Nord contre sud/Deuxième partie/11

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J. Hetzel (p. 356-367).

XI

les everglades


Une région à la fois horrible et superbe, ces Everglades. Situées dans la partie méridionale de la Floride, elles se prolongent jusqu’au cap Sable, dernière pointe de la péninsule. Cette région, à vrai dire, n’est qu’un immense marais presque au niveau de l’Atlantique. Les eaux de la mer l’inondent par grandes masses, lorsque les tempêtes de l’Océan ou du golfe du Mexique les y précipitent, et elles restent mélangées avec les eaux du ciel que la saison hivernale déverse en épaisses cataractes. De là, une contrée, moitié liquide, moitié solide, dont l’habitabilité est presque impossible.

Pour ceinture, ces eaux ont des cadres de sable blanc, qui en accusent vivement la couleur sombre, miroirs multiples où se réfléchit seulement le vol des innombrables oiseaux qui passent à leur surface. Elles ne sont pas poissonneuses, mais les serpents y pullulent.

Il ne faudrait pas croire, cependant, que le caractère général de cette région soit l’aridité. Non, et c’est précisément à la surface des îles, baignées par les eaux malsaines des lacs, que la nature reprend ses droits. La malaria est, pour ainsi dire, vaincue par les parfums que répandent les admirables fleurs de cette zone. Les îles sont embaumées des odeurs de mille plantes, épanouies avec une splendeur qui justifie le poétique nom de la péninsule floridienne. Aussi est-ce en ces oasis salubres des Everglades que les Indiens nomades vont se réfugier pendant leurs haltes, dont la durée n’est jamais longue.

Lorsqu’on a pénétré de quelques milles sur ce territoire, on trouve une assez vaste nappe d’eau, le lac Okee-cho-bee, situé un peu au-dessous du vingt-septième parallèle. C’était dans un angle de ce lac que gisait l’île Carneral, où Texar s’était assuré une retraite inconnue, dans laquelle il pouvait défier toute poursuite.

Contrée digne de Texar et de ses compagnons ! Alors que la Floride appartenait encore aux Espagnols, n’est-ce pas là, plus particulièrement, que s’enfuyaient les malfaiteurs de race blanche, afin d’échapper à la justice de leur pays ? Mêlés aux populations indigènes, chez lesquelles se retrouve encore le sang caraïbe, n’ont-ils pas fait souche de ces Creeks, de ces Séminoles, de ces Indiens nomades, qu’il a fallu réduire par une longue et sanglante guerre, et dont la soumission, plus ou moins complète, ne date que de 1845 ?

L’île Carneral semble devoir être à l’abri de toute agression. Dans sa partie orientale, il est vrai, elle n’est séparée que par un étroit canal de la terre ferme — si l’on peut donner ce nom au marécage qui entoure le lac. Ce canal mesure une centaine de pieds qu’il faut franchir avec une barge grossière. Nul autre moyen de communication.

S’échapper de ce côté, passer à la nage, c’est impossible. Comment oserait-on se risquer à travers ces eaux limoneuses, hérissées de longues herbes enlaçantes et qui fourmillent de reptiles ?

Au delà se dresse la cyprière, avec ses terrains à demi submergés qui n’offrent que d’étroits passages, très difficiles à reconnaître. Et, en outre, que d’obstacles ! un sol argileux qui s’attache au pied comme une glu, des troncs énormes jetés en travers, une odeur de moisissure qui suffoque ! Là poussent aussi de redoutables plantes, des phylacies, dont le contact est plus venimeux que celui des chardons, et, surtout, des milliers de ces « pézizes », champignons gigantesques qui sont explosifs comme s’ils renfermaient des charges de fulmi-coton ou de dynamite. En effet, au moindre choc, il se produit une violente détonation. En un instant, l’atmosphère s’emplit de volutes rougeâtres. Cette poussière de spores ténues prend à la gorge et engendre une éruption de brûlantes pustules. Il n’est donc que prudent d’éviter ces végétations malfaisantes, comme on évite les plus dangereux animaux du monde tératologique.

L’habitation de Texar n’était rien de plus qu’un ancien wigwam indien, construit en paillis sous le couvert de grands arbres, dans la partie orientale de l’île. Entièrement caché au milieu de la verdure, on ne pouvait l’apercevoir, même de la rive la plus proche. Les deux limiers le gardaient avec autant de vigilance qu’ils gardaient le blockhaus de la Crique-Noire. Instruits autrefois à donner la chasse à l’homme, ils auraient mis en pièces quiconque se fût approché du wigwam.

