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ÉMILE NELLIGAN


Que m’importe l’amour, la plèbe et ses tocsins ?
Car il me faut, à moi, des annales d’artiste ;
Car je veux, aux accords d’étranges clavecins,
Me noyer dans la paix d’une existence triste
Et voir se dérouler mes ennuis assassins,
Dans le prélude où chante une âme symbolique.

Je suis de ceux pour qui la vie est une bière
Où n’entrent que les chants hideux des croquemorts,
Où mon fantôme las, comme sous une pierre,
Bien avant dans les nuits cause avec ses remords,
Et vainement appelle, en l’ombre familière
Qui n’a pour l’écouter que l’oreille des morts.

Allons ! Que sous vos doigts, en rythme lent et long
Agonisent toujours ces mornes chopinades…
Ah ! que je hais la vie et son noir Carillon !
Engouffrez-vous, douleurs, dans ces calmes aubades,
Ou je me pends ce soir aux portes du salon,
Pour chanter en Enfer les rouges sérénades !

Ah ! funèbre instrument, clavier fou, tu me railles !
Doucement, pianiste, afin qu’on rêve encor !
Plus lentement, plaît-il ?… Dans des chocs de ferrailles,
L’on descend mon cercueil, parmi l’affreux décor
Des ossements épars au champ des funérailles,
Et mon cœur a gémi comme un long cri de cor !…