Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/102

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mêmes choses par aucune pensée, et conséquemment par aucun acte de volonté. Mais, dit-on, si Dieu voulait faire que nous en eussions la perception, il devrait nous donner une plus grande faculté de percevoir, et non pas une plus grande faculté de vouloir que celle qu’il nous a donnée. Cela revient à dire que si Dieu voulait nous faire connaître une infinité d’êtres que nous ne connaissons pas actuellement, il serait nécessaire qu’il nous donnât un entendement plus grand, mais non pas une idée de l’être plus générale, pour embrasser cette infinité d’êtres ; car nous avons montré que la volonté est un être universel ou une idée par laquelle nous expliquons toutes les volitions particulières, c’est-à-dire ce qui leur est commun. Or, nos contradicteurs se persuadant que cette idée universelle, commune à toutes les volitions, est une faculté, il n’est point surprenant qu’ils soutiennent que cette faculté s’étend à l’infini au delà des limites de l’entendement, puisque l’universel se dit également d’un seul individu, de plusieurs, d’une infinité.

Ma réponse à la seconde objection, c’est que je nie que nous ayons le libre pouvoir de suspendre notre jugement. Quand nous disons en effet qu’une personne suspend son jugement, nous ne disons rien autre chose sinon qu’elle ne perçoit pas d’une façon adéquate l’objet de son intuition. La suspension du jugement, c’est donc réellement un acte de perception, et non de libre volonté. Pour éclaircir ce point, concevez un enfant qui se représente un cheval et ne perçoit rien de plus. Cet acte d’imagination enveloppant l’existence du cheval (par le Corollaire de la Propos. 17, partie 2), et l’enfant ne percevant rien qui marque la non-existence de ce cheval, il apercevra nécessairement ce cheval comme présent, et ne pourra concevoir aucun doute, sur sa réelle existence, lien qu’il n’en soit pas certain.

Il nous arrive chaque jour quelque chose d’analogue dans les songes, et je ne crois pas que personne se puisse persuader