Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/104

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ni donner la véritable liberté. La grâce seule est libératrice, et le Rédempteur seul a rendu la grâce aux hommes. Or quelle a été la vertu de cette rédemption ? a-t-elle réintégré l’homme dans la liberté que possédait le premier Adam, de telle sorte que par la seule efficacité du baptême chaque chrétien fût désormais maître de ne plus pécher, qu’il pût par ses seules forces parvenir à la béatitude ? S’il en était ainsi, il s’ensuivrait cette étrange conséquence que l’œuvre de la Rédemption aurait été de rendre désormais la grâce superflue, que le Médiateur dispense rait l’homme de recourir actuellement à Dieu. Encore une fois l’homme, repris du fol orgueil de l’indépendance, s’érigerait en Dieu : ce serait la négation du Christ, « l’évacuation » de la Croix, le retour au péché originel. Encore une fois il apparaît que le pélagianisme détruit le mystère le plus sacré du christianisme. L’état de grâce est un état de dualité, de combat ; la concupiscence a survécu à la rédemption ; elle est indéracinable du cœur de l’homme ; « elle peut diminuer tous les jours, elle ne peut pas finir ; » et la délectation de la concupiscence l’emporte si elle n’est surmontée par une délectation plus forte, la délectation victorieuse de la grâce. Or de ces deux délectations qui se combattent en l’homme, l’une est inhérente à notre nature : le péché, une fois commis, a été une source de corruption universelle qui a pénétré l’homme dès sa naissance ; l’autre, au contraire, est un don gratuit de Dieu, qui ne nous est point dû, puisque nous ne tenons de nous que la concupiscence et le péché, qui est seulement accordé pour les mérites de Jésus qui s’est sacrifié : la grâce n’est point de devoir et de justice, elle est de bonté et de miséricorde. Loin de se plaindre à Dieu qu’elle soit donnée si rarement et à un si petit nombre de fidèles, il faut le remercier qu’il l’ait donnée