Page:Œuvres de M. de Crébillon, tome premier, 1750.djvu/138

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Ne ſe diſſipent point par le jour qui les ſuit :
Malgré ma fermeté, d’infortunés préſages
Aſſervissent mon âme à ces vaines images.
Cette nuit même encor, j’ai ſenti dans mon cœur
Tout ce que peut un ſonge inſpirer de terreur.
Près de ces noirs détours que la rive infernale
Forme à replis divers dans cette île fatale,
J’ai cru longtemps errer parmi des cris affreux,
Que des mânes plaintifs pouſſaient juſques aux cieux.
Parmi ces triſtes voix, ſur ce rivage ſombre,
J’ai cru d’Aerope en pleurs entendre gémir l’ombre ;
Bien plus, j’ai cru la voir s’avancer juſqu’à moi,
Mais dans un appareil qui me glaçait d’effroi :
Quoi ! Tu peux t’arrêter dans ce ſéjour funeſte !
Suis-moi, m’a-t-elle dit, infortuné Thyeſte.
Le ſpectre, à la lueur d’un triſte & noir flambeau,
À ces mots, m’a traîné juſque ſur ſon tombeau.
J’ai frémi d’y trouver le redoutable Atrée,
Le geſte menaçant, & la vue égarée,
Plus terrible pour moi, dans ces cruels moments,
Que le tombeau, le ſpectre, & ſes gémiſſements.
J’ai cru voir le barbare entouré de furies,
Un glaive encor fumant armait ſes mains impies ;
Et, ſans être attendri de ſes cris douloureux,
Il ſemblait dans ſon ſang plonger un malheureux.
Aerope, à cet aſpect, plaintive & déſolée,