Page:Œuvres de Blaise Pascal, IV.djvu/146

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

42 OEUVRES

noissent veritablement aucune des moindres choses de la nature ! Il leur demande sur quels principes ils s’appuyent ; il les presse de les montrer. Il examine tous ceux qu’ils peuvent produire et y penetre si avant, par le talent où il excelle, qu’il montre la vanité de tous ceux qui passent pour les plus naturels et les plus fermes. Il demande si l’ame connoist quelque chose ; si elle se connoist elle-mesme ; si elle est substance ou accident, corps ou esprit ; ce que c’est que chacune de ces choses, et s’il n’y a rien qui ne soit de l’un de ces ordres ; si elle connoist son propre corps ; ce que c’est que matiere ; si elle peut discerner entre l’innombrable varieté d’avis, quand on en a produit de bons 1 ; comment elle peut raisonner, si elle est materielle ; et comment peut-elle estre unie à un corps particulier et en ressentir les passions, si elle est spirituelle ; quand a-t-elle commencé d’estre ; avec le corps ou devant ; si elle finit avec luy ou non ; si elle ne se trompe jamais ; si elle sçait quand elle erre, veu que l’essence de la meprise consiste à 2 ne pas le connoistre ; si dans ces obscurcissemens elle ne croit pas aussi fermement que deux et trois font six qu’elle sçait ensuite que c’est cinq ; si les animaux raisonnent, pensent, parlent ; et qui peut decider ce que c’est que le temps, ce que c’est que l’espace ou l’etendue, ce que c’est que le mouve-

_____________________________________________________________

1. Ici le texte, très défiguré dans les divers manuscrits, a été rétabli, sans doute par conjecture, par le reviseur de l’un d’eux. M. Bédier rapproche cette phrase de Montaigne, Essais, II, XII, p. 393 : « Je ne sçay pas pourquoy je n’acceptasse autant volontiers ou les idées de Platon, ou les atomes d’Epicurus ou toute autre opinion (de cette confusion infinie d’advis et de sentences que produit cette belle raison humaine par sa certitude et clair-voyance, en tout ce dequoy elle se mesle) que je feroy l’opinion d’Aristote... »

2. La leçon des divers manuscrits : à la connoistre a été corrigée par l’édition Desmolets. Tronchai écrit: à la méconnoistre.