C’était là que, depuis deux jours, Zermah et la petite Dy avaient été conduites. Le voyage, assez facile en remontant le cours du Saint-John jusqu’au lac Washington, était devenu très rude à travers la cyprière, même pour des hommes vigoureux, habitués à ce climat malsain, accoutumés aux longues marches au milieu des forêts et des marécages. Que l’on juge de ce qu’avaient dû souffrir une femme et une enfant ! Zermah était forte, cependant, courageuse et dévouée. Pendant tout ce trajet, elle portait Dy, qui eût vite usé ses petites jambes à faire ces longues étapes. Zermah se fût traînée sur les genoux pour lui épargner une fatigue. Aussi était-elle à bout de forces, quand elle arriva à l’île Carneral.

Et maintenant, après ce qui s’était passé au moment où Texar et Squambô l’entraînaient hors de la Crique-Noire, comment n’eût-elle pas désespéré ? Si elle ignorait que le billet remis par elle au jeune esclave était tombé entre les mains de James Burbank, du moins savait-elle qu’il avait payé de sa vie l’acte de dévouement qu’il voulait accomplir pour la sauver. Surpris au moment où il cherchait à quitter l’îlot pour se rendre à Camdless-Bay, il avait été frappé mortellement. Et alors la métisse se disait que James Burbank ne serait jamais instruit de ce qu’elle avait appris du malheureux noir, c’est-à-dire que l’Espagnol et son personnel se préparaient à partir pour l’île Carneral. Dans ces conditions, comment parviendrait-on à se lancer sur ses traces ?

Zermah ne pouvait donc plus conserver l’ombre d’un espoir. En outre toute chance de salut allait s’évanouir au milieu de cette région dont elle connaissait, par ouï-dire, les sauvages horreurs. Elle ne le savait que trop ! Aucune évasion ne serait possible !

En arrivant, la petite fille se trouvait dans un état d’extrême faiblesse. La fatigue, d’abord, malgré les soins incessants de Zermah, puis l’influence d’un climat détestable, avaient profondément altéré sa santé. Pâle, amaigrie, comme si elle eût été empoisonnée par les émanations de ces marécages, elle n’avait plus la force de se tenir debout, à peine celle de prononcer quelques paroles, et c’était toujours pour demander sa mère. Zermah ne pouvait plus lui dire, comme elle le faisait pendant les premiers jours de leur arrivée à la Crique-Noire, qu’elle reverrait bientôt Mme Burbank, que son père, son frère, miss Alice, Mars, ne tarderaient pas à les rejoindre. Avec son intelligence si précoce et comme affinée déjà par le malheur depuis les scènes épouvantables de la plantation, Dy comprenait qu’elle avait été arrachée du foyer maternel, qu’elle était entre les mains d’un méchant homme, que si on ne venait pas à son secours, elle ne reverrait plus Camdless-Bay.

Maintenant, Zermah ne savait que répondre, et, malgré tout son dévouement, voyait la pauvre enfant dépérir.

Le wigwam n’était, on l’a dit, qu’une grossière cabane qui eût été très insuffisante pendant la période hivernale. Alors le vent et la pluie le pénétraient de toutes parts. Mais, dans la saison chaude, dont l’influence se faisait déjà sentir sous cette latitude, elle pouvait au moins protéger ses hôtes contre les ardeurs du soleil.

Ce wigwam était divisé en deux chambres d’inégale grandeur : l’une, assez étroite, à peine éclairée, ne communiquait pas directement avec l’extérieur et s’ouvrait sur l’autre chambre. Celle-ci, assez vaste, prenait jour par une porte ménagée sur la façade principale, c’est-à-dire sur celle qui regardait la berge du canal.

Zermah et Dy avaient été reléguées dans la petite chambre, où elles n’eurent à leur disposition que quelques ustensiles et une litière d’herbe qui servait de couchette.

