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LETTRE DE JACQUELINE PASCAL 75

leur apprendre peu à peu. J’ay soin aussi de la pluspart de leurs petits besoins exterieurs, pour les pourvoir de souliers, de chausses, d’epingles, de fil, etc., et par ce que la Mere Agnes, qui est notre maistresse, comme vous sçavez (car je pense que vous sçavez aussi que je suis encore du noviciat), et la sous-maistresse (qui est une excellente personne dont je n’ay pu m’empescher de vous parler une fois par ce qu’elle estoit alors la premiere maistresse des petits enfans) ont trop d’occupation pour se charger de l’instruction de celles qui sont si ignorantes qu’il leur faut apprendre le premier alphabet de la foy, c’est à moy à qui on a donné ce soin. Et afin que vous n’ayez plus sujet de vous plaindre de mon silence, je vous avouë ingenuement qu’on m’a aussi chargée de leur conduite dans ce qui regarde la conscience, en sorte qu’elles n’ont que moy pour conseil dans la maison, car dehors elles ont leur confesseur. Voilà en quoy consiste proprement ma charge, pour laquelle il est besoin, non pas d’un petit mulet, comme vous dites, mais de quelque chose de plus que ce que j’ay. Vous voyez bien neantmoins que ce n’est pas grand chose en soy, puisque je n’ay qu’à recevoir des autres ce que je leur dois donner, et que ma sœur Madeleine 1 , qui est toujours presente, peut me redresser dans les fautes que j’y fais, et a l’œil sur elles comme sur moy, et que les pauvres filles, qui sont si mal pourveues de conductrice, peuvent, quand bon leur semble, s’adresser à elle et mesme à la Mere Agnes. Mais avec tout cela je ne laisse pas de bien trembler, quand je considere que j’ay entre les mains la vocation de cinq ou six filles, s’il faut ainsi dire, et qu’elle depend en quelque sorte de mon peu de charité et de lumiere,

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1. Probablement, sœur Madeleine de Sainte Agnès de Ligni.