P’tit Bonhomme/Deuxième partie/Chapitre 1

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Hetzel (p. 227-240).

P’TIT-BONHOMME


DERNIÈRES ÉTAPES

I

leurs seigneuries


Lord Piborne, sans rien perdre de la correction de ses manières, souleva les divers papiers déposés sur la table de son cabinet, dérangea les journaux épars çà et là, tâta les poches de sa robe de chambre en peluche jaune d’or, fouilla celles d’un pardessus gris de fer, étendu au dos d’un fauteuil, puis, se retournant, accentua son regard d’un imperceptible mouvement de sourcil.

C’est de cette façon aristocratique, sans aucune autre contraction des traits du visage, que Sa Seigneurie manifestait ordinairement ses contrariétés les plus vives.

Une légère inclinaison du buste indiqua qu’il était sur le point de se baisser, afin de jeter un coup d’œil sous la table, recouverte jusqu’aux pieds d’un tapis à grosses franges ; mais, se ravisant, il daigna pousser le bouton d’une sonnette à l’angle de la cheminée.

Presque aussitôt John, le valet de chambre, parut sur le seuil de la porte et s’y tint immobile.

« Voyez si mon portefeuille n’est pas tombé sous cette table », dit lord Piborne.

John se courba, souleva l’épais tapis, se releva les mains vides.

Le portefeuille de Sa Seigneurie ne se trouvait point en cet endroit.

Second froncement du sourcil de lord Piborne.

« Où est lady Piborne ? demanda-t-il.

— Dans ses appartements, répondit le valet de chambre.

— Et le comte Ashton ?

— Il se promène dans le parc.

— Présentez mes compliments à Sa Seigneurie lady Piborne, en lui disant que je désirerais avoir l’honneur de lui parler le plus tôt possible. »

John tourna tout d’une pièce sur lui-même — un domestique bien stylé n’a point à s’incliner dans le service — et il sortit du cabinet, d’un pas mécanique, afin d’exécuter les ordres de son maître.

S. S. lord Piborne est âgé de cinquante ans — cinquante ans à joindre aux quelques siècles que compte sa noble famille, vierge de toute dérogeance ou forlignage. Membre considérable de la Chambre haute, c’est de bonne foi qu’il regrette les antiques privilèges de la féodalité, le temps des fiefs, rentes, alleux et domaines, les pratiques des hauts justiciers, ses ancêtres, les hommages que leur rendait sans restriction chaque homme lige. Rien de ce qui n’est pas d’une extraction égale à la sienne, rien de ce qui ne peut se recommander d’une telle ancienneté de race, ne se distingue, pour lui, des manants, roturiers, serfs et vilains. Il est marquis, son fils est comte. Baronnets, chevaliers ou autres d’ordre inférieur, c’est à peine, à son avis, s’ils ont droit de figurer dans les antichambres de la véritable noblesse. Grand, maigre, la face glabre, les yeux éteints tant ils se sont habitués à être dédaigneux, la parole rare et sèche, lord Piborne représente le type de ces hautains gentilshommes, moulés dans l’enveloppe de leurs vieux parchemins, et qui tendent à disparaître — heureusement — même de cet aristocratique royaume de Grande-Bretagne et d’Irlande.

Il convient d’observer que le marquis est d’origine anglaise, et qu’il ne s’est point mésallié en s’unissant à la marquise, laquelle est d’origine écossaise. Leurs Seigneuries étaient faites l’une pour l’autre, bien résolues à ne jamais descendre du haut de leur perchoir, et destinées vraisemblablement à laisser une lignée d’espèce supérieure. Que voulez-vous ? Cela tient à la qualité du limon d’où les premiers types de ces grandes races ont été tirés au début des temps historiques. Ils se figurent, sans doute, que Dieu met des gants pour les recevoir en son saint paradis !

La porte s’ouvrit, et, comme s’il se fût agi de l’entrée d’une haute dame dans les salons de réception, le valet de chambre annonça :

« Sa Seigneurie lady Piborne. »

La marquise — quarante ans avoués — grande, maigre, anguleuse, les cheveux plaqués en longs bandeaux, les lèvres pincées, le nez d’un aquilin très aristocratique, la taille plate, les épaules fuyantes — n’avait jamais dû être belle ; mais, en ce qui touche à la distinction du port et des manières, à l’entente des traditions et privilèges, lord Piborne n’aurait jamais pu se mieux assortir.

