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XXV
PRÉFACE

intime, quoi de plus neuf comme agencement musical que ces deux strophes :

Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À la douleur que j’ai, que j’ai !

Tous les étangs gisent gelés.
Mon âme est noire : où vais-je ? où vis-je ?
Tous ses espoirs gisent gelés.
Je suis la nouvelle Norvège
D’où les blonds ciels s’en sont allés.

Je trouve encore un charme troublant et bizarre, pour l’âme autant que pour l’oreille, dans la fantaisie intitulée Five o’clock :

Comme Litz se dit triste au piano voisin !
....................
Le givre a ciselé de fins vases fantasques,
Bijoux d’orfèvrerie, orgueils de Cellini,
Aux vitres du boudoir, dont l’embrouillamini
Désespère nos yeux de ses folles bourrasques.

Comme Haydn est triste au piano voisin !
....................
Ne sors pas ! Voudrais-tu défier les bourrasques,
Battre les trottoirs froids par l’embrouillamini
D’hiver. Reste. J’aurai tes ors de Cellini,
Tes chers doigts constellés de deux bagues fantasques.

Comme Mozart est triste au piano voisin !
....................
Le Five O’clock expire en mol ut crescendo,
— Ah ! qu’as-tu ? tes chers cils s’amalgament de perles.
— C’est que je vois mourir le jeune espoir des merles
Sur l’immobilité glaciale des jets d’eau.
......... sol, la, si, do.

— Gretchen, verse le thé aux tasses de Veddo.

Et ce novice, qui fait sonner de façon si experte le cliquetis des mots, excelle aussi, mérite beaucoup plus rare, à allumer au choc des pensées l’image étincelante et neuve. Comme les grands poètes de tous les temps, il voit les choses les plus vieilles sous des angles inaperçus : il y saisit des rapports très lointains, très indirects,