Page:Œuvres de Blaise Pascal, IV.djvu/150

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46 ŒUVRES

je ne sçay si vous ne luy en prestez pas un peu plus qu’il n’en a, par cet enchainement si juste que vous faites de ses principes. Vous pouvez juger qu’ayant passé ma vie comme j’ay fait, on m’a peu conseillé de lire cet auteur, dont tous les ouvrages n’ont rien de ce que nous devons principalement rechercher dans nos lectures, selon la regle de Saint Augustin 1 , parce que ses paroles ne paroissent pas sortir d’un grand fonds d’humilité et de pieté. On pardonneroit à ces philosophes d’autrefois, qu’on nommoit Academiciens, de mettre tout dans le doute. Mais qu’avoit besoin Montaigne de s’egayer l’esprit en renouvellant une doctrine qui passe maintenant aux Chrestiens pour une folie ? C’est le jugement que Saint Augustin fait de ces personnes. Car on peut dire après luy de Montaigne 2 [...] à l’egard de la jeunesse : « Il met dans tout ce qu’il dit la foy à part ; ainsi nous, qui avons la foy, devons de mesme mettre à part tout ce qu’il dit. » Je ne blasme point l’esprit de cet auteur, qui est un grand don de Dieu ; mais il pouvoit s’en servir mieux, et en faire plus tost un sacrifice à Dieu qu’au demon. A quoi sert un bien,

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1. De Opere Monachorum, XVII, 20:.... Quæ est ista perversitas lectioni nolle obtemperare, dum vult ei vacare, et ut quod bonum est diutiùs legatur, ideo facere nolle quod legitur? Quis enim nesciat tanto citiùs quemque proficere cum bona legit, quanto citius facit quod legit ?

2. Il y a ici manifestement une lacune dans les divers manuscrits ; l’un des premiers copistes a dû omettre une ligne entière. La suite des idées demanderait en effet une phrase analogue à celle-ci : « Il faut dire après St Augustin, de Montaigne, ce que ce Saint disait à l’égard de ceux qui avaient corrompu sa jeunesse....» — Nous n’avons pas retrouvé la phrase même de saint Augustin qui est citée ; mais l’idée fait le fond du de Utilitate credendi; de même, dans ses Confessions, St Augustin reproche sans cesse aux Manichéens de l’avoir séduit (cf. I. VIII, ch. x; cf. aussi dans le Contra Cresconium, 1. III, ch. 79, 91 : ... Manichæos qui me adolescentulum aliquando deceperant...).