John avança un fauteuil armorié sur lequel s’assit la marquise, et il se retira.

Le noble époux s’exprima en ces termes :

« Vous m’excuserez, marquise, si j’ai dû vous prier de vouloir bien quitter vos appartements afin de m’accorder la faveur d’un entretien dans mon cabinet. »

Il ne faut pas s’étonner si Leurs Seigneuries échangent des phrases de cette sorte, même au cours des conversations privées. C’est de bon ton, d’ailleurs. Et puis, ils ont été élevés à l’école « poudre et perruque » de la gentry d’autrefois. Jamais ils ne consentiraient à s’abaisser aux familiarités de ce babil courant que Dickens a si plaisamment appelé « le perrucobalivernage ».

« Je suis à vos ordres, marquis, répondit lady Piborne. Quelle question désirez-vous m’adresser ?

— Celle-ci, marquise, en vous sollicitant de faire appel à vos souvenirs.

— Je vous écoute.

— Marquise, ne sommes-nous pas partis du château hier, vers trois heures de l’après-midi, pour nous rendre à Newmarket chez M. Laird, notre attorney ? »

L’attorney, c’est l’avoué qui fonctionne près les tribunaux civils du Royaume-Uni.

« En effet… hier… dans l’après-midi, répondit lady Piborne.

— Si j’ai bonne mémoire, le comte Ashton, notre fils, nous accompagnait dans la calèche ?

— Il nous accompagnait, marquis, et il occupait une place sur le devant.

— Les deux valets de pied ne se tenaient-ils pas derrière ?

— Oui, comme il convient.

— Cela dit, marquise, répliqua lord Piborne en approuvant d’un léger mouvement de tête, vous vous rappelez, sans doute, que j’avais emporté un portefeuille qui contenait les papiers relatifs au procès dont nous sommes menacés par la paroisse…

— Procès injuste qu’elle a l’audace et l’insolence de nous intenter ! ajouta lady Piborne, en soulignant cette phrase d’une intonation très significative.

— Ce portefeuille, reprit lord Piborne, renfermait non seulement des papiers importants, mais une somme de cent livres en banknotes destinée à notre attorney.

— Vos souvenirs sont exacts, marquis.

— Vous savez, marquise, la façon dont les choses se sont passées. Nous sommes arrivés à Newmarket sans avoir quitté la calèche. M. Laird nous a reçus sur le seuil de sa maison. Je lui ai montré les papiers, j’ai offert de déposer l’argent entre ses mains. Il nous a répondu qu’il n’avait pour l’instant besoin ni des uns ni de l’autre, ajoutant qu’il se proposait de se transporter au château, lorsque le temps serait venu de s’opposer aux prétentions de la paroisse…

— Prétentions odieuses, qui, autrefois, eussent été considérées comme attentatoires aux droits seigneuriaux… »

Et, en employant ces termes si précis, la marquise ne faisait que répéter une phrase dont lord Piborne s’était maintes fois servi en sa présence.

« Il s’ensuit donc, reprit le marquis, que j’ai conservé mon portefeuille, que nous sommes remontés en voiture, et que nous avons réintégré le château vers les sept heures, au moment où la nuit commençait à tomber. »

La soirée était obscure ; on n’était encore que dans la dernière semaine d’avril.

« Or, reprit le marquis, ce portefeuille que j’avais remis, je puis assurer, dans la poche gauche de ma pelisse, il m’est impossible de le retrouver.

— Peut-être l’avez-vous déposé en rentrant sur la table de votre cabinet ?

— Je le croyais, marquise, et j’ai vainement cherché parmi mes papiers…

— Personne n’est venu ici depuis hier ?…

— Si, John… le valet de chambre, dont il n’y a pas lieu de suspecter…

— Il est toujours prudent de tenir les gens en suspicion, répondit lady Piborne, quitte à reconnaître son erreur.

