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INTRODUCTION XXV

Que Pascal soit demeuré pour chacun de nous comme un contemporain, et qu’il soit perpétuellement invoqué dans nos polémiques contemporaines, cela entraîne presque inévitablement à lui faire parler le langage de notre propre pensée philosophique, ou, ce qui est pis encore, à donner aux expressions même dont il s’est servi une interprétation qui en exclut la pensée pascalienne.

Ainsi, pour nous en tenir à l’exemple qui a le plus de portée, l’opposition du cœur et de l’esprit n’est autre, chez Pascal, que l’opposition entre l’action que Dieu exerce en l’homme et l’action dont est capable l’homme réduit à ses forces naturelles. Si l’on fait abstraction de la théologie janséniste, cette opposition devient l’opposition de deux facultés au sein d’une même conscience individuelle ; elle rentre dans les cadres que le pragmatisme religieux (par Ollé-Laprune, disciple de Victor Cousin, par William James, disciple de Renouvier) emprunte à la psychologie éclectique des facultés.

Or ce que le lecteur de Pascal doit bien comprendre, c’est qu’il s’agit là de tout autre chose que d’une confusion philosophique. Comme nous l’indiquions en 1904 1 , au début d’un mouvement qui s’est si singulièrement accentué depuis, ceux qui réclament Pascal pour une doctrine d’immanence où la foi s’engendrerait par le seul jeu de la liberté humaine, risquent de faire abjurer à Pascal le christianisme qu’il a professé, pour le convertir malgré lui à une conception religieuse qu’il a repoussée et combattue toute sa vie.

Séparer dans les Pensées la préparation psychologique et morale de l’ Apologie de toute la partie dogmatique qui, par l’ambiguïté de l’histoire, par les prophéties juives, par

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1. Voir l’introduction des Pensées, T. I, p. c, sqq.