Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/94

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qu’il exerçait la médecine ; mais la médecine ne lui avait pas fait des rentes, bien loin de là : il devait trois habits d’écarlate à son marchand de draps, trois années d’accommodage à son perruquier, et il avait dans chacune des auberges les plus renommées de la ville un joli petit mémoire, sur lequel il n’y avait que quelques médecines de précaution à déduire.

Ma grand’mère avait trois ans de plus que Benjamin ; elle l’avait bercé sur ses genoux, porté dans ses bras, et elle se regardait comme son mentor. Elle lui achetait ses cravates et ses mouchoirs de poche, lui raccommodait ses chemises et lui donnait de bons conseils qu’il écoutait fort attentivement, il faut lui rendre cette justice, mais dont il ne faisait pas le moindre usage.

Tous les soirs, régulièrement après souper, elle l’engageait à prendre femme.

— Fi ! disait Benjamin, pour avoir six enfants comme Machecourt — c’est ainsi qu’il appelait mon grand-père — et dîner avec les nageoires d’un hareng !

— Mais, malheureux, tu auras au moins du pain !

— Oui, du pain qui sera trop levé aujourd’hui, demain pas assez, et qui après-demain aura la rougeole ! Du pain ! qu’est-ce que c’est que cela ? C’est bon pour empêcher de mourir ; mais ce n’est pas bon pour faire vivre. Je serai, ma foi, bien avancé quand j’aurai une femme qui trouvera que je mets trop de sucre dans mes fioles et trop de poudre dans ma queue ; qui viendra me chercher à l’auberge, qui me fouillera quand je serai couché, et s’achètera trois mantelets pendant moi un habit.

— Mais tes créanciers, Benjamin, comment feras-tu pour les payer ?

— D’abord, tant qu’on a du crédit, c’est comme si on était riche, et quand vos créanciers sont pétris d’une bonne pâte de créancier, qu’ils sont patients, c’est comme si on n’en avait pas. Ensuite, que