— Il serait possible, après tout, répartit le marquis, que ce portefeuille eût glissé sur une des banquettes de la calèche…

— Le valet de pied s’en fût aperçu, et à moins qu’il n’ait cru devoir s’approprier cette somme de cent livres…

— Les cent livres, dit lord Piborne, j’en ferais à la rigueur le sacrifice ; mais ces papiers de famille qui constituaient nos droits vis-à-vis de la paroisse…

— La paroisse ! » répéta lady Piborne.

Et l’on sentait que c’était le château qui parlait par sa bouche, en reléguant la paroisse au rang infime d’une vassale dont les revendications étaient aussi déplorables qu’irrespectueuses.

« Ainsi, reprit-elle, si nous venions à perdre ce procès… contre toute justice…

— Et nous le perdrions, sans aucun doute, affirma lord Piborne, faute de pouvoir produire ces actes…

— La paroisse entrerait en possession de ces mille acres de bois, qui confinent au parc et font partie du domaine des Piborne depuis les Plantagenêts ?…

— Oui, marquise.

— Ce serait abominable !…

— Abominable, comme tout ce qui menace la propriété féodale en Irlande, ces revendications des home-rulers, cette rétrocession des terres aux paysans, cette rébellion contre le landlordisme !… Ah ! nous vivons à une singulière époque, et, si le lord lieutenant n’y met bon ordre en faisant pendre les principaux chefs de la ligue agraire, je ne sais, ou plutôt je ne sais que trop comment les choses finiront… »

En ce moment, la porte du cabinet s’ouvrit, et un jeune garçon parut sur le seuil.

« Ah ! c’est vous, comte Ashton ? » dit lord Piborne.

Le marquis et la marquise n’eussent jamais négligé de donner ce titre à leur fils, lequel aurait cru manquer à tous les devoirs de sa naissance s’il n’eût répondu :

« Je vous souhaite le bonjour, mylord mon père ! »

Puis il s’avança vers milady sa mère, dont il baisa cérémonieusement la main.

Ce jeune gentleman de quatorze ans avait une figure régulière, d’une insignifiance rare, et une physionomie qui, même avec les années, ne devait gagner ni en vivacité ni en intelligence. C’était bien le produit naturel d’un marquis et d’une marquise arriérés de deux siècles, réfractaires à tous les progrès de la vie moderne, véritables torys d’avant Cromwell, deux types irréductibles. L’instinct de race faisait qu’il se tenait assez convenablement, ce garçon, qu’il restait comte jusqu’au bout des ongles, quoiqu’il eût été gâté par la marquise, et que les serviteurs du château fussent stylés à satisfaire ses moindres caprices. En réalité, il ne possédait aucune des qualités de son âge, ni les bons mouvements de prime-saut, ni les vivacités du cœur, ni l’enthousiasme de la jeunesse.

C’était un petit monsieur élevé à ne voir que des inférieurs parmi ceux qui l’approchaient, peu pitoyable aux pauvres gens, très instruit déjà des choses de sport, équitation, chasse, courses, jeux de croquet ou de tennis, mais d’une ignorance à peu près complète, malgré la demi-douzaine d’instituteurs qui avaient accepté l’inutile tâche de l’instruire.

Le nombre de ces jeunes gentlemen de haute naissance, destinés à être un jour de parfaits imbéciles, d’une parfaite distinction d’ailleurs, montre certainement une tendance à se restreindre. Cependant il en existe encore, et le comte Ashton Piborne était de ceux-là.

La question du portefeuille lui fut exposée. Il se rappelait que mylord son père tenait ledit portefeuille à la main à l’instant où il
John souleva le tapis. (Page 228.)}}

quittait la maison de l’attorney, et qu’il l’avait placé, non dans la poche de sa pelisse, mais sur un des coussins, derrière lui, au départ de Newmarket.

« Vous êtes sûr de ce que vous dites là, comte Ashton ?… demanda la marquise.

— Oui, milady, et je ne crois pas que le portefeuille ait pu tomber de la voiture.

« Que Sa Seigneurie m’excuse… » (Page 235.)

— Il résulterait de là, dit lord Piborne, qu’il s’y trouvait encore, lorsque nous sommes arrivés au château…

— D’où il faut conclure qu’il a été soustrait par un des domestiques », ajouta lady Piborne.

