ai... servit Hiao wen ti, King-ti et Ou-ti. » — Ibid., p. 7 v° : « Tchao Sin..., la dix-septième année du règne de Ou-ti, fut nommé général de l'avant-garde. ) »

XLV-2. Ts’ien Han chou, chap. LXII, p. 14 r°. 史通子 .

XLV-3. Tsin chou, chap. I. Voici la généalogie des empereurs Tsin (nous remplaçons par un point chacune des générations dont le représentant reste ignoré) : Se-ma K’oai-wai... Se-ma Ang (vivait au temps de Ts’in Che-hoang-ti)...... Se-ma Kiun, Se-ma Leang, Se-ma Tsiuen, Se-ma I (qui a été canonisé sous le nom de Siuen Ti et est regardé

comme le premier empereur de la dynastie Tsin, quoiqu’il n’ait point régné).

XLVI-1. 續漢書 .

XLVI-2. 古史考 .

XLVI-3. La biographie de Se-ma Piao se trouve dans le chapitre LXXXII du livre des Tsin.

XLVI-4. Sur Se-ma Ou-ki, voyez le chapitre XXXVII du livre des Tsin. Son livre généalogique de la famille Se-ma ( 司馬氏世本 ) est cité par le commentaire de Tchang Cheou-tsie (Mémoires historiques, chap. CXXX, p. 1).

XLVI-5. Nous parlerons plus longuement de Se-ma Tcheng au chapitre V de cette Introduction.