Page:Œuvres de Blaise Pascal, IV.djvu/148

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44 OEUVRES

« Enfin il examine 1 si profondement toutes les sciences, et la geometrie, dont il montre l’incertitude dans les axiomes et dans les termes qu’elle ne definit point, comme d’estendue, de mouvement, etc., et la physique en bien plus de manieres, et la medecine en une infinité de façons, et l’histoire, et la politique, et la morale, et la jurisprudence et le reste : de telle sorte que l’on demeure convaincu que nous ne pensons pas mieux à present que dans quelque songe dont nous ne nous eveillons qu’à la mort, et pendant lequel nous avons aussi peu les principes du vray que durant le sommeil naturel 2 . C’est ainsi qu’il gourmande si fortement et si cruellement la raison denuée de la foy, que luy faisant douter si elle est raisonnable, et si les animaux le sont ou non, ou plus ou moins, il la fait descendre de l’excellence qu’elle s’est attribuée, et la met par grace en parallele avec les bestes, sans luy permettre de sortir de cet ordre jusqu’à ce

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1. Si, est la leçon des meilleurs manuscrits. M. Bédier adopte aussi.

2. Essais, II, XII, p. 439: « Ceux qui ont apparié nostre vie à un songe, ont eu de la raison, à l’adventure plus qu’ils ne pensoient : Quand nous songeons, nostre ame vit, agit, exerce toutes ses facultez, ne plus ne moins que quand elle veille : mais si plus mollement et obscurement, non de tant certes, que la difference y soit, comme de la nuict à une clarté vive : ouy, comme de la nuict à l’ombre : là elle dort, icy elle someille : Plus et moins ; ce sont tousjours tenebres, et tenebres Cymmeriennes. Nous veillons dormans, et veillans dormons. Je ne voy pas si clair dans le sommeil : mais quant au veiller, je ne le trouve jamais asses pur et sans nuage. Encore le sommeil en sa profondeur, endort par fois les songes : mais nostre veiller n’est jamais si esveillé, qu’il purge et dissipe bien à poinct les resveries, qui sont les songes des veillans, et pires que songes. Nostre raison et nostre ame recevans les fantaisies et opinions, qui luy naissent en dormant, et authorisant les actions de nos songes de pareille approbation, qu’elle faict celles du jour; pourquoy ne mettons-nous en doute, si nostre penser, nostre agir, est pas un autre songer, et nostre veiller, quelque espèce de dormir ? » — Cf. Pensées, fr. 386, T. II, p. 295.