Page:Œuvres de Robespierre.djvu/280

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tion des citoyens ne doit pas être dans la dépendance absolue de ceux qui gouvernent ; elle ne serait que la sauvegarde de leurs crimes et un obstacle funeste aux progrès des lumières, qui doivent amener la destruction des abus et la perfection du bonheur social.

L’opinion publique est à peu près la seule puissance qui en impose aux dépositaires de la force et de l’autorité : si vous la remettez entre leurs mains, vous créez le plus monstrueux de tous les despotismes, vous imitez la lâche hypocrisie des tyrans les plus habiles dans l’art d’asservir et de dégrader l’humanité. Quelles sont les choses qu’il importe surtout d’apprendre aux citoyens ? Ce sont les droits de l’humanité, ce sont les devoirs de chaque homme envers son semblable ; ce sont les principes divins de la morale et de l’égalité. Or, quel sera le meilleur précepteur en ce genre ? Sera-ce l’homme en place, toujours prêt à les oublier pour étendre ou pour perpétuer son autorité ? Non, ce sera le philosophe indépendant, étranger aux amorces de l’ambition et aux séductions du pouvoir ; ce sera le citoyen persécuté par l’injustice du gouvernement ; ce sera le père de famille qui gémit dans l’oppression et dans la misère. C’est par un étrange renversement de toutes les idées qu’on a regardé les fonctionnaires publics comme essentiellement destinés à diriger la raison publique ; c’est au contraire la raison publique qui doit les maîtriser et les juger. Le peuple vaut toujours mieux que les individus : or, que sont les dépositaires de l’autorité publique, si ce ne sont des individus plus exposés que les autres à l’erreur ? Le peuple veut toujours son propre bien : l’individu, l’homme puissant veut aussi le sien ; mais le bien du peuple est l’intérêt de l’humanité ; le bien particulier des hommes puissants, c’est l’intérêt de l’orgueil ; remettre à ceux-ci le soin de former l’esprit public, c’est leur confier le soin de le corrompre à leur profit. Quelque vertueux que soit un homme en place, il ne l’est jamais autant qu’une nation entière, et son génie