Page:Œuvres de Blaise Pascal, IV.djvu/155

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ENTRETIEN AVEC SACI 51

elle suit ce qui la charme, et badine negligemment des accidents bons ou mauvais, couchée mollement dans le sein de l’oisiveté tranquille, d’où elle montre aux hommes, qui cherchent la felicité avec tant de peine, que c’est là seulement où elle repose, et que l’ignorance et l’incuriosité sont deux doux oreillers pour une teste bien faite, comme il dit luy-mesme 1 .

« Je ne puis pas vous dissimuler, Monsieur, qu’en lisant cet autheur et le comparant avec Epictete, j’ay trouvé qu’ils estoient assurement les deux plus grands defenseurs des deux plus celebres sectes du monde, et les seules conformes à la raison, puis qu’on ne peut suivre qu’une de ces deux routes, sçavoir : ou qu’il y a un Dieu, et lors il y place son souverain bien ; ou qu’il est incertain, et qu’alors le vray bien l’est aussi, puis qu’il en est incapable.

« J’ay pris un plaisir extreme à remarquer dans ces divers raisonnemens en quoy les uns et les autres sont ar-

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monstre que ce n’est pas là son giste... Elle a pour son but, la Vertu : qui n’est pas, comme dit l’eschole, plantée à la teste d’un mont coupé, rabotteux et inaccessible. Ceux qui l’ont approchée, la tiennent au rebours, logée dans une belle plaine fertile et fleurissante : d’où elle void bien sous soy toutes choses ; mais si peut-on y arriver, qui en sçait l’addresse, par des routtes ombrageuses, gazonnées et doux-fleurantes, plaisamment, et d’une pante facile et polie, comme est celle des voutes célestes. Pour n’avoir hanté cette Vertu supreme, belle, triomphante, amoureuse, delicieuse pareillement et courageuse, ennemie professe et irréconciliable d’aigreur, de desplaisir, de crainte et de contrainte, ayant pour guide nature, fortune et volupté pour compagnes : ils sont allez selon leur foiblesse feindre cette sotte image, triste, querelleuse, despite, menaceuse, mineuse, et la placer sur un rocher à l’escart, emmy les ronces ; fantosme à estonner les gens. »

1. Essais, III, XIII, p. 799: « O que c’est un doux et mol chevet, et sain, que l’ignorance et l’incuriosité, à reposer une teste bien faite ! »