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XIV
ÉMILE NELLIGAN

ou l’horreur de nos paysages ? Je ne vois partout que des sonnets turcs ou magyars, sans compter ceux qui ne sont d’aucun pays. Il me semble que le sonnet iroquois aurait bien aussi sa saveur, et que Peribonka, Michilimakinac, seraient d’assez bons prétextes à la rime rare. Après tout, nous ne décrirons pas l’Orient mieux que Loti, ni l’Inde mieux que Leconte de Lisle : mais nous pouvons enchâsser dans des vers flambant neufs le frisson de nos glaces, le calme de nos lacs immenses, la gaieté blanche de nos foyers ; et l’absence même de prédécesseurs et de modèles nous forcera d’être nous-mêmes. Et l’âme canadienne, tout en étant moins compliquée que d’autres, n’a-t-elle pas aussi ses mystères, ses amours, ses mélancolies, ses désespérances ? — Je ne prêche pas ici le patriotisme : je parle au point de vue purement littéraire, et je crois qu’en négligeant les sources d’inspiration nationale, nos auteurs se ferment le chemin de l’originalité vraie et complète.

Il n’y a que Pamphile Lemay, que je sache, dont la vision poétique se soit nettement restreinte aux hommes et aux choses de notre pays : malheureusement, chez lui, la forme n’est pas toujours à la hauteur de la pensée. Nelligan, lui, avait la forme, et eût pu nous donner une œuvre nationale d’une entière et vivante nouveauté.