Ce fut tout à fait l’avis du comte Ashton. Il n’accordait pas la moindre confiance à ces drôles, qui sont des espions quand ils ne sont pas des voleurs — les deux le plus souvent — et que l’on devrait avoir le droit de fustiger comme autrefois les serfs de la Grande-Bretagne. (Où prenait-il que la Grande-Bretagne avait jamais eu des serfs ?) Et son vif regret était que le marquis et la marquise n’eussent pas affecté un valet de chambre à son service particulier, ou tout au moins un groom. En voilà un qui pourrait s’attendre à être corrigé de main de maître, etc…

C’était parler, cela, et, pour tenir un semblable langage, reconnaissons qu’il faut avoir du vrai sang des Piborne dans les veines !

Bref, la conclusion de l’entretien fut que le portefeuille avait été volé, que le voleur n’était autre qu’un des domestiques, qu’il convenait d’ouvrir une enquête, et que ceux sur lesquels pèserait le plus mince soupçon seraient sur l’heure livrés au constable, puisque lord Piborne n’avait plus le droit de haute et basse justice.

Là-dessus, le comte Ashton pressa le bouton d’une sonnette, et, quelques instants après, l’intendant se présentait devant Leurs Seigneuries.

Un vrai type de chattemite, M. Scarlett, intendant de lord Piborne, un de ces individus papelards et patelins, faisant le bon apôtre et cordialement détesté de toute la domesticité du château. Confit en manières mielleuses, en mines hypocrites, c’est mielleusement et hypocritement qu’il malmenait ses inférieurs, sans colère, sans arrogance, les caressant avec des griffes.

En présence du marquis, de la marquise, du comte Ashton, il avait l’air modeste d’un bedeau paroissial en face de son curé.

On lui narra l’affaire. Le portefeuille, à n’en pas douter, avait été déposé sur les coussins de la voiture, et on aurait dû le retrouver à cette place.

Ce fut l’avis de M. Scarlett, puisque c’était l’avis de lord et de lady Piborne. À l’arrivée de la voiture, lorsqu’il se tenait respectueusement près de la portière, l’obscurité l’avait empêché de voir si le portefeuille était placé à l’endroit indiqué par le marquis.

Peut-être M. Scarlett allait-il suggérer l’idée que ledit portefeuille avait pu glisser sur la route… De quoi il s’abstint. Cela eût impliqué un défaut d’attention de lord Piborne. Se gardant donc de formuler son soupçon, il se contenta de faire observer que le portefeuille devait contenir des papiers d’une haute valeur… Et cela n’allait-il pas de soi, puisqu’il appartenait… puisqu’il avait l’honneur d’appartenir à un personnage aussi important que le châtelain ?

« Il est de toute évidence, affirma celui-ci, qu’une soustraction a été commise…

— Nous dirons un vol, si Sa Seigneurie veut bien le permettre, ajouta l’intendant.

— Oui, un vol, monsieur Scarlett, et le vol non seulement d’une somme d’argent assez considérable, mais de papiers constatant les droits de notre famille vis-à-vis de la paroisse ! »

Et qui n’a pas vu la physionomie de l’intendant, à la pensée que la paroisse osait exciper de ses droits contre la noble maison des Piborne — abomination qui n’eût jamais été possible au temps où les privilèges de la naissance étaient universellement respectés — non ! qui n’a pas observé l’attitude indignée de M. Scarlett, le tremblement de ses mains à demi levées vers le ciel, ses yeux baissés vers la terre, ne saurait imaginer à quel degré de perfection un cafard peut atteindre dans l’art des grimaces.

« Mais si le vol a été commis… dit-il enfin.

— Comment… s’il a été commis ?… répliqua la marquise d’un ton sec.

— Que Sa Seigneurie m’excuse, se hâta d’ajouter l’intendant, je veux dire… puisqu’il a été commis, il n’a pu l’être…

— Que par quelqu’un de nos gens ! répondit le comte Ashton, en brandissant le fouet qu’il tenait à la main d’une façon tout à fait féodale.

— Monsieur Scarlett, reprit le comte Piborne, voudra bien commencer une enquête, afin de découvrir le ou les coupables, et, sur la foi d’un « affidavit »[1], requérir l’intervention de la justice, puisqu’il n’est plus permis de l’exercer sur son propre domaine !

