Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terrompant elle-même, heureuse n’est pas un mot qui puisse exprimer mon bonheur. J’ai la part de toutes les femmes ! Sentir un amour, un dévouement immense pour celui qu’on aime, et rencontrer dans son cœur, à lui, un sentiment infini où l’âme d’une femme se perd, et toujours ! dites, est-ce un bonheur ? J’ai déjà dévoré mille existences. Ici je suis seule, ici je commande. Jamais une créature de mon sexe n’a mis le pied sur ce noble vaisseau, où Victor est toujours à quelques pas de moi. — Il ne peut pas aller plus loin de moi que de la poupe à la proue, reprit-elle avec une fine expression de malice. Sept ans ! un amour qui résiste pendant sept ans à cette perpétuelle joie, à cette épreuve de tous les instants, est-ce l’amour ? Non ! oh ! non, c’est mieux que tout ce que je connais de la vie… le langage humain manque pour exprimer un bonheur céleste.

Un torrent de larmes s’échappa de ses yeux enflammés. Les quatre enfants jetèrent alors un cri plaintif, accoururent à elle comme des poussins à leur mère, et l’aîné frappa le général en le regardant d’un air menaçant.

— Abel, dit-elle, mon ange, je pleure de joie.

Elle le prit sur ses genoux, l’enfant la caressa familièrement en passant ses bras autour du cou majestueux d’Hélène, comme un lionceau qui veut jouer avec sa mère.

— Tu ne t’ennuies pas ? s’écria le général étourdi par la réponse exaltée de sa fille.

— Si, répondit-elle, à terre quand nous y allons ; et encore ne quitté-je jamais mon mari.

— Mais tu aimais les fêtes, les bals, la musique ?

— La musique, c’est sa voix ; mes fêtes, ce sont les parures que j’invente pour lui. Quand une toilette lui plaît, n’est-ce pas comme si la terre entière m’admirait ! Voilà seulement pourquoi je ne jette pas à la mer ces diamants, ces colliers, ces diadèmes de pierreries, ces richesses, ces fleurs, ces chefs-d’œuvre des arts qu’il me prodigue en me disant : — Hélène, puisque tu ne vas pas dans le monde, je veux que le monde vienne à toi.

— Mais sur ce bord il y a des hommes, des hommes audacieux, terribles, dont les passions…

— Je vous comprends, mon père, dit-elle en souriant. Rassurez-vous. Jamais impératrice n’a été environnée de plus d’égards que l’on ne m’en prodigue. Ces gens-là sont superstitieux ; ils croient