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XV
PRÉFACE


III


J’ai dit assez ce que n’est pas la poésie de Nelligan : j’ai hâte de dire ce qu’elle est. Car, pour être flottante, ne croyez pas qu’elle soit vide : seulement elle est remplie de choses légères comme elle, de soupirs, de sons et de parfums. Souvent, si elle dédaigne l’idée, c’est qu’elle la dépasse, pour la retrouver dans une transcendance plus haute. C’est de plein gré qu’elle s’exfolie de la lourdeur touffue des thèses, et toute la sève monte à la fleur, qui est le sentiment, qui est le rêve. Quel sentiment et quel rêve : c’est ce que je voudrais définir.

D’abord, le poète sort rarement de lui-même. C’est un subjectif, et les spectacles de l’âme l’intéressent beaucoup plus que le cosmos extérieur. C’est un solitaire, et il ne ressent que médiocrement les milles sympathies des êtres. C’est un égoïste, en somme : il ne va pas aux choses, il les attire en lui et n’est sensible qu’au choc qu’il en reçoit. Ce n’est pas lui qui pourrait dire :

J’ai voulu tout aimer, et je suis malheureux
Car j’ai de mes tourments multiplié les causes.
D’innombrables liens, frêles et douloureux,
Dans l’univers entier vont de mon âme aux choses.

Pourtant, quand il consent à s’extérioriser, à regarder autour de lui, il a souvent, à défaut de tendresse, l’imagination et la grâce. Par un singulier dédoublement, cette plume, trempée tout-à-l’heure dans l’angoisse intime, en vient à dessiner, sans un tremblement, de jolis portraits, d’une beauté calme et plastique, ou des natures mortes d’une observation presque savante. Dites-moi si ce Petit Vitrail ne tamise pas jusqu’à vous la lumière recueillie des nefs gothiques :