Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/112

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je rosserais d’importance, moi, si nous avions le temps de nous arrêter ?

— Cette machine est simple, dit mon oncle ; la voici telle qu’elle se comporte :

» Nous sommes dix amis qui, au lieu de nous réunir pour déjeuner, nous réunissons pour faire fortune.

— Cela vaut au moins la peine de se réunir, interrompit mon grand-père.

— Nous sommes, tous les dix, intelligents, adroits, rusés même au besoin. Nous avons le verbe haut, la discussion prestigieuse ; nous manions la parole avec la même adresse qu’un escamoteur manie ses muscades. Pour la moralité de la chose, nous sommes tous capables dans notre profession, et les personnes de bonne volonté peuvent dire sans trop se compromettre, que nous valons mieux que nos confrères.

» Nous formons, en tout bien et tout honneur, une société pour nous préconiser les uns les autres, pour insuffler, pour faire mousser et bulliférer notre petit mérite.

— J’entends, dit mon grand-père, l’un vend de la mort aux rats et n’a qu’une grosse caisse, l’autre du thé suisse et n’a qu’une paire de cymbales. Vous réunissez vos moyens de faire du bruit, et…

— C’est cela même, interrompit Benjamin. Tu conçois que si la machine fonctionne convenablement, chacun des sociétaires a autour de lui neuf instruments qui font un vacarme épouvantable.

» Nous sommes neuf qui disons : L’avocat Page boit trop ; mais je crois que ce diable d’homme fait infuser les feuillets de la coutume du Nivernais dans son vin, qu’il a mis la logique en bouteille. Toutes les causes qu’il lui convient de gagner, il les gagne ; et l’autre jour, il a fait obtenir de forts dommages-intérêts à un gentilhomme qui avait assommé un paysan.