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XI
PRÉFACE


Elle court à jamais les blanches prétentaines,
Au pays angélique où montent ses ardeurs ;
Et, loin de la matière et des brutes laideurs,
Elle rêve l’essor aux célestes Athènes.

Ma pensée est couleur de lunes d’or lointaines.

Bien malin qui tirera de là une doctrine, et qui fera un bloc de cette poussière d’idées, Mais aussi, comme l’idée importe peu quand la fantaisie s’envole avec cette subtilité, cette grâce, et se rythme en aussi délicates sonorités. Nous avons ici, c’est clair, de la musique pure : c’est comme la transcription en notes prosodiques d’une Romance sans paroles de Mendelssohn. Et tout notre poète est là. Cette lacune énorme, l’absence d’idées, devient chez lui presque du génie. L’idée absente laisse toute la place aux effluves du sentiment et aux richesses de la ciselure. Si l’œuvre d’art n’est pas un bas-relief où l’histoire se grave en traits définis et fermes, c’est un camée où Benvenuto, de la fine pointe du stylet, trace un enroulement de chimères.

Cette nullité d’idées, philosophiques ou autres, dispense Nelligan de toute érudition sérieuse. En fait, sa culture historique, scientifique, artistique même, tient toute dans un lobe de l’arrière-fond de son cerveau. Il n’a lu que les poètes, et il ne sait de toutes choses que ce qu’il en apprend chez eux.

De là, des ignorances et des bévues qui font sourire. Les notions, incomplètes, se mêlent un peu dans sa tête, aussi prompte à saisir que peu apte à creuser et à classer.

Il aime la musique, d’une passion que je crois sincère, car cet art est frère de son rythme et de sa mélancolie.

Rien ne captive autant que ce particulier
Charme de la musique où ma langueur s’adore.

Mais s’il en vient à nommer ses maîtres de choix, il placera au même rang, sans souci d’accoler des antipodes, Litz, Mozart, Chopin, Haydn, Paderewski. Je le soupçonne, au fond, de les ignorer tous et de n’en parler que par oui-dire. Ces noms, évidemment, n’ont pour lui rien de très précis ; ils n’offrent aucun sens d’école ou de genre différents : ils sont synonymes de musique et voilà tout.

De même pour la peinture. Rubens, le peintre des lourdeurs