Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 1.djvu/66

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Je sens le besoin d’argent, ce qui me donne envie d’en gagner, ce qui me donne du goût pour le travail, ce qui me fait passer la journée assez agréablement au comptoir, ce qui, en dernière analyse, est extrêmement favorable à mon humeur et à ma santé. Cependant je regrette parfois ces jouissances sentimentales auxquelles on ne peut rien comparer ; cet amour de la pauvreté, ce goût pour la vie retirée et paisible, et je crois qu’en me livrant un peu au plaisir, je n’ai voulu qu’attendre le moment de l’abandonner. Porter la solitude dans la société est un contre-sens, et je suis bien aise de m’en être aperçu à temps…


Bayonne, 8 décembre 1821.


J’étais absent, mon cher ami, quand ta lettre est parvenue à Bayonne, ce qui retarde un peu ma réponse. Que j’ai eu de plaisir à la recevoir cette chère lettre ! À mesure que l’époque de notre séparation s’éloigne de nous, je pense à toi avec plus d’attendrissement ; je sens mieux le prix d’un bon ami. Je n’ai pas trouvé ici qui pût te remplacer dans mon cœur. Comme nous nous aimions ! pendant quatre ans nous ne nous sommes pas quittés un instant. Souvent l’uniformité de notre manière de vivre, la parfaite conformité de nos sentiments et de nos pensées ne nous permettait pas de beaucoup causer. Avec tout autre, de silencieuses promenades aussi longues m’auraient été insupportables ; avec toi, je n’y trouvais rien de fatigant ; elles ne me laissaient rien à désirer. J’en vois qui ne s’aiment que pour faire parade de leur amitié, et nous, nous nous aimions obscurément, bonnement ; nous ne nous aperçûmes que notre attachement était remarquable que lorsqu’on nous l’eut fait remarquer. Ici, mon cher, tout le monde m’aime, mais je n’ai pas d’ami…

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… Te voilà donc, mon ami, en robe et en bonnet