Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/183

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Je refuse d’un cœur la vaste complaisance
Qui ne fait de mérite aucune différence ;
Je veux qu’on me distingue ; et, pour le trancher net,
L’ami du genre humain n’est point du tout mon fait.

Philinte
65Mais quand on est du monde, il faut bien que l’on rende

Quelques dehors civils que l’usage demande.

Alceste
Non, vous dis-je ; on devrait châtier sans pitié

Ce commerce honteux de semblants d’amitié.
Je veux que l’on soit homme, et qu’en toute rencontre
70Le fond de notre cœur dans nos discours se montre,
Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments
Ne se masquent jamais sous de vains compliments.

Philinte
Il est bien des endroits où la pleine franchise

Deviendrait ridicule, et serait peu permise ;
75Et parfois, n’en déplaise à votre austère honneur,
Il est bon de cacher ce qu’on a dans le cœur.
Serait-il à propos, et de la bienséance,
De dire à mille gens tout ce que d’eux on pense ?
Et quand on a quelqu’un qu’on hait ou qui déplaît
80Lui doit-on déclarer la chose comme elle est ?

Alceste
Oui.


Philinte
Oui. Quoi ! vous iriez dire à la vieille Émilie

Qu’à son âge il sied mal de faire la jolie ?
Et que le blanc qu’elle a scandalise chacun ?

Alceste
Sans doute.


Philinte
Sans doute. À Dorilas, qu’il est trop importun ;

85Et qu’il n’est à la cour, oreille qu’il ne lasse
À conter sa bravoure et l’éclat de sa race ?

Alceste
Fort bien.


Philinte
Fort bien. Vous vous moquez.


Alceste
Fort bien. Vous vous moquez. Je ne me moque point.