— Et si l’enquête n’aboutit pas, demanda l’intendant, quel parti prendra Sa Seigneurie ?

— Tous les gens du château seront congédiés, monsieur Scarlett, tous ! »

Sur cette réponse, l’intendant se retira, au moment où la marquise regagnait ses appartements, tandis que le comte Ashton allait rejoindre ses chiens dans le parc.

M. Scarlett dut s’occuper aussitôt de la tâche qui lui était imposée. Que le portefeuille fût tombé hors de la voiture pendant le trajet de Newmarket au château, cela ne faisait pas doute pour lui. C’était par trop évident, quoique cela fît ressortir la négligence de lord Piborne. Mais, puisque ses maîtres exigeaient de lui qu’il constatât un vol, il le constaterait… qu’il découvrît un voleur, il le découvrirait… dût-il mettre les noms de tous les domestiques dans son chapeau et rendre responsable du crime le premier sortant.

Donc, valets de pied, valets de chambre, femmes de service, chef de cuisine, cochers, garçons d’écurie, durent comparaître devant l’intendant. Il va sans dire qu’ils protestèrent de leur innocence, et, bien que M. Scarlett eût son opinion faite à ce sujet, il ne leur épargna pas ses insinuations les plus malveillantes, menaçant de les livrer aux constables si le portefeuille ne se retrouvait pas. Non seulement une somme de cent livres avait été volée, mais le ou les voleurs avaient également soustrait un acte authentique, qui établissait les droits de lord Piborne dans le procès pendant… Et pourquoi quelque serviteur n’aurait-il pas trahi son maître au profit de la paroisse ?… Qui prouvait qu’il n’avait pas été soudoyé pour faire le coup ?… Eh bien ! que l’on parvînt à mettre la main sur ce malfaiteur, il serait trop heureux d’en être quitte pour un transport aux pénitenciers de l’île Norfolk… Lord Piborne était puissant, et, de voler un seigneur tel que lui, autant dire que c’eût été voler un membre de la famille royale…

M. Scarlett en conta de cette sorte à tous ceux qui subirent son interrogatoire. Par malheur, nul ne voulut condescendre à s’avouer l’auteur du crime, et, après avoir achevé sa minutieuse enquête, l’intendant s’empressa d’informer lord Piborne qu’elle n’avait donné aucun résultat.

« Ces gens s’entendent, déclara le marquis, et qui sait même s’ils ne se sont pas partagé le produit du vol ?…

— Je crois que Sa Seigneurie a raison, répliqua M. Scarlett. À toutes les demandes que j’ai posées il a été fait une réponse identique. Cela démontre d’une manière suffisante qu’il y a entente commune entre ces gens.

— Avez-vous visité leurs chambres, leurs armoires, leurs malles, Scarlett ?

— Pas encore. Sa Seigneurie sera d’avis, sans doute, que je ne saurais le faire efficacement sans la présence du constable…

— C’est juste, répondit lord Piborne. Envoyez donc un homme à Kanturk… ou mieux… allez-y vous-même. J’entends que personne ne puisse quitter le château avant la fin de l’enquête.

— Les ordres de Sa Seigneurie seront exécutés.

— Le constable ne négligera pas d’amener quelques agents avec lui, monsieur Scarlett…

— Je lui transmettrai le désir de Sa Seigneurie, et il ne manquera pas d’y satisfaire.

— Vous irez aussi prévenir mon attorney, M. Laird, à Newmarket, que je dois m’entretenir avec lui au sujet de cette affaire, et que je l’attends au château.

— Il sera prévenu aujourd’hui.

— Vous partez ?…

À l’instant. Je serai de retour avant ce soir.

— Bien ! »

Cela se passait le 29 avril, dans la matinée. Sans rien dire à personne de ce qu’il allait faire à Kanturk, M. Scarlett ordonna de lui seller un des meilleurs chevaux de l’écurie, et il se préparait à le monter, lorsque le son d’une cloche retentit à la porte de service, près de l’habitation du concierge.

La porte s’ouvrit, et un enfant d’une dizaine d’années parut sur le seuil.

C’était P’tit-Bonhomme.


  1. Attestation sous la foi du serment ou déposition écrite.