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XI
LA VIE DE SPINOZA.

Aboth, chapitre 2, où il enseigne que l’étude de la loi est quelque chose de bien désirable lorsqu’on y joint une profession ou quelque art mécanique ; car, dit-il, l’application continuelle à ces deux exercices fait qu’on n’en a point pour faire le mal et qu’on l’oublie ; et tout savant qui ne s’est pas soucié d’apprendre quelque profession devient à la fin un homme dissipé et déréglé en ses mœurs ; et le rabbin Jéhuda ajoute que tout homme qui ne fait pas apprendre un métier à ses enfants fait la même chose que s’il les instruisait à devenir voleurs de grand chemin.

Spinoza, savant dans la loi et dans les coutumes des anciens, n’ignorait pas ces maximes et ne les oublia pas, tout séparé des juifs et excommunié qu’il était. Comme elles sont fort sages et raisonnables, il en fit son profit, et apprit un art mécanique avant d’embrasser une vie tranquille et retirée, comme il y était résolu. Il apprit donc à faire des verres pour des lunettes d’approche et pour d’autres usages, et il y réussit si parfaitement qu’on s’adressait de tous côtés à lui pour en acheter, ce qui lui fournit suffisamment de quoi vivre et s’entretenir. On en trouva dans son cabinet, après sa mort, encore un bon nombre qu’il avait polis ; et ils furent vendus assez cher, comme on peut le justifier par le registre du crieur public qui assista à son inventaire et à la vente de ses meubles.

Après s’être perfectionné dans cet art, il s’attacha au dessin, qu’il apprit de lui-même, et il réussit bien à tracer un portrait avec de l’encre ou du charbon. J’ai entre les mains un livre entier de semblables portraits, où l’on en trouve de plusieurs personnes distinguées qui lui étaient connues ou qui avaient eu occasion de lui faire visite. Parmi ces portraits je trouve à la quatrième feuille un pêcheur dessiné en chemise, avec un filet sur l’épaule droite, tout à fait semblable pour l’attitude au fameux chef des rebelles de Naples, Masaniello, comme il est représenté dans l’histoire et en taille-douce. À l’occasion de ce dessin, je ne dois pas omettre que le sieur Van der Spyck, chez qui Spinoza logeait lorsqu’il est mort, m’a assuré que ce crayon ou portrait ressemblait parfaitement bien à Spinoza, et que c’était assurément d’après lui-même qu’il l’avait tiré. Il n’est pas nécessaire de faire mention des personnes distinguées dont les portraits crayonnés se trouvent pareillement dans ce livre parmi ses autres dessins.

De cette manière il pouvait fournir à ses nécessités du travail