Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/74

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
6
PRÉFACE.

de tumultes et de guerres. Car ainsi que nous l’avons déjà fait voir, et suivant l’excellente remarque de Quinte-Curce (liv. vi. ch. 18) ; « Il n’y a pas de moyen plus efficace que la superstition pour gouverner la multitude. » Et voilà ce qui porte si aisément le peuple, sous une apparence de religion, tantôt à adorer ses rois comme des dieux, tantôt à les détester comme le fléau du genre humain. Pour obvier à ce mal, on a pris grand soin d’entourer la religion, vraie ou fausse, d’un grand appareil et d’un culte pompeux, pour lui donner une constante gravité et imprimer à tous un profond respect ; ce qui, pour le dire en passant, a parfaitement réussi chez les Turcs où la discussion est un sacrilège et où l’esprit de chacun est rempli de tant de préjugés que la saine raison n’y a plus de place et le doute même n’y peut entrer.

Mais si le grand secret du régime monarchique et son intérêt principal, c’est de tromper les hommes et de colorer du beau nom de religion la crainte où il faut les tenir asservis, de telle façon qu’ils croient combattre pour leur salut en combattant pour leur esclavage, et que la chose du monde la plus glorieuse soit à leurs yeux de donner leur sang et leur vie pour servir l’orgueil d’un seul homme, comment concevoir rien de semblable dans un État libre, et quelle plus déplorable entreprise que d’y répandre de telles idées, puisque rien n’est plus contraire à la liberté générale que d’entraver par des préjugés ou de quelque façon que ce soit le libre exercice de la raison de chacun ! Quant aux séditions qui s’élèvent sous prétexte de religion, elles ne viennent que d’une cause, c’est qu’on veut régler par des lois les choses de la spéculation, et que dès lors des opinions sont imputées à crime et punies comme des attentats. Mais ce n’est point au salut public qu’on immole des victimes, c’est à la haine, c’est à la cruauté des persécuteurs. Que si le droit de l’État se bornait à réprimer les actes, en laissant l’impunité aux paroles, il serait impossible de donner à ces troubles le prétexte de l’intérêt et du droit de l’État,