Page:Œuvres de M. de Crébillon, tome premier, 1750.djvu/167

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Et le lâche qui doit la ſervir en ce jour
Trahit, pour la tromper, juſques à ſon amour !
Ah ! Je le punirai de l’avoir différée,
Comme fils de Thyeſte, ou comme fils d’Atrée.
Mériter ma vengeance eſt un moindre forfait
Que d’oſer un moment en retarder l’effet.
Perfide, malgré toi, je t’en ferai complice,
Ton roi, pour tant d’affronts, n’a pas pour un ſupplice.
Je ne punirais point vos forfaits différents,
Si je ne m’en vengeais par des forfaits plus grands.
Où Thyeſte paraît, tout reſpire le crime ;
Je me ſens agité de l’eſprit qui l’anime ;
Je ſuis déjà coupable. Était-ce me venger
Que de charger ſon fils du ſoin de l’égorger ?
Qu’il vive, ce n’eſt plus ſa mort que je médite,
La mort n’eſt que la fin des tourments qu’il mérite.
Que le perfide, en proie aux horreurs de ſon ſort,
Implore comme un bien la plus affreuſe mort.
Que ma triſte vengeance, à tous les deux cruelle,
Étonne juſqu’aux dieux qui n’ont rien fait pour elle.
Vengeons tous nos affronts, mais par un tel forfait,
Que Thyeſte lui-même eût voulu l’avoir fait.
Lâche & vaine pitié, que ton murmure ceſſe ;
Dans les cœurs outragés tu n’es qu’une faibleſſe ;
Abandonne le mien : qu’exiges-tu d’un cœur
Qui ne reconnaît plus de dieu que ſa fureur ?