Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/176

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les marques frappaient son jeune visage hâlé par le soleil. Elle avait une tournure italienne, de grands yeux noirs sous des sourcils bien arqués ; une noblesse native, une grâce vraie. Plus d’un passant se sentait ému au seul aspect de ce groupe dont les personnages ne faisaient aucun effort pour cacher un désespoir aussi profond que l’expression en était simple ; mais la source de cette fugitive obligeance qui distingue les Parisiens se tarissait promptement. Aussitôt que l’inconnu se croyait l’objet de l’attention de quelque oisif, il le regardait d’un air si farouche, que le flâneur le plus intrépide hâtait le pas comme s’il eût marché sur un serpent. Après être demeuré long-temps indécis, tout à coup le grand étranger passa la main sur son front, il en chassa, pour ainsi dire, les pensées qui l’avaient sillonné de rides, et prit sans doute un parti désespéré. Après avoir jeté un regard perçant sur sa femme et sur sa fille, il tira de sa veste un long poignard, le tendit à sa compagne, et lui dit en italien : — Je vais voir si les Bonaparte se souviennent de nous. Et il marcha d’un pas lent et assuré vers l’entrée du palais, où il fut naturellement arrêté par un soldat de la garde consulaire avec lequel il ne put long-temps discuter. En s’apercevant de l’obstination de l’inconnu, la sentinelle lui présenta sa baïonnette en manière d’ultimatum. Le hasard voulut que l’on vînt en ce moment relever le soldat de sa faction, et le caporal indiqua fort obligeamment à l’étranger l’endroit où se tenait le commandant du poste.

— Faites savoir à Bonaparte que Bartholoméo di Piombo voudrait lui parler, dit l’Italien au capitaine de service.

Cet officier eut beau représenter à Bartholoméo qu’on ne voyait pas le premier consul sans lui avoir préalablement demandé par écrit une audience, l’étranger voulut absolument que le militaire allât prévenir Bonaparte. L’officier objecta les lois de la consigne, et refusa formellement d’obtempérer à l’ordre de ce singulier solliciteur. Bartholoméo fronça le sourcil, jeta sur le commandant un regard terrible, et sembla le rendre responsable des malheurs que ce refus pouvait occasionner ; puis, il garda le silence, se croisa fortement les bras sur la poitrine, et alla se placer sous le portique qui sert de communication entre la cour et le jardin des Tuileries. Les gens qui veulent fortement une chose sont presque toujours bien servis par le hasard. Au moment où Bartholoméo di Piombo s’asseyait sur une des bornes qui sont auprès de l’entrée des Tuileries,