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qu’elles étaient mêlées à des chèvres sauvages, et, quand le soir tomba, il les poussa toutes dans sa grotte. Le lendemain un gros orage éclata. Ne pouvant les mener au pâturage habituel, il les soigna dedans ; mais il ne donna à ses propres chèvres qu’une poignée de fourrage, juste de quoi les empêcher de mourir de faim ; pour les étrangères, au contraire, il grossit la ration, dans le dessein de se les approprier elles aussi. Le mauvais temps ayant pris fin, il les fit toutes sortir dans le pâtis ; mais les chèvres sauvages, gagnant la montagne, s’enfuirent. Comme le berger les accusait d’ingratitude pour l’abandonner ainsi, après les soins particuliers qu’il avait pris d’elles, elles se retournèrent pour répondre : « Raison de plus pour nous d’être en défiance ; car si tu nous as mieux traitées, nous, tes hôtesses d’hier, que tes vieilles ouailles, il est évident que, si d’autres chèvres viennent encore à toi, tu nous négligeras pour elles. »

Cette fable montre qu’il ne faut pas accueillir les protestations d’amitié de ceux qui nous font passer, nous, les amis de fraîche date, avant les vieux amis. Disons-nous que, quand notre amitié aura pris de l’âge, s’ils se lient avec d’autres, c’est ces nouveaux amis qui auront leurs préférences.

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L’ESCLAVE LAIDE ET APHRODITE


Une esclave laide et méchante était aimée de son maître. Avec l’argent qu’elle recevait de lui, elle s’ornait de brillantes parures et rivalisait avec sa propre maîtresse. Elle faisait de continuels sacrifices à Aphrodite et lui rendait grâces de la rendre belle. Mais Aphrodite apparut en songe à l’esclave et lui dit : « Ne me sache pas gré de te faire belle, car je suis fâchée et en colère contre cet homme à qui tu parais belle. »

Il ne faut pas se laisser aveugler par l’orgueil, quand on s’enrichit par des moyens honteux, surtout quand on est sans naissance et sans beauté.