Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xvii
la vie de spinoza.

pour réfuter celui de M. Stoupe ; et en effet, tant d’écrits publiés contre ce traité abominable montrent évidemment que M. Stoupe s’était trompé. Ce fut en ce temps-là même qu’il écrivit plusieurs lettres à Spinoza, dont il reçut aussi plusieurs réponses, et qu’il le pria enfin de vouloir bien se rendre à Utrecht dans un certain temps qu’il lui marqua. M. Stoupe avait d’autant plus d’envie de l’y attirer, que le prince de Condé, qui prenait alors possession du gouvernement d’Utrecht, souhaitait fort de s’entretenir avec Spinoza ; et c’était dans cette vue qu’on assurait que Son Altesse était si bien disposée à le servir auprès du roi, qu’elle espérait d’en obtenir aisément une pension pour Spinoza, pourvu seulement qu’il pût se résoudre à dédier quelqu’un de ses ouvrages à Sa Majesté. Il reçut cette dépêche accompagnée d’un passe-port, et partit peu de temps après l’avoir reçue. Le sieur Halma, dans la Vie de notre philosophe qu’il a traduite et extraite du Dictionnaire de M. Bayle, rapporte à la page 11 qu’il est certain qu’il rendit visite au prince de Condé, avec qui il eut divers entretiens pendant plusieurs jours, aussi bien qu’avec plusieurs autres personnes de distinction, particulièrement avec le lieutenant-colonel Stoupe. Mais Van der Spyck et sa femme, chez qui il était logé et qui vivent encore à présent, m’assurent qu’à son retour il leur dit positivement qu’il n’avait pu voir le prince de Condé, qui était parti d’Utrecht quelques jours avant qu’il y arrivât, mais que dans les entretiens qu’il avait eus avec M. Stoupe, cet officier l’avait assuré qu’il s’emploierait pour lui volontiers, et qu’il ne devait pas douter d’obtenir à sa recommandation une pension de la libéralité du roi[1] ; mais que pour lui, Spinoza, comme il n’avait pas dessein de rien dédier au roi de France, il avait refusé l’offre qu’on lui faisait avec toute la civilité dont il était capable.

Après son retour, la populace de la Haye s’émut extraordinairement à son occasion ; il en était regardé comme un espion, et ils se disaient déjà à l’oreille qu’il fallait se défaire d’un homme si dangereux, qui traitait sans doute d’affaires d’État dans un commerce si public qu’il entretenait avec l’ennemi. L’hôte de Spinoza en fut alarmé, et craignit avec raison que la canaille ne

  1. Le roi de France donnait alors des pensions à tous les savants, particulièrement aux étrangers qui lui présentaient ou dédiaient quelque ouvrage. Colerus.