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de blocus du 13 mars, M. de Viella ne s’en montra pas pour cela moins soigneux de garder en toute occasion la plus stricte neutralité. Les Autrichiens étaient très disposés au contraire à protéger les opérations de leurs navires de commerce par la force. Un de leurs bricks de guerre n’avait pas craint d’entrer violemment à Négrepont au mépris d’un blocus effectif et régulier. Le commandant français ne se crut point autorisé à enfreindre les règles qu’en dehors de toutes les conventions internationales a tracées pour la navigation neutre une éternelle et immuable justice. Jamais on ne le vit consentir à seconder des prétentions déloyales, et il est déplorable, écrivait-il le 27 janvier 1823 au ministre, quand on scrute à fond ces questions litigieuses, de trouver presque toujours chez le plaignant de premiers torts qui ont souvent provoqué et par conséquent atténué ceux de l’agresseur. On ne manque jamais de rencontrer dans la discussion la cupidité qui se joue des principes et des règlemens. » Voilà le langage de l’honnête homme. Cependant il faut une grande fermeté pour résister aux clameurs qu’une pareille impartialité soulève. Le commerce français, qui voyait les navires de Trieste se livrer ouvertement aux transports de troupes et de munitions de guerre, approvisionner presque seuls toutes les places bloquées, se plaignait avec amertume de manquer de protection. Il aurait voulu qu’on ne tînt pas entre les Grecs et eux la balance à ce point égale. De là des tiraillemens, des nécessités d’explications toujours désagréables et une contention d’esprit dont la santé de nos commandans de station payait trop souvent les frais. Les Anglais éprouvaient moins de frottemens que nous. Leur principe n’a jamais été de favoriser les neutres ; ils n’avaient d’ailleurs avec la Turquie qu’un commerce direct, et presque aucun de leurs bâtimens ne faisait la caravane. Aussi « agissaient-ils peu et laissaient-ils beaucoup aller. » Lorsque les Grecs bloquaient Nauplie, un brick anglais voulut entrer dans le port ; les Grecs tirèrent à boulet sur ce bâtiment et tuèrent le second. Les Anglais, si jaloux d’ordinaire des immunités de leur pavillon, firent peu d’éclat de cette grosse affaire ; ils affectèrent de n’y voir qu’une spéculation manquée.

Le chevalier de Viella ne garda que pendant six mois le commandement de la station du Levant. Le 27 janvier 1823, il remettait le service au capitaine de Rigny, qui, au retour d’une mission de peu de durée sur la côte de Catalogne, avait reçu l’ordre de se rendre de nouveau avec la frégate la Médée à Smyrne. Le 11 mars, la Fleur de Lis mouillait sur la rade de Toulon après une traversée de quarante-cinq jours. Smyrne était alors, surtout pendant les rudes et sombres mois d’hiver, plus éloignée de la France que ne le sont aujourd’hui, grâce à la vapeur et au canal de Suez, Batavia,