L’autre chambre était occupée par Texar et l’Indien Squambô, lequel ne quittait jamais son maître. Là, pour meubles, il y avait une table avec plusieurs cruches d’eau-de-vie, des verres et quelques assiettes, une sorte d’armoire aux provisions, un tronc à peine équarri pour banc, deux bottes d’herbes pour toute literie. Le feu nécessaire à l’apprêt des repas, on le faisait dans un foyer de pierre disposé à l’extérieur, dans l’angle du wigwam. Il suffisait aux besoins d’une alimentation qui ne se composait que de viande séchée, de venaison dont un chasseur pouvait facilement s’approvisionner sur l’île, de légumes et de fruits presque à l’état sauvage — enfin de quoi ne pas mourir de faim.

Quant aux esclaves, au nombre d’une demi-douzaine, que Texar avait amenés de la Crique-Noire, ils couchaient dehors, comme les deux chiens, et, comme eux, ils veillaient aux abords du wigwam, n’ayant pour abri que les grands arbres, dont les basses branches s’entremêlaient au-dessus de leur tête.

Cependant, dès le premier jour, Dy et Zermah eurent la liberté d’aller et de venir. Elles ne furent point emprisonnées dans leur chambre, si elles l’étaient dans l’île Carneral. On se contentait de les surveiller — précaution bien inutile, car il était impossible de franchir le canal sans se servir de la barge que gardait sans cesse un des noirs. Pendant qu’elle promenait la petite fille, Zermah se fut bientôt rendu compte des difficultés que présenterait une évasion.


Deux noirs battaient la surface du canal.

Ce jour-là, si la métisse ne fut pas perdue de vue par Squambô, elle ne rencontra point Texar. Mais, la nuit venue, elle entendit la voix de l’Espagnol. Il échangeait quelques paroles avec Squambô, auquel il recommandait une surveillance sévère. Et bientôt, sauf Zermah, tous dormaient dans le wigwam.

Jusqu’alors, il faut le dire, Zermah n’avait pu tirer une seule parole de Texar. En remontant le fleuve vers le lac Washington, elle l’avait inutilement interrogé sur ce qu’il comptait faire de l’enfant et d’elle, allant même des supplications aux menaces.

Pendant qu’elle parlait, l’Espagnol se contentait de fixer sur elle ses yeux froids et méchants. Puis, haussant les épaules, il faisait le geste d’un homme qu’on importune et dédaignait de répondre.

Toutefois, Zermah ne se tenait pas pour battue. Arrivée à l’île Carneral, elle prit la résolution de se retrouver avec Texar, afin d’exciter sa pitié, sinon pour elle, du moins pour cette malheureuse enfant, ou, à défaut de pitié, de le prendre par l’intérêt.

L’occasion se présenta.

Le lendemain, pendant que la petite fille sommeillait, Zermah se dirigea vers le canal.

Texar se promenait en ce moment sur la rive. Il donnait, avec Squambô, quelques ordres à ses esclaves occupés d’un travail de faucardement pour dégager les herbes, dont l’accumulation rendait assez difficile le fonctionnement de la barge.

Pendant cette besogne, deux noirs battaient la surface du canal avec de longues perches, afin d’effrayer les reptiles dont les têtes se dressaient hors des eaux.

Un instant après, Squambô quitta son maître, et celui-ci se disposait à s’éloigner, lorsque Zermah alla droit à lui.

Texar la laissa venir, et, quand la métisse l’eut rejoint, il s’arrêta.

« Texar, dit Zermah d’un ton ferme, j’ai à vous parler. Ce sera la dernière fois, sans doute, et je vous prie de m’entendre. »

L’Espagnol, qui venait d’allumer une cigarette, ne répondit pas. Aussi Zermah, après avoir attendu quelques instants, reprit-elle en ces termes :

« Texar, voulez-vous me dire enfin ce que vous comptez faire de Dy Burbank ? »

Nulle réponse.

« Je ne chercherai pas, ajouta la métisse, à vous apitoyer sur mon propre sort. Il ne s’agit que de cette enfant dont la vie est compromise, et qui vous échappera bientôt… »

Devant cette affirmation, Texar fit un geste qui trahissait la plus absolue incrédulité.

« Oui, bientôt, reprit Zermah. Si ce n’est pas par la fuite, ce sera par la mort ! »

L’Espagnol, après avoir rejeté lentement la fumée de sa cigarette, se contenta de répondre :

« Bah ! La petite fille se remettra avec quelques jours de repos, et je compte sur tes bons soins, Zermah, pour nous conserver cette précieuse existence !

— Non, je vous le répète, Texar. Avant peu, cette enfant sera morte, et morte sans profit pour vous !

