Page:Œuvres de M. de Crébillon, tome premier, 1750.djvu/32

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Une effroyable nuit ſur les eaux répandue
Déroba tout à coup ces objets à ma vue ;
La mort ſeule y parut… le vaſte ſein des merſ
Nous entrouvrit trois fois la route des enfers.
Par des vents oppoſés les vagues ramaſſées,
De l’abîme profond juſques au ciel pouſſées,
Dans les airs embraſés agitaient mes vaiſſeaux,
Auſſi près d’y périr qu’à fondre ſous les eaux.
D’un déluge de feux l’onde comme allumée
Semblait rouler ſur nous une mer enflammée ;
Et Neptune en courroux à tant de malheureux
N’offrait pour tout ſalut que des rochers affreux.
Que te dirai-je enfin ? Dans ce péril extrême,
Je tremblai, Sophronyme, & tremblai pour moi-même.
Pour apaiſer les dieux je priai… je promiſ…
Non, je ne promis rien : dieux cruels, j’en frémiſ…
Neptune, l’inſtrument d’une indigne faibleſſe,
S’empara de mon cœur, & dicta la promeſſe :
S’il n’en eût inſpiré le barbare deſſein,
Non, je n’aurais jamais promis de ſang humain.
Sauves des malheureux ſi voiſins du naufrage,
Dieu puiſſant, m’écriai-je, & rends-nous au rivage :
Le premier des ſujets rencontrés par ſon roi
À Neptune immolé ſatiſfera pour moi…
Mon ſacrilège vœu rendit le calme à l’onde :
Mais rien ne put le rendre à ma douleur profonde,