Page:À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 2.djvu/54

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table, sub rosa… Je reconnais d’ailleurs que notre ineffable république athénienne — ô combien ! — pourrait honorer en cette capétienne obscurantiste le premier des préfets de police à poigne. Si fait, mon cher hôte, si fait, reprit-il de sa voix bien timbrée qui détachait chaque syllabe, en réponse à une objection de M. Verdurin. La chronique de Saint-Denis dont nous ne pouvons contester la sûreté d’information ne laisse aucun doute à cet égard. Nulle ne pourrait être mieux choisie comme patronne par un prolétariat laïcisateur que cette mère d’un saint à qui elle en fit d’ailleurs voir de saumâtres, comme dit Suger et autres saint Bernard ; car avec elle chacun en prenait pour son grade.

— Quel est ce monsieur ? demanda Forcheville à Mme Verdurin, il a l’air d’être de première force.

— Comment vous ne connaissez pas le fameux Brichot, il est célèbre dans toute l’Europe.

— Ah ! c’est Bréchot, s’écria Forcheville qui n’avait pas bien entendu, vous m’en direz tant, ajouta-t-il, tout en attachant sur l’homme célèbre des yeux écarquillés. C’est toujours intéressant de dîner avec un homme en vue. Mais, dites-moi, vous nous invitez là avec des convives de choix. On ne s’ennuie pas chez vous.

— Oh ! vous savez ce qu’il y a surtout, dit modestement Mme Verdurin, c’est qu’ils se sentent en confiance. Ils parlent de ce qu’ils veulent, et la conversation rejaillit en fusées. Ainsi Brichot, ce soir, ce n’est rien : je l’ai vu, vous savez, chez moi, éblouissant, à se mettre à genoux devant ; eh bien ! chez les autres, ce n’est plus le même homme, il n’a plus d’esprit, il faut lui arracher les mots, il est même ennuyeux.

— C’est curieux ! dit Forcheville étonné.

Un genre d’esprit comme celui de Brichot aurait été tenu pour stupidité pure dans la coterie où