— Sans profit, répliqua Texar, quand je la tiens loin de sa mère mourante, de son père, de son frère, réduits au désespoir !

— Soit ! dit Zermah. Aussi êtes-vous assez vengé, Texar, et, croyez-moi, vous auriez plus d’avantages à rendre cette enfant à sa famille qu’à la retenir ici.

— Que veux-tu dire ?

— Je veux dire que vous avez assez fait souffrir James Burbank. Maintenant votre intérêt doit parler…

— Mon intérêt ?…

— Assurément, Texar, répondit Zermah en s’animant. La plantation de Camdless-Bay a été dévastée, Mme Burbank est mourante, peut-être morte au moment où je vous parle, sa fille a disparu, et son père chercherait vainement à retrouver ses traces. Tous ces crimes, Texar, ont été commis par vous, je le sais, moi ! J’ai le droit de vous le dire en face. Mais prenez garde ! Ces crimes se découvriront un jour. Eh bien, pensez au châtiment qui vous atteindra. Oui ! Votre intérêt vous commande d’avoir pitié. Je ne parle pas pour moi, que mon mari ne retrouvera plus à son retour. Non ! je ne parle que pour cette pauvre petite qui va mourir. Gardez-moi, si vous le voulez, mais renvoyez cette enfant à Camdless-Bay, rendez-la à sa mère. On ne vous demandera plus jamais compte du passé. Et même, si vous l’exigez, ce sera à prix d’or que l’on vous payera la liberté de cette petite fille. Texar, si je prends sur moi de vous parler ainsi, de vous proposer cet échange, c’est que je connais jusqu’au fond de leur cœur James Burbank et les siens. C’est qu’ils sacrifieraient, je le sais, toute leur fortune pour sauver cette enfant, et, j’en atteste Dieu, ils tiendront la promesse que vous fait leur esclave !

— Leur esclave ?… s’écria Texar ironiquement. Il n’y a plus d’esclaves à Camdless-Bay !

— Si, Texar, car, pour rester près de mon maître, je n’ai pas accepté d’être libre !

— Vraiment, Zermah, vraiment ! répondit l’Espagnol. Eh bien, puisqu’il ne te répugne pas d’être esclave, nous saurons nous entendre. Il y a six, ou sept ans, j’ai voulu t’acheter à mon ami Tickborn. J’ai offert de toi, de toi seule, une somme considérable, et tu m’appartiendrais depuis cette époque, si James Burbank n’était venu t’enlever à son profit. Maintenant, je t’ai et je te garde.

— Soit ! Texar, répondit Zermah, je serai votre esclave. Mais, cette enfant, ne la rendrez-vous pas ?…

— La fille de James Burbank, répliqua Texar avec l’accent de la plus violente haine, la rendre à son père ?… Jamais !

— Misérable ! s’écria Zermah que l’indignation emportait. Eh bien, si ce n’est pas son père, c’est Dieu qui l’arrachera de tes mains ! »

Un ricanement, un haussement d’épaules, ce fut toute la réponse de l’Espagnol. Il avait roulé une seconde cigarette qu’il alluma tranquillement au reste de la première, et il s’éloigna en remontant la rive du canal, sans même regarder Zermah.

Certes, la courageuse métisse l’aurait frappé comme une bête fauve au risque d’être massacrée par Squambô et ses compagnons, si elle avait eu une arme. Mais elle ne pouvait rien. Immobile, elle regardait les noirs travaillant sur la berge. Nulle part un visage ami, rien que des faces farouches de brutes qui ne semblaient plus appartenir à l’humanité. Elle rentra dans le wigwam pour reprendre son rôle de mère près de l’enfant qui l’appelait d’une voix faible.

Zermah essaya de consoler la pauvre petite créature qu’elle prit dans ses bras. Ses baisers la ranimèrent un peu. Elle lui fit une boisson chaude qu’elle prépara au foyer extérieur près duquel elle venait de la transporter. Elle lui donna tous les soins que lui permettaient son dénuement et son abandon. Dy la remerciait d’un sourire… Et quel sourire !… plus triste que n’eussent été des larmes !

Zermah ne revit pas l’Espagnol de toute la journée. Elle ne le recherchait plus d’ailleurs. À quoi bon ? Il ne reviendrait pas à d’autres sentiments, et la situation s’empirerait avec de nouvelles récriminations.

En effet, si jusqu’alors, pendant son séjour à la Crique-Noire et depuis son arrivée à l’île Carneral, les mauvais traitements avaient été épargnés à l’enfant comme à Zermah, elle avait tout à craindre d’un tel homme. Il suffisait d’un accès de fureur pour qu’il se laissât emporter aux dernières violences. Aucune pitié ne pouvait sortir de cette âme perverse, et, puisque son intérêt ne l’avait pas emporté sur sa haine, Zermah devait renoncer à tout espoir dans l’avenir. Quant aux compagnons de l’Espagnol, Squambô, les esclaves, comment leur demander d’être plus humains que leur maître ? Ils savaient quel sort attendait celui d’entre eux qui eût seulement témoigné un peu de sympathie. De ce côté, il n’y avait rien à espérer. Zermah était donc livrée à elle seule. Son parti fut pris. Elle résolut de tenter de s’enfuir dès la nuit suivante.

Mais de quelle façon ? Ne fallait-il pas que la ceinture d’eau qui entourait l’île Carneral fût franchie. Si, devant le wigwam, cette partie du lac n’offrait que peu de largeur, on ne pouvait pas, cependant, la traverser à la nage. Restait donc une seule chance : s’emparer de la barge pour atteindre l’autre bord du canal.

Le soir arriva, puis la nuit qui devait être très obscure, mauvaise même, car la pluie commençait à tomber et le vent menaçait de se déchaîner sur le marécage.

S’il était impossible que Zermah sortît du wigwam par la porte de la grande chambre, peut-être ne lui serait-il pas difficile de faire un trou dans le mur de paillis, de passer par ce trou, d’attirer Dy après elle. Une fois au-dehors, elle aviserait.

Vers dix heures, on n’entendait plus à l’extérieur que les sifflements de la rafale. Texar et Squambô dormaient. Les chiens, blottis sous quelque fourré, ne rôdaient même pas autour de l’habitation.

Le moment était favorable.

Tandis que Dy reposait sur la couche d’herbes, Zermah commença à retirer doucement la paille et les roseaux qui s’enchevêtraient dans le mur latéral du wigwam.

Au bout d’une heure, le trou n’était pas encore suffisant pour que la petite fille et elle pussent y trouver passage, et elle allait continuer de l’agrandir, quand un bruit l’arrêta soudain.

Ce bruit se produisait dehors au milieu de l’obscurité profonde. C’étaient les aboiements des limiers qui signalaient quelques allées et venues sur la berge. Texar et Squambô, subitement réveillés, quittèrent précipitamment leur chambre.

Des voix se firent alors entendre. Évidemment, une troupe d’hommes venait d’arriver sur la rive opposée du canal. Zermah dut suspendre sa tentative d’évasion, irréalisable en ce moment.

Bientôt, malgré les grondements de la rafale, il fut facile de distinguer des bruits de pas nombreux sur le sol.

Zermah, l’oreille tendue, écoutait. Que se passait-il ? La providence avait-elle pitié d’elle ? Lui envoyait-elle un secours sur lequel elle ne pouvait plus compter ?

Non, et elle le comprit. N’y aurait-il pas eu lutte entre les arrivants et les gens de Texar, attaque pendant la traversée du canal, cris de part et d’autre, détonations d’armes à feu ? Et rien de tout cela. C’était plutôt un renfort qui venait à l’île Carneral.

Un instant après, Zermah observa que deux personnes rentraient dans le wigwam. L’Espagnol était accompagné d’un autre homme qui ne pouvait être Squambô, puisque la voix de l’Indien se faisait encore entendre au-dehors, du côté du canal.

Deux hommes, cependant, étaient dans la chambre. Ils avaient commencé à causer en baissant la voix, lorsqu’ils s’interrompirent.

L’un d’eux, une lanterne à la main, venait de se diriger vers la chambre de Zermah. Celle-ci n’eut que le temps de se jeter sur la litière d’herbe, de manière à cacher le trou fait au mur latéral.

Texar — c’était lui — entrouvrit la porte, regarda dans la chambre, aperçut la métisse étendue près de la petite fille et qui semblait dormir profondément. Puis il se retira.

Zermah vint alors reprendre sa place derrière la porte qui avait été refermée.

Si elle ne pouvait rien voir de ce qui se passait dans la chambre, ni reconnaître l’interlocuteur de Texar, elle pouvait l’entendre. Et voici ce qu’elle entendit.