Page:Œuvres de Blaise Pascal, IV.djvu/137

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il[1] : « J’ay perdu cela » ; dites plustost : « Je l’ay rendu. Mon fils est mort, je l’ay rendu. Ma femme est morte, je l’ay rendue. » Ainsi des biens et de tout le reste. « Mais celuy qui me l’oste est un meschant homme, dites-vous. » De quoy vous mettez-vous en peine, par qui celuy qui vous l’a presté vous le redemande ? Pendant qu’il vous en permet l’usage, ayez en soin comme d’un bien qui appartient à autruy, comme un homme qui fait voyage se regarde dans une hotellerie. Vous ne devez pas, dit-il[2], desirer que ces choses qui se font se fassent comme vous le voulez ; mais vous devez vouloir qu’elles se fassent comme elles se font. Souvenez-vous, dit-il ailleurs[3], que vous

    duction de Dom Goulu : Les Propos d’Epictete, recueillis par Arrian Auteur Grec son disciple, Translatez du grec en françois par Fr. I. D. S. F. [dom Jean de Saint François], Paris, 1609, 700 p. in 8°. — Le passage que Pascal cite ici se trouve dans le Manuel, ch. 36 : « Sachez que quant à la religion et pieté qui est deuë à Dieu, le principal est d’avoir une bonne opinion de luy. Qu’il est et gouverne toutes choses avec toute droiture et bonté : se soumettre à luy obeïr, et luy ceder en tout ce qu’il fait, et suivre volontairement tout ce qu’il ordonne, comme estant fait par un tres sage conseil. Par ce moien vous ne blasmerez jamais Dieu, et ne vous plaindrez de ce qu’il vous neglige et n’a point soin de vous. »

  1. Manuel, ch. 14 [11] : « Ne dites jamais de quelque chose que ce soit, j’ay perdu cela : mais dites plustost, je l’ay rendu. Mon enfant est mort, je l’ay rendu : ma femme est morte, je l’ay rendue : ma terre m’est ostée, ne l’ay-je pas aussi rendue ? Mais celuy qui me l’oste est un meschant homme. De quoy vous souciez-vous par qui celuy qui vous l’a prestée vous la redemande ? Mais tant qu’il vous en permet l’usage, ayez-en soin comme de la chose d’autruy, et comme les passans ont de leur hostellerie. »
  2. Manuel, ch. 12 [8] : « Vous ne devez pas desirer que les choses qui se font, se facent comme vous les voulez ; mais vous devez vouloir qu’elles se facent comme elles se font, et ainsi vous serez heureux… »
  3. Manuel, ch. 21 [17] : « Souvenez-vous que vous joüez ici le personage d’une Comedie, tel qu’il plait au maistre le vous donner ; s’il vous le donne court, joüez le court : si long, long. S’il veut que vous contrefaisiez le gueux, vous le devez faire avec